L'art de la guerre
Les coupeurs de
tête modernes
Manlio Dinucci
Mardi 24 janvier
2012
Comme don
emblématique de l’"amitié
italo-libyenne" rénovée, par l’opération
des nouveaux gouvernements des deux
pays, le premier ministre Mario Monti a
rapporté en Libye la tête de Domitille,
que quelqu’un avait volé il y a vingt
ans en décapitant une statue antique. En
matière de têtes coupées, Mario Monti en
effet s’y entend.
Avant de recevoir du président
Napolitano la charge de chef de
gouvernement, il a fait partie pendant
des années de la banque étasunienne
Goldman Sachs, une des plus grandes
banques du monde, dont les spéculations
(parmi lesquelles l’arnaque des crédits
subprime) ont provoqué des coupes
dans les postes de travail et les vies
humaines (à la suite de l’augmentation
des prix internationaux des céréales).
En tant que consultant international, il
était, selon Le Monde, « "ouvreur
de portes", chargé de
pénétrer
au coeur du
pouvoir européen pour
défendre les intérêts de la banque
d'affaires »[1].
Intérêts non seulement économiques mais
politiques : les plus grands
actionnaires de cette banque font partie
de l’omnipotente élite financière,
organisée en véritable gouvernement
ombre transnational, dans les salons
duquel se décident non seulement les
grandes opérations spéculatives, comme
l’attaque contre l’euro, mais aussi
celles visant à substituer un
gouvernement par un autre plus utile.
C’est dans ces salons secrets qu’il a
été décidé de faire tomber politiquement
la tête de Berlusconi : un affairiste
très utile pour le démantèlement de la
chose publique et les
« libéralisations », qui s’est cependant
fait mal voir à cause de ses accords
économiques avec la Libye de Kadhafi et
la Russie de Poutine. Devenu encore plus
incommode quand, comme le révèle le
Washington Post, il s’est mis dans
une grande colère à cause du coup joué
par la France le 19 mars, d’attaquer la
Libye, la première : Berlusconi menaçant
alors d’enlever aux alliés l’usage des
bases italiennes. Rappelé par H.
Clinton, il est rentré dans les rangs et
l’Italie, une fois le traité de
non-agression avec la Libye déchiré, a
joué son rôle dans la guerre « avec
honneur ». Ceci n’a cependant pas sauvé
Berlusconi : abandonné et tourné en
dérision par les alliés, il a dû
lui-même mettre la tête sur la
guillotine quand, sous la gestion du
gouvernement ombre transnational, les
« marchés » ont menacé de faire écrouler
son empire économique. Et c’est dans ces
salons secrets qu’on a décidé de faire
tomber la tête de Kadhafi,
matériellement, en démolissant l’état
qu’il avait construit et en
l’assassinant. Ce n’est pas par hasard
que la guerre a commencé par l’assaut
aux fonds souverains, au moins 170
milliards de dollars que l’état libyen
avait
investi à l’étranger, grâce aux
revenus de l’export pétrolier qui
affluaient pour leur plus grande part
dans les caisses de l’état, en laissant
des marges restreintes aux compagnies
étrangères. Fonds de plus en plus
investis en Afrique, pour développer les
organismes financiers de l’Union
africaine (la Banque d’investissement,
le Fonds monétaire et la Banque
centrale) et créer le dinar d’or en
concurrence au dollar. Projet démantelé
avec la guerre décidée, avant les
gouvernements officiels, par le
gouvernement ombre dont fait partie
Goldman Sachs. Dans laquelle aujourd’hui
n’a formellement plus aucune charge ce
Mario Monti qui, en habit de chef du
gouvernement italien, a débarqué à
Tripoli, accompagné par l’amiral Di
Paola, aujourd’hui ministre italien de
la défense, qui, comme président du
Comité militaire de l’OTAN, a joué un
rôle fondamental dans la guerre contre
la Libye. Ils ont apporté en cadeau la
tête de Domitille à un « gouvernement »
créé artificiellement par l’OTAN, avec
le devoir de couper (matériellement) les
têtes de ceux qui veulent une Libye
indépendante du nouveau colonialisme.
Edition de mardi 24
janvier 2012 de il manifesto
http://www.ilmanifesto.it/area-abbonati/in-edicola/manip2n1/20120124/manip2pg/14/manip2pz/316924/
Traduit de
l’italien par Marie-Ange Patrizio
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