Rubrique L'art de la guerre
Démolitions et
Restaurations Corp.
Manlio Dinucci
Mardi 30 août 2011
Il existe une
société multinationale qui, malgré la
crise, travaille à n’en plus pouvoir.
Elle s’occupe de démolitions et
restaurations. Pas d’édifices, mais
d’Etats entiers.
La maison mère est à Washington,
où réside, dans la White House,
le Chief executive officer (Ceo),
l’administrateur délégué. Les principaux
quartiers généraux
régionaux se trouvent à Paris et
Londres, aux mains de directeurs
rampants et d’avides comités d’affaires,
mais la multinationale a des filiales
dans tous les continents. Les Etats à
démolir sont ceux qui sont situés dans
des aires riches en pétrole ou dans une
position géostratégique importante, mais
qui sont totalement ou en partie hors du
contrôle de la multinationale. On
privilégie, dans la liste des
démolitions, les Etats qui n’ont pas une
force militaire capable, par des
représailles, de mettre en danger celle
des démolisseurs. L’opération débute en
fichant des coins dans les fissures
internes, présentes dans tout Etat.
Dans la Fédération Yougoslave, dans les
années 90, furent fomentées les
tendances sécessionnistes, en soutenant
et en armant les secteurs ethniques et
politiques qui s’opposaient au
gouvernement de Belgrade. En Libye,
aujourd’hui, on soutient et on arme les
secteurs tribaux hostiles au
gouvernement de Tripoli. Cette opération
est réalisée en s’appuyant sur de
nouveaux groupes dirigeants, souvent
formés d’hommes politiques passés à
l’opposition pour s’accaparer dollars et
postes de pouvoir. On demande ensuite
l’autorisation au bureau compétent, le
Conseil de sécurité de l’ONU, en
motivant l’intervention par la nécessité
de virer le dictateur qui occupe les
étages
supérieurs (hier Milosevic,
aujourd’hui Kadhafi). Il suffit d’un
tampon avec écrit « on autorise toutes
les mesures nécessaires » mais, si on ne
l’obtient pas (comme dans le cas de la
Yougoslavie), on continue quand même.
L’équipe de démolisseurs, déjà préparée,
entre en action avec une attaque
aéronavale massive et des opérations
terrestres à l’intérieur du pays, autour
de quoi le vide a été fait par un
embargo drastique. Pendant ce temps le
secteur publicité de la multinationale
martèle une campagne médiatique
présentant la guerre comme nécessaire
pour défendre les civils, menacés
d’extermination par le féroce dictateur.
La démolition terminée, on procède à la
construction d’un nouvel Etat (comme en
Irak et en Afghanistan) ou d’un ensemble
d’Etats croupions (comme en
ex-Yougoslavie) aux mains
d’administrateurs inféodés. L’autre
important secteur de la multinationale
est celui de la restauration d’Etats
branlants. Comme l’Egypte et la Tunisie,
le Yémen et le Bahrein, dont les
fondements ont été secoués par le
mouvement populaire qui a défenestré ou
mis en difficulté les régimes garants
des intérêts des puissances
occidentales. Selon la directive du
Ceo d’assurer une transition rangée
et pacifique, la restauration est
organisée en consolidant avant tout le
pilier sur lequel s’appuyait déjà le
pouvoir -la structure portante des
forces armées- en le repeignant avec les
couleurs arc-en-ciel de la démocratie.
On restaure ainsi les Etats touchés par
le tremblement de terre social, sur
lesquels la multinationale fonde son
influence en Afrique du Nord et au
Moyen-Orient, et, en provoquant en même
temps une secousse artificielle, on en
démolit un autre relativement
indépendant.
A la maison mère on trinque déjà
au danger écarté de la révolution arabe.
Mais en profondeur, dans les sociétés
arabes, sous les fondations du palais
impérial grondent les tensions qui
préparent un nouveau séisme.
Edition de mardi 30
septembre 2011 de il manifesto
http://www.ilmanifesto.it/area-abbonati/in-edicola/manip2n1/20110830/manip2pg/14/manip2pz/309109/
Traduit de l’italien par Marie-Ange
Patrizio
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