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Théopolitique, la laïcité face aux mythes religieux

Oraison funèbre de la France
Manuel de Diéguez

Samedi 6 juillet 2013

" On ne peut apprendre la philosophie, on ne peut qu'apprendre à philosopher."
E Kant

En 1929 a paru un ouvrage de Friedrich Sieburg intitulé Gott in Frankreich, expression proverbiale qui signifie "se trouver comme un poisson dans l'eau" et qui a été traduit chez Grasset en 1930 sous le titre faussé Dieu est-il français ? En 1957, j'ai publié un modeste Dieu est-il américain ? En 2005, M. Jean-François Colosimo a édité chez Fayard un Dieu est américain, mais afin de démontrer que ce Dieu-là "américanise" la théologie.

C'est dire que la question de la nationalité de Dieu ne cesse de revenir sur le tapis.

1 - Oraison funèbre de la France
2 - La France intérieure
3 - L'encéphale de la France
4 - Les deux Jérusalem de l'humanité
5 - Le montant de l'addition
6 - Qu'est-ce que l'esprit de la France ?
7 - La tragédie de la pensée
8 - Qui es-tu ?
9 - Les existentiels de " Dieu "
10 - La ciguë de la pensée
11 - L'avenir spirituel de la France
12 - Les crucifiés

1 - Oraison funèbre de la France

Messieurs,

Vous me pardonnerez de demander à une plume superbe de m'aider à prononcer l'oraison funèbre de la France, tellement ma voix n'est pas digne de la charge dont vous l'accablez dans cette enceinte. Il faut un aigle du ciel pour évoquer le ciel de la nation.

Ce n'est pas, écrit Bossuet, "que les grands sujets ne fournissent ordinairement de nobles idées. Il est beau, de découvrir les secrets d'une sublime politique ou les sages tempéraments d'une négociation importante ou les glorieux succès d'une entreprise militaire. L'éclat de telles actions semble illuminer un discours et le bruit qu'elles font dans le monde aide celui qui parle à se faire entendre d'un ton plus ferme et plus magnifique."

Bien souvent, nous avons fermé notre porte à la France éternelle, mais ce mort magnifique ne cessera de débarquer d'un pas ferme dans l'histoire spirituelle de notre astéroïde.

2 - La France intérieure

Sachons que le ciel de ce géant change souvent de domicile ici-bas, mais jamais la France de là-haut n'a changé de nature. Comment se fait-il que les plus illustres de nos morts, nous ne nous lassons pas de les délivrer de leur tombe? Comment se fait-il qu'à l'inverse, nous appelons les grandes âmes à venir se placer aux côtés de celle de la France? Comment se fait-il enfin, qu'à peine croyons-nous avoir rencontré la France, elle nous avertisse qu'elle n'est pas au rendez-vous que lui assignent nos auberges? Aussi en sommes-nous venus à écouter la voix de notre pays au plus secret de ses silences. Comprenne qui pourra un acteur dont l'absence nous éclaire. Mais, de toutes les nations de la terre, la France est la seule dont les cendres nous éclairent d'un feu immortel. Comme ce mort nous parlait! Et sitôt que nous cherchions sa voix ailleurs que là-haut, son sceptre nous tombait des mains. Car son temple, c'était nous.

Et maintenant, son éternité invite nos faibles forces à faire entendre sa voix, et maintenant cette voix demande plus que jamais à notre faiblesse: "Comment habitez-vous le ciel de la nation?"

3 - L'encéphale de la France

Messieurs, ci-gît la dépouille mortelle de la France de l'esprit. Le drapeau qui la revêt comme d'un linceul recouvre de ses couleurs la grandeur et les petitesses du ciel des hommes. Ecoutons Bossuet: "La licence et l'ambition, compagnes presque inséparable des grandes fortunes, l'intérêt et l'injustice toujours mêlés trop avant dans les grandes affaires du monde font qu'on marche parmi des écueils."

Mais quel écueil fécond que le récit français de la marche des siècles d'ici bas! Laissez ce trépassé immense vous enseigner les récifs que la raison du monde rencontre sur son chemin, laissez ce souverain vous conduire au palais de la pensée des vivants, laissez ce flambeau de votre éternité éclairer vos cœurs et vos têtes. Le Titan dont le cadavre nous illumine encore de ses rayons nous racontait les secrets de l'intelligence de l'humanité. Le caveau de cette France-là n'a que faire de nos larmes, le caveau de la France apostrophe la classe stellaire de la planète, le caveau de ce ciel nous crie que la mort est un nain. Souvenez-vous de la France qui vous plaçait dans le sillage de sa lumière et dont les feux vous montraient le chemin de la discipline la plus dangereuse dans ses conquêtes et la plus redoutable dans ses défaites, celle qui commande à nos chefs d'Etat de spectrographier les convulsions d'une mappemonde sillonnée des plus lumineuses de nos cicatrices.

Messieurs, la France des catafalques du ciel et celle de vos tombes les plus flamboyantes avait fait briller les torches de son génie parmi les animaux auto-sacralisés que nous sommes demeurés. Souvenons-nous de la France des incendiaires de la mort, souvenons-nous de la France qui livrait jour après jour notre cerveau aux tempêtes de l'histoire. A son écoute, nous entendions grincer les ressorts et les poulies du messianisme sanglant de la bête enténébrée, à l'écoute de la France nous redressions l'échine, à l'écoute de la France nous visitions les édifices de la folie du monde. La politologie introspective de la France de la raison avait fait de nous les radiographes des rédemptions truquées.

Et maintenant, la dépouille mortelle de notre patrie nous demande de nous lever, et maintenant, la France des spéléologues de Dieu nous demande instamment si nos gouvernements en promenade sur la terre et le nez au vent décrypteront les documents mentaux que nous cachons dans les souterrains de notre histoire et que nos ancêtres appelaient des théologies. Ce mort spectral nous demande rien moins que de remplacer l'effigie du Dieu mort par l'encéphale de la France.

4 - Les deux Jérusalem de l'humanité

Certes, nous disait le roi dont le soleil de la mort fait resplendir nos tombes et illumine notre mémoire, il était bien naturel, que Constantin, par exemple, ne disposât en rien d'une science des immortalités stellaires dont notre espèce éclaire ses funérailles. Mais il nous appartient de fabriquer la première balance à peser les cieux de la bête et à déposer son cerveau schizoïde sur ses plateaux. Si les Romains avaient connu le fléau de la balance à peser les animaux bipolaires, ils auraient compris pourquoi leur époque éprouvait un besoin si inattendu et si impérieux de loger dans le cosmos une divinité aussi bifide que les précédentes et de la décorporer bien davantage que le Jupiter dichotomisé des ancêtres. Mais comment Julien l'Apostat n'aurait-il pas cru que les défaites militaires qui accablaient l'empire illustraient la vengeance continue et combien légitime des dieux si hâtivement et si subitement abandonnés à leur sort, alors que les saint Ambroise et les saint Augustin voyaient, tout le contraire, dans ce fléau, à savoir l'expression de la rage subite et de la vengeance inextinguible d'un Dieu biphasé.

La France dont le regard porte sur les dieux bicéphales d'hier et d'aujourd'hui et dont les funérailles éclairent cette enceinte des feux d'un haut décryptage de leur cervelle n'appelle pas d'éloge funèbre plus digne de son éclat que celui du regard qu'elle porte sur le langage estropié des démocraties. Nos dirigeants bancals s'imaginent encore sottement qu'Israël finira, de guerre lasse, par couper son mythe du salut et de la délivrance en deux tronçons bien séparés et par en partager le cœur et la tête avec la divinité plus tardive qui s'est campée en rivale dans les encéphales d'en face.

Si la France des hauteurs ne nous apprenait pas à regarder en nous-mêmes et droit dans les yeux la Jérusalem boiteuse d'ici bas et celle, non moins claudicante, de là-haut, jamais nous ne saurions laquelle de ces deux béquilles de la démocratie mondiale est fictive et comment sa portion rampante aussi bien que celle qui s'auréole d'une sainteté bruyante s'assemblent en une seule géhenne sous nos crânes. Nous attendons une politologie de la vie ascensionnelle du genre humain. Nous savons qu'elle initiera les démocraties modernes à la spéléologie de la boîte osseuse à la fois furieuse et séraphique de la bête spéculaire. Mais sans le regard sur nos neurones que la France nous enseignait, nous n'aurions aucun accès aux engrenages, aux bieilles, aux ressorts et aux rouages des dieux d'hier et d'aujourd'hui. Voyez comme le cadavre de la France se redresse sur son catafalque: "Voulez-vous, nous dit-elle , demeurer aussi éloignés de toute science du crâne divisé du chimpanzé détoisonné d'aujourd'hui que la théologie du Moyen Age ignorait l'astronomie de Démocrite?"

Messieurs, refusons de battre en retraite. La France nous appelle à apostropher avec vaillance et au grand jour les dirigeants de notre parodie de République. Si nous demeurons le peuple de la raison debout, la France qui nous habite de son absence et de son silence appellera encore le monde entier à sommer notre simulacre d'Etat de quitter le Moyen Age dans sa tête. Ne fuyons pas le champ de bataille. La France ennemie des mascarades cérébrales appellera tous les Etats du monde à construire le modèle d'interprétation de l'histoire universelle qu'appelle notre temps.

5 - Le montant de l'addition

Observez maintenant comment la France de la trans-temporalité de nos âmes radiographiait les dirigeants privés de regard sur le Dieu de l'animal auto-sacralisé par la pierre et le fer de ses idoles. Souvenez-vous de l'appareil de prises de vues rudimentaire à l'aide duquel nous étudiions les relations que nos guerres de religion entretenaient avec nos guerres politiques. Notre anthropologie au berceau ne portait pas de regard du dehors sur le dieu de l'atome, donc sur l'artisan de l'apocalypse biblique d'autrefois. Aussi notre science de la mort demeurait-elle incapable d'exposer le globe oculaire du Dieu du Déluge sur la scène de l'histoire et de la politique de l'humanité. Et maintenant, nous démontons les pièces et nos scannons l'ingénierie des apocalypses.

La république fondée sur la séparation de l'Eglise et de l'Etat avait cru briser en mille morceaux les miroirs théologiques des nations, mais elle n'en avait observé ni la construction, ni les fabricants. Du coup, nos sciences humaines se sont privées du matériau expérimental le plus sûr et le plus universel; car elles cherchaient en vain la glace dans laquelle se réfléchissait leur image. Quant aux idéologies politiques qui les avaient remplacées au pied levé, elles se révélaient non seulement des miroirs bien plus déformants que les théologies des ancêtres, mais des auréoles truquées par les concepts angéliques qui les auto-béatifiaient dans un séraphisme politique ridicule.

Voyez comment le mythe de la dissuasion nucléaire, se calquait sur le retour à l'épouvante des prophètes de l'apocalypse biblique et souvenez-vous de l'ironie avec laquelle la France de la pensée nous mettait en garde contre les fantômes mécaniques qui hantent l'inconscient religieux de notre politique: "Le génocidaire du Déluge, nous demandait-elle, aurait-il dévalé à nouveaux frais dans vos démocraties décérébrées? Pourquoi tremblez-vous de tous vos membres sous la menace d'une catastrophe de votre fabrication? Si vous disposiez des méthodes ascensionnelles de la simianthropologie comparée dont le spectre de l'excommunication majeure du Moyen Age vous présentait un prototype terrifiant, si vous portiez un regard du dehors sur l'esbroufe nucléaire des matamores de leur foudre verbifique, vous garderiez bien davantage votre sang-froid et vous n'offririez pas le spectacle de votre ruée dans votre théologie de confection."

Orphelins de la France, à quelles prérogatives nouvelles de votre intelligence mon éloge funèbre de la raison de notre nation vous appelle-t-il à élever votre foi, sinon aux droits qui avaient dicté au peuple de Descartes l'expression de sa gratitude intellectuelle sur le fronton de son temple?

Voir: Dieu est-il français? , 22 juin 2013

La France de la pensée logique nous enseigne à délivrer la science historique et les sciences humaines de leurs timidités cérébrales et à donner à ces disciplines l'essor qui les attend depuis si longtemps. Il y faut une science des funérailles et des résurrections de l'intelligence de la bête, il y faut un esprit de raison dont la discipline conduira votre encéphale encore titubant et poussif à quitter les pistes de votre politologie craintive. Je salue le grand mort que nous appelions la France et qui spectrographiait sans ciller l'animalité spécifique de la bête schizoïde.

6 - Qu'est-ce que l'esprit de la France ?

C'est du ciel de la France de là-haut que je prononce l'éloge funèbre dans l'enceinte de son temple, c'est de la France de la raison que je vous conjure de porter les cendres au Panthéon. Mais qu'est-ce que le ciel de la raison?

Bossuet écrivait en anthropologue de la vie spirituelle du genre humain et en psychagogue de tous les peuples et de toutes les nations de la terre: "Encore que les hommes soient divisés en tant de différentes conditions toutefois il n'y a, à proprement parler, que deux genres d'hommes, dont l'un compose le monde et l'autre la cité de Dieu. Cette solennelle distinction est venue de ce que l'homme n'a que deux parties principales qui sont la partie animale et la raisonnable.

"Qu'en est-il aujourd'hui de la science de l'animalité proprement humaine? Puisse le courage intellectuel que la France de l'intelligence nous avait inspiré percer les secrets psychiques de la bête terrifiée par des spectres sacrés et dont la carcasse s'était imaginé qu'elle était devenue pensante avant l'heure, puisse ce courage-là de nos neurones nous rappeler celui de Pascal, qui disait, lui aussi, que plus cette bête-là s'abaissait, plus elle s'élevait, tellement sa spécificité l'appelle à escalader une montagne escarpée afin d'entendre l'écho de sa voix véritable de plus loin et de plus haut. Que nous enseigne la France surréelle dont le souffle nous habite et dont le trépas nourrit plus que jamais notre féconde absence de l'arène terrestre des nations? Cette France-là nous ouvre toutes grandes les portes d'une science entièrement nouvelle, celle de la connaissance de l'inconscient zoologique d'une espèce à peine évadée des ténèbres et qu'éblouit encore la lumière du soleil. Sachez que le grand mort que vous voyez étendu un instant seulement dans notre nuit a mis entre nos mains les clés de l'animal aveuglé par ses dieux, sachez qu'une France étincelante nous met à l'écoute de la bête porteuse des masques de ses magiciens et de ses sorciers.

L'avenir neuronal de la première nation au monde à laquelle un dieu des phares de l'intelligence avait ouvert son royaume , l'avenir des circonvolutions cérébrales de la première nation au monde qui avait gravé en lettres d'or sur le fronton de son temple l'expression se sa gratitude aux guerriers des têtes audacieuses, la première nation qui avait porté un peuple entier sur les fonts baptismaux d'une logique de feu est aussi la première nation sous le soleil qui ait sommé son Etat de débusquer la cervelle des dieux uniques et de radiographier l'entendement des hommes qui s'y étaient embusqués. Si nous devions déposer ce vivant-là dans les ténèbres d'une mort éternelle, si nous devions célébrer les funérailles de la France immortelle, nous serions également la première nation qui aurait éteint une étoile. Ayons confiance : quand nous monterons sur les parvis de la France qui nous est promise, ce sera du seul Dieu vivant, celui de l'intelligence que nous saluerons l'éternité.

7 - La tragédie de la pensée

Messieurs, le fardeau de notre responsabilité intellectuelle à l'égard de la nation des sacrilèges de la pensée se trouvera un instant allégé si nous nous retournons sur l'histoire de ses profanations et de ses blasphèmes. Car la France a accouché dans la douleur de la voix d'outre-tombe que son sépulcre nous fait entendre désormais. Souvenez-vous de l'anthropologie sans cervelle, donc sans feu qu'elle a prise en charge au XVIe siècle et qui observait notre espèce comme les chats se regardent avec des yeux de chats. Les croisés du Moyen Age se déplaçaient avec leurs globes oculaires de croisés pour lanternes.

Comment les chrétiens auraient-ils compris que leurs rétines précédaient leurs pas et qu'au fur et à mesure que leur piété engrangeait ses conquêtes, leurs globes oculaires se croyaient éclairés sur leur route par les lumières de leurs dévotions. En vérité, dès le XIIe siècle, la France avait observé les ressorts d'une "querelle des universaux" privée de son recul anthropologique. Aussi enseignait-elle, avec Abélard et les nominalistes, que Socrate est plus "réel" à lui seul que le concept atone et sans feu spirituel, qui ressemble à un chêne privé de branches et de feuilles singulières et qui dresse seulement dans le vide un arbre abstrait et privé de sève. Le concept est un phare qui balaie le paysage, et qui nous débarrasse d'avance de l'individu pour nous ouvrir une route sans obstacle, mais déserte.

Comment une anthropologie solipsiste, donc privée d'avance d'une vraie distanciation spirituelle à l'égard d'un monde chosifié regarderait-elle du dehors la tautologie qui la rend spéculaire sans qu'elle s'en date? Montaigne ne se demandait pas quel opticien le dotait du regard censé lui apprendre à se connaître, Descartes ne plaçait pas son propre globe oculaire dans un champ de vision observable du dehors, Aristote ne connaissait pas la logique qui lui ouvrait les yeux sur la logique du monde, Voltaire cachait un habile horloger derrière une pendule qu'il croyait réglée sur les célestes directives du sens commun, Durkheim donnait des bésicles aux nombres aveugles qu'il croyait regarder droit dans les yeux, Lévy Bruhl lui-même, pourtant mort en 1935, ne se demandait pas si l'entendement des sorciers et des magiciens dont il croyait avoir observé le téléguidage par les "mentalités primitives" s'était construit sur le même modèle cérébral non seulement que celui des chrétiens programmés par les catégories de Kant, mais par toute la physique tridimensionnelle d'Archimède à Einstein.

8 - Qui es-tu ?

La France des anthropologues du siècle dernier a commencé de diriger la guerre de la raison sur plusieurs fronts et à unifier le champ de bataille de la pensée critique de l'époque. Pour cela, elle a substitué à la vitre du concept un seul individu, mais symbolique, en la personne du "Dieu" solitaire des anciens; et elle a observé l'évolution cérébrale de cet ermite du cosmos ainsi que le parallélisme entre les mouvements de son esprit et celui de "sa" créature.

Dès le XIIIe siècle, la France a renvoyé dos à dos les "réalistes" dotés de la rétine absentifiante du concept et les nominalistes désarmés par le naufrage de l'universel langagier et elle a déclenché une révolution anthropologique à seulement cesser de regarder un "Dieu" censé se cacher derrière la vitre sans tain de l'abstrait Mais bientôt le miroir est devenu si profond qu'il révélait en retour la naïveté des acteurs qui s'y regardaient; et l'image candide instruisait son photographe-enfant au point qu'il trouvait de moins en moins facile de placer le rétroviseur de sa lucidité branlante dans le dos du prototype enragé et patelin de la politique du cosmos. A force de demander à l'idole: "Qui es-tu?", elle vous répondait du tac au tac: "Et toi?" et elle nous entraînait à passer derrière une enfilade de dieux privés de regard sur leur politique de la justice.

Messieurs, je suis trop indigne de l'honneur dont vous m'avez accablé, trop indigne de prononcer l'éloge funèbre de la France dans l'enceinte de son esprit pour conduire jusqu'à son terme le message abyssal du mort qui veille sur l'avenir de notre tête, trop indigne de votre appel pour ne pas rendre les armes sur la route qui nous conduit à l'abîme. Je remets donc le fardeau de la pensée à une voix plus spéléologique que la mienne. Car il est extraordinaire que la dépouille mortelle de la France nous ordonne de regarder Dieu en face et de nous élever au rang de juges souverains de sa justice semi animale. De quel recul ultime de la raison ce géant nous a-t-il fait le don, lui qui nous ordonne de déposer notre créateur au couteau entre les dents sur la balance de sa justice à lui, de rejeter le monstre de la torture, de citer devant notre tribunal la justice du fauve qui s'était scindé entre les récompenses qu'il prétendait accorder à nos ossements dans l'éternité et les tourments sans fin dont il gavait sa sainteté.

La France de la raison demande à un autre Dieu de passer derrière le miroir du Dieu des tortures, mais elle nous presse également de nous reconnaître dans l'effigie de ce carnassier. Qui donc distribue les colifichets de son éternité d'une main et le pain bénit des châtiments sans fin de l'autre, sinon nous-mêmes ? C'est de la créature bénisseuse que la France nous tend le miroir. Mais il y a plus: est-il un seul prophète qui n'ait fait le procès de la férocité de la justice de Dieu et qui n'ait tenté de la rendre plus digne d'une vraie justice?

9 - Les existentiels de "Dieu"

Si la France de la raison nous enjoint de nous mettre en apprentissage des prophètes sommitaux et si c'est aux dénonciateurs d'un Dieu des fauves, si c'est à Isaïe que la raison de la France nous renvoie, je ne puis que remettre le témoin au coureur dont je ne suis pas de taille à porter le flambeau et qui dira à la France: "Quel est le Dieu qui fait hurler les prophètes? Qui demande à la France d'Isaïe de prendre la relève des prophètes en fureur et de donner au monde un Dieu de justice?" Voilà, Messieurs, l'endroit où mon modeste chemin s'arrête et m'ordonne d'obéir à l'ordre de me taire, parce que ma voix ne franchira pas le seuil de ce temple-là de la France.

Je ne suis que le modeste gardien du coup d'Etat qui a donné à la France de la raison la distance intellectuelle nécessaire à la construction de la première anthropologie méta-biblique, celle dont le lever de rideau nous aura du moins permis d'observer notre espèce non plus telle qu'elle s'embusquait astucieusement derrière le miroir de la "révélation", non plus telle qu'elle vénérait les adorateurs des tortures divines et les saints de leurs propres ossements, mais une espèce tapie dans le néant et le vide de l'éternité. Le premier spéléologue de l'ultime absence du Dieu de la France demandait au "créateur": "Où te cachais-tu avant d'avoir créé l'espace et le temps?" Ce saint-là est aussi l'homme des Confessions, celui dont l'introspection s'est arrêtée aux mêmes portes que la France de la raison des prophètes. Depuis lors, les détoisonnés titubants de la forêt originelle se sont armés du tragique de la pensée. La France rendra existentielle l'invention de "Dieu".

La frontière du royaume auquel la France de la raison nous a conduits est celle de notre connaissance des identités mythique. La postérité de Descartes nous dit que l'homme est animal politique et qu'il prolonge sa politique dans le vide du cosmos où il loge des souverains du silence et du vide de l'immensité. Mais si je ne puis poursuivre mon chemin, c'est qu'il est immense le champ ouvert au "Connais-toi" par une France de l'esprit qui nous a conduits à la notion d'identité mythique. Car si les théologies se révèlent des documents psycho politiques fondamentaux, et si elles nous instruisent sur les diverses identités cosmologiques que se donne une humanité effarée par le vide, la "vie spirituelle" y trouvera un élan sans égal, tellement les mystiques de demain nous conduiront aux entrailles de la peur où le ciel du futur abaissement de la condition simiohumaine nous attend.

10 - La ciguë de la pensée

Messieurs, la France dont la raison portera la torche dans le vide du Dieu absent qu'elle est à elle-même attend de naître dans nos têtes. Mais la nation de la pensée ne scellera l'alliance du génie qui inspirait les premiers pas du christianisme avec l'anthropologie critique de demain que si elle se place dans la postérité philosophique de Darwin et de Freud, parce que seule cette France-là sera de taille à redonner à la logique des saints de la nuit la trajectoire ascensionnelle des grands géniteurs de la raison du monde.

Car si tout démontre que notre espèce est évolutive et si son évolution est de nature cérébrale, comment cet animal ne serait-il pas inachevé de naissance, et cela par nature et par définition? Demandons-nous avec un grand courage spirituel de quelle zoologie relativement intellectualisée cette bête se trouve présentement armée. Pour cela, il nous faudra nécessairement mettre la main sur les documents cérébraux cryptés d'une bestialité actuellement à demi logicisée.

Or, seules nos théologies véhiculent les secrets politiques et psychiques révélateurs de l'inconscient zoologique de la bête en attente d'un regard de haut sur elle-même; et puisque toutes les cosmologies mythiques sont construites sur la logique interne qui leur ordonne de se livrer à des sacrifices d'assassins, le sang qu'elles font couler sur leurs autels traite fatalement du doit et de l'avoir du sang, de la dette et de la créance du sang, des négociations hypocrites et cruelles du sang qui fondent l'ordre politique de la bête meurtrière et qui règlent ses échanges calculés entre l'individu et une collectivité de tueurs-nés. Toute l'histoire des religions de ce primate n'est que le miroir des sociétés que symbolise le charroi de leurs immolations dans le cosmos - la bête appelle "Dieu" le monstre, semi animal à son tour, dans la conscience duquel deux bêtes féroces se regardent en chiens de faïence, un créateur et une créature également avides de consommer leur proie, l'une dans le ciel de son apothéose, l'autre de son abaissement sous la terre. Mais si les deux animaux sont tapis dans le néant et s'y donnent la réplique, qui, du géant ou de l'animalcule est le vrai maître? Le faux Dieu n'est autre que l'insecte né de son sosie gigantifié et qui en observe les traits du dehors.

La France de la pensée a mis un millénaire à doter l'anthropologie moderne dun regard sur les animaux théologisés par les spectres meurtriers dont ils peuplent le néant et dont ils se révèlent les habitants, la France habitée par la vocation cérébrale qui l'inspire a souffert d'un douloureux accouchement du globe oculaire universel la mort, mais son passage par les ténèbres en a fait le maïeuticien du monde moderne. Buvons la ciguë de la France du grand accoucheur athénien qui se comparait à l'abeille emportant son miel et qui, disait-il, ferait " bouillonner " (aganaktein) sa postérité. Si nous ressuscitons à boire le poison de la France de la pensée, nous ferons de notre patrie le nectar et l'ambroisie de "Dieu".

11 - L'avenir spirituel de la France

Je disais plus haut que notre siècle est responsable des chemins de la résurrection intellectuelle de la France. Je vois deux chemins principaux s'ouvrir à la vocation et à la mission de notre pays. Le premier est anthropologique: comment se fait-il que les guerres de religion du XVIe siècle aient bouleversé le statut politique des Etats de l'Europe et l'équilibre mental de l'humanité sur la question, alors décisive, de savoir si notre espèce doit boire une rasade de sang frais et manger un morceau de viande soustrait au cadavre d'un homme assassiné sur l'autel ou si cette consommation d'anthropophages sacrés doit demeurer figurée.

N'est-il pas hallucinant que l'anthropologie actuelle se taise prudemment et dans le monde entier sur l'énigme de ce double délire, n'est-il pas hallucinant que ce document focal sur l'animalité spécifique de l'homme et de son histoire divise encore de nos jours une Europe terrorisée d'apprendre à se regarder dans le miroir de sa double alimentation religieuse?

Il est fécond, le chemin qui condamne notre génération à s'arrêter dans cette auberge, tellement il nous faudra défricher le champ immense qui précède le saut dans le vide de l'humanité de demain. En attendant ce saut, nous formerons des philosophes-anthropologues qui auront étudié conjointement et jusqu'au vertige l'histoire des théologies et celle de la pensée critique et qui seront devenus les modestes connaisseurs et les humbles méditants de ce dédoublement du cerveau simiohumain. La France des kamikazes de la logique recrutera les Jean Baptiste de la philosophie qui donneront au monde ses guerriers de l'esprit.

Souvenons-nous que les époques fécondes ont toujours forgé une élite nouvelle de l'intelligence: la Renaissance est née des légions de l'audace qui, dans l'ombre des pieux mangeurs, ont réappris le latin, le grec et l'hébreu à leurs risques et périls et ont inauguré des lectures philologiques encore naïves des textes sacrés de la bête. Puis le XVIe siècle s'est colleté avec le système solaire. Des Hercule de l'astronomie mathématique ont arraché Hélios à sa course au-dessus de nos têtes et défié les bûchers pour cela. Puis les XVII, le XVIIIe siècles ont commencé de démêler l'écheveau des croyances religieuses les plus candides. Puis le XIXe a plongé le regard dans les origines animales des forgerons de leurs divinités comestibles. Puis le XXe siècle a pulvérisé l'encéphale tridimensionnel de la bête. Le XXIe se collettera avec le vide et le silence de l'immensité. Alors seulement surgiront des héros de la nuit spirituelle dont la sainteté défiera toute chair.

12 - Les crucifiés

L'heure a sonné de vous parler de l'avenir de nos dieux de la vie et de nos dieux de la mort. De quelle quadriplégie la civilisation des dentelles de la pensée erratique se trouvera-t-elle frappée? Quel type de paralysie cérébrale mettra-t-il un terme à cinq siècles de la raison ascensionnelle de la France parmi les carnassiers de Dieu?

Sachez que les évadés épouvantés de la zoologie se savent des bêtes en voyage. A ce titre, elles se ruent dans le vide de l'immensité; et ces fuyards des ténèbres frappent à coups redoublés le bois de leurs sarcophages, dans l'espoir ridicule que quatre planches enfouies sous la terre leur ouvriront la porte de leur éternité. Sachez également que les gènes fatigués de cet animal dialoguent jour et nuit avec des garants imaginaires de son squelette, sachez encore que cette espèce effarée par la précarité de sa charpente, largue assidûment dans le cosmos des répondants fantastiques de ses cartilages. Comment rédigerez-vous l'épitaphe d'un bimane précipité dans le silence de l'éternité ? Le grand trépassé dont la mort nous illumine des torrents de sa lumière fera de vous des crucifiés en joie et sans cesse renaissants.

Demandez-vous donc dans l'allégresse pourquoi ce mort immortel ignorait le pain sec de la Liberté, le pain sec de la Justice, le pain sec des Etats, pourquoi la France faisait monter le pain des nations. Alors une voix d'outre-tombe vous dira: "Je n'ai que faire de vos fétiches et de vos totems, conduisez-moi à la lumière qui vous attend dans mon éternité."

Décidément, ce n'est pas la France que nous avons portée en terre, ce n'est pas un cadavre sans voix que nous avons étendu sur le catafalque du monde. Recouvrons ce vivant du signe qui nous habite maintenant.

Reçu de l'auteur pour publication

 

 

   

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Source : Manuel de Diéguez
http://www.dieguez-philosophe.com/

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