Les défis de l'Europe
Le petit Nicolas
Sarkozy illustré
L'agonie d'une civilisation
Manuel de Diéguez
Manuel de
Diéguez
Dimanche 4 mars
2012
1 - La loupe à l'oeil
Il y a vingt-cinq siècles que ce n'est
plus à l'écoute des mémorialistes et des
chroniqueurs que la postérité juge le
rôle qu'un chef d'Etat, même éphémère a
joué dans l'histoire de son temp. Mais,
il ne suffit plus, désormais, de prendre
le recul d'un Thucydide, d'un Tacite ou
même d'un Montesquieu pour interpréter
le déclin des nations et des empires,
tellement le naufrage des civilisations
emprunte maintenant des traits inconnus
des peintres d'autrefois. Du coup, un
décodage nouveau des évènements s'ouvre
aux anthropologues et aux
simianthropologues dont la discipline ne
s'attarde pas à narrer les faits et
gestes de tel acteur de passage sur la
scène, mais à observer ce que
l'engloutissement inexorable d'un
continent a fait accomplir à tel ou tel
illustrateur de Clio au cours d'une
longue tragédie; car le véritable auteur
du drame n'est plus tel ou tel homme
d'Etat que les peuples auront placé un
instant au timon des affaires, mais un
régisseur tapi dans les souterrains et
qui aura conduit le gigantesque attelage
d'une civilisation dans un précipice
longtemps inaperçu de tout le monde.
Certes,
ce type de fauteurs d'un désastre
mémorable n'est pas entièrement inconnu
des peintres de fresques du passé.
Tacite assiste d'acte en acte à
l'effondrement de la puissance romaine,
mais son regard embrasse une fatalité
trop globale pour ne pas demeurer
informe. L'heure n'avait pas sonné de
porter un regard de l'extérieur sur la
condition simiohumain tout entière et en
tant que telle. Depuis le milieu du XIXe
siècle, en revanche, l'Occident a
commencé de disposer d'une science de
l'animalité cérébralisée qui caractérise
notre espèce. Cette école ne débarquera
qu'au cours du XXIe siècle dans la
méthode historique; mais depuis la
parution de L'origine des espèces
en 1859, elle mûrit de décennie en
décennie dans les entrailles des peuples
et des nations, tellement
l'évolutionnisme devait fatalement
conduire la science du passé à une pesée
de l'encéphale du pithécanthrope et à un
examen des modifications de son logiciel
d'un millénaire à l'autre. Cette
nécessité politique s'est subitement
accélérée à partir de 1945, parce qu'un
animal capable de s'anéantir à seulement
appuyer sur un bouton se trouve
inexorablement conduit à scruter, la
loupe à l'œil, le grossissement
imperceptible et de siècle en siècle de
la boîte osseuse que ses ancêtres lui
ont laissée en héritage. Il se trouve
seulement que la balance à peser le
peseur en retour demeure difficile à
construire, parce que la mensuration du
poids et du volume de notre matière
grise ne nous renseigne pas sur son
contenu.
C'est
pourquoi la silhouette de M. Nicolas
Sarkozy apparaît à chaque page du "Petit
démagogue illustré", le nouveau
manuel dans lequel l'agonie de la
civilisation occidentale trouve les
paradigmes de ses protagonistes et de
ses fossoyeurs.
2 - Entre
l'enclume de la démocratie et le marteau
de la tyrannie
Les paramètres psychobiologiques du
trépas des civilisations changent sans
cesse de nature et d'échiquier. Ce sont
les mêmes codes d'interprétation qui ne
cessent de bouleverser la signification
du récit. On cherche la méthode qui
fournirait ses lumières et son mode
d'éclairage à des prémisses qui
modifient constamment leur portée et
leur calibre sous nos yeux. Il s'agit de
décrypter le déclin de l'empire romain
tel qu'il s'inscrit dans la postérité de
Darwin et sur la rétine de M. Nicolas
Sarkozy, parce que les décadences
s'incarnent dans des acteurs
microscopiques, mais en chair et en os.
On sait qu'aux yeux de tous les
déchiffreurs du destin de la ville
éternelle, l'esprit municipal des
sénateurs n'était plus de taille à
diriger le cyclope et que leur grain de
raison attendait un maître qui
substituerait les catastrophes
qu'engendre la tyrannie aux désastres
liés à la pauvreté cérébrale des peuples
de la Liberté. Cette situation est celle
de l'Europe actuelle. Si la minusculité
intellectuelle des démocraties n'était
devenue hégémonique, jamais un démagogue
sautillant tel que Nicolas Sarkozy
n'aurait pu se trouver élu Président de
la République française. Il y a fallu
l'alliance de la corruption généralisée
d'une société à bout de souffle avec
l'ignorance titanesque des affaires de
la planète dont témoignent
nécessairement les notables locaux. Mais
l'impuissance du suffrage universel à
recruter de vraies élites s'est étendue
à un continent en attente d'Auguste, de
Trajan, de Hadrien, de Marc-Aurèle et
guetté dans les coulisses par Tibère,
Caligula, Claude et Domitien. Du coup,
seul le regard que le
pithécanthropologue enseigne à porter
sur le destin de la boîte osseuse de
notre espèce se révèle en mesure de
faire avancer parallèlement la science
de la mémoire et la politologie
mondiale.
Quand
Pompée est revenu à Rome tout auréolé de
l'éclat de ses victoires en Judée,
l'esprit villageois du sénat s'est armé
d'une carapace cérébrale dont chacun
s'est fait un bouclier. L'identité
collective d'un ego sénatorial impérieux
et que Freud appellera le "surmoi"
reprochait à Pompée un "ego
surdimensionné", comme on dirait
aujourd'hui. L'épaisseur de l'os frontal
sous lequel les corps constitués cachent
l'hypertrophie de leur orgueil exige de
l'individu séparé du troupeau qu'il
rentre la tête dans les épaules et se
réduise à l'anonymat. Tout groupe
simiohumain occupe son glorieux poitrail
sous l'affichage vaniteux de sa toison
sociale; le Sénat vassalisé chantait son
propre sceptre sous l'apparat de
l'institution auto-magnifiée qui faisait
de tous un seul et majestueux blason.
3 - Le regard du
simianthropologue
La même feinte s'est répétée d'instinct
à la suite de l'assassinat de Jules
César: Octave - le futur Auguste - à
peine sorti de l'adolescence et
richissime avait tenté d'apporter au
Sénat d'une République subitement
retrouvée le soutien des deux légions
qu'il entretenait à grands frais et de
les lancer dans le combat pour la
résurrection d'une démocratie dont
Cicéron symbolisait les espérances. Le
peuple romain avait été humilié par le
vainqueur des Gaules, disait le bel
éphèbe. Jules César n'avait-il pas été
autorisé par ses confrères jaunes
d'envie à se présenter au Sénat avec une
couronne de lauriers sur la tête? Mais
les sénateurs n'ont pas manqué de
traiter le jeune secouriste en quantité
non moins négligeable que leur Pompée
rentré dans le rang: Cicéron paiera de
sa tête la sotte vanité d'une
institution effrayée qu'on empiète sur
ses prérogatives artificiellement
revigorées par l'éclat d'un vertueux
assassinat.
Le simianthropologue est un observateur
des efforts pour se désembourber d'une
espèce empêtrée dans un gâchis politique
sans remède et auquel elle se trouve
livrée de naissance. Aussi hisse-t-elle
un dieu parfait dans les nues. Mais ce
substitut d'un congénère qui se rendrait
digne de la majesté de l'Etat romain
demeure introuvable. Faute de mieux, les
fiers républicains s'empressent bientôt
à la cour de l'un des leurs et adorent
leur divinité de remplacement, tellement
la petitesse du simianthrope oscille
entre deux abaissements qui lui sont
congénitaux, celui que forgent les
vanités collectives et celui que nourrit
sa courtisanerie. Tacite voit la
reptation des sénateurs aux genoux de
leur Jupiter en miniature prendre la
relève de leur anonymat prétentieux et
vengeur. Mais que le pithécanthrope se
fasse un bouclier de la coquille sous
laquelle il se tient tapi ou qu'il
volète autour d'une flammèche, il s'agit
toujours de gagner quelque éclat et de
retirer quelque profit des atours
collectifs ou solitaires qui le
fascinent tantôt dans l'ombre et tantôt
en pleine lumière.
On voit que la grille de lecture de la
pithécanthropologie ne réfute en rien la
problématique traditionnelle des Tacite
ou des Montesquieu - celle que tous les
grands historiens du passé ont mise en
évidence dans leurs analyses du naufrage
des civilisations. On voit également que
ce schéma s'applique de nos jours à une
Europe que deux siècles de progrès de la
psychologie, de l'anthropologie critique
et de l'ethnologie ont instruite dans la
postérité de Darwin. Mais, comme il est
dit plus haut, les mêmes coordonnées
changent de sens de se situer dans une
autre anthropologie critique. Einstein
soulignait qu'on ne réfute pas une
proposition à la lumière du code de
référence qui a conduit à la formuler.
4 - Qui est M.
Sarkozy?
Il faut
en prendre acte sans tergiverser: il est
indubitable que, depuis la Grèce
antique, l'histoire de l'avortement des
démocraties nous rappelle que l'échange
pur et simple d'un M. Hollande contre un
M. Sarkozy à la tête de l'Etat ne
résoudra en rien l'aporie de nature
anthropologique que Platon a observée
dans la République, celle
de l'impossibilité de jamais
sélectionner des chefs d'Etat de génie à
l'école du peuple-roi, lequel ignore
nécessairement les arcanes de la
politique des nations. Qu'en sera-t-il
donc de l'engloutissement politique
inexorable du continent de Copernic et
de Darwin? Car nul ne saurait découvrir
la recette qui ouvrirait les yeux de la
multitude; mais les tyrannies illustrent
seulement l'autre face d'une espèce aux
neurones ingouvernables, ce qui lui fait
colloquer dans le ciel le chef d'Etat
imaginaire que sa perfection vaporisera
dans l'atmosphère.
On
entend des journalistes expérimentés
déclarer sans détour et sur le ton de
l'indifférence blasée que M. Nicolas
Sarkozy est un "excellent candidat et
un mauvais président"; et pourtant
personne ne prend le risque de traiter
du problème psychobiologique que soulève
ce constat, à savoir qu'il ne s'agira
pas seulement de rappeler qu'un
démagogue échouera toujours et
nécessairement à diriger un Etat, mais
qu'il faudra préciser, de surcroît, les
causes simianthropologiques pour
lesquelles il en est ainsi. Quelles sont
les raisons d'origine parazoologique de
l'échec inévitable de l'Europe
politique? Certes l'incompatibilité est
viscérale entre l'éducation, la
formation, le tempérament, la tournure
d'esprit, la culture et la vision du
monde d'un démagogue d'un côté et celles
d'un chef d'Etat de l'autre. Mais qu'en
serait-il d'un dirigeant conscient des
apories anthropologiques auxquelles la
politique se heurte depuis la nuit des
temps?
Pour que, pendant cinq ans, M. Nicolas
Sarkozy ait pu apporter aux yeux du
monde entier et de manière hallucinante
la démonstration de ce qu'un chef d'Etat
n'est pas, et pour que son exemple
remplisse un album d'images qui
enrichiront pendant des décennies la
simianthropologie, il faut bien que
l'effigie du véritable homme d'Etat
présente quelques traits qui le rendent
reconnaissable. Les repoussoirs criants
sont plus instructifs que les demi-sels,
tellement un seul spécimen
hyper-significatif dans son ordre vous
fournira une manne plus riche
d'observations que vingt bâtards.
Molière accumule sur un seul avare, mais
paradigmatique à souhait tout ce qu'il a
appris par l'observation de nombreux
avares dessinés par les Plaute et les
Pétrone.
Si le père Grandet de Balzac transporte
enfin l'avarice de la comédie à la
tragédie, M. Nicolas Sarkozy lui, figure
l'archétype auquel nous devrons l'accès
à la tension dramatique de l'aventure
d'un petit démagogue subitement hissé à
la tête d'un grand Etat. L'effarement
d'un personnage de vaudeville
malencontreusement véhiculé sur le
théâtre du tragique illustrera une
histoire du monde mal connue, celle qui
révèlera que le démagogue n'est pas
seulement un agité dont tout le génie se
ramène à séduire une masse d'ignorants
et de naïfs de bonne volonté, mais le
témoin caricatural d'une civilisation à
l'agonie - un personnage shakesperien.
Mais ce constat ne nous conduira à la
pesée des gènes et des neurones des
vrais hommes d'Etat que si les
descendants de Darwin prennent enfin le
recul d'une anthropologie à l'égard des
évadés de la zoologie.
-
Comment peser
les civilisations? (2)
26 février 2012
Lisez
Yasmina Reza qui, dès 2007, a vu, de ses
yeux vu Nicolas Sarkozy tomber des
cintres sur les planches d'un théâtre
inconnu et incompréhensible à son
entendement: "Soudain il se lève,
s'empare d'un petit meuble moderne
insignifiant, moitié table de chevet qui
se trouve près d'une fenêtre, et sans
aucune raison va le poser contre le mur
opposé. Puis il revient s'asseoir. Je
dis, c'est fou ce que tu viens de faire.
Il dit, ah bon?" (L'aube le soir ou
la nuit, Flammarion 2007, p.
180)
Comment cet acteur terrifié aurait-il
subitement changé d'interlocuteur dans
sa tête, comment aurait-il soudainement
renvoyé derrière le rideau les illusions
qui servent d'herbage et de pâturage au
suffrage universel, comment aurait-il
pris à bras le corps l'histoire du
trépas de l'Europe, celle que les
Thucydide, les Tacite, les Montesquieu,
les Cervantès, les Swift ou les
Shakespeare ne lui ont pas racontée?
5 -
L'eau lustrale de la conscience
universelle
Sachez,
les enfants, que notre astéroïde est
désormais piloté par le mythe d'une
liberté et d'une justice universelles,
apprenez, les petits, que la reine
chargée de guider cet évangile sur la
terre est une certaine Blanche Neige que
tous les peuples et toutes les nations
du monde appellent maintenant la
Démocratie. Il faut donc rien de
moins que les ressources de l'esprit
blagueur des Gaulois pour que ce peuple
se joue à lui-même une comédie du
bonheur de ce genre. On y raconte que,
depuis 1958, le chef de cette heureuse
nation dirige non seulement avec succès
la politique étrangère du pays, mais
qu'un appareil législatif lourd, coûteux
et inutile assure sa félicité. On y voit
les bancs déserts et les travées plus
fréquentées d'une Assemblée nationale et
d'un Sénat où des centaines de députés
et de sénateurs expriment leur béatitude
républicaine à ne briller que par leur
absence. C'est qu'ils se trouvent
allégés de la tâche de proposer des lois
au pays, c'est qu'ils ne sont présents
que pour épuiser le trésor public.
Savez-vous que les Etats-Unis ne
disposent que d'un quart de l'immense
réservoir de fantassins du législatif de
la Gaule, alors que la population de
l'empire du dollar s'élève au quintuple
de celle des descendants de
Vercingétorix ? Tout ce beau monde roule
carrosse aux frais des citoyens, toute
cette cour du peuple-roi fait vivre le
mythe de la Liberté sur un grand pied.
De plus, cette gigantesque fourmilière
de théologiens de l'Egalité s'est lovée
dans des cabinets capitonnés; et ce
somptueux Versailles de la Fraternité
nous renvoie aux rites et aux rubans des
mandarins de la Chine du XIXe siècle.
Sitôt qu'il en sent le prurit, le
Mamamouchi de la France ordonne au
gigantesque fantôme de République qui
porte la livrée de la souveraineté du
peuple de 1789 de déposer sur le bureau
de l'Assemblée nationale et du Sénat un
projet de loi, mais toujours seulement
de circonstance.
Dès le lendemain, le texte législatif
sera voté par l'écrasante majorité des
épaules porteuses du fardeau des
béatitudes électorales du pouvoir
suprême. Une parodie de démocratie de ce
genre n'est devenue possible qu'en
raison de l'incapacité inhérente au
suffrage populaire de tous les temps de
jamais élire des représentants instruits
à la haute école du pilotage d'une
grande nation sur la scène du monde.
Cette tragédie a été minutieusement
décrite par Platon, comme il est rappelé
ci-dessus - mais il suffit de rappeler
comment Philippe de Macédoine s'est joué
des délégués d'Athènes, parmi lesquels
figurait Démosthène, pour retrouver tous
les traits d'Israël face aux
négociateurs du Fatah.
Ces Athéniens distingués, ces excellents
orateurs sur l'Agora, ces enjoliveurs de
la démocratie des Lettres et des Arts
s'exclamaient à chaque bon mot du roi,
saluaient son esprit de répartie, son
génie de la synthèse et son exquise
courtoisie - mais, à l'exemple de M.
Olmert et de M. Netanyahou, le roi
faisait traîner en longueur les
prétendues négociations et les faux
pourparlers avec ses hôtes. Non
seulement ses conquêtes antérieurs
devaient lui demeurer acquises, mais
également celles qui tomberont dans son
escarcelle au cours du débat. C'est que
les élus du peuple n'ont pas la trempe
requise pour croiser le fer avec des
chefs d'Etat - ils transportent
seulement les recettes d'assemblée et
les bavardages entre notables sur un pré
qui leur est inconnu.
C'est pourquoi le chef d'un Etat porteur
des procédures diplomatiques d'une
démocratie n'est jamais qu'un fantoche
ridicule sur une scène où toutes les
démocraties puissantes du passé furent
des empires. Comment préparer les
candidats à l'exercice de la
magistrature suprême si toutes les
Athènes sont seulement à usage interne?
Il y faudrait une méthode tellement
coercitive qu'elle interdirait de
baptiser un Sarkozy dans l'eau lustrale
du suffrage universel. Mais, non
seulement cette question de fond n'a pas
progressé d'un pouce depuis l'antiquité
grecque et romaine, mais elle se place
désormais au cœur du nouveau mythe de la
rédemption, celui qui met en scène une
liberté verbifique et auto-messianisée
par un évangélisme tout vocal. Voyons
donc de plus près comment la démocratie
sotériologisée par son propre encens
fait flotter son étendard sur les
glorieux tréteaux de la conscience
universelle.
6 -
L'Europe à l'heure d'Hannibal
Le scandale d'une déraison collective
brodée en lettres d'or sur le drapeau de
la raison elle-même n'est plus seulement
celui des meneurs au petit pied qu'on
voyait brandir l'effigie des Républiques
d'autrefois; le vrai scandale est
maintenant devenu le spectacle public de
la conversion soudaine et évidemment
simulée d'une classe politique de
batteurs d'estrade tout époumonés à
jouer le rôle de prêcheurs et de
sermonnaires de la Liberté.
Que M. Nicolas Sarkozy demeure
viscéralement étranger à l'arène de la
politique internationale, cela s'est vu
tout de suite. C'était, souvenez-vous, à
l'occasion de sa première rencontre avec
M. Poutine, dont il est revenu non point
en homme d'Etat impressionné par
l'étendue des responsabilités de son
interlocuteur, mais en arriviste allègre
et encore tout surpris de s'être assis
un instant à la table où les empires se
disputent le sceptre du monde à la force
du poignet. Visiblement, ce n'était ni
un successeur de Pierre le Grand ou de
Catherine II qu'il avait rencontré, ni
même un compagnon de route indispensable
à la France sur la scène internationale,
mais un interlocuteur parmi d'autres,
devant lequel il ne s'agissait nullement
d'afficher l'audace d'un néophyte
désireux de s'instruire ou
l'outrecuidance bien simulée d'un
apprenti de la géopolitique, mais
d'étaler une ignorance qui ne se doutait
en rien des métaphores et des armes qui
permettent aux grandes puissances de
tracer leurs sillages entre les récifs
de la mort.
Mais
l'enfant mal élevé et l'ilote auquel il
a fallu enseigner les usages du monde,
est-ce lui ou bien l'Europe des
offrandes parfumées à la démagogie?
Est-ce lui ou bien la France mise sur la
touche? Si les Etats sans tête du Vieux
Monde tanguent et chavirent, si Rome,
Paris, Berlin, Madrid ne savent sur quel
pied danser, qu'en est-il du "problème
de comportement" qu'évoquait la
seconde femme de M. Sarkozy? Cet enfant
issu d'un quartier difficile, dirait-on,
c'est un Vieux Continent qui a perdu
l'usage des bonnes manières, c'est un
gamin qui porte son couteau à la bouche
dans les dîners officiels, c'est un
garnement se tord de rire dans le
carrosse de la reine d'Angleterre, c'est
un garçonnet qui tape familièrement sur
l'épaule de tout le monde, c'est un
chenapan qui chipe leur stylo à ses
interlocuteurs de marque. Le quinquennat
de M. Nicolas Sarkozy est un livre
d'images ; un artiste de la bande
dessinée aura un jour le génie d'en
faire un traité de l'Europe sans gêne et
un précieux aide-mémoire à l'usage des
générations futures, parce que le
suffrage universel d'une grande
puissance européenne n'aurait jamais pu
porter un ludion à l'Elysée si le vrai
malade était seulement la bête de scène
hissée pour quelques instants sur les
tréteaux de la République française,
mais une civilisation en décomposition.
Non, jamais le peuple romain n'aurait
élevé un histrion au consulat en lieu et
place de Scipion l'Africain, jamais le
Sénat n'aurait nommé un Nicolas Sarkozy
à la tête des légions à l'heure
d'Hannibal.
7 - La friandise
de la vassalité
Mais précisément, quel est le rôle que
la scène internationale réserve à
l'Europe et à la France d'aujourd'hui
pour que cette effigie gesticulante ait
pu prendre figure de paradigme de la
mort politique d'un continent? Car
enfin, cet acteur aux cent mimiques a
trôné cinq ans durant au cœur d'une
civilisation quadrillée par cinq cent
garnisons d'un empire étranger
incrustées sur son sol, cet acteur tour
à tour hilare et grimaçant a replacé la
France sous l'étendard des légions
lovées sur le territoire de l'Europe.
De toute évidence M. Nicolas Sarkozy
ignore que l'expansion économique et
militaire de l'empire américain sur la
planète du mythe démocratique n'est
nullement le fruit d'une conjuration que
piloterait un quarteron de comploteurs
cachés dans les coulisses de la Maison
Blanche, mais le fruit d'un
grossissement implacable et inscrit dans
les gènes de tous les empires depuis les
Assyriens. Cette croissance inexorable
progresse jusqu'au jour où un autre
colosse atteint la taille cyclopéenne
qui seule lui permettra de mettre un
terme à l'élan planétaire du Titan d'en
face. Mais qui le sait ? L'Europe est
devenue un universel Sarkozy.
Le candide M. Gorbatchev l'ignorait, lui
aussi, puisqu'il s'est laissé berner
comme l'enfant de l'Elysée par les
promesses solennelles de Washington de
ne pas étendre son règne sur le
territoire des ex-vassaux de l'empire
soviétique; M. Medvedev s'est également
laissé leurrer comme un benêt professeur
de droit de Saint Petersburg - M. Barack
Obama s'est fait un jeu de piéger
gentiment ce naïf - voyez le gigantesque
bouclier anti-missiles qu'il a installé
au cœur de l'Europe asservie. Et
maintenant un vrai chef d'Etat est de
retour à Moscou, et maintenant l'Iran, à
nouveau soutenu par le Kremlin,
demandera au Vieux Continent de secouer
le joug du César d'outre-Atlantique; et
maintenant, un Bolivar de l'Europe
rêvera d'unifier l'empire romain de
Lisbonne à Vladivostok.
Mais ne
vous attendez pas au naufrage de tous
les petits Sarkozy de l'Europe: la
servitude est le plat le plus succulent
des déclins, la vassalité se déguste
comme une friandise et M. Sarkozy aura
lampé ce potage, M. Sarkozy l'aura puisé
à la louche, M. Sarkozy l'aura bu à
pleines rasades . Jamais il n'aura
seulement jeté un regard sur les vraies
cartes du jeu. Mais qui s'est exclamé
sur le préau: "Mais c'est mon copain",
à l'occasion de l'élection de M. Barack
Obama à la Maison Blanche, sinon
l'Europe entière prosternée devant le
pacificateur, le délivreur du monde, le
prix Nobel de la paix du vainqueur!
8 - L'infirmité
de l'Europe et Israël
Mais qu'en est-il de la corpulence ou
des infirmités d'une Europe orpheline de
ses Christophe Colomb? Sait-elle que la
servitude et la petitesse d'esprit des
nations s'apprennent et se désapprennent
à l'école de leurs dignités et de leurs
rangs, sait-elle que la vassalité d'un
bambin égaré parmi les grands peut
s'exprimer avec le plus parfait naturel,
sait-elle que le talent des serveurs-nés
de ne jamais choisir franchement leur
camp et de s'épuiser seulement à
conserver leur emploi à l'office leur
permet de se targuer longtemps de
l'estime et des grâces de leur maître?
Quel
spectacle que celui de la France d'un
ludion, quel spectacle que celui du faux
géant de la Maison Blanche ficelé à
Guantanamo, quel spectacle que celui
d'un Gulliver américain ligoté sur le
char du sionisme, quelle scène de
théâtre que celle du Président de la
République française suppliant le
colosse sourd et muet de Washington
d'accepter un dîner à Lilliput, quelle
dérision qu'un enfantelet étonné de ce "refus
de la main tendue", tandis que le
nouveau maître du monde tentait
d'inviter M. Chirac à sa table, parce
que les hommes d'Etat respectent les
échines redressées!
M.
Nicolas Sarkozy voulait contenter "tout
le monde et son père", comme disait
La Fontaine, la France et l'Europe font
de même. Mais ne vous y trompez pas,
bien que M. Sarkozy se soit rendu au
CRIF en chair et en os, ce n'est pas sa
carcasse qui a permis d'étaler le
pouvoir dont jouit la communauté juive
de France de réduire en janvier la
classe politique tout entière du pays à
lui exprimer sa titanesque allégeance au
grand jour. Seul, M. Bayrou ne s'est pas
rendu au solennel rendez-vous annuel de
la France avec Israël, seul il a boudé
la cérémonie traditionnelle au cours de
laquelle toute la classe dirigeante de
la République affiche sa soumission au
peuple biblique sous les yeux de la
communauté internationale sidérée. Mais
quel motif l'hérétique a-t-il prudemment
allégué? Le communautarisme, dit-il, ne
serait pas le fort de la laïcité.
Langage précautionneux s'il en est, mais
combien révélateur: s'il s'agissait
effectivement de l'ethnie hébraïque,
laquelle aurait mystérieusement conservé
sa spécificité durant trois millénaires,
il n'y aurait pas de raison qu'elle
offrît un banquet à son hôte à chaque
millésime. Sous des apparences
trompeuses, c'est le vrai maître de
maison qui honore ses fidèles
serviteurs. Mais M. Bayrou a signé son
arrêt de mort politique: jamais le
peuple de Jahvé ne lui pardonnera son
impiété. On ne refuse pas de s'asseoir à
la table du souverain du monde. Mais,
ici encore, demandez-vous qui est M.
Bayrou? Ce n'est pas lui que nous
voyons, c'est l'Europe.
9 -
Mange ta soupe, Europe, et tais-toi
Que
diraient les Swift, les Cervantès, les
Molière d'une Europe dont Israël est
devenu la voix? Assurément, ce serait un
Hollande ou un Sarkozy en chair et en os
qu'ils se verraient contraints de faire
monter sur les planches, parce que les
dramaturges n'ont pas le choix des
squelettes qu'ils mettent en scène. Mais
depuis quand l'écrivain de génie
serait-il l'anatomiste de ses héros? Il
appartient aux historiens de humer les
odeurs de l'Histoire, aux géants de
l'écriture de fouailler les entrailles
d'une Europe à laquelle Israël a dit: "Mange
ta soupe et tais-toi". Les
ressources d'Eschyle et de Sophocle ne
sont pas taries; demain, ils peindront
l'effigie d'un fantôme qui s'appelait
l'Europe.
J'ai évoqué plus haut un auteur de bande
dessinée qui saurait que le vrai roi
Lear ne joue pas le rôle d'un petit roi
d'Angleterre, que le vrai Macbeth n'est
pas un certain Monsieur Macbeth, que la
vraie Antigone ne s'appelle pas
Mademoiselle Antigone, que le vrai
Sarkozy n'est pas celui qui figure sur
sa carte d'identité. C'est l'Europe du
trépas qui fait monter cet acteur sur la
scène. Qui peindra la tragédie des
funérailles d'une civilisation dont une
bête de scène illustre le sépulcre, qui
dira que ce porte-voix d'un mort n'est
pas de chair et de sang, qui dira que
Shakespeare s'amuse à doter d'un état
civil le destin d'un continent,
tellement les ossements de M. Nicolas
Sarkozy, c'est l'Europe d'un cadavre qui
échoue à seulement monter sur les
plateaux du funèbre . Demain, la France
de Shakespeare sera représentée par
l'effigie d'un autre trépassé, un
certain M. Hollande, qui mettra à son
tour et année après année ses pas dans
ceux du fossoyeur de la démocratie
mondiale - Israël, le conquérant et le
colonisateur de la Palestine.
La semaine prochaine j'observerai de
plus près le spectre du Tamerlan
biblique dont M. Sarkozy aura porté pour
un lustre la vêture; et nous verrons
bien si la cérémonie mortuaire est plus
vraie au royaume des ombres éternelles
que la carcasse qui se sera agitée un
instant sous nos yeux.
Dernière minute
Le Conseil
Constitutionnel et le droit
international
Ayant consacré deux analyses à réfuter
la légitimité de la loi votée le 23
décembre 2011 par l'Assemblée nationale
et par le Sénat sur le massacre des
Arméniens en 1915, je dois à mes
lecteurs un commentaire anthropologique
de la décision du Conseil
Constitutionnel d'invalider cette
législation, mais, hélas, pour des
raisons incohérentes et révélatrices de
la décadence du droit dans l'agonie de
la civilisation européenne.
-
Le
génocide arménien et la
souveraineté du peuple français
(2),
22 janvier
2012
-
Le
génocide arménien et la
souveraineté du peuple français
(1),
15 janvier
2012
Car, faute de courage politique, le
Conseil Constitutionnel a seulement
démontré à nouveaux frais qu'il sera
impossible de jamais reconquérir la
rigueur logique qui présidait à la
science juridique des Romains sans un
décodage du fonctionnement du cerveau
religieux et théologique des Etats
monothéistes, tellement le sacré se
révèle la clé des lois rétroactives et
de l'inculture juridique des déclins.
Si les lois pénales civilisées ne sont
jamais rétroactives, la définition des
délits et des crimes nouveaux et
inconnus du législateur d'hier ne le
sont évidemment pas davantage. C'est
pourquoi Saint Paul, citoyen romain,
soutient que le péché n' existait pas
avant la promulgation de la loi divine,
qui aurait fondé le juste et l'injuste,
le bien et le mal, le vrai et le faux.
Mais par la suite, et pendant des
siècles, l'Eglise a voué à la damnation
éternelle, donc aux rôtissoires
infernales les nouveau-nés morts avant
qu'on ait eu le temps de les plonger
dans l'eau salvatrice du baptême et de
la rédemption; et pendant des siècles
également, les écrivains et les
philosophes de l'antiquité grecque et
romaine ont été damnés en raison de leur
culpabilité pleine et entière, d'être
nés avant la révélation du salut du
genre humain. Ce n'était pas un malheur,
mais une faute d'avoir raté l'effacement
in extremis du péché originel, c'était
un crime de n'avoir pas prévu qu'une
divinité longtemps rancunière allait
subitement changer son fusil d'épaule et
se rendre miséricordieuse, mais en
échange d'une repentance dispendieuse et
sans fin ici bas.
Même si le massacre des Arméniens de
1915 obéissait à la définition
postérieure du génocide élaborée par le
tribunal de Nuremberg aux fins d'armer
le vainqueur du glaive de la justice, la
notion de "génocide" ne serait pas
applicable à la Turquie de 1915. Sinon
il faudrait traiter de génocides les
guerres de religion, les croisades, la
saint Barthelemy, les épurations
staliniennes, la guerre d'Algérie et
d'autres carnages de diverses natures;
et le clergé international des Etats
démocratiques serait en droit de mettre
la France en demeure d'emprisonner les
Français qui nieraient le "génocide" des
Vendéens en 1793.
C'est pourquoi Ankara se trouve
pleinement légitimé par le droit
international de défendre non seulement
l'identité et la dignité de la nation
turque, mais le fondement même de la
civilisation mondiale des Etats
démocratiques; et c'est la Turquie qui
se montre une civilisatrice de la
science des lois à rejeter une
stigmatisation para religieuse empruntée
à l'esprit théologique du Moyen Age. La
nature pénitentielle du débat est
d'autant plus évidente qu'on demande à
l'ex-empire ottoman de se purifier, donc
de confesser le dogme et de se repentir
publiquement de son hérésie.
Le
Conseil Constitutionnel a suivi Pierre
Nora et Robert Badinter qui ont, certes,
raison de souligner qu'aucun Etat ne
jouit des prérogatives sacrées d'un
législateur mondial du péché, que le
Parlement français a usurpé les droits
d'une autorité dogmatique universelle et
enfin qu'il n'est pas habilité à porter
atteinte motu proprio à la
liberté d'expression qui me permet,
merci bien, d'écrire ces lignes sans
craindre le bûcher. Mais leurs arguments
passent outre à la fois à la logique
interne dont la science juridique
mondiale se veut l'expression depuis la
Loi des douze tables et au fondement
anthropologique de la question de droit,
qui fait de la non-rétroactivité des
lois pénales l'âme de tous les Etats
civilisés. On me dira que les
mythologies religieuses donnent aux
croyances le pas sur les verdicts de la
raison. Mais précisément, pourquoi
défendre les droits de la pensée
démonstrative à l'aide des armes qui
permettent aux Eglises d'asséner leur
autorité? Les astronomes n'ont jamais
défendu l'autorité Copernic au nom du
dogme géocentriste, mais seulement avec
leur télescope.
Une fois
de plus, le Conseil Constitutionnel aura
obéi à un réflexe ecclésio-centriste
enfoui dans l'inconscient théologique de
notre culture: à l'entendre, les Etats
puissants disposeraient du pouvoir de
terrasser la liberté d'expression et la
loi Gayssot serait légitimée par leur
coalition. C'est violer ouvertement le
droit international dont la Commission
des droits de l'homme de l'ONU a tenu à
rappeler la logique interne encore tout
récemment, le 23 septembre 2011: la
liberté d'expression est inaliénable et
opposable à tout pouvoir temporel ou
religieux. Si elle ne l'était pas,
aucune religion n'existerait, puisque
toutes les théologies allèguent des
propositions irrationnelles par nature.
C'est dire que le Conseil
Constitutionnel de la nation de
Descartes s'est également voulu un
fossoyeur de toute la philosophie
occidentale, qui soutient depuis
vingt-cinq siècles le droit de la raison
de réfuter des mythologies à l'école des
faits.
Le
"peuple juif" européen
La
Knesset est composée de cent vingt-six
députés. Une assemblée de cent vingt
juifs européens auto-qualifiés de "peuple
juif européen" a été autorisée par
Strasbourg et par Bruxelles à siéger au
sein du Parlement de l'Union afin d'y
défendre exclusivement les intérêts
politiques de l'Etat d'Israël.
C'est
une histoire d'arroseur arrosé, parce
que ces pseudo "députés" ne
possèdent ni la citoyenneté israélienne,
ni une citoyenneté européenne qu'on
proclamerait transcendante à toutes
celles des Etats et dont la spécificité
serait de légaliser un sionisme
continental. Mais la caractéristique
principale de cette assemblée serait de
se proclamer elle-même apatride, ce qui
ne pourrait, à terme, que contraindre
les démocraties européennes à encadrer
clairement l'identité politique de ces
défenseurs d'un Etat étranger. Espérons
que l'obligation juridique du Vieux
Monde de légiférer de manière
inévitablement discriminatoire en
l'espèce sera évitée par le retrait pur
et simple du "peuple sioniste
européen" de l'Assemblée de
Strasbourg.
Le 4 mars 2012
Reçu de l'auteur pour
publication
Les textes de Manuel de Diéguez
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