Syrie
L'histoire se
répète à Aqrab et Marrakech ?
Louis Denghien
Obama peut
bien décerner tous les labels de
représentativité qu’il veut à la
Coalition de Doha,
celle-ci n’est pas plus avancée sur le
terrain que feu le CNS.
Et beaucoup moins que le Front al-Nosra…
Mercredi 12 décembre
2012 On ne peut pas dire que
l’annonce – par l’OSDH – de la mort,
suite à une série d’ »attentats
» – de 125 à 150 alaouites, mardi à
Aqrab, près de Houla (province de Homs)
ait fait le gros titres de la presse
française. C’est sans doute que
l’appartenance religieuse des victimes,
indiquée immédiatement par Rami Abdel
Rahmane à l’AFP,
désigne assez les responsables, les
bandes armées islamistes dont la cruauté
n’est reconnue, aujourd’hui encore, que
du bout des lèvres par les médias bobos.
Un air de déjà vu
Sept mois plus tôt, tout
près d’Aqrab, à Houla/Taldo, un
précédent massacre, d’ampleur
comparable, avait déchaîné l’indignation
des mêmes commentateurs de l’actualité
syrienne, attribuant la mort d’une
centaine de civils, femmes et enfants
compris, à l’armée syrienne puis aux
miliciens chabihas pro-gouvernementaux.
Avant que des médias russes, mais aussi
allemands, établissent que dans leur
grande majorité les victimes
appartenaient à des familles chiites,
alaouites, et liées pour certaines à une
personnalité du régime syrien. Après que
la commission d’enquête de l’ONU,
présidée par le Brésilien Pinheiro a
rendu un faux jugement de Salomon
évoquant des «
responsabilités partagées » entre
le pouvoir et les insurgés dans ce
massacre de Houla, la presse française a
« évacué » le sujet, passant à autre
chose, et à d’autres accusations, contre
le gouvernement et l’armée syriens.
Mais, c’est à noter, même à
présent, quand ils font, ce mercredi, un
parallèle entre Aqrab et Houla, l’AFP
et
Libération refusent de reconnaître
leurs mensonges – ou, si l’on est
charitable, leur erreur – sur ce
massacre de Houla, et parlent encore des
« soupçons
» portés à l’époque par l’ONU contre le
pouvoir de Damas dans cette affaire,
sans s’étendre sur les développements
ultérieurs de l’enquête. Quant à
Reuters,
elle parle carrément de victimes «
sunnites«
‘ à Houla ! : il y a
chez ces zélateurs de la pensée unique
comme une impossibilité mentale,
structurelle, de faire leur
mea culpa,
de dire à leur public qu’ils se sont
trompés. Et l’on peut dire que cette
structure mentale est celle d’un cerveau
totalitaire, un totalitarisme policé,
cool et cravaté, mais un totalitarisme
quand même.
Pour en revenir à cette
tuerie d’Aqrab, beaucoup de zones
d’ombre subsistent. R.A.Rahmane
reconnait lui-même que les versions du
drame sont contradictoires, et il
demande la mise en place d’une
commission d’enquête internationale. Du
côté du gouvernement, on ne confirme pas
ce massacre.
Reuters
cite le témoignage d’un alaouite
habitant le village voisin de Massiaf,
selon lequel la tuerie a été perpétrée
par des insurgés venus précisément de
Houla à 8 kilomètres d’Aqrab : les
islamistes auraient d’abord pris des
otages puis auraient attaqué un poste de
chabiha dans le village, provoquant des
tirs de riposte. Selon une technique
éprouvée, les rebelles produisent des
témoignages d’enfants rescapés accusant
les chabiha d’avoir pris les habitants
comme bouclier humain.
Outre qu’on voit mal
pourquoi des chabiha auraient mis ainsi
en péril la vie d’alaouites, il est bien
évident que ce sont les rebelles qui,
dans cette affaire, ont pris en otage
des civils, appartenant à une communauté
promise au massacre ou à l’exil par les
bandes islamistes. On espère donc que
l’OSDH a exagéré le bilan de cette
tuerie, mais on n’a guère de doute sur
les responsabilités de celle-ci.
On prend les mêmes et
on recommence
L’autre actualité syrienne
du jour, c’est la reconnaissance par
Washington de la Coalition de Doha comme
«
représentant légitime » du peuple
syrien. Là encore, c’est une nouvelle,
mais ce n’est pas un événement : les
États-Unis rejoignent, avec un léger
différé, les pays du Golfe, la France,
la Grande-Bretagne et un ou deux pays
européens. Et tous nous rejouent, à
quelques mois de distance, le scénario
du CNS. Mais comme le CNS, la Coalition
de Doha n’a qu’une légitimité
diplomatique occidentale, et non
populaire syrienne. Et, pas plus que le
CNS, elle n’a d’autorité sur les bandes
armées, de plus en plus dans l’orbite du
radicalisme djihadiste. Ce n’est
évidemment pas une coïncidence si Obama
reconnaît l’opposition de Doha au moment
où il met à l’index le Front al-Nosra,
branche « syrienne » d’al-Qaïda : il
s’agit d’entretenir, vaille que vaille,
le distinguo entre « bons » et « mauvais
» opposants. Mais,
hélas pour l’administration Obama, ce
sont les mauvais qui donnent le la sur
le terrain.
Obama a bien pris soin
d’indiquer que la Coalition devait à
présent donner des assurances expresses
quant au respect des minorités et aux
droits des femmes. Mais comment un
gouvernement en exil sans troupes ni
autorité peut-il donner pareilles
garanties ? Une fois encore, les
Occidentaux se bâtissent une réalité
virtuelle, la réalité vraie étant
compliquée, incontrôlable et « décevante
» de leur point de vue.
La Russie a immédiatement
réagi mercredi à ce geste -attendu – de
Washington, par la bouche de Sergueï
Lavrov, qui s’est dit «
surpris«
, considérant que cet engagement
diplomatique des Américains auprès de la
vitrine politique de l’opposition
radicale syrienne impliquait un
engagement militaire auprès des
rebelles, par le biais de livraison
d’armes – ce que Washington dément
officiellement. Toutes choses qui, selon
Lavrov, vont contre l’esprit et la
lettre des accords de Genève du 30 juin
2012, qui prévoyaient les condition d’un
dialogue inter-syrien, incluant Bachar
al-Assad et son gouvernement.
En effet. Mais le chef de
la diplomatie russe n’est certainement
pas tant «
surpris » que ça par l’attitude
d’Obama/Clinton. Il a d’ailleurs estimé
mercredi que Washington pariait sur une
victoire militaire des rebelles. Pari
non seulement risqué – vu la prééminence
des bandes radicales anti-occidentales –
mais, selon nous, impossible : une
rébellion déjà incapable au départ de
battre l’armée syrienne, est en outre
incapable de triompher politiquement si
elle a le visage du fanatisme le plus
rétrograde, intolérant et massacreur. Le
Front al-Nosra et ses épigones
djihadistes peuvent toujours s’emparer
de bases militaires ou de quartiers plus
ou moins abandonnés, chacun de leurs «
succès
» enfonce un peu plus l’opposition et la
« révolution
». Parce qu’on ne
gagne pas avec des repoussoirs, tout
simplement. Bref, Obama brasse de l’air.
Et le sommet de
Marrakech des «
Amis de la
Syrie« , ce mercredi, sera une
nouvelle manifestation – d’hypocrisie et
d’ingérence, bien sûr – mais aussi
d’impuissance gesticulante. Comme au «
bon vieux temps » du CNS…
Publié le 12 décembre
2012 avec l'aimable autorisation d'Info
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