L'art de la guerre
Alcoa s'en va en
F-35
Manlio Dinucci
Mardi 18 septembre
2012
Il en est passé du temps depuis que les
ouvriers avaient en face d’eux le maître
de forge. Et pourtant ils l’ignorent,
les hommes politiques et les
syndicalistes qui ne traitent l’affaire
Alcoa[1]
que comme un conflit du travail, taisant
l’identité réelle de la contrepartie.
Qu’est-ce que l’Aluminium Company of
America ?
Née en 1888 à Pittsburgh, elle
est aujourd’hui leader mondial dans
l’extraction et la raffinerie de la
bauxite et dans la fabrication de
l’aluminium et produits dérivés. Les
Etats-Unis ont pourtant peu de bauxite,
dont les gisements se concentrent en
Amérique du Sud, Afrique, Russie, Chine,
Sud-est asiatique et Australie. Alcoa a
ainsi toujours cherché à s’accaparer la
matière première, partout et de toutes
les façons. Son histoire est de ce fait
intriquée à celle de l’impérialisme
étasunien. Ce n’est pas un hasard si,
après le coup d’état orchestré par la Cia en Indonésie en 1965, avec
le massacre de plus d’un million de
personnes, ce fut Alcoa qui obtint du
dictateur Suharto la plus grosse tranche
de la bauxite indonésienne. Ce fut
encore Alcoa qui, après le coup d’état
organisé par la Cia au Chili en 1973, de
nouveau obtint par Pinochet le contrôle
de la bauxite nationalisée par Allende.
Et ce n’est pas non plus un hasard si le
président du Paraguay, l’ancien évêque
Fernando Lugo, qui voulait nationaliser
les mines de bauxite d’Alcoa, a été
destitué en juin dernier par un coup
d’état blanc organisé par
la Cia. Le
pouvoir d’Alcoa, qui possède plus de 200
sites dans 31 pays sur tous les
continents, va bien au-delà de
l’activité industrielle. Comme il
ressort de Wikileaks, il y a derrière
Alcoa les plus fortes oligarchies
financières étasuniennes, de Citicorp à
Goldman Sachs (dont Monti a été
consultant international). Il y a le
complexe militaro-industriel :
Alcoa Defense, dont le chiffre
d’affaires est en forte hausse, fabrique
des alliages spéciaux d’aluminium pour
missiles, drones, blindés, navires et
avions de guerre. Pour les chasseurs
F-35 il produit des éléments structurels
de première importance (dans
les ailes et le fuselage, d’un seul
tenant, NdT). C’est dans ce cadre de
pouvoirs forts qu’a mûri la décision
stratégique d’Alcoa, due à des raisons
non seulement économiques mais
politico-militaires : celle de réaliser
en Arabie Saoudite le plus grand et le
plus économique site intégré pour la
production d’aluminium. Dans ce maxi
site, qui entrera en fonction l’an
prochain avec une énergie et une main
d’œuvre à bas prix, formée en grande
partie par des immigrés, sera aussi
transférée la production Alcoa de
Portovesme et peut-être de Fusina.
Ainsi se conclut l’opération
lancée et perfectionnée par les
gouvernements Dini, Prodi et D’Alema[2].
En 1996 l’Italie céda à Alcoa le groupe
Alumix, à participation publique, base
de l’industrie nationale de
l’aluminium : en outre elle fournît par
l’intermédiaire de l’Enel
de l’énergie électrique à des prix
fortement réduits. Cette facilité,
concédée aussi par des remboursements
des gouvernements successifs (Amato,
Prodi et Berlusconi), a été payée par
les utilisateurs italiens avec un
alourdissement des factures pour des
milliards d’euros, qui ont fini dans les
caisses d'Alcoa. Le citron étant pressé,
Alcoa s’en va. Laissant derrière elle
non seulement des travailleurs sur le
carreau, mais des dégâts
environnementaux et sanitaires provoqués
par des émissions chimiques et des
déchets industriels, qui requièrent
d’autres débours d’argent public.
Mais tout n’est quand même pas perdu :
l’aluminium Alcoa reviendra en Italie. A
l’intérieur des F-35, qui nous coûteront
d’autres milliards d’euros.
Edition de mardi 18 septembre de
il manifesto
http://www.ilmanifesto.it/area-abbonati/in-edicola/manip2n1/20120918/manip2pg/14/manip2pz/328822/
Traduit de l’italien par Marie-Ange
Patrizio
[1]
Alcoa a annoncé la fermeture du
site de Portovesme, en
Sardaigne, qui provoquerait plus
de 1.000 licenciements.
[2]
Les gouvernements cités sont
tous de centre-gauche, exceptés
ceux de Berlusconi, de
centre-droit.
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