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Opinion
La nuit qui a
changé la face du monde
Manuel de Diéguez
Manuel de Diéguez
Dimanche 6 juin 2010
1 - On n'avait jamais vu...
2 - Tartuffe n'est plus à la fête
3 - " Que peut-on faire, que peut-on faire,
que peut-on faire ? " (Bernard Kouchner à l'Assemblée
Nationale le 26 mars 2010)
4 - Le nouveau tribunal de la conscience
5 - L'Amérique et Israël face au tribunal
de l'Histoire
6 - La disqualification de l'Olympe des
démocraties
7 - Le cas de M. Biden
8 - Le destin
de l'Amérique
9 - Regarder l'histoire au fond des yeux
1 - On n'avait
jamais vu …
Jamais encore,
dans la longue et cruelle histoire de l'humanité, une ville d'un
million et demi d'habitants n'avait été soumise à un blocus aux
fins d'affamer la population et de provoquer la lente et
sournoise extermination des bien-portants et des malades
confondus dans un inextricable emmêlement; jamais encore tous
les gouvernements de la terre n'avaient affiché leur soutien
actif ou leur approbation tacite de cette barbarie; jamais
encore la patrie des droits de l'homme ne s'était associée à
l'ignominie de l'Etat le plus puissant du moment pour construire
à ses côtés un mur d'acier autour de la ville-martyre. Jamais on
n'avait vu une démocratie envoyer ses troupes de choc et sa
marine de guerre arraisonner des secouristes en haute mer ;
jamais on n'avait vu des guerriers armés jusqu'aux dents prendre
d'assaut un convoi d'infirmiers et y faire un carnage. Jamais la
terre entière n'avait assisté au spectacle d'un Président des
Etats-Unis livré pieds et poings liés à la toute-puissance
d'Israël sur le territoire même de son propre pays; jamais on
n'avait vu un Congrès américain hissé sur le Mont Sinaï
condamner les libérateurs et légitimer les agresseurs d'un
convoi de la charité démocratique en échange d'un chèque des
donateurs juifs qui allaient livrer à la Maison Blanche les sacs
d'écus qui seuls pouvaient permettre à M. Obama de gagner les
élections législatives partielles de novembre 2010.
Mais jamais non
plus on n'avait vu une élite mondiale de la politique armer neuf
navires chargés de vivres, de médicaments, de livres scolaires,
de ciment, de maisons préfabriquées, de cannes et de chaises
roulantes; jamais non plus on n'avait vu une kyrielle d'Etats
soumis à la loi de fer d'un oppresseur microscopique changer
tout subitement leur fusil d'épaule sous le seul poids
international de la droiture de tous les peuples de la terre;
jamais non plus on n'avait vu des pénitents de la dernière heure
protester soudainement, la main sur le cœur et jurer leurs
grands dieux qu'ils n'avaient jamais collaboré avec l'assaillant
et ne s'étaient mis docilement à son service, jamais non plus on
n'avait vu l'Assemblée Nationale de la France républicaine, tous
partis confondus, tenter désespérément et in extremis de sauver
la face d'un gouvernement français immoral; jamais non plus la
guerre entre l'éthique naturelle des humains et celle de leurs
élus censés représenter les idéaux de la démocratie mondiale
n'avait permis de raconter Canossa de la sorte.
2 - Tartuffe n'est plus à la fête
Mais la livraison au vainqueur de 1945 de la monnaie sonnante et
trébuchante de la corruption posait à la France rien de moins
que la question de la survie de la Ve République. Que faire
quand l'Elysée souffre d'une vue tellement affaiblie qu'il ne
voit jamais à plus de quinze jours de distance le tour que les
évènements prendront nécessairement, tant sur le moyen que sur
le long terme en raison de la logique interne et connue depuis
des siècles qui commande la fatalité historique? Comment seule
la France échapperait-elle à l'hypocrisie universelle et à
l'immoralité des démocraties qui font soudain proclamer à M.
Ban-Ki-Moon que le blocus de Gaza est "contre-productif,
intenable et immoral", qu'il "punit des civils innocents",
qu'il "doit être levé immédiatement" , que "tout doit
être fait pour éviter un autre incident de ce type", que "toutes
les parties concernées doivent agir avec responsabilité et en
conformité avec le droit international", que les autorités
israéliennes doivent fournir "un compte-rendu complet et
détaillé" de l'opération menée par les commandos et qu'"une
enquête impartiale, crédible, transparente et conforme aux
critères internationaux" doit être menée? Décidément, trahir
la vraie France vous entraîne dans un traquenard. Car voici que
les Etats-Unis et Israël "estiment que l'Etat hébreu peut
parfaitement s'acquitter d'une telle enquête" tandis que "les
autres Etats, notamment les pays arabes, estiment qu'Israël ne
peut se montrer impartial à enquêter sur ses propres agissements".
Ah ! Tartuffe n'est plus à la fête dans la Maison d'Orgon de la
démocratie mondiale. Voici la France piégée par la cécité de M.
Nicolas Sarkozy sur la scène internationale - piège que j'avais
souligné sur ce site en ces termes : "Alors que M. Kouchner
se montre tout effaré de n'avoir pas cautionné davantage un Etat
génocidaire, se rendra-t-il à petits pas et l'échine basse à la
frontière de Gaza, agitera-t-il le drapeau aux trois couleurs
sur les remparts de la forteresse qui enferme un gigantesque
peuple de la mort ? (…) M. Kouchner va-t-il, au nom de la France
de 1789, partager les chapons d'Orgon sous les murs de Gaza?
Notre République peut-elle assister les bras croisés, donc en
complice silencieuse à la construction d'un camp de la mort de
cette taille ? A quel moment l'odeur des charniers tue-t-elle le
parfum des démocraties?"
Voir -
Gaza, coeur
de la folie du monde,
18 janvier 2010.
3 - " Que peut-on faire, que peut-on
faire, que peut-on faire ? " (Bernard Kouchner à l'Assemblée
Nationale le 26 mars 2010)
Comme sous Vichy,
c'est tout entière que la politique de la planète bascule à
nouveau sous nos yeux du côté des forces encore enchaînées de la
justice et de la liberté, comme sous l'occupation, ce sont deux
visions radicalement opposées et inconciliables de la nature
même de l'histoire et du destin des peuples et des nations qui
se font face. Simplement, la démocratie mondiale est devenue à
la fois floue, diffuse et désarticulée, de sorte que ce corps
inerte et gigantesque ne présente plus de résistance structurée,
simplement le chef d'orchestre de la guerre de la force et du
glaive contre le droit international n'est autre que celle d'un
petit peuple autrefois persécuté par Hitler et qui prend avec
éclat la revanche de ses armes au prix de la métamorphose du
monde entier en un camp de concentration dont il rédige seul le
règlement et le mode de fonctionnement, simplement, le cadavre
de la démocratie est placé sous respiration artificielle, de
sorte que certains ressorts cachés à tous les regards donnent
aux foules l'illusion que la démocratie remue encore des bras et
des jambes et qu'elle s'avance en titubant sur la scène,
simplement, la résistance n'occupe plus le plateau des Glières
ou les forêts du Vercors, mais prend les armes à Ankara, à
Brasilia, à Moscou, à Pékin - et la France de l'immoralité de M.
Nicolas Sarkozy est devenue un corps trop flasque pour rejoindre
la Résistance.
-
Que peut-on
faire ? Que peut-on faire ? Que peut-on faire ? Que
peut-on faire ? , etc. (Bernard Koucher, Assemblée
Nationale le 26 mars 2010),
Un
dialogue imaginaire, donc sérieux, entre M. Barack Obama
et M. Benjamin Netanyahou,
4 avril 2010
Que faire quand, depuis 2007, le Président de la République
s'est sans cesse et aveuglément rangé du côté de l'alliance
immorale et contraire au droit international des Etats-Unis avec
Israël, que faire quand, jour après jour, cette collusion
guerrière et conquérante a ruiné dans l'œuf les initiatives
diplomatiques pourtant timides de la France en direction de la
Russie, de la Chine, de la Syrie et surtout de l'ensemble du
monde arabe, que faire quand une Assemblée Nationale stupéfaite
et prise de court fait semblant d'avoir enfin pris conscience de
ce que l'enjeu est planétaire et qu'il engage rien de moins que
la civilisation mondiale, que faire pour tenter de sauver les
apparences quand, depuis soixante cinq ans, la démocratie viole
le droit international et quand un gratte-ciel des subterfuges
qui touchait les nues s'effondre, que faire quand l'heure a
sonné du rendez-vous que le 11 septembre 2001 avait donné à une
démocratie pilotée depuis un demi-siècle par les Etats-Unis et
Israël, que faire quand la ligue arabe se range à son tour du
côté de la Résistance? "Les ministres arabes des Affaires
étrangères ont décidé au terme d'une réunion extraordinaire
mercredi soir 3 juin 2010 au Caire de briser le blocus israélien
imposé à la bande de Gaza "par tous les moyens", a annoncé le
secrétaire général de la Ligue arabe Amr Moussa".
Mais comment oublier que ce sont les Etats-Unis qui ont organisé
le blocus de Cuba au prix du sacrifice de "civils innocents",
comme dit maintenant M. Ban Ki Moon et comme l'entonne tout
soudain le chœur des faux repentis de la planète; comment
oublier que les Etats-Unis ont affamé et déclaré la guerre à
l'Irak sous le faux prétexte que Saddam Hussein allait
pulvériser la planète en quarante cinq minutes; comment oublier
que ce sont les Etats-Unis qui entendent maintenant affamer le
peuple iranien et le châtier de ce que ses dirigeants entendent,
en pleine conformité avec le droit international, se doter de
l'énergie nucléaire pacifique et que la France aboie plus
bêtement encoere que le maître-chien qui caresse son cou pelé?
Non seulement
Israël ne fait qu'appliquer à Gaza la stratégie de l'extinction
pure et simple des peuples récalcitrants à la domination de
l'empire américain inaugurée dès le lendemain de la seconde
guerre mondiale, mais la France et l'Europe en laisse ont
soutenu cette politique les yeux fermés, tellement un chef
d'Etat privé de vision de l'avenir du monde ressemble à un
lépreux agitant sa sonnette, sans doute dans l'attente que les
bien-portants s'écarteront de sa route et se mettront à l'abri
de la contagion. Ah !quel serait aujourd'hui le rayonnement de
la France dans le monde si elle avait su prendre une avance
gaullienne sur la niaiserie des nations!
4 - Le nouveau tribunal de la conscience
On ne saurait
comprendre en anthropologue de la politique la métamorphose du
terreau même sur lequel l'histoire en folie donnera encore et
pour un court instant l'illusion de se ruer dans les servitudes
d'hier si l'on néglige de mesurer la portée d'un retour même
timide de l'éthique universelle dans l'arène de l'histoire, ce
qui seul permettra une pesée de la guerre entre la politique
actuelle de la sottise et les promesses de l'intelligence.
Certes, depuis près d'un siècle, les camps de concentration
nazis, puis les goulags de l'empire soviétique avaient préparé
l'irréversible mutation cérébrale d'une histoire du monde de
plus en plus citée à comparaître devant un tribunal
international de la raison. Mais le globe terrestre de l'époque
ne s'était pas encore suffisamment rapetissé pour présenter des
instantanés photographiques de tous ses habitants rassemblés
autour des petits écrans où la conscience universelle se donne à
voir sur les cinq continents sous les traits d'un personnage en
chair et en os. Et maintenant, qui voit-on marcher en long et en
large sur les "étranges lucarnes"? Une humanité
soudainement devenue à elle-même la diva désemparée de sa propre
exigence morale. C'est ce spectacle-là d'une naissance de
l'éthique que le coup de force militaire d'Israël sur la "flottille
de la paix" qui voguait dans les eaux internationales entre
Chypre et Gaza a présenté sur l'écran géant de l'iniquité du
monde. La télévision est montée en chaire à la place des Bossuet
et des Bourdaloue et elle tient au monde entier le langage des
droits de l'esprit.
Mais si un malin génie avait veillé à illustrer jusqu'à la
caricature la postérité grouillante de Hitler et de Staline au
cœur même de démocraties dites vertueuses, jamais il n'aurait
imaginé une miniature du "péché" plus éloquente que celle
du peuple juif peint en pied, non seulement en tenue de
garde-chiourme galonné d'un gigantesque camp de concentration à
ciel ouvert, mais revêtu de l'uniforme d'un Etat saintement
décidé à verser un sang innocent à seule fin d'interdire au
monde entier de panser les blessures et de nourrir une ville
d'un million six cent mille affamés.
L'histoire des carnages a changé de coordonnées sur l'échiquier
de la guerre. Pour la première fois, tous les peuples et toutes
les nations de la terre ont vu de leurs yeux un champ de
bataille rétréci à l'extrême, alors que les mémorialistes et les
chroniqueurs d'autrefois en racontaient aux enfants des écoles
le paysage et les péripéties avec force euphémismes et
circonlocutions. De même qu'au Moyen Age, les paramètres
petitement chronologiques de Clio se trouvaient subordonnées au
mythe grandiose d'une délivrance prochaine, subite et
miraculeuse du genre humain - il y suffisait d'un débarquement
imminent du ciel sur la terre - de même, l'astéroïde de
l'espérance se place désormais sur l'orbite d'un "salut"
par la démocratie dans laquelle la guerre entre les riches et
les pauvres a fait place, une fois de plus, à un drame bien plus
originel - celui qui oppose les droits de Créon à ceux
d'Antigone et les lois non écrites aux lois des Etats.
Ce qui importe
désormais, ce n'est déjà plus le décompte des cadavres entassés
à bord des navires où s'affairaient des sauveteurs aux mains
nues, ce n'est déjà plus la chute d'une civilisation dans la
piraterie en haute mer, ce n'est déjà plus la censure qui
interdit encore à toute l'Europe placée sous le contrôle étroit
d'Israël de diffuser le spectacle du carnage; ce qui compte
maintenant, c'est que les cinq continents se regardent les uns
les autres dans le petit miroir d'eux-mêmes où Israël renvoie
chacun à sa propre image soudain dessinée en traits ineffaçables
- ceux d'un assaut de soldats sur des civils désarmés.
Mais c'est sans
s'en douter le moins du monde qu'Israël vient d'inventer le
confessionnal de la démocratie mondiale. A seulement se regarder
un instant dans ce réflecteur planétaire, chacun sait maintenant
sur quels prie-Dieu d'une Liberté truquée il s'agenouillait hier
encore, quel Tartuffe et quel bénitier recevaient ses dévotions
sur la terre. C'est ce spectacle qui a tellement épouvanté
l'Assemblée Nationale de la Ve République qu'elle s'est mise au
garde-à-vous sous le drapeau de la France pour dire à Israël
qu'elle était son amie et qu'à ce titre, elle lui adressait une
sévère réprimande.
Certes, la montée
de l'éthique de l'humanité sur les planches de l'Histoire a de
quoi surprendre; mais ce qui malaxe désormais l'Histoire
véritable, c'est que la pellicule sur laquelle l'histoire
simiohumaine se réfléchit n'est plus matérielle, mais cérébrale;
et c'est à la fois soudainement et goutte à goutte qu'elle
sécrète le spectacle de la mort d'une civilisation.
5 - L'Amérique et Israël face au tribunal
de l'Histoire
Aussi tous les
regards d'une humanité effrayée par la statue du Commandeur qui
s'est dressée devant elle se portent-ils maintenant sur les
acteurs cachés derrière les décors. Certes, ils se dissimulent
encore maladroitement sous les tapisseries ; mais c'est leur
impuissance même à se soustraire à l'attention du monde qui
nourrit le tragique nouveau dont l'histoire a revêtu la
cuirasse. Jamais l'éthique souillée et piétinée de la planète
face à six milliards de globes oculaires n'a provoqué une
unification aussi subite des consciences, jamais une telle
Pentecôte de la démocratie n'a coupé le souffle aux semi-évadés
de la zoologie. C'est que, jusqu'alors, le vocabulaire de
l'esprit était demeuré confiné dans l'abside poussiéreuse des
Eglises. Et voici qu'une autre voix renverse les clôtures de
l'humanitarisme mondial, voici qu'un autre appel brise les
barrières de la piété culturelle au petit pied des Etats. Dans
la nuit du 31mai 2010, on a vu les chancelleries des plus grands
Etats quitter soudain les parcs d'attraction de l'éthique et
dévaler sur les trottoirs.
Dès les premières
heures de la matinée, un simianthrope nouveau et quasiment
miraculé a manifesté sa fureur, sa révolte et son dégoût; et
chacun a tourné ses regards vers l'Amérique. Les fuyards de la
nuit animale se demandent maintenant comment ils vont se trouver
dignement représentés par leurs plus hauts dirigeants, quelles
âmes et quels cœurs vont prendre la direction de l'Histoire du
monde , comment le défi de la honte et de la colère va se
trouver relevé par les pédagogues assermentés de la démocratie
mondiale. Le géant américain, jusqu'alors ligoté, bâillonné,
garroté par un minuscule agresseur va-t-il briser le joug de
l'immoralité du monde ? Mais quel spectacle que celui d'un
Hercule placé sous la loi d'airain et le commandement d'un nain
! La guerre civile larvée qui, depuis lors, fait bouillonner les
consciences s'est déclenchée cette nuit-là.
Certes, sitôt que
les démocraties eurent terrassé le marxisme, le capitalisme
avait montré le nouveau visage de l'immoralité du monde; mais, à
partir de la chute du mur de Berlin, en 1989, la sauvagerie
connaturelle à ce système de production délocalisable et
mécanisable à l'infini avait pris la relève économique de la
barbarie du nazisme et du stalinisme au sein d'une économie
fondée sur la mondialisation de la pauvreté. Et maintenant,
Israël enfantait une barbarie révolue et tellement stupide que
jamais les scénaristes les plus niais de Hollywood ne se
seraient risqués à seulement imaginer un scénario aussi sot que
de lancer à grand tapage et dans toutes les salles obscures du
monde une super production de la Metro Goldwin Mayer dans
laquelle des enfants tueurs auraient joué en riant avec la mort
parmi les bonbons et les chaises roulantes.
Le réel se serait-il accoutumé à dépasser la fiction? Les
massacres d'autrefois entre les défenseurs d'un prodige sacré -
d'un côté, les cellules du pain et du vin de la messe se
mettaient à l'écoute de certaines formules liturgiques immuables
et se changeaient docilement en chair et en sang, de l'autre, de
fieffés désensorceleurs demeuraient tout pantois devant tant de
sottise - les massacres pieux du passé, dis-je, ont fait leur
temps; et maintenant, Israël invoque des miracles plus forts
encore. Primo, dit-il, les porteurs de pain aux affamés
doivent se trouver empêchés de nuire, parce que des cargos
chargés, eux, d'armes de guerre pouvaient suivre à la trace un
sillage apparemment inoffensif; secundo, les affamés de
Gaza mangeaient tellement à leur faim - il n'y avait encore que
soixante cinq pour cent d'enfants rachitiques entre neuf et
douze ans - qu'il fallait les protéger des ravages de l'obésité
qui les guettait.
Mais il existe une relation aussi frappante qu'inattendue entre
la chute des mystères religieux dans des subterfuges cultuels
ridicules et la dégringolade de la sacralité démocratique
d'Israël dans le grotesque de l'arraisonnement d'un convoi
humanitaire: car le mythe de la liberté avait accouché d'une
nation censée se trouver sanctifiée d'avance pour avoir été
portée sur les fonts baptismaux de la liberté et de la justice.
Le "peuple élu" était revenu sur ses terres; et depuis
lors, il s'était mis à l'écoute, disait-on, de la voix et des
vœux de la civilisation américaine, qui est une religion du
Bien. Et voici que ce miracle de la piété des modernes tombait
dans le sanglant. Si l'on n'écoute plus les oies du Capitole, le
gosier de la démocratie planétaire aurait-il donc pris leur
relais? C'est ce subterfuge qui placera l'auto-désacralisation
suicidaire d'Israël au cœur des apostasies démocratisées, c'est
cela qui scellera les retrouvailles des chroniqueurs et des
mémorialistes fatigués avec l' axe vivant de l'histoire qu'on
appelle l'éthique.
6 - La disqualification de l'Olympe des
démocraties
Car il est apparu
à tous les regards qu'il est stérile d'emprunter les chemins de
l'aventure humaine humaine avec des béquilles de notaires et de
greffiers et que les profanations vivifiantes sont toujours des
dénonciatrices de la sottise des idoles d'une époque. C'est
ainsi que la réfutation des dieux caquetants par la voix des
oies du Capitole avait donné au christianisme de l'époque une
avance cérébrale non négligeable sur les dieux vieillis des
Romains. Et voici que les Célestes des Anciens sont devenus des
idéalités, donc des acteurs verbaux, et voici qu'ils ripaillent
sur un Olympe où leurs seuls concepts suffisent à garantir la
sainteté de leur trône. Mais leur désacralisation accélérée par
les soins affairés d'Israël leur arrache leur plumage. Ce ne
sont que des trompeurs invétérés, de fieffés menteurs et des
attrape-nigauds chevronnés. Jamais ces dieux-là n'ont illustré
les vertus qu'ils étaient censés incarner.
Prenez la Liberté
et la Justice: ne vous y trompez pas, ce sont des déguisements
sonores du plus vieux des dieux, celui de la guerre. Mais les
yeux de l'intelligence du simianthrope commencent de
s'entre-ouvrir; et déjà il porte un regard nouveau sur les
autels et les dévotions propres aux démocraties. Bientôt le
pourrissement des prie-Dieu de la Liberté ouvrira l'œil du monde
entier sur les nouveaux poulets du sacrifice. Car la conversion
précipitée des démocraties à la faiblesse d'esprit des devins du
paganisme les a d'ores et déjà livrées au néant politique: c'est
à partir du massacre par les légions de Jahvé des sauveteurs
désarmés d'une ville affamée que le monde a commencé de perdre
la foi dans le plumage des démocraties verbales et que le déclin
de l'Amérique a suivi un chemin parallèle à celui d'Israël.
Certes, il y
avait longtemps que le soleil du Nouveau Monde plongeait à
l'horizon et s'abîmait dans la mer, longtemps que l'éclat de
cette étoile se perdait dans les brumes du crépuscule de la
Liberté, longtemps que ses feux avaient pâli aux yeux de tous
les peuples et de toutes les nations de la terre. Mais, cette
fois-ci, chacun se pinçait et se tâtait, incrédule, chacun
suivait du regard et dans l'effarement les pas du dieu des
idéalités, chacun attendait qu'une parole de vérité tombât de la
bouche d'une idole que le monde entier avait acclamée un an
seulement auparavant.
Dans un premier
temps, M. Barack Obama a gentiment demandé à Israël de lui
expliquer sa politique. Cette proposition loyale ou faussement
innocente aurait pu prendre un tour philosophique. Dans ce cas,
elle aurait signifié que la politique est l'art et la science
des nations d'obtenir des avantages économiques, industriels et
commerciaux au détriment les unes des autres ou de s'armer du
sceptre d'une gloire militaire à l'échelle mondiale et qu'il y
faut des méthodes réfléchies et rationnelles, donc de nature à
satisfaire des ambitions légitimement affichées. Cette
définition de la politique reposerait sur deux postulats de la
logique universelle: il ne serait pas rationnel de nourrir la
soif de régner d'un Etat à prétendre convertir des nations
étrangères à des croyances religieuses qui ne répondraient pas à
leur esprit; et il ne serait pas rationnel non plus de se forger
des armes de sorciers, telles les totems, les amulettes et les
grigris. M. Barack Obama aurait demandé à Israël de lui
expliquer quels intérêts positifs il avait satisfaits à humilier
l'ambassadeur de la Turquie quelques semaines auparavant - il
l'avait ridiculement placé sur une chaise basse et fait diffuser
la scène à la télévision; et maintenant non seulement il croyait
triompher à arraisonner en haute mer un navire voguant sous le
pavillon de ce puissant voisin, mais à y assassiner dix
passagers.
Il est bientôt apparu qu'en l'absence de réponses logiques à ces
questions cartésiennes, M. Barack Obama s'est vu contraint de
demander à son tour la levée du siège de Gaza et de le déclarer
"intenable". Mais alors, il permettait à M. Netanyahou de
se poser en victime faussement innocente et apparemment affligée
du torrent d'hypocrisie qui tombait dru comme grêle sur Israël,
puisque les Etats-Unis collaboraient activement avec la France
et avec l'Egypte à l'enfermement de la ville-martyre derrière un
mur d'acier enfoncé jusqu'à vingt mètres sous la terre. Faut-il
donc un si grand génie de la politique et une si profonde
connaissance du genre humain pour savoir qu' à l'âge d'internet
et de la télévision, le blocus d'une métropole de la taille de
Paris en 1870 allait nécessairement déclencher une croisade
mondiale de l'éthique de tous les peuples de la terre.
7 - Le cas de M. Biden
La seconde question que le blocus de Gaza a fatalement et de
manière irréversible posé à la planète est de savoir si une
nation de trois cent millions d'habitants peut confier les plus
hautes fonctions dans l'Etat à des citoyens juifs sans les
mettre en conflit douloureux et insoutenable avec leur
conscience et leur âme. On sait que M. Barack Obama a nommé un
Américain qui se proclame officiellement sioniste au poste de
vice-Président des Etats-Unis et que, dans un premier temps, ce
bi-national psychique s'est montré à la hauteur de ses
responsabilités à l'égard de sa patrie d'origine. N'avait-il pas
exprimé sa loyauté et son patriotisme quand il s'était indigné
de la construction de mille six cents logements juifs
supplémentaires à Jérusalem Est et de l'expulsion de leurs
logements d'autant de Palestiniens? Et voici que, dans un second
temps, le deuxième personnage de la plus puissante démocratie du
monde faisait semblant d'ignorer que la "flottille de la
Liberté" avait engagé quarante Etats pacifiques dans une
mission exclusivement humanitaire; et voici qu'il proclame le
droit d'Israël de les arraisonner en haute mer afin d'en
vérifier soi-disant le chargement.
[note]
Naturellement, ce spécialiste du droit international et cet
ancien Président de la Commission des affaires étrangères du
Sénat sait fort bien qu'en vertu d'une disposition récente du
droit international - il s'agit de lutter plus efficacement
contre la drogue et le "terrorisme" - un Etat qui
nourrira des soupçons sincères concernant la nature d'un
transport maritime devra demander l'autorisation de
l'arraisonner à l'Etat dont le navire portera le pavillon.
Or, aux journalistes qui lui annonçaient le coup de force
d'Israël et le massacre qui en était résulté, M. Biden a répondu
: "Et alors ? Où est le problème?" Quand le
vice-Président et le chef de Cabinet de la Maison Blanche sont
l'un sioniste, l'autre citoyen israélien, le problème devient
exclusivement politique; et ce n'est plus une question de
courage civique, mais un devoir élémentaire de la poser.
L'Américain moyen est en droit de savoir si la citoyenneté peut
demeurer l'apanage naturel d'une partie considérable de la
population qui, depuis 1947, se réclame de fait et en acte de
son appartenance quasi exclusive à un autre Etat et sert les
intérêts d'une nation étrangère sans s'en cacher le moins du
monde, et cela au plus haut niveau de l'Etat. Et que dire de
l'assassinat de passagers par l'arraisonneur?
C'est pourquoi l'effet collatéral le plus gigantesque et le plus
inévitable du blocus de Gaza aura été de poser pour la première
fois à la face du monde la question des conditions objectives du
patriotisme: un citoyen de religion juive ne sera-t-il donc
fidèle à la nation dont il revendiquera la citoyenneté que dans
les cas bénins où les intérêts qu'il jugera vitaux d'Israël ne
lui paraîtront pas concernés? M. Jean Daniel a soulevé la
question en France, à propos du Comité représentatif des
institutions juives de France; qu'il est allé jusqu'à juger "judéo-centriste"
à titre "obsessionnel" et "pathologique". Mais si
le vice-Président et le chef de Cabinet de la Maison Blanche
peuvent défendre les intérêts vitaux de l'Etat étranger auquel
ils appartiennent corps et âme et s'opposer à la politique de
leur pays et à celle du locataire du bureau ovale, comment ne
pas définir juridiquement la haute trahison sur des données
objectives nouvelles?
Car le monde
entier a compris que l'alliance du glaive de la Liberté avec
celui de Jahvé était en acier trempé; et M. Netanyahou a pu,
dans la foulée, déclarer qu'Israël était tombé dans un
guet-apens tendu par les méchants : il lui avait bien fallu,
hélas, tenter de sauver sa vie les armes de la Justice à la
main.
8 - Le destin de l'Amérique
Depuis longtemps
mis en place, les mécanismes économiques et militaires d'un
déclin fatal ont commencé de conduire l'empire américain au
naufrage. Mais pour accéder à une chute d'une rigueur et d'une
précision aussi implacables, il aura fallu le déclencheur d'un
défi à l'éthique de la planète. Alors seulement le navire a
perdu son capitaine, son gouvernail et son gréement. Gaza aura
définitivement marginalisé le Nouveau Monde. La terre entière
l'a compris quand, le 5 juin 2010, M. Barack Obama s'est vu
contraint, sous l'autorité de son entourage israélien, de
demander inutilement au vaisseau irlandais qui prenait la relève
de la flottille de la Liberté, de se soumettre à la volonté
d'Israël et de renoncer à secourir les affamés de Gaza.
Puis la guerre est devenue ouverte entre M. Barack Obama et le
vice-Président, puisque le 5 juin la Maison Blanche affirmait de
nouveau que le "le blocus israélien imposé depuis quatre ans
ans à Gaza n'est pas tenable et doit être changé" alors que,
de son côté, M. Biden déclarait qu'Israël "jouit pleinement
du droit d'interception et de perquisition des bateaux qui
voudraient briser le blocus" et que le massacre du 1er juin
était "justifié".
Comment la
question de la loyauté de tous les juifs du monde à l'égard de
leur patrie d'adoption ne serait-elle pas posée si un
vice-Président des Etats-Unis peut faire passer publiquement les
intérêts d'Israël avant ceux de Washington? N'est-il pas d'ores
et déjà évident que le déclin de l'empire sera conduit par
Israël et à son profit?
Bientôt la dette
américaine atteindra cinq cents milliards de dollars - en 2010,
elle ne s'élevait encore qu'à cinquante mille milliards. Alors,
il ne sera plus possible ni d'entretenir à fonds perdus plus de
mille deux cents garnisons et places fortes sur tout notre
astéroïde, ni assurer leurs communications en pure perte et au
prix exorbitant de l'entretien d'une flotte de guerre qu'il faut
faire naviguer jour et nuit sur tous les océans du monde.
L'Angleterre et l'empire ottoman ont connu le même
engloutissement de leurs armes et de leur ubiquité, parce que
l'argent n'est jamais le nerf de la guerre qu'à l'échelle des
nations, non de la mappemonde.
Déjà la Chine a
commencé d'acheter à bas prix ou pour rien les fleurons de
l'industrie de l'adversaire; déjà les monceaux de la monnaie
fictive que le nouveau roi Midas se trouve contraint d'imprimer
à vide - des montagnes de dollars imaginaires, mais Washington
est condamné à feindre de les tenir pour réels, sauf à
précipiter son naufrage monétaro-militaire - ont rendu évident
qu'Israël va juguler l'histoire du monde pour une génération
encore. Aussi Gaza n'est-il qu'un avant-poste illusoire de
l'expansion du grand Israël: si ce leurre tombe, si un Etat
palestinien en trompe-l'œil se construit sur le retrait de Jahvé
de la forteresse des affamés, alors tout le monde verra clair
comme le jour que l'obstacle réel à une paix impossible par
nature et par définition n'est autre que le statut non
négociable de Jérusalem, parce que jamais l'Etat hébreu ne
deviendra légitimable sur la scène du monde au prix d'une
apostasie universelle - celle d'une Démocratie mondiale qui
accorderait la bénédiction du droit international à un Etat
fondé sur le vol de son territoire - sauf à démontrer à la face
de la terre et pour les générations à venir que les idéaux de la
démocratie n'étaient précisément que les oies du Capitole des
modernes et que leur caquetage sur l'Olympe demeurait celui des
dieux du sang et de la mort. C'est pourquoi l'histoire véritable
de la planète est redevenue celle de l'éthique des Etats; et
c'est pourquoi la véritable vengeance des peuples humiliés par
leur abaissement spirituel fait de leur oppression même le
nouveau levain de la civilisation mondiale.
9 -
Regarder l'histoire au fond des yeux
On sait quelle révolution du "Connais-toi" cette prise de
conscience tardive du genre simio humain a inaugurée in
extremis. Depuis lors, c'est dans la nuit que les
descendants du chimpanzé cherchent leur étoile.
-
La
fécondation philosophique de la psychanalyse (suite)
, 30 mai 2010
-
La
fécondation philosophique de la psychanalyse - Freud et
l'avenir de l'inconscient,
23 mai 2010
+ nécrologie de Claude Grégory .
La nuit est plus
panoptique que le soleil. La lumière aveugle, la noirceur
éclaire l'étendue qu'elle habite. Il faut le recul des ténèbres
pour embrasser le spectacle du débarquement des peuples et des
nations dans l'arène des Etats. Il faut le secours du silence et
du vide pour apercevoir l'antique effigie de César monter sur
les planches où l'attend une éternelle Antigone.
A l'heure où ces
lignes seront accessibles sur internet, la presse quotidienne et
plusieurs hebdomadaires auront commencé de publier des
commentaires pertinents en diable; et pourtant, il n'est pas
d'événement de nature à illustrer davantage que le siège de Gaza
le fossé qui sépare l'ambition de la spéléologie
anthropologique, psychanalytique et critique, d'une part, de
l'examen seulement historique et politique, d'autre part.
Certes, le scanner ne saurait rivaliser avec la photographie en
couleur. Mais que reste-t-il des cosmétiques et des parfums à
fleur de peau quand l'écran grouille de cellules affolées au
plus profond du drame de la vie et de la mort d'une cité d'un
million et demi d'habitants?
Pour la première
fois depuis la fin du monde antique le jeu des potences avec les
consciences retrouvera ses acteurs originels. Israël est appelé
à y jouer son rôle le plus ancien, celui de la victime
suicidaire à force de se proclamer innocente. Les décors sont
plantés, les personnages vont entrer en scène. La planète est
redevenue le théâtre de la guerre de l'esprit. Le sort de chacun
est gravé sur les planches, le destin ne fera pas de quartier -
il faudra apprendre à regarder l'histoire au fond des yeux.
Note:
Quelques internautes me signalent que M. Biden n'est juif que
de cœur et d'esprit pour s'être converti au sionisme à la suite
de sa rencontre de jeune sénateur avec Mme Golda Meir. Lui-même
déclare : "Je suis sioniste. Il n'est pas nécessaire
d'être juif pour être sioniste, parce que ce qui compte, c'est
le lien inextricable entre la culture, la religion et
l'ethnicité qui relie les juifs du monde entier."
Publié le 7 juin 2010 avec l'aimable autorisation de Manuel de Diéguez
Les textes de Manuel de Diéguez
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