L'art de la guerre
Le reality
show du Pentagone
Manlio Dinucci
Mardi 21 août 2012
Les commandos se jettent à la mer du
haut d’un hélicoptère et, arrivés sur la
rive en canot pneumatique, éliminent les
ennemis avec leurs fusils d’assaut,
minent un dépôt et le font exploser
tandis qu’ils repartent accrochés à
l’hélicoptère. Ceux qui accomplissent
l’action ne sont pas des
marines ou des Navy Seals, mais des
acteurs, chanteurs, champions sportifs
ou hommes d’affaires connus. Recrutés
par la chaîne étasunienne
Nbc pour le
reality show « Stars Earn Stripes »[1],
entraînés et accompagnés dans l’action
par de véritables commandos, dont les
Bérets Verts. Le but du
reality, explique Nbc, est de rendre
hommage à « nos héros » qui reviennent
des guerres, en montrant « quelles
incroyables missions ils accomplissent
dans la réalité ». Chaque compétiteur
concourt pour une somme d’argent, qu’il
laissera à une association en faveur des
militaires, poussant ainsi les
téléspectateurs à contribuer de leur
poche. Mais ce qui rend unique le
reality est son
exceptionnel animateur : le général Wesley Clark,
ex-Commandant suprême allié en Europe de
1997 à 2000.
C’est lui qui planifie les
missions des concurrents, qui les guide
et les juge. L’expérience ne lui manque
pas : c’est lui qui planifia et commanda
la guerre contre la Yougoslavie. Une
fois au repos, Clark a écrit des livres
et tenu des leçons sur comment
« conduire et gagner la guerre
moderne », sur la base de celle de 1999.
Ce fut la première guerre
effectuée par l’Otan dans ses 50 années
d’histoire, explique Clark, pour
« mettre fin à l’épuration ethnique de
Milosevic contre les Albanais du
Kosovo ». Une guerre dans laquelle
« l’Amérique (Etats-Unis
d’Amérique, NdT) fournît son
leadership et choisît les objectifs à
frapper ». Mais le Pentagone en fit
« une guerre Otan », en impliquant les
alliés qui effectuèrent 60% des attaques
aériennes. De cette façon, Wesley Clark
décrit le palimpseste d’un autre
reality show, bien plus important
que celui de
la Nbc, que le
Pentagone diffuse sur les ondes en
mondovision pour faire apparaître comme
réel ce qui ne l’est pas, en camouflant
les causes et les buts de la guerre. Il
s’en tient pour cela à deux règles :
focaliser l’attention de l’opinion
publique sur l’ennemi numéro un du
moment (Milosevic, Ben Laden, Saddam
Hussein, Khadafi, Assad, Ahmadinejad) en
montrant combien il est dangereux, et
combien est juste et urgente
l’intervention militaire ; impliquer les
alliés, mais de telle sorte que ce soit
toujours les Etats-Unis qui aient le
leadership. Dans le
reality show de la guerre il est
permis de fabriquer des « preuves »
contre les ennemis : comme celles
présentées à l’Onu par le secrétaire
d’état Colin Powell, le 5 février 2003,
pour démontrer que l’Irak possédait des
armes
biologiques de destruction
massive. « Preuves » dont Powell
lui-même a ensuite admis la fausseté, en
demandant à
la Cia
et au Pentagone d’expliquer pourquoi ils
lui avaient fourni des « informations
inexactes ». Mais désormais le
reality show de la guerre est passé
à de nouveaux épisodes : maintenant on
accuse l’Iran de vouloir fabriquer des
armes nucléaires (en feignant d’ignorer
qu’Israël en possède depuis des
décennies, et les tient pointées contre
l’Iran et d’autres pays). Des
transmissions populaires comme « Stars
Earn Stripes » contribuent aussi à
alimenter l’idée de l’ennemi et de la
nécessité de se défendre. Wesley Clark
pourrait la transmettre aussi en Italie,
en embauchant un figurant exceptionnel :
Massimo D’Alema, qui en 1999, quand il
était président du conseil, mit les
bases et les forces armées italiennes
aux ordres du futur conducteur du
reality show « Stars Earn Stripes ».
Edition de mardi 21 août 2012 de
il manifesto
Traduit de l’italien par Marie-Ange
Patrizio
[1]
« Des stars gagnent leurs
galons ».
Le sommaire de Manlio Dinucci
Les dernières mises à jour
|