L'art de la guerre
Les armes du
nouvel apartheid
Manlio Dinucci
Mardi 28 août 2012
« Avec une énorme
tristesse je pleure avec vous la perte
de tant de collègues » a déclaré le 13
août, pendant le deuil national en
Afrique du Sud, le président de Lonmin
Plc. Les « collègues » sont les 34
mineurs noirs en grève tués par
la police à Marikana où Lonmin, société
dont le siège légal est à Londres,
possède une grande mine de platine. Les
mineurs faisaient la grève non seulement
pour des salaires plus élevés, mais
contre un insoutenable système
d’exploitation. Lonmin, qui jure agir
avec « honnêteté, transparence et
respect », se procure une grande partie
de sa main d’œuvre à travers des
sous-traitances dans des communautés
éloignées de la mine, en exerçant un
chantage contre les travailleurs et en
les dressant les uns contre les autres.
Et même si son « code moral » affiche un
« risque zéro pour les personnes et
l’environnement », le recours au travail
précaire est la cause de fréquents
accidents mortels, auxquels s’ajoutent
les graves dommages sanitaires et
environnementaux provoqués par les
déchets de la mine. Celle-ci confisque
même l’eau aux habitants, qui ne peuvent
l’avoir que la nuit et, de plus,
polluée. Quand 3mille mineurs ont eu
recours à une grève sauvage pour bloquer
la mine, Lonmin, le 16 août, les a taxés
de « grévistes illégaux », en leur
donnant, sur la base d’une « ordonnance
du tribunal », «l’ultimatum final » : ou
bien immédiatement au travail ou
licenciés. Pour 34 d’entre eux
l’ultimatum a vraiment été final : la
police les a tués, provoquant aussi 78
blessés en frappant dans le dos nombre
d’entre eux pendant qu’ils fuyaient.
Quatre jours plus tard, Lonmin annonçait
qu’ « à Marikana la situation est
calme » et qu’un tiers des 28mille
mineurs avait repris le travail.
Le président d’Afrique du Sud
Jacob Zuma (Congres national africain,
ANC) a nommé une commission d’enquête
pour éclaircir les responsabilités de la
tuerie. Il est évident que quelqu’un la
voulait, cette tuerie : sinon, contre
des manifestants armés de bâtons, on
n’aurait pas envoyé des policiers armés
de fusils d’assaut automatiques. Il est
facile de comprendre qui a été le
mandant occulte : les mineurs ont été
tués par des balles en platine.
L’industrie sud-africaine du platine
–qui couvre 80% de la production
mondiale de ce métal stratégique (il
sert entre autres à fabriquer les pots
catalytiques)- est dominée par trois
groupes multinationaux ; Lonmin,
Impala Platinum Holding et
Anglo American Platinum. L’apartheid
politique a été extirpé par la longue et
dure lutte menée par l’Anc, mais ses
racines économiques demeurent. Raison
pour laquelle la Ligue de la jeunesse Anc,
contournant les sommets du parti,
demande la nationalisation des mines.
L’affaire va bien au-delà de l’Afrique
du Sud. Elle est emblématique d’un
apartheid global, à travers lequel de
puissantes élites économiques et
financières s’accaparent la richesse
produite avec le travail et les
ressources du monde entier, en excluant
la plus grande majorité de la planète de
leurs bénéfices. Quand on se rebelle
contre leur pouvoir, les armes pointent
sous le manteau de la légalité. Il n’y a
donc pas à s’étonner si, sur la base de
la loi H.R. 3422[1]
du Congrès étasunien, le matériel
guerrier[2]
retiré d’Irak et d’Afghanistan sera
utilisé pour donner la chasse aux
travailleurs mexicains qui, exploités
dans les
maquiladoras, essaient d’entrer aux
Etats-Unis pour avoir des salaires plus
élevés. Pour les confiner derrière le
mur du nouvel apartheid on utilisera les
drones qu’on vient juste de tester dans
les guerres menées pour les mêmes
intérêts des multinationales.
Edition de mardi 28
août 2012 de
il manifesto
http://www.ilmanifesto.it/area-abbonati/in-edicola/manip2n1/20120828/manip2pg/14/manip2pz/327823/
Traduit de l’italien par Marie-Ange
Patrizio
Apostille de la
traductrice :
Sur le site de la multinationale, on
trouvera la galerie de portraits des
« collaborateurs » dirigeants (pas
encore éplorés) de
Lonmin Plc. : tous (sauf deux) bien
blancs, et (so) « british » :
https://www.lonmin.com/about_us/Management_Profile.aspx#ed
On trouvera aussi au chapitre « Principaux
risques » le paragraphe suivant,
autre témoignage, sans doute, du
« code moral » de la
multinationale :
« Risques
liés aux salariés :
Comme indiqué plus haut, les activités
minières en Afrique du Sud sont
fortement syndiquées et, dans le cas de
Lonmin, un seul syndicat représente la
grande majorité des travailleurs du
groupe. Il existe donc un risque que des
grèves ou autres types de conflit avec
les syndicats ou les employés se
produisent qui, s'ils étaient
importants, pourraient avoir un effet
négatif sur la performance du groupe et
sa situation financière. Le SIDA reste
le défi de santé majeur que rencontrent
les activités du Groupe ; une enquête
épidémiologique de 2003 (l'une des plus
vastes jamais entreprises en Afrique du
Sud) suggère que 26% de nos salariés
sont séropositifs. En conséquence, le
Groupe a lancé un programme de
médicaments antirétroviraux pour ceux
qui veulent en bénéficier, soutenu par
un encouragement à procéder à un test
HIV par un dépistage volontaire et un
programme de test. Bien que ses
résultats aient été très encourageants,
la majorité des bénéficiaires potentiels
étant maintenant sur ART et en général
de retour au travail, le SIDA posera un
risque permanent et vraisemblablement
croissant dans l'immédiat. Les autres
défis principaux auxquels est confronté
le Groupe sont la tuberculose et autres
maladies pulmonaires professionnelles,
en particulier parmi ceux qui ont
travaillé auparavant dans les mines d'or
d'Afrique du Sud, tandis que demeure
toujours un risque qu'une autre pandémie
affecte notre main-d’œuvre."
(Traduction
Mireille Rumeau)
https://www.lonmin.com/about_us/Principal_risks.aspx .
Sida, tuberculose et « autres maladies
pulmonaires professionnelles », salaires
de misère etc. La police qui tire dans
le dos des grévistes et les patrons qui
pleurent…
Nkosi Sikelel' iAfrika !
(Ancien hymne de l’ANC, aujourd’hui
hymne de l’Afrique du Sud :
http://www.youtube.com/watch?v=MFW7845XO3g
)
[1]
http://www.govtrack.us/congress/bills/112/hr3422
« Send
Equipment for National Defense
Act or SEND Act - Directs the
Secretary of Defense, within one
year after eligible equipment
returns to the United States
from Iraq, to transfer at least
10% of such equipment to federal
and state agencies, with a
preference to agencies that will
use the equipment primarily for
U.S. southern border security
purposes. Defines as "eligible
equipment" that
equipment determined to be
suitable for use in law
enforcement activities,
including surveillance unmanned
aerial vehicles, night-vision
goggles, and high mobility
multi-purpose wheeled vehicles (humvees)(surlignage
m-ap).
Authorizes the Secretary to
waive the transfer requirement
in the case of equipment needed
for immediate use, after
certification to Congress. »
[2]
Hélicoptères, drones, viseurs
nocturnes (NdT).
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