Les Défis de l'Europe
La République et
les enjeux intellectuels de l'histoire
Deuxième lettre ouverte au Président de
la République
Manuel de Diéguez
Manuel de
Diéguez
Dimanche 4 novembre
2012
1 -
Les mésaventures
du bon sens cartésien
M. le Président,
Regardez un
instant l'histoire du monde droit dans
les yeux: seule votre initiation aux
rouages et ressorts cérébraux des
prophètes retirera de l'empêtrement le
destin politique et intellectuel d'un
continent dans les rets du
vieillissement des Etats privés d'élan
et de souffle. J'en prendrai un seul
exemple : vous êtes suffisamment informé
des lois de la physique mathématique
dont on enseigne les fondements dans les
écoles de la République pour savoir que
si le moteur électrique avait été
inventé en 1840, on n'aurait pas recouru
à la propulsion des locomotives à vapeur
par la combustion dispendieuse et
enfumante de quelques tonnes de charbon
entassées dans les tenders - on aurait
porté l'eau à ébullition par le moyen
d'un générateur électrique alimenté par
une portion infime de l'énergie
fantastique et non polluante dégagée par
la vapeur d'eau mise sous une pression
énorme dans des
chaudières ambulantes. Vous savez
également que cette pression est
nécessairement variable, puisqu'elle ne
dépend que de la résistance des citernes
voyageuses qu'on appelle des
locomotions. Vous savez, comme nos
adolescents dès la troisième, que la
locomotive à vapeur n'est jamais qu'une
cocotte-minute montée sur roues. Vous
savez, comme toute notre jeunesse de
futurs bacheliers, que la production
française de l'électricité en circuit
fermé ferait économiser des centaines de
milliards d'écus sottement gaspillés à
acheter du gaz, du pétrole et de
l'uranium hors de prix à l'étranger ,
pour ne rien dire du coût exorbitant du
voltaïque, des éoliennes ou des usines
marémotrices.
Mais vous savez fort bien que votre
ministre de l'industrie et celui du
"redressement productif" ont refusé tout
net, mais sans les réfuter - et pour
cause - de prendre en considération les
lois élémentaires qui régissent la
physique à trois dimensions. Vous êtes
également informé de ce que les
industriels français se trouvent
désormais en mesure d'imposer de force à
l'Etat des prodiges de falsification
intellectuelle aussi stupéfactoires que
ceux dont les mythes sacrés se
réservaient autrefois la diffusion et
l'usage.
2 - L'instituteur
de la République
Pourquoi n'expliquez-vous pas à vos
ministres demeurés les prisonniers de la
crédulité scientifique des foules
d'aujourd'hui que les centrales
électriques actuelles fonctionnent
toutes à la vapeur sous pression, même
celle qui était prévue à Flamanville et
qu'il s'agit exclusivement de trouver le
combustible le meilleur marché. Pourquoi
n'expliqueriez-vous pas à votre
gouvernement d'enfants que la relation
entre l'énergie calorifique dégagée par
la combustion du gaz, du pétrole ou du
charbon et celle qui résulte de la seule
compression de la vapeur, que cette
relation, dis-je, est indirecte, parce
que la puissance de l'eau vaporisée est
exponentielle? Pourquoi
n'expliqueriez-vous pas à M. Jean-Marc
Ayrault et aux ministres de son
gouvernement concernés par la production
de l'énergie électrique de la France et
de l'Europe que le fondement de
l'invention de la machine à vapeur n'est
autre que la production d'une énergie
infiniment supérieure à celle que
réclame son accouchement? Je suis
persuadé que vos ministres-enfants ont
sagement appris les rudiments de la
physique et de la mécanique sur les
bancs de l'école et que s'ils les ont
oubliés à l'âge mûr, votre tâche
d'instituteur de la République est de
rappeler la classe à réviser ses
connaissances scolaires.
Mais tout se passe comme si l'esprit
humain changeait seulement de chats à
fouetter et jamais de nature et qu'il
s'agit maintenant de déverser les
miracles d'une foi religieuse en
perdition dans le tonneau des Danaïdes
d'un aveuglement du même genre: l'esprit
mythologique privé d'emploi obéirait-il
à un besoin d'expansion
psychophysiologique inné ? Notre espèce
troquerait-elle seulement les
superstitions religieuses évanouies pour
un culte aussi crédule que le précédent?
Observez le bréviaire d'un clergé de
récitants dont le tronc d'Eglise aurait
remplacé celui des dévots. La
méconnaissance des ressources
industrielles immenses de l'eau
vaporisée, voilà le nouveau royaume de
la catéchèse. Laisserez-vous allumées
les bougies du Moyen Age dans le temple
d'une République des aumônes condamnée à
tendre sa sébile aux industriels?
3 - La
paralysie générale de la France
M. le
Président, la place que les élites
cérébrales de la France sont appelées à
occuper sur l'astéroïde de la raison au
scalpel de demain vous trace clairement
le chemin de votre initiation à la
connaissance anthropologique du genre
humain. Car vos atouts d'homme d'Etat
reposent précisément sur l'impuissance
qui frappe une Europe de plus en plus
hétéroclite et ingouvernable. Vous
n'industrialiserez pas le pays si vous
ne créez des entreprises de taille
européenne et mondiale, vous ne pourrez
seulement envisager de mettre l'Europe
sous les armes, vous ne pourrez faire
progresser les sciences et les
techniques sans l'accord de vos voisins,
alors que l'Europe vassalisée ne veut en
rien entendre parler de grandeur, alors
que l'Europe des serfs refuse tout net
de porter son regard au loin, alors que
l'Europe des nains mérite l'apostrophe
de Ferrante à son fils Pedro dans
La Reine morte de Montherlant, "En
prison pour médiocrité!"
Comment mobiliseriez-vous sur la scène
internationale un continent dépourvu de
conscience politique à long terme, de
volonté politique tenace et de lucidité
visionnaire? Vous savez bien, M. le
Président, que vous ne convaincrez
jamais l'Allemagne, l'Italie, l'Espagne
de se tourner résolument vers l'avenir
du monde dont la Chine, la Russie,
l'Inde, l'Amérique du Sud brandissent le
drapeau; et vous savez bien que si vous
repreniez le combat dans la postérité du
Général de Gaulle, vous vous mettriez à
dos l'étroite l'alliance de l'Amérique
avec Israël. Il y a plus de quarante ans
que l'omnipotence d'un certain réseau
d'espionnage a été démontrée au sein de
la Ve République. Souvenez-vous des
vedettes de Cherbourg et de l'assassinat
des enquêteurs nommés par l'Etat de
l'époque. Monsieur le Président, est-il
trop tard pour peser sur le destin de la
France et de l'Europe ou bien un chemin
demeure-t-il grand ouvert au courage
d'une civilisation à deux doigts du
naufrage?
4 -
L'Europe du nouveau
Moyen Age
M. le Président, soyez le chef d'Etat
européen qui aura non seulement aidé
l'Allemagne et l'Italie à chasser les
légions de l'occupant de leur
territoire, mais qui aura tenté
d'appliquer la rigueur logique de la
pensée gaullienne à la réforme d'un
capitalisme de truands, soyez l'homme
d'Etat qui aura inspiré l'élan d'un
redressement commun aux nations
demeurées pensantes du Vieux Monde,
tentez de soumettre l'encéphale d'une
classe politique invertébrée,
irréfléchie et inculte au rude
apprentissage des lois qui commandent
l'histoire scientifique et politique
autrefois conjointes des peuples de la
raison. Pour l'instant, les dirigeants
des démocraties décérébrées de l'Europe
sont demeurés des enfants au berceau.
Ils s'imaginaient que c'était l'énergie
calorifique dégagée par la combustion du
charbon qui propulsait des milliers de
tonnes à cent vingt kilomètres à l'heure
d'un bout à l'autre de l'Europe; et
maintenant, ils s'imaginent que les
éoliennes feront l'économie de la
puissance infinie de la vapeur mise sous
pression!
Mais comment se fait-il que Mme Merkel
n'ait pas hésité à saluer avec
enthousiasme l'extension du bouclier
anti-missiles américain en Europe et
qu'elle n'ait cessé, dans le même temps,
de resserrer les liens de son pays avec
la Russie et la Chine? Et qu'a fait
d'autre le Président Chirac, sinon de
tenter de donner à Pékin et à Moscou le
rang des futures locomotives de
l'histoire du monde? Savez-vous que la
Chine est d'ores et déjà devenue le
second destinataire des exportations de
l'Europe après les Etats-Unis et que
notre continent est le premier
importateur du commerce chinois?
Demeurerez-vous à mi-chemin du
basculement du monde et de l'Europe vers
l'Asie?
Mais voyez comme tout se tient: si vous
ne disposez pas du pouvoir d'empêcher
nos industriels de se mettre de mèche et
de ruiner stupidement la France à lui
faire produire artificiellement de
l'électricité hors de prix, comment
lanceriez-vous l'Europe scientifique
dans la production quasiment gratuite de
l'électricité? L'invention de la voiture
électrique remplacera-t-elle seulement
l'importation massive de pétrole par
l'importation massive du gaz de la
Russie et du Qatar?
5 - L'autorité de
la pensée logique
J'imagine la stupéfaction,
l'ahurissement et la stupeur du Général
de Gaulle si, près d'un quart de siècle
après la chute du mur de Berlin, il vous
voyait en charge de la politique
étrangère d'une France en voie de
domestication au cœur d'une Europe
définitivement vassalisée. Les
historiens futurs n'en reviendront pas
de ce qu'une civilisation de la
conscience intellectuelle et de la
science ait pu tomber dans un
infantilisme politique à se tordre de
rire. Avez-vous lu jusque dans la presse
dite sérieuse qu'un nain danois, M.
Anders Fogh Rasmussen, aurait exprimé sa
volonté de conduire avec fermeté le
retour d'Afghanistan des forces
militaires de vingt-huit Etats placés
sous le sceptre du Nouveau Monde et
qu'il aurait obtenu de son maître la
prolongation d'un an de son mandat à
cette fin?
Avez-vous lu, notamment dans la presse
allemande, que ce Pygmée aurait conduit
d'une main de fer la modernisation de la
prétendue "alliance" planétaire des
vassaux du Nouveau Monde et qu'il se
trouverait maintenant devant l'une des
tâches les plus difficiles de la charge
imposante qui reposerait sur ses
puissantes épaules? Demain, les
historiens apitoyés de l'Europe
d'aujourd'hui admireront le génie
politique de l'Amérique, qui aura
surpassé celui de l'empire romain,
puisque jamais encore dans l'histoire du
monde une puissance militaire n'avait
réussi à rassembler ses vassaux comme
des enfants de chœur autour d'un
gigantesque arbre de Noël, celui d'une
stratégie internationale de la sainteté
démocratique dont elle serait le chef de
file.
Mais en 1966, quelle audace de libérer
de l'occupation américaine le territoire
d'une France censée se trouver à la
veille d'une invasion de l'armée
soviétique, quelle audace de défier les
phalanges françaises du salut marxiste
dont les partisans étaient quasiment
devenus les maîtres de l'Etat! Que
dirait le Général plus de deux décennies
après l'effondrement de cette utopie
évangélico-politique s'il voyait le
Vieux Monde assoupi dans les fers de son
libérateur et la France replacée sous le
sceptre de l'OTAN?
6 - La
France enchaînée
Rome n'empêchait pas l'économie des
Grecs, des Gaulois ou des Germains
d'enrichir les notables; bien au
contraire, sitôt que les peuples
asservis avaient versé leur tribut dans
l'escarcelle de leur maître, la bonne
santé de leur commerce renforçait la
domination de l'empire. En revanche, le
regard de Thucydide n'est pas celui que
les marchands de biens portent sur leurs
goussets.
Mais voyez comme la science politique
vous tend le sceptre de la logique du
monde, voyez comme les lumières
naturelles du genre humain ouvrent le
grand livre des Etats. Que vous raconte
le narrateur du tissu d'évidences qu'on
appelle l'histoire? Que la France est
enchaînée, pieds et poings liés à une
Europe en pleine débandade, que la
comédie qu'on vous fait jouer sur les
planches d'un théâtre d'agonisants n'est
pas l'échiquier de l'histoire réelle,
que la monnaie du Vieux Monde ne danse
pas sur la scène où se joue l'essor ou
le naufrage de la civilisation de la
pensée . Pourquoi le Japon, la Suède, la
Suisse, le Canada courent-ils au chevet
de l'euro sitôt qu'il donne des signes
d'asthénie, sinon parce que l'Amérique a
grand intérêt à laisser le Continent se
tirer d'affaire aux côtés de ses
banquiers-fossoyeurs, sinon parce que
l'Europe demeure la première
importatrice des marchandises de son
vainqueur?
7 - L'appel du
grand large
Savez-vous que les collaborateurs du
cacocrate de la Sicile sont plus
nombreux que ceux de Barack Obama,
savez-vous que le salaire du président
de la Lombardie est plus élevé celui de
M. Ban Ki-Moon, savez-vous que le chef
imaginaire d'une Europe fantôme, M. Van
Rumpoy, touche plus de cent vingt mille
euros par mois, savez-vous que six cent
cinquante de vos fonctionnaires sont
mieux rémunérés que vous, savez-vous que
la dette de la Grèce est du double de
celle qu'elle avait avouée, savez-vous
que trois ministres athéniens viennent
de se mettre dix milliards dans la
poche, savez-vous que la Grèce n'est pas
un Etat malade, mais un éclopé de
naissance, parce que l'Eglise y demeure
la propriétaire du tiers du territoire
de la nation et ne paie pas d'impôts,
savez vous que les descendants de
Sophocle et d'Eschyle vivent sous une
théocratie pseudo démocratique,
savez-vous que vingt milliards d'impôts
nouveaux et dix milliards d'économie de
l'Etat ne rééquilibreront pas les
comptes de la nation et ne remettront
pas en marche la production industrielle
du pays, savez-vous que vos ministres
eux-mêmes crient cette évidence sur les
toits, savez-vous que les machines qui
sortent de nos usines sont trop chères
pour se vendre hors de nos frontières,
mais que si vous les faites fabriquer à
l'étranger, des centaines de milliers de
chômeurs crieront dans la rue que ventre
affamé n'a pas d'oreilles, savez-vous
que si vous acceptez de jouer sur
l'échiquier des pantalonnades de
l'Europe, vous n'occuperez pas dix
lignes dans les livres d'histoire,
savez-vous qu'un Président de la
République qui n'aurait pas levé le
petit doigt pour tenter de libérer
l'Italie des légions de l'étranger sera
peint sous la livrée de son maître,
savez-vous qu'un Président de la
République qui n'aurait pas jugé de son
ressort de seulement évoquer la présence
des légions du Nouveau Monde en Europe,
savez-vous qu' un Président qui aurait
jugé tolérable qu'un gigantesque
porte-avions américain, qu'on appelle
encore l'Italie, demeure amarré au
centre de la Méditerranée depuis
soixante-dix ans, savez-vous qu'un
Président qui n'aurait pas porté un
regard de géant sur l' Allemagne occupée
jusqu'aux marches de la Russie serait
effacé de la mémoire du monde?
Mais une République tombée en quenouille
et une France ligotée à un char qui
n'est pas celui de l'histoire des âmes,
des intelligences et des cœurs vous
condamnent à vous lancer vers le grand
large. Et si vous deviez échouer aussi
bien à redresser la France qu'à libérer
l'Europe, quel écho dans la mémoire du
monde que celui d'un désastre héroïque
et sanglant, quelle trace ineffaçable
que celle du naufrage mondial de la
vérité politique!
Monsieur le Président à quelle hauteur
du génie de la France et de l'Europe
votre cœur et votre esprit sont-ils
accrochés, au nom de quelle humanité
portez-vous votre regard sur les plaines
de ce monde ? C'est cela, Monsieur le
Président, qui servira de balance au
tribunal du tragique qu'on appelle
l'histoire.
Tel sera l'objet de ma prochaine lettre
ouverte.
Reçu de l'auteur
pour publication
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