Opinion - « L'Art de la guerre »
Les missionnaires de
l'AfriCom
Manlio Dinucci
Rome, le mardi 24 mai 2011
Présenté par le Prix Nobel de la Paix Barack Obama comme une
œuvre humanitaire d’aide au développement de l’Afrique, l’AfriCom
est en réalité une force de projection permanente destinée à
coloniser le continent noir. Son premier exploit médiatique est
de soigner des enfants malades, mais sa première mission réelle
aura été de bombarder la Libye.
À première vue on dirait des missionnaires comboniens [1].
Mais ce sont les militaires de l’AfriCom, le Commandement des
États-Unis pour l’Afrique. À Djibouti ils soignent les pauvres,
tandis qu’en Éthiopie ils construisent des écoles et au Malawi
ils font face à une urgence humanitaire. Ces bonnes actions et
bien d’autres sont l’œuvre de l’Africom. « L’Amérique a la
responsabilité de travailler avec vous comme partenaire », a
dit le président Obama dans son discours « historique » du 11
juillet 2009 au Ghana [2],
en garantissant que l’AfriCom allait avant tout contribuer à « résoudre
pacifiquement les conflits ». Et en assurant que « l’Amérique
(Etats-Unis, NdT) n’essaiera d’imposer aucun système de
gouvernement à aucune autre nation », parce que « la
vérité essentielle de la démocratie est que chaque nation
détermine son propre destin ».
Vingt mois plus tard, le 19 mars 2011, l’AfriCom a lancé
l’opération Odissey Dawn, la première phase de la guerre
dont le but réel est de renverser le gouvernement de Tripoli
pour imposer à la Libye (pays qui a les plus grandes réserves
pétrolifères d’Afrique) un gouvernement qui plaise à Washington.
Obama a aussi dit que les États-Unis s’emploient à soutenir en
Afrique des « démocraties fortes et durables », parce que
« le développement dépend du bon gouvernement ». Mission
que l’AfriCom réalise en formant en Afrique des « forces
militaires partenaires, professionnelles et compétentes, pour
créer une situation stable et sûre en soutien de la politique
extérieure USA ».
L’AfriCom contribue donc au bon gouvernement en Afrique en
s’appuyant sur ces sommets militaires que Washington juge
fiables ou pouvant être conquis. De nombreux officiers sont
formés au Centre d’études stratégiques pour l’Afrique et dans
divers programmes, surtout l’ACOTA à travers lequel ont été
entraînés environ 50 000 instructeurs et soldats africains. Même
objectif pour les manœuvres militaires conjointes, comme l’Africa
Lion actuellement en cours au Maroc, où ont débarqué 2 000
Marines. La manœuvre, à laquelle participent 900 militaires
marocains, est dirigée par un commandement conjoint mobile
(Djc2) envoyé par la US Army Africa, le quartier général de
Vicence (région Frioul Vénétie Julie, NdT) des forces terrestres
AfriCom, relié à celui des forces navales basé à Naples.
Le Djc2, explique un officier, peut être déployé « dans
n’importe quelle condition, dans n’importe quelle partie du
continent ». Même si le quartier général de l’AfriCom reste
à Stuttgart, étant donnée la réticence de quasiment tous les
pays africains à l’accueillir, et si Obama assure que ce dernier
« n’a pas pour objectif d’avoir un point d’appui en Afrique »,
l’AfriCom a déjà là une force permanente : la force
d’intervention jointe de la Corne d’Afrique, environ 2 000
hommes basés à Djibouti, qui mène des opérations (en grande
partie secrètes) dans divers pays.
L’AfriCom a aussi diverses « Stations pour le partenariat
en Afrique » : des navires de guerre qui vont de port en
port, fonctionnant comme bases mobiles où sont entraînés les
militaires africains. Les escales préférées sont celle d’Afrique
occidentale, région riche en pétrole et autres ressources
précieuses, où la frégate lance-missiles Robert G. Bradley
a visité en avril le Cap Vert et le Sénégal. Pour l’entraînement
(et pour des opérations secrètes), l’AfriCom recourt aussi à des
compagnies militaires privées, comme les tristement célèbres
DynCorp et Xe Services, payées avec les fonds d’un milliard de
dollars institués par le Département d’Etat pour « le
maintien de la paix en Afrique ».
[1]
Congrégation missionnaire connue en Italie pour ses œuvres en
Afrique ; le père A. Zanotelli, en particulier, très engagé dans
le mouvement italien anti-guerre, en fait partie. NdT.
[2]
« Discours
devant le Parlement du Ghana »,
par Barack Obama, Réseau Voltaire,
11 juillet 2009.
Manlio Dinucci, Géographe et géopolitologue.
Derniers ouvrages publiés:
Geograficamente. Per la Scuola media (3 vol.,
Zanichelli, 2008) ;
Escalation. Anatomia della guerra infinita,
DeriveApprodi (2005).
Traduction: Marie-Ange Patrizio
Source:
Il Manifesto (Italie)
Le sommaire du Réseau Voltaire
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