La balance à peser notre tête
Jahvé, Allah et le
soldat Shalit
Manuel de Diéguez
Manuel de
Diéguez
Dimanche 6 novembre
2011
Introduction
Par nature et par définition, la liberté
dont les démocraties se réclament est
d'ordre qualitatif. A ce titre, son
fondement est philosophique : elle
revendique le droit de penser et de
raisonner avec justesse, donc de faire
progresser l'intelligence du genre
humain. Il serait étonnant que le seul
pays au monde dont le baccalauréat
s'obtient à l'école de l'initiation de
la jeunesse à la philosophie, donc à
l'art de la dissertation, il serait
étonnant que dans ce seul pays la
liberté s'exprimât par la promotion de
l'ignorance, de la vulgarité et de la
sottise et qu'on y fasse preuve d'une
supériorité culturelle digne de louanges
à mettre le prophète Jésus dans un pot
de chambre et de couronner le prophète
Mahomet d'une bombe de papier.
Cette question est politique au premier
chef ; car si la recherche de la vérité
ne se confondait pas à celle de la
dignité du genre humain, si penser
n'était pas une noblesse, si la
démocratie n'était pas élévatoire, quel
serait le statut de la France dans la
tête des citoyens? Voyez-vous la vraie
France sous les traits d'un personnage
physique, voyez-vous la France des
patriotes dans le rôle d'un acteur en
chair et en os sur la scène du monde ?
Alors votre France se rend visible sous
l'uniforme de ses gendarmes, la robe
noire de ses magistrats lui sert de
parure et l'armement de ses soldats de
mâchoire - mais si l'éducation nationale
d'un pays d'apprentis-philosophes est
appelée à combattre l'irréflexion, ne
dira-t-elle pas aux enfants: "Si la
France n'était pas un personnage
invisible dans vos têtes, alors, sachez
que toutes les dorures et les rubans de
la République ne seront jamais que
hochets et colifichets. Votre France
intérieure est la mesure de vos âmes et
de vos têtes, votre France intérieure
est le signe de votre hauteur ou de
votre bassesse."
On dit que la raison est une accoucheuse
dont le forceps s'appelle la dialectique
- on l'appelle même une sage-femme
depuis un certain Socrate l'Athénien. Si
le Dieu des Français est de la taille
d'un pot de chambre, de quel
"Connais-toi" sommes-nous les
interlocuteurs? Si le Dieu des Français
n'est pas dans les cierges, les ciboires
et les prie-Dieu de ses dévots et si la
nation n'est pas dans les galons et les
passementeries de ses généraux, à quelle
école sommes-nous quand nous écoutons en
nous une voix qui nous dit: "Vous n'êtes
ni dans la pierre des édifices de la
République ni dans les murs de vos
églises"?
Décidément, les démocraties se
hiérarchisent à l'écoute de leurs
définitions de la liberté; et la liberté
est à l'écoute de la tête et de l'esprit
de ses serviteurs. Mais si notre liberté
pouvait se mettre à la mangeoire de la
bassesse de ses faux adorateurs, quelle
serait l'existence propre au "Dieu" des
âmes et des cœurs dignes de la France?
Car enfin, les dieux des Grecs et des
Romains étaient censés se promener sur
la terre et, depuis le Concile de Nicée
en l'an 325, Jésus est réputé de même
facture que Mars ou Minerve - ce dieu
était rencontrable en chair et en os sur
les routes et les chemins de la Galilée
de son temps.
Vous qui croyez en la divinité de la
rate, du foie et de la musculature d'un
dieu, qui êtes-vous et qui est Muhammad?
S'il n'est pas un Allah braillant dans
son berceau, sur quelle balance de votre
génie le pesez-vous ? Encore une fois,
qui êtes-vous si vous changez de nature
selon que votre interlocuteur intérieur
est un dieu capable d'apaiser la tempête
ou le témoin que vous êtes à vous-même
quand vous accouchez de votre âme et de
votre tête?
Et puis, il est singulier que les dieux
des Anciens traversaient les nues à
grandes enjambées, il est singulier et
que les trois dieux uniques censés leur
avoir succédé ne jouent plus aux bolides
dans l'immensité et il est plus
singulier encore que vous ne vous
demandez jamais quelle est la sorte
d'existence de votre trio de Célestes
dont les théologies demeurent
incompatibles entre elles.
Décidément, si notre anthropologie dite
scientifique ne dispose d'aucune
connaissance des dieux décorporés et de
la charpente céleste du troisième, vous
ne comprenez rien ni à géopolitique, ni
à Adam, parce que Jahvé vient d'échanger
la carcasse d'un seul de ses fidèles
contre le menu fretin, à ses yeux, de
mille vingt sept musulmans parmi les six
mille qui croupissaient dans les geôles
d'Israël. Quel est le statut théologique
du reste aux yeux du Zeus des chrétiens,
d'un côté, et de ceux d'Allah, de
l'autre. Si vous vous mettiez à peser et
à penser la politique et l'histoire à
l'école des dieux tels qu'ils existent
dans les têtes, peut-être l'attentat
contre Charlie Hebdo servirait-il de
déclic au débarquement de la France de
l'intelligence dans le débat public. .
1-
Un animal en construction
Nous mesurons le
chaud et le froid à partir d'un point de
repère fixe, que nous appelons le zéro.
Nos thermomètres nous permettent de
capter la température de nos climats et
de les garder en mémoire à l'aide
d'enregistreurs précis de l'amplitude
des variations de leur clémence et de
leur rigueur. De même, nous prenons acte
de l'atmosphère qui règne sous notre os
frontal - et pour cela, nous déposons
notre encéphale sur les plateaux d'une
balance qui nous indique le poids et le
volume de la boîte osseuse de nos
civilisations.
Or, nous avons
appris, il y a cent cinquante deux ans
seulement - c'était en 1859 - que nous
appartenons à une espèce au cerveau en
gestation. Depuis lors, nous nous
efforçons, non sans mal, de nous
pénétrer de l'évidence que nos neurones
se trouvent fatalement en voyage et
qu'ils nous conduisent sans doute
quelque part, sinon nous perdrions le
rang enviable de vivants en cours
d'accouchement.
Mais aucun philosophe, aucun
anthropologue, aucun psychologue, aucun
historien, aucun sociologue, aucun
politologue, aucun explorateur de
l'inconscient qui téléguide notre
évolution n'a tenté de fabriquer une
balance à peser les retards, les
interruptions, les remises en marche ou
les accélérations du cerveau réputé
mutant du pithécanthrope d'hier et de
celui d'aujourd'hui. Peut-être la
difficulté d'une telle entreprise
réside-t-elle dans la nécessité
d'esquisser une connaissance
relativement prospective de la nature et
des performances qui président au
devenir lent ou rapide de notre
cervelle. Car il nous faut disposer
d'une échelle graduée pour apprendre sur
quels barreaux du temps nous déposons
nos crânes successifs afin de juger de
l'état d'avancement de la grossesse de
notre espèce de raison.
2 -
Comment nous pesons nos dieux
Pour
fabriquer les instruments de pesée de
notre crâne, nous traçons une ligne du
pôle nord au pôle sud et nous plaçons
sur son parcours les cerveaux
inégalement chauffés ou gelés de nos
ancêtres. Nous baptisons longitude la
route vers le haut et le bas et latitude
l'étendue en hauteur, largeur et
profondeur de nos encéphales. Les
instruments de mesure qui nous
permettent d'apprécier le degré de
lucidité dont jouissent les descendants
actuels d'un quadrumane à fourrure, nous
les appelons des idoles, et nous
observons, la loupe à l'œil, les
matériaux que nous faisons entrer dans
leur fonte et leur moulage. Mais aussi
bien le fléau de nos balances que
l'ascension ou le retrait du mercure de
nos thermomètres obéissent à un critère
qui commande tous les jugements que nous
portons sur notre devenir, celui de la
nature de l'existence et de l'inexistence
de nos dieux; car nous les construisons
et les reconstruisons de siècle en
siècle, soit en laboratoire, soit au
grand jour, mais toujours avec le plus
grand souci de perfectionner leurs
formes, leurs couleurs, leur dégaine et
les traits de leur visage. Car nous les
vénérons fort diversement au gré des
époques et des lieux.
Notre
fameux verbe exister se conjugue
donc de mille manières et toujours de
telle sorte qu'il existe autant de types
d'existence de nos Célestes dans nos
têtes que de températures cérébrales au
sein de nos sociétés - autant dire de
froidures et d'incandescences de nos
cervelles. Le plus grand avantage, à
notre avis, d'adopter le sacré pour
étalon de mesure du degré d'intelligence
et de sottise des semi-évadés de la
zoologie que nous sommes demeurés, c'est
l'antiquité et l'universalité de ces
témoins tour à tour fixes et flexibles,
immuables et mouvants, impavides et
flottants dans notre encéphale en
devenir.
3 - Persépolis
Une
démonstration frappante de
l'omniprésence de nos idoles dans le
monde contemporain vient de nous être
apportée par un film, Persépolis, dont
la projection nous met comme jamais en
face du mystère qui entoure notre verbe
exister.
Car ce
long métrage a provoqué un grand
scandale en Tunisie du seul fait que
l'inventeur auquel nous avons confié la
création de l'univers s'y trouve
portraituré de la main d'un artiste
habile, alors que toute représentation
du géniteur de toutes choses à l'aide du
crayon, du pinceau ou du ciseau de ses
créatures est tenu pour un blasphème
effroyable dans l'islam et dans le
judaïsme. Aussi nous demandons-nous de
quelle sorte d'existence un
personnage non substantifiable à l'école
de nos cinq sens renvoyait les
encéphales de nos ancêtres et pourquoi
nous rejetons dans l'invisible,
l'insaisissable et le vaporeux le
campeur titanesque que nous avons
installé dans le vide de l'immensité.
Mais pour peser les
encéphales inférieurs, moyens et
supérieurs dont nous disposons, il faut
nous souvenir de ce que, tout au long de
notre errance, il allait de soi qu'il
existait, de siècle en siècle, une
certaine proportion de spécimens de
notre espèce dont le cubage cérébral
était jugé tellement au-dessus de celui
de la masse de ses congénères que ces
derniers se trouvaient relégués à un
rang indigne de l'attention des géants
de notre raison en marche.
Or, il se trouve que, de nos jours, ce
n'est plus la hiérarchie et l'étagement
de nos têtes qui forge notre histoire et
notre politique, parce que les derniers
modèles de nos dieux sont censés
bénéficier de l'ubiquité et de l'
instantanéité tant de leurs voix que de
leur quintessence et qu'ils remplissent
nos oreilles de leur tapage sur les
places publiques de toutes les cités de
nos peuples et de nos nations. Et
pourtant, le type d'existence
tumultueuse que nous leur accordons
grave plus que jamais notre histoire sur
des tablettes mouvantes. C'est pourquoi
la parole radiophonique et l'image
télévisuelle ont aussitôt présenté à nos
pithécanthropologues le spectacle en
laboratoire du cerveau évolutif des
croyants du dieu outragé à Persépolis.
4 -
D'une ignorance à l'autre
Il est alors apparu que, pour sa part,
le dirigeant d'un islam enflammé et qui
entendait protéger son idole de
l'infamie de la représenter en chair et
en os ne se posait jamais la question
qu'il aurait dû agiter avec une sainte
ardeur, celle de l'existence propre à un
Allah invisible: on avait insulté le
sacré, clamait-il, on s'était attaqué à
la "religion des gens". Certes,
disait-il, le blasphème pouvait
provoquer de surcroît des troubles
publics regrettables, mais dérisoires:
non seulement la question centrale,
celle de l'existence spécifique de
l'acteur de la Genèse n'était nullement
soulevée, mais la légitimité de
l'interdit qui frappait dans l'œuf une
interrogation aussi épouvantable allait
tellement de soi que son inanité
revenait au ridicule de douter de
l'existence de la lune et du soleil.
Comment peser nos encéphales si cet
organe se trouve frappé dès le berceau
d'un tabou de nature psychobiologique,
donc invincible par définition? Quelle
dictature s'exerce-t-elle depuis les
origines sur notre espèce tout entière
pour qu'elle sécrète de l'irréfutable?
Or, la journaliste
qui interviewait le meneur des fidèles
du dieu irrité ne s'en inquiétait pas
davantage: le hasard avait voulu que la
religion en perdition à laquelle
l'Occident s'était progressivement
rallié au cours des deux derniers
millénaires figurât parmi celles qui
n'interdisent nullement aux peintres,
aux dessinateurs et aux sculpteurs de
leur foi de portraiturer leur divinité
en chair et en os - et même de la fixer
sur une potence de bois sec. Mais alors
- et cela à partir du Concile de Nicée
en 325 - elle s'y trouve fichée à la
fois en tant qu'homme accompli et en
tant que père parfait du cosmos -- ce
qui, depuis vingt siècles, soulève des
difficultés insolubles à une théologie
aussi osée. En vérité, cette doctrine
scissipare se collète encore sous nos
yeux avec la difficulté insurmontable
sur laquelle elle s'est clouée,
tellement la sorte d'existence commune à
un dieu en chair et en os et à un dieu
décorporé met à nu l'évidence que le
pithécantrope est un animal traumatisé
de se trouver lui-même scindé de cette
manière entre son ossature et sa
cervelle. Pourquoi ces mystères
anthropologiques n'effleuraient-ils pas
la masse cérébrale de la journaliste
occidentale, qui avait conclu son
interview par un simple et définitif:
"C'est un très beau film" ?
5 - De
la chute de nos idoles dans le temps
Nous ne cessons, disais-je, de nous
demander quelle est la sorte d'existence
schizoïde dont nos idoles sont censées
bénéficier. Si une gentille esthétique
du sacré se révélait suffisante pour
nous démontrer la légitimité de la
dichotomie psychique qui nous distingue
des autres espèces et si, de surcroît,
la bipolarité viscérale et la scission
mentale qui nous caractérisent n'avaient
plus de secret pour nous, la vraie
question demeurerait encore à poser:
quelle est la nature du décalque
réciproque qui commande le parallélisme
des hommes avec leurs dieux?
Pour tenter de
comprendre le silence de nos philosophes
et de nos pithécanthropologues
concernant notre nature et celle de nos
Célestes, il faut savoir qu'elle est
fort tardive, la découverte qui nous a
révélé que notre espèce se forge des
personnages imaginaires et qu'elle les
croit réels sous le vain prétexte qu'ils
se promènent pendant des siècles sous
notre os frontal. C'est ainsi que la
religion juive ne nie que depuis
quelques siècles l'existence physique
des autres dieux que le sien. Même aux
yeux des prophètes du peuple hébreu, les
Célestes des Grecs et des Romains
étaient demeurés réels en ce sens qu'ils
se trouvaient effectivement plantés à
l'extérieur de la boîte osseuse de leurs
croyants respectifs. Simplement ils
s'étaient disqualifiés dans le cosmos en
raison de leur incompétence notoire.
Leurs cohortes serrées avaient été
rendues ridicules aux yeux de la seule
divinité victorieuse et omnipotente,
donc réelle à ce titre, celle du Jupiter
triomphant d'Israël.
A l'origine, le
cerveau bifide de notre espèce se posait
donc exclusivement la question de
l'efficacité de nos idoles sur le
terrain Peu importait qu'elles
existassent en chair et en os ou
seulement "en esprit", dès lors que leur
nanisme politique suffisait à les
disqualifier radicalement dans nos
têtes. Mais si, même en Israël,
l'hénothéisme a trépassé de nos jours et
si Jahvé n'existe plus désormais qu' "en
esprit", quelle est la sorte d'existence
extérieure, même réduite à une vapeur,
que conserve nécessairement un "pur
esprit" dès lors que, dans le même
temps, il est censé se trouver aussi
colloqué dans l'espace et le temps
qu'auparavant? Les "purs esprits"
n'existeraient-ils que dans nos têtes?
Et si nous tenons à les conserver dans
le vide, comment substantifier de
quelque manière de "purs esprits"
localisés dans l'étendue?
6 - Un pour tous,
tous pour personne
Et voici que, par la
faute du soldat Shalit et de lui seul,
la malheureuse question de la pesée et
du cubage de la conque osseuse des
fuyards des ténèbres débarque à nouveau
- et avec quelle insistance - dans
l'arène des nations. Car la capture sur
son tank à Gaza, en 2006, de ce jeune
guerrier d'Israël est devenue une énigme
anthropo-politico-théologique : comment
se fait-il que la capture, à l'âge de
vingt ans, de cet obscur soldat d'une
armée conquérante, comment se fait-il,
dis-je, que la prise, les armes à la
main, d'un envahisseur anonyme et sans
intérêt particulier ait suffoqué
d'indignation le peuple hébreu tout
entier, comment se fait-il, dis-je, que
la terre entière ait retenti cinq ans
durant de gémissements apitoyés et de
lamentations éplorées à la seule
nouvelle de l'emprisonnement banal d'un
fantassin inconnu?
Mais si le hoplite Shalit existe
corporellement à ce point, Jahvé
nierait-il l'existence physique de
milliers de prisonniers palestiniens
croupissants dans les geôles du peuple
élu, et cela pour le seul motif que les
autres dieux n'existant plus
musculairement, leurs fidèles s'en
trouveraient réduits par mimétisme au
rang de spectres théologiques à leur
tour? Les hommes seraient-ils privés
d'existence charnelle, eux aussi, s'ils
se trouvent réduits à néant dans l'ordre
politique?
Pas de doute, la question de
l'inexistence des charpentes hier
communes aux idoles et aux hommes
débarque à nouveau sur la terre dès lors
que leur surréalité partagée se confond
à leur impuissance. Il nous faut en
conclure, en anthropologues de nos
théologies, que l'hénothéisme n'est pas
mort, parce que sa signification
psychobiologique se montre congénitale
au Jahvé des Hébreux qui croit, avec
tout son peuple, que les dieux existent
désormais réellement, mais par la seule
vertu de leur état-civil mondialisé.
L'esthétique aurait-elle donc substitué
l'universalité de sa caution à celle
d'une " révélation " autrefois
philosophique ou politico-métaphysique?
Mais alors notre science à venir de
l'histoire véritable de nos personnages
sacrés devient la clé de toute la
science des horticulteurs du ciel
d'hier, d'aujourd'hui et de demain.
7 - Le
menu fretin de Jahvé et nous
Mais, comme il est dit plus haut, notre
espèce de jardiniers et de fleuristes
des dieux réduits à leur statut culturel
revendique non seulement pour ses
Célestes, mais pour elle-même la sorte
d'existence spécifique qu'il faut
qualifier de bi-polaire, de bi-céphale,
de bifide ou de schizoïde. Du coup,
notre anthropologie n'est plus légitimée
à s'auto- qualifier de scientifique,
alors qu'elle ne tente en rien de
résoudre l'énigme principale que notre
espèce de copistes de ses Olympes est
demeurée à elle-même. Et puis, toute
notre géopolitique ne vaut pas pipette
non plus dès lors qu'elle ne résout
nullement une difficulté aussi focale.
Car enfin, quand M.
Nicolas Sarkozy s'est vanté de se
trouver jour et nuit en contact
téléphonique avec M. Benjamin Netanyahou
en personne; et quand il a fait savoir
qu'il consolait ce malheureux chef de
gouvernement, dans son rôle de victime
planétaire d'une fatalité cruelle pour
lui-même et pour tout son peuple, et
quand cette tragédie est censée avoir
trouvé un dénouement béatifique du seul
fait que le héros pur et sans reproche a
été échangé contre mille vingt sept
prisonniers palestiniens seulement -
donc pour rien - pourquoi, aux yeux de
Jahvé et de ses adorateurs, ce petit
bétail demeure-t-il sans valeur à
vieillir dans les geôles israéliennes?
Et puis, comment expliquer que le peuple
français et l'Occident ex-chrétien tout
entier aient été instamment conviés par
leur puissant appareil d'Etat à
applaudir un succès diplomatique aussi
titanesque que miraculeux : le troc
profitable d'un menu fretin palestinien
contre un trésor sans égal?
Voilà qui constitue,
n'est-il pas vrai, un document
anthropologique que nous ne saurions
renoncer à décrypter, sauf à jeter aux
orties toute quête d'une juste pesée de
notre cerveau. Car si le vrai Allah,
lui, n'existe qu' "en esprit", que faire
des deux autres monothéismes de luxe qui
passent désormais pour ne fleurir que
dans les serres somptueuses de la
culture mondiale? Qu'en est-il des
artistes d'un ciel de fleurs et de leurs
floralies jardinières? L'hénothéisme
culturel deviendra-t-il aussi
intercontinental que les orthodoxies
précédentes? Et dans le cas où le
créateur patenté des trois religions du
Livre ressortirait encore, ici ou là, à
la sorte d'existence doctrinale qu'il
partageait avec les dieux physiques du
polythéisme, le trio des monothéismes ne
siège plus dans le vide de l'immensité:
tous trois ont cessé de gérer le cosmos
chacun au profit de ses propres
ouailles, tous trois ont renoncé à se
barricader dans leurs forteresses
célestes respectives, tous trois
n'existent plus que dans la tête de
leurs fidèles, tous trois ont cessé de
colloquer leur substance dans l'espace
et le temps. Quel casse-tête existentiel
que la question de l'interdiction de
dessiner le visage, les bras et les
jambes d'Allah à Persépolis!
8 - Le
" corps " des dieux
Mais qui nous dira
pourquoi un dieu réputé privé de corps
s'intéresserait néanmoins au corps de
ses fidèles, qui nous dira pourquoi le
Jahvé du soldat Shalit se moque bien de
la charretée de charpentes des
Palestiniens, qui nous dira quel est le
sens politique, historique et
anthropologique du mythe de
l'incarnation d'un Jahvé supposé
compassant et miséricordieux que les
chrétiens ont mis en scène depuis deux
mille ans? Pour cela, demandons-nous ce
qu'il en est du " corps " spécifique des
dieux dotés d'une ossature et de ceux
qui s'en trouvent dépourvus.
Car enfin, il existe
sûrement - mais nous ne savons où elle
se cache - une identité religieuse et
humaine confondues. Sinon, les quarante
pour cent de la population de la
Palestine qui ont passé par les prisons
d'Israël à un moment ou à un autre
erreraient à jamais dans l'Hadès. Mais
si Jahvé n'existe décidément que dans le
cœur et la tête de ses fidèles et si cet
locataire-là du crâne et de l'esprit des
Hébreux enseigne au peuple juif que les
Palestiniens ne sont qu'un cheptel à
échanger contre le trésor du soldat
Shalit, quel est l'enjeu des querelles
que le pithécanthrope entretient sans
relâche avec ses idoles?
Et voici que le Allah intérieur se
tourne vers ses fidèles à lui et qu'il
leur dit: "Décidément, vous êtes
demeurés de bien piètres anthropologues!
Savez-vous seulement pourquoi tant de
personnages en chair et en os se
promenaient hier dans le cosmos et
pourquoi ils ont mis tant de siècles à y
trépasser sous votre os frontal?
Qu'attendez-vous pour l'apprendre? A
vous de vous mettre à l' écoute de vos
esprits et de vos corps réunis.
Qu'attendez-vous pour découvrir votre
vrai "corps"? S'il est évident que le
panculturalisme moderne est un nouvel
hénothéisme et qu'il a rejeté dans les
ténèbres de l'oubli le double sens du
verbe exister appliqué au "corps" et à
l'esprit des Célestes, qu'est-ce donc
qui a conduit les dessinateurs d'Allah à
Persépolis à donner, malgré eux, un sens
trans-corporel au verbe exister appliqué
au corps de leur créateur du cosmos,
donc à le rendre réel "en esprit" et à
l'école de son trépas physique sur une
potence?
9 - Le " corps "
d'Allah
Décidément, le
sacrilège serait d'ignorer le sens
spirituel du mot "corps" appliqué à
Allah. Mais pour l'apprendre,
demandons-nous ce qui manque à Jahvé,
qui ne s'est pas doté d'un "corps", et
pourquoi ce dieu-là ignore la chair et
le sang des prisonniers d'Israël.
Est-ce à dire que le
culte du peuple juif pour un guerrier
juvénile rappelle au monde entier que
seul le dieu d'Israël existe
"réellement" et qu'il vient à nouveau de
le démontrer "physiquement" à la face du
monde entier, lui qui a délivré la
charpente de l'un de ses fidèles en
échange d'une chienlit de mille vingt
sept masses de chair et d'os musulmanes?
Décidément, il va falloir décrypter le
sens politique et psychique des dieux
tenus pour exister dans les têtes
seulement et de ceux qui existent
également, de quelque manière, hors des
têtes de leurs fidèles, et cela sous la
forme d'un corps étrange et en quelque
sorte surréel. Sinon, que va-t-il
advenir du dieu physiquement supplicié
et de son alliance avec une politique de
l'esprit? Pour cela, il nous faudra
apprendre à peser l'encéphale de notre
espèce sur la balance d'un dieu à la
fois incorporel et corporel, afin de
tenter d'apprendre pourquoi Shalit est
physiquement si précieux, mais sans que
personne n'évoque le statut
transcendantal de son corps et pourquoi
six mille prisonniers musulmans ne
valent pas un sou, parce qu'il n'existe
pas de "corps spirituel" aux yeux
d'Israël et de Jahvé. Or l'illustre
hybride divin des chrétiens - il est
censé se trouver assis en chair et en os
dans les cieux à la droite du géniteur
du cosmos - cet hybride, dis-je, pose à
l'anthropologie critique la question la
plus existentielle de toutes, celle de
savoir pourquoi les prophètes sont
suicidaires, eux qui sacrifient leurs
organes physiques au dieu "sans corps"
dont ils sont habités.
10 - Le corps
réel des dieux
Et voilà que Shalit vient témoigner du
cordon ombilical qui rattache le dieu
désincarné au dieu incarné. N'est-il pas
étonnant qu'un citoyen israélien, le
père même du soldat Shalit, ait pu venir
camper si effrontément et des semaines
durant, aux portes de l'Etat juif à
seule fin de lui demander impérieusement
et d'un cœur léger de délivrer son fils
et lui seul des mains du Hamas, n'est-il
pas extraordinaire que le peuple hébreu
ait fait chorus avec cet hérétique et
cela au point d'avoir élevé ce
prisonnier obscur au rang d'une cause
nationale, n'est-il pas inouï que M.
Netanyahou n'ait jamais seulement osé
invoquer le devoir de sacrifier son
corps à la patrie, alors que ce don sert
de moteur aux démocraties du monde
entier depuis la levée en armes du
peuple de Valmy, n'est-il pas sans
exemple que le thème du "corps de la
patrie" soit radicalement absent de la
culture politique d'Israël, n'est-il pas
stupéfiant que l'échange d'un seul
citoyen contre des centaines de
Palestiniens censés privés de corps
collectif n'ait pas éveillé dans ce pays
la question du statut transcorporel du
corps propre aux nations?
Il est vrai que le
patriotisme moderne n'est né qu'au cours
du XVIIIe siècle quand l'adjectif
"national" a soudainement envahi le
discours politique et que les généraux
de Louis XV se sont étonnés et souvent
indignés qu'on n'évoquât plus les armées
d'un monarque attaché à servir la gloire
et la grandeur du royaume, mais celles
de la nation. Il est également vrai que,
même à Athènes, on condamnait à mort les
chefs militaires qui avaient négligé
d'enterrer les soldats tombés sur le
champ de bataille, parce qu'il fallait
que le courage des citoyens fût soutenu
par leur certitude qu'on ne les
laisserait pas errer sans fin et privés
de sépulture dans l'Hadès.
Mais enfin, un Shalit en captivité, donc
seulement réduit à l'impuissance
physique et protégé par les lois de la
guerre "civilisée" d'aujourd'hui, un
Shalit dont "l'ennemi" n'a pas touché un
cheveu de sa tête, un Shalit qui ne
craint en rien de se trouver traité sans
ménagements à titre posthume, comment se
fait-il qu'Israël ne puisse rien lui
demander de précieux ? Mais alors,
quelle est la balance qui déclare sans
prix la chair d'un mortel? Son statut de
martyr serait-il inscrit dans sa
condition de prisonnier, bien qu'il fût
traité avec tant d'égards par ses
geôliers? Quelle illustration de ce que
les corps des citoyens israéliens ne
sont en rien les héros d'une patrie!
Serait-ce pour le motif qu'un Jahvé
désincarné ne saurait s'identifier aux
charpentes de ses adorateurs! Mais
alors, qu'est-ce qui cimente les autres
dieux aux corps de leurs fidèles et les
corps des fidèles à celui de leur dieu?
11 -
L'homme et la chair de ses dieux
Depuis
Clovis, la royauté française faisait des
Capétiens des substituts charnels de
Jésus-Christ sur la terre ; en
contrepartie, leurs sujets se voyaient
élevés à la dignité de participer au
corps mystique d'une nation médiatisée
par la charpente d'une divinité. On
mourait pour une patrie surnaturelle, on
se sacrifiait pour une transcendance
substantifiée; et quand le peuple
français a pris le relais de la
surréalité du roi terrestre, il est
devenu à lui-même la nouvelle voix du
ciel, celle d'une incarnation régénérée
par la "vox Dei" qu'il est devenu
à lui-même. Rien de tel en Israël, rien
de tel avec Jahvé. Faute de chosifier
son dieu, le peuple d'Israël ne
conquiert qu'une terre fétichisée par
des écrits sacralisés, par des murs
totémisés, par des oliviers sans âme et
à abattre parce qu'ils ne sont pas
encore devenus votre propriété, bref,
des objets réputés précieux sur le
marché d'une mémoire toute matérialisée,
des objets qui lui auraient été dérobés
antiquissimis temporibus comme de la
vaisselle d'or ou un mobilier en bois
précieux . C'est dire qu'un Etat de ce
type entend seulement arracher aux mains
d'un prétendu voleur les biens censés
lui avoir été dérobés de force il y a
deux millénaires. Mais Jahvé n'a jamais
défendu une terre confusible avec son
esprit ; même la Judée n'est qu'un
cadeau - des arpents accordés par la
munificence de Jahvé le conquérant à son
porte-parole et plénipotentiaire
désigné, un certain Moïse.
Mais si une terre demeure un butin de
guerre semé de pierres mémorables,
comment voulez-vous que ses habitants
deviennent vos proches et vos
"semblables", comment voulez-vous qu'ils
fassent corps avec un ciel, comment
voulez-vous que votre dieu décorporé
nourrisse un esprit de sacrifice pour un
sol transcendantalisé par le mythe d'un
dieu scindé entre le ciel et une terre?
On voit
que le vrai corps des dieux est une
ossature théologisée, une chair
onirique, un personnage collectif,
chargé de substantifier l'âme d'une
société. Il nous reste donc à fonder une
science des relations que le
pithécanthrope entretient avec son
histoire et sa politique par le relais
de ses dieux schizoïdes, il reste à
bâtir une anthropologie en mesure
d'observer Micromégas de haut et de
loin, parce que la logique interne des
théologies est une logique
anthropologique.
12 -
De l'infirmité théologique de Jahvé
Décidément, le sacrilège de Persépolis
se révèle la boite de Pandore d'une
pesée pluridisciplinaire de notre fichu
verbe exister. Car il semble que
M. Netanyahou lui-même ait découvert
l'existentialité spécifique du peuple de
Jahvé et du soldat Shalit, puisque, d'un
côté, ce chef de gouvernement mène une
guerre d'annexion sauvage de la ville de
Jérusalem et de la Cisjordanie entière
au microscopique Etat d'Israël, tandis
que, de l'autre, la nation juive se
présente sur la scène internationale en
personnage séraphique, en pacificateur
céleste, en héros irénique, en un dieu
privé de corps, donc sans souillure, et
dont le statut de "pur esprit" a coupé
le cordon ombilical des dieux avec le
genre humain.
Que
signifie le dédoublement anthropologique
de Jahvé entre le vaporeux et le
sanglant? S'agirait-il d'un ciel
autiste? Visiblement, notre musulman
fanatisé et la journaliste occidentale
évoqués plus haut ignorent l'un et
l'autre ce qu'il en est du "corps"
d'Allah. Quant à Jahvé, il s'agit d'un
Jupiter dont la musculature s'est
illustrée à conquérir une terre les
armes à la main, et cela à la manière
dont on s'approprie un bien sans âme et
sans voix sur la terre. Mais alors,
comment le propriétaire palestinien, qui
se refuse à céder la place au nouvel
occupant, deviendrait-il jamais votre
frère, et pis que cela, votre
"semblable"? Comment un Dieu de type
seulement vocal et guerrier et qui vous
enjoint de quitter les lieux aimerait-il
son prochain ? Comment enfanterait-il
une théologie du genre humain à partir
d'une législation d'expulsion manu
militari des propriétaires légitimes
d'un territoire?
Mais lorsqu'en
septembre 2011, le gouvernement
israélien a annoncé l'implantation de
onze cent demeures nouvelles à
l'intention exclusive du peuple de Jahvé
à Jérusalem Est, puis une deuxième potée
de quatre mille cent unités locatives
inaliénables, puis une troisième de deux
mille de plus à titre de châtiment pour
l'entrée de la Palestine à l'UNESCO,
puis une quatrième en Cisjordanie, non
moins pénale que les précédentes, le
sens de son argumentation punitive ne
devrait pas échapper à l'attention des
politologues post-darwiniens, qui
viennent d'isoler dans leurs
laboratoires les gènes de la bipolarité
cérébrale des pithécanthropes et de
leurs idoles. Car M. Netanyahou ne
justifie ce rapt religieux, que pour
s'être mis à l'écoute de quelques
pierres sacrées. Le fameux mur des
lamentations, a-t-il allégué, se trouve
à dix minutes seulement d'autobus de
Jérusalem Est. Or, depuis 1967, Jahvé
s'en rapproche en toute légitimité
biblique, puisqu'il s'agit seulement
d'un dieu dont la parole se cache dans
la pierre de ses monuments d'un côté,
dans ses écrits, de l'autre, mais qui ne
dispose en rien du corps surréel des
dieux censés s'incarner dans l'esprit de
communion de ses fidèles avec son
esprit.
N'en doutons plus, la pesée du cerveau
biface des anthropopithèques passe par
la pesée du verbe exister que leurs
idoles leur fournissent biphasé d'avance
et dont ils se servent tantôt en ce bas
monde et tantôt dans les nues.
13 - Les cadavres
sont meilleur marché
Je
disais que M. Netanyahou avait compris
le nœud anthropologique qui interdit à
Israël de résoudre l'aporie théologique
qui étrangle sa politique et qui
empêchera sa nation de jamais débarquer
durablement dans le temps vivant des
Etats et des hommes. Car, ne pouvant
demander aux citoyens de son pays de
s'aimer les uns les autres, puisque la
collectivité n'a pas de corps
transcendantal à se partager, il
n'existe qu'une seule manière d'empêcher
la capture d'autres Shalit dont la
charpente isolée demeurera hors de prix.
Aussi, dès 1980, le protocole Hannibal
stipule-t-il que l'armée devra ouvrir le
feu sur le véhicule des ravisseurs et
tuer au besoin les Shalit à venir, parce
qu'un Shalit mort vaut mieux qu'un
Shalit captif et qui contraindrait un
Etat privé de "corps national" de payer
un prix exorbitant pour le rachat d'une
viande respirante.
Certaines revendications territoriales
d'Israël, notamment celles qui
voudraient que l'Etat des juifs fût
appelé l'Etat juif, nous
renvoient à une terre de Judée dont le
peuple hébreu se dit originaire. Mais si
la Palestine est hérissée, elle aussi,
de signes de l'existence surnaturelle du
genre simiohumain sur des terres élevées
au rang de "corps" surréel, comment se
fait-il que nous soyons médiatisés par
des magiciens que nous appelons des
oracles, des totems, des idoles?
Serions-nous des animaux menacés de
solitude dans un cosmos désert,
chercherions-nous à parler à quelqu'un
dans le vide qui nous habite? Mais
alors, de quel étrange encéphale la
nature nous a dotés! Car cet organe
dichotomisé nous demande de faire
bavarder des terres et des pierres?
Comment se fait-il que nous tendons
l'oreille aux discours que nous prêtons
à des atomes?
Décidément, Persépolis
nous met au pied du mur : s'il nous faut
fabriquer la balance et le thermomètre
évoqués plus haut, à quelle distance de
ces instruments silencieux ou sonores
nous placerons-nous afin d' entendre nos
cordes vocales et nos poumons dans le
vide d'une immensité inhabitée? Que ce
soit au mercure de nos thermomètre ou au
fléau de nos balances du "Connais-toi"
que nous demandons de nous livrer les
secrets de l'alliance de notre espèce
avec nos dieux, il nous faut, de quelque
manière, savoir déjà de quels acteurs de
notre histoire nos idoles nous parlent à
l'oreille . Inutile de seulement tenter
de peser notre conque locutrice, inutile
de seulement prétendre élever notre
réflexion au rang d'un " objet de
réflexion ", comme nous disons, inutile
de seulement nous demander ce qu'il en
est de notre embryon d'intelligence de
nous-mêmes - nous qui sommes des savants
et des sots confondus- si nous ne
soumettons notre malheureux verbe
exister à l'accouchement socratique.
14 -
Un télescope anthropologique des
théologies
Peut-être le seul moyen de nous mettre à
distance de notre pauvre signalétique
générale est-il d'observer comment notre
boîte crânienne s'échine à nous rappeler
que nous sommes des animaux politiques
des pieds à la tête et que c'est encore
et toujours de notre politique que nous
parlons quand nous nous adressons à des
interlocuteurs fabuleux de nos voix, de
nos corps, de nos Etats, de nos armes et
de notre histoire.
Ne
croyons pas que la pelote de nos
raisonnements nous tombera des mains de
sitôt. Ce n'est pas une mince affaire
que de poser nos cervelles sur la
balance de nos idoles. Nos glaives
s'aiguisent et s'épointent au Moyen
Orient. La voix de nos songes et de nos
corps y fait chorus. Ici un peuple croit
retrouver son ciel de pierres parlantes,
là une nation enracinée dans son sol
entend défendre un Jupiter incorporel et
qui fait respirer ses arpents dans tout
l'univers. Les deux peuples pèsent le
verbe exister sur des balances
cérébrales d'inégale qualité. L'Olympe
transcendantal de l'un parle l'arabe et
se donne des lieux incandescents: la
Mecque est son oasis de paix, les
mosquées ses demeures ascensionnelles.
Car le "corps" d'Allah est le mouton de
la communion des fidèles avec leur
propre altitude supra-terrestre. L'autre
se donne pour temple et pour témoins les
Shalit d'une chair sans voix. Les deux
divinités demandent à leurs fidèles: "
Qui êtes-vous" ? Alors les fidèles se
tournent vers leur corps surnaturel et
lui disent: "Et toi, qui es-tu ? "
Le 6 novembre
2011
Reçu de l'auteur pour
publication
Les textes de Manuel de Diéguez
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