Section Téopolitique, La laïcité face
aux mythes religieux
L'Europe et le
messianisme politique américain
Manuel de Diéguez
Manuel de
Diéguez
Samedi 5 janvier 2013
1 -
Une
Secrétaire d'Etat créationniste
En 2008
Mme Albright, Secrétaire d'Etat
américaine, publiait un ouvrage titré
Dieu, l'Amérique et le monde
dont la traduction française allait
bénéficier d'une préface globalement
élogieuse de M. Hubert Védrine, ministre
des affaires étrangères du gouvernement
Jospin de 1997 à 2002.
Voir :
La
diplomatie américaine et la
religion,
A
propos de Dieu, l'Amérique et
le monde de Mme Madeleine
Albright, ex-ministre des
affaires étrangères des
Etats-Unis,
17 novembre
2008
Si un
monarchiste français publiait un
manifeste pieusement intitulé,
Dieu, la France et le monde,
sans doute soupçonnerait-on de faiblesse
d'esprit une agressivité théologique
aussi anachronique, parce que nos
théoriciens les plus orthodoxes de la
royauté de droit divin ne se sont jamais
risqués à formuler noir sur blanc une
mythologie du trône des Capétiens aussi
cosmologique. Mais s'ils s'y étaient
exercés en légitimistes du ciel de leur
temps, non seulement ils auraient
exprimé un messianisme immanent aux plus
hautes sphères de l'Etat, mais également
à l'esprit public de la France de leur
siècle. Il en est nécessairement ainsi
de la dévotion politique dont Mme
Madeleine Albright se trouve
compénétrée: jamais cette créationniste
invétérée n'aurait pu signer un ouvrage
aussi résolument eschatologique si le
peuple américain actuel et sa classe
dirigeante, même sommitale, ne
partageaient de tout coeur la mentalité,
sotériologique et rédemptrice qui a
gravé le sceau de Calvin sur le
protestantisme d'un Nouveau Monde.
2 - Le
rationalisme français et le messianisme
politique
Malheureusement, le rationalisme
français n'a pas accédé à une
connaissance rationnelle du sacré et des
débits divers du torrent de la grâce. Il
résulte de la pauvreté, anthropologique
et philosophique de la laïcité nationale
que le Quai d'Orsay projette encore sur
les croyances religieuses du monde
entier les catégories mentales de
l'anticléricalisme rudimentaire du
siècle des Lumières. Les chandelles des
religions auto-explicatives sont censées
n'éclairer en rien un ramassis de
piétés, de dévotions, de rites et de
liturgies condamnées à se bousculer dans
un vain pêle-mêle de superstitions et
d'absurdités.
Mais la raison n'est plus le cierge
simpliste d'autrefois: ses diagnostics
ne s'arrêtent pas aux symptômes des
maladies, ils remontent aux causes
ultimes des pathologies cérébrales, même
collectives. Quand elle use d'un
vocabulaire superficiel et étranger à
toute pesée méditante tant de la foi des
simples d'esprit que de celle des
contemplatifs, notre politique étrangère
ignore la nature même du genre humain et
le fonctionnement des rouages qui
commandent le cerveau de cette espèce à
titre héréditaire. Car l'observation de
ce phénomène mondial révèle que les
mythologies religieuses expriment un
transport intérieur spontané et sincère
aussi bien des "fous de Dieu" que du
petit peuple vers un monde pleinement
ressenti comme infiniment plus réel que
celui dont la platitude des jours broute
les prés; et dès lors que le
rationalisme au petit pied de notre
diplomatie scolaire ignore la nature
d'un délire psycho-cérébral aussi
répandu et lié à ce point au mode
d'emploi des neurones originels d'un
animal flottant de naissance entre deux
mondes, notre Quai d'Orsay de rebouteux
se trouve entièrement désarmé devant
l'apostolat guerrier des Etats-Unis.
Qu'en est-il d'une connaissance
scientifique minimale des viscères qui
pilotent parallèlement la boîte osseuse
des conquérants du ciel et la défense de
leurs intérêts politiques pieusement
confondus?
3 -
Une psychanalyse politique du
messianique démocratique
Pourquoi les Etats-Unis et leur évangile
demeurent-ils stationnés côte à côte et
l'arme au pied sur tout le Vieux
Continent? Un quart de siècle après la
chute du mur de Berlin, leurs catéchètes
n'auraient-ils en rien appris qu'une
démocratie virginale et censée se fonder
sur la liberté immaculée de tous les
peuples de la terre, donc sur une
sotériologie résolument séraphique,
souille les ailes de sa "théologie" de
la démocratie à perpétuer une occupation
militaire faussement angélique du
territoire des nations qu'elle a
soumises au tranchant de son glaive?
Mais il serait offensant, sinon
sacrilège aux yeux des nouveaux dévots
d'abaisser leur mission de glorieux
délivreurs par un reproche aussi
malveillant que celui de se comporter en
maîtres et en conquérants dont le modèle
serait bien connu des historiens. Les
croyants ne vivent jamais qu'à demi dans
le monde contaminé du profane. La vie
intérieure des Tamerlan du ciel se situe
toujours quelque part entre la terre et
le surréel purifiant où leur prêtrise
prend son vol.
La démocratie américaine est censée
bénéfique dans l'œuf; elle professe que
ce peuple d'apôtres et de convertisseurs
est appelé par le destin à répondre à sa
vocation naturelle de messie et de
nettoyeur du monde. Depuis 1945, ses
victoires sur les salissures de
l'histoire le placent en suspension
entre les vapeurs d'une liberté et d'une
justice ailées d'une part et, d'autre
part, une pratique politique aux
trajectoires non moins délivrantes, mais
aux sillons subordonnés au temporel.
Pour le bonheur des mythes du salut, le
sanglant est toujours secondaire à leurs
yeux.
L'anthropologie critique enseigne que
les évadés griffus de la zoologie
arborent des masques sacrés et qu'ils
cachent leurs crocs sous les escarcelles
de leurs séraphins. Leur vocation
religieuse les a musicalisés dans les
nues et logés dans un sacré inaccessible
aux autres animaux. La démocratie
guerrière et symphonique sert d'effigie
célestifiée au monde moderne, et cela au
double sens que les effigies
sacerdotales qui cachent le vrai visage
de notre espèce la glorifient dans la
stratosphère et que la sainteté de ses
doublures la totémise et la rend
intouchable. C'est ainsi que le
christianisme à la fois conquérant et
cérébralisé par ses idéaux portait le
pavois bénisseur où la croix et l'épée
s'adoubaient réciproquement, c'est ainsi
que la France colonisatrice nourrissait
la vocation schizoïde d'une humanité
tout à la fois sanglante et
civilisatrice. L'expansion industrielle
et commerciale d'une Europe biphasée
était calquée sur le même modèle
bipolaire que celui de l'Amérique
biphasée actuelle, qui enracine en tous
lieux et conjointement les victoires
dichotomiques de son écusson de croisé
et de crucifié de la "Liberté".
4 - La
théologie expérimentale
La fin de la première guerre du Golfe a
vu la Maison Blanche absentifier sans
autre forme de procès ses "fidèles
alliés". On se souvient de la conférence
auto-glorificatrice de Madrid, où le
vainqueur exclusif de Saddam Hussein n'a
fait qu'obéir à sa vocation
politico-théologique solitaire. Quelle
naïveté, pour une diplomatie européenne
dont le petit rationalisme ignore les
rouages du sacré, que de méconnaître
l'évidence la plus criante, à savoir que
toute victoire de type américain se
trouve nécessairement pré-construite sur
la rudesse du modèle qui apportera à la
nation élue une consolidation doctrinale
efficace de son rôle de chef théologique
de la planète de la liberté!
Quand le Département d'Etat s'offre le
luxe d'exposer en rang d'oignons
l'ensemble des dirigeants européens sur
le perron de la Maison Blanche, il
s'agit, encore et toujours, de souligner
avec éclat et à la face du monde entier
qu'une nation néo-salvatrice, super
messianique et hautement rédemptrice
honore grandement ses collaborateurs les
plus dévoués, mais subordonnés par
nature à son sceptre de guide spirituel.
Et de rappeler que la bienveillance de
ce sauveur archétypal de l'humanité peut
aller jusqu'à flatter l'encolure des
autres serviteurs du salut de notre
espèce: n'ont-ils pas figuré dans
l'arène des saintes floralies du chef de
la mappemonde, et quelquefois
brillamment? Que demandent-ils de plus?
Il est suffisamment glorieux de
bénéficier du rôle d'accompagnateurs
chamarrés du grand délivreur de
l'univers du Mal et de figurer à un rang
honorable dans sa suite. La théologie
expérimentale enseigne à la géopolitique
du Bien que les croyants ne sont jamais
des Tartuffe invétérés: la démocratie
mondiale alimente le feu de sa foi du
bois de ses victoires sur les relaps et
les renégats et sa religion est dupe des
anges aux ailes de cire qu'elle
s'attache dans le dos.
Quand, en juillet 1990, le Président
Bush senior demandait à ses vassaux
européens de se déguiser ridiculement et
de s'affubler du chapeau de feutre des
gardiens de troupeaux du far-west -
Helmut Kohl et François Mitterrand
avaient refusé de se livrer à une
mascarade aussi humiliante - le
propriétaire du ranch croyait
sincèrement inviter des égaux à un jeu
flatteur, tellement la foi exerce
toujours la fonction suréminente de vous
placer sur un piédestal et de vous
préserver de choir dans le monde
profane.
5 - La
dévassalisation de l'Europe et
l'anthropologie du sacré
On ne saurait comprendre la profondeur
du génie diplomatique de Talleyrand au
Congrès de Vienne en 1815 que si l'on
observe avec des yeux d'anthropologue du
sacré la connaissance
pré-anthropologique du genre humain dont
la stratégie de cet évêque incroyant a
témoigné avec deux siècles d'avance. Il
s'agissait de rien de moins que de
démontrer aux pieux monarques de la
Sainte Alliance qu'ils ne pouvaient
renier la théologie dont ils se
voulaient les hérauts dans toute
l'Europe et que leurs ancêtres avaient
illustrée des siècles durant. Depuis
Clovis, France était fondée sur la
sainte lignée des rois que Dieu
couronnait du haut des nues. Les
Capétiens devaient-ils maintenant leur
défaite à des apostats formés à l'école
de la guillotine? Etait-il une hérésie
plus robespierriste que de délégitimer
la sacralité du trône de Louis XVIII et
de toute la royauté de droit divin dont
la fille aînée de l'Eglise avait
glorifié les couleurs? Les nouveaux
chevaliers allaient-ils traîner leur
victoire à Waterloo dans la poussière
des hérésies, alors qu'ils avaient
assuré le salut du monde en croisés de
la sainte ampoule? Avaient-ils déjà
oublié qu'ils n'avaient vaincu
l'usurpateur corse que par la volonté
expresse de Dieu? Et si leur triomphe
n'était décidément pas celui du ciel
dans le cirque du monde, que valait leur
victoire sur Lucifer?
De même, quand l'heure sonnera de
négocier avec les Etats-Unis le
rapatriement tardif de leurs cent trente
sept bases militaires stationnées en
Italie depuis 1944 et de leurs deux
cents places fortes incrustées en
Allemagne depuis 1945, nous n'aurions
aucune chance de délivrer l'Europe du
credo perverti de la Sainte-Alliance des
conquérants de la Liberté si nous
manquions d'un Talleyrand de la
démocratie pour leur rappeler que les
Républiques modernes ne reçoivent de
récompenses que dans leur ciel et que
leurs délivreurs n'ont pas à capitaliser
leurs bénéfices sur la terre. Le futur
prince de Bénévent de l'Europe
rappellera à Washington que les nouveaux
croyants sont appelés à respirer l'air
du mythe de la Liberté qui les
transporte dans le monde semi-séraphique
dont ils sont les élus. Et si seule une
diplomatie française d'avant-garde se
trouvait instruite des fondements
anthropologiques et des applications
pratiques de la théologie expérimentale
de notre temps et si seuls les
descendants de Talleyrand étaient en
mesure de placer sur leur véritable
terrain les futures négociations sur les
retrouvailles de l'Europe avec sa
souveraineté, nous défendrions à nouveau
parallèlement, comme tout le siècle des
Lumières, une civilisation politique
liée aux droits de la raison.
6 - La
Boétie aujourd'hui
Dans le
rapport bien documenté, mais en attente
de son cogito cartésien - il s'agissait
de réfléchir à l'avenir de la diplomatie
française dans le monde - que M. Hubert
Védrine a remis au Président de la
République le 14 novembre 2012 figurait
le passage suivant, que j'ai déjà cité
tout au long dans ma première analyse de
ce document, datée du 15 décembre 2012:
"Fin 1991, le Président américain
G.H. Bush et son Secrétaire d'État,
James Baker, réussissent d'autant plus
facilement à faire survivre l'OTAN à la
disparition des menaces soviétiques qui
avaient provoqué sa création que les
Alliés et les pays d'Europe Centrale et
Orientale fraîchement libérés du joug
soviétique [sont] tous candidats à
l'entrée dans l'OTAN [et] le lui
demandent." (…)
Puis, M.
Hubert Védrine s'approche de quelques
pas des mécanismes psychobiologiques qui
commandent la "servitude volontaire". "Malgré
tout, brandir sans préparation
l'étendard du "pilier européen", la
belle formule de J.F. Kennedy, restée
sans lendemain, ou de "l'identité
européenne", réclamer un caucus européen
au sein de l'Alliance, risquerait d'être
à la fois insuffisamment ambitieux et
potentiellement provocateur. Même en
2012, cela pourrait rebraquer [braquer à
nouveau] contre la France la
technostructure otanienne, [ainsi que]
les responsables du département d'État
et du Pentagone pourtant plus ouverts
que dans le passé à une évolution et
tous les Alliés européens qu'inquiète
déjà le "pivot" vers l'Asie. Cela
peut nous paraître paradoxal et à courte
vue, mais c'est ainsi: ces derniers ne
veulent pas donner aux Américains de
prétexte à se désengager davantage!"
[C'est moi qui souligne]
On ne guérit pas de la vassalité, mais
du moins s'ouvre-t-elle à une "évolution
". Quelle gentillesse! Décidément, M.
Védrine a mis le doigt sur la même
question de fond que l'ami de Montaigne
en 1549, à l'âge de dix-huit ans : que
se passerait-il si un chef d'Etat
européen d'envergure s'attelait avec
courage à la pédagogie d'expliquer
posément à la classe politique allemande
et italienne que jamais l'Europe
quadrillée par des bases militaires
américaines armées jusqu'aux dents
n'acquerra une musculature politique
digne de ce nom et que, sans
l'électrochoc préalable d'un retour
brutal de nos squelettes aux angoisses
de la souveraineté, cette éducatrice
solitaire par définition, il n'y aura
plus jamais de Vieux Continent en marche
sur notre astéroïde?
Mais un connaisseur européen de
l'ossature de l'histoire asservie se
heurterait à des mentalités municipales
résolument sourdes à sa voix, parce que
le nœud de la vassalisation semi
volontaire de notre espèce se cache à
une autre profondeur de l'ignorance de
la nature de leurs gènes dont souffrent
les évadés partiels de la zoologie,
celle de l'immersion native de ces
animaux dans un évangélico-messianisme
cérébralisé et dont la démocratie de
1945 n'a fait que renforcer l'éthique
sur notre planète. Seule une révolution
cérébrale prodigieuse - et irréalisable
en quelques années seulement - placerait
l'Europe des nations dans l'arène des
périls de l'Histoire démasquée. Mais La
Boétie n'avait pas prévu que le sceptre
apostolique et le camouflage
sotériologique du catholicisme
monarchique de la France de son temps ne
tomberaient en poussière en 1793 que
pour renaître entre les mains d'un
nouveau rédempteur universel et que le
mythe de la liberté, porté par la grâce
calviniste, ferait monter au four une
nouvelle hostie de la vassalité déguisée
en sainteté. Le pain sacré de l'humanité
est toujours celui de son pieux
asservissement à un maître dans le ciel.
7 -
Les ressorts contemporains de la
vassalisation de l'Europe
En quoi la nouvelle eschatologie
dominante ressemble-t-elle à celle du
siècle des Lumières et en quoi
diffère-t-elle fondamentalement du
modèle voltairien? Le timide
rationalisme des encyclopédistes s'en
prenait presque exclusivement à
l'omnipotence du clergé de l'époque et à
la puissance de ses dogmes. L'opulence
de la classe sacerdotale avait peu
changé depuis le siècle de Montaigne et
la fossilisation de la "révélation"
laissait intact le principe de
l'existence d'un pilote du cosmos dont
l'ubiquité et l'invisibilité dictaient
leur loi à tous les esprits. Mais la
révolution demeurée partielle et locale
des esprits voltairiens trouvait
maintenant sa source politique dans
l'ascension d'une bourgeoisie dont les
ambitions commerciales et
intellectuelles rencontraient encore
deux obstacles principaux: l'esprit de
caste de l'aristocratie et du clergé
confondus dans un même séparatisme
politico-religieux. L'enfermement de la
société tout entière dans cette
scissiparité cérébrale bloquait la
montée en force d'une oligarchie
d'industriels et de commerçants non
encore propulsés par un machinisme
planétarisé.
Rien de tel de nos jours: le blason
rapiécé de l'Eglise et celui de la
noblesse figurent au bureau des objets
trouvés et le brusque basculement dans
le mythe d'un nouveau pain bénit - celui
de la Liberté - du vieil esprit
messianique et sotériologique recousus
exprime seulement les intérêts
financiers de la nouvelle classe
dominante, celle de l'argent, qui n'a ni
emblème, ni oriflamme à faire flotter
dans le vent de l'histoire. Du coup, la
mécanisation du monde et
l'automatisation de la production des
marchandises trouvent le coussin de
velours sur lequel se reposer, celui
d'une spiritualité collective vaporisée
et privée de toute structure doctrinale
contraignante. Les idéaux mollement
rassurants de la démocratie mondiale ont
succédé au dogmatisme ecclésial en acier
trempé du siècle de Voltaire et au
sceptre tombé en quenouille du tiers
état.
Dans l'écroulement des empires mondiaux
de la piété, un finalisme démocratique
dissous dans l'informe ne s'oppose en
rien à la vassalisation sommeilleuse et
rampante des esprits "cultivés" et
décorsetés. Si le Vieux Monde devait
reprendre en mains le flambeau de la
politique en mouvement, il lui faudrait
forger une classe dirigeante d'un type
inconnu et dont la vocation cérébrale se
trouverait étroitement associée à un
refaçonnement de la lucidité politique
sur l'enclume du naufrage d'une
civilisation privée à la fois d'un
clergé, d'une aristocratie et d'un tiers
état aux régiments serrés d'autrefois.
Les nouveaux maîtres forment la
puissante oligarchie d'Etat versaillaise
dont les phalanges de cour sont
composées de hauts fonctionnaires
richement rémunérés et à auxquelles la
noblesse de robe d'une armée immense de
centaines de milliers de fonctionnaires
sert de cortège aux rentes plus
modestes, mais assurées sur le modèle de
la petite bourgeoisie du XIXe siècle.
8 - L'avenir de
l'esprit
Deux
siècles après la révolution de 1789, la
configuration post-révolutionnaire du
pouvoir politique et des privilèges qui
s'y attachent est appelée à engendrer un
type nouveau de distanciation de
l'intelligentsia mondiale. D'un côté la
pensée rationnelle de haut vol ne trouve
plus de lecteurs, ni dans les séquelles
de l'ancienne aristocratie, ni dans les
restes du clergé, ni dans les rangs
clairsemés des princes passés au service
de l'Etat administratif. Aujourd'hui, un
Victor Hugo, un Hippolyte Taine ou un
Renan n'auraient plus de public, pour ne
rien dire de Stéphane Mallarmé ou de
Paul Valéry. De l'autre, la culture
antique que la Renaissance avait
ressuscitée à grand peine est retournée,
mais pour toujours, dans un second Moyen
Age, tandis que l'édition de masse et
l'industrialisation du livre rendraient
impossible la parution de l'œuvre d'un
Kafka.
Du coup, la littérature n'a plus de
Balzac pour traiter du drame central du
siècle, celui du naufrage de la
civilisation européenne, dont le
paradoxe est de n'avoir pas de
spectateurs. Mais une nouvelle classe
d'intellectuels monte dans l'ombre,
celle dont l'acier conquerra une
distanciation et une hauteur monacales.
Le recul cérébral des anachorètes de la
pensée approfondira encore davantage la
connaissance anthropologique de la
scission entre le monde visible et les
anciens empires de l'imagination
religieuse, puis de l'ère idéologique de
la civilisation mondiale.
Le
nouvel humanisme sera le spéléologue de
la connaissance de l'humain, et cela au
point que la dimension semi-animale d'un
"Dieu" tortionnaire et des croyances
inscrites dans le rôle pénal attribué à
l'installation d'un géant punitif dans
le cosmos éclairera les limites du
siècle de Voltaire. Mais il est
significatif que le nouvel avenir de la
réflexion anthropologique sur les
châtiments collectifs, nous le devrons
aux premiers spiritualistes athées que
le monde ait vu paraître au VIIIe siècle
avant notre ère - les moines bouddhistes
- dont quelques-uns se placent d'ores et
déjà à l'avant-garde de l'alliance du
combat politique de demain avec la
guerre sans fin de l'intelligence
transanimale.
L'approfondissement
de la connaissance du cerveau sommital
de notre espèce trace le chemin des
retrouvailles du monde moderne avec la
politique de l'esprit. Sortir du mythe
religieux, c'était "tomber dans le
réel", disait-on, mais dans un réel
revivifié par son élan vers un nouveau
"Connais-toi".
Le 5 janvier 2013
Reçu de l'auteur
pour publication
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