Opinion
Les USA pourraient
rejouer le scénario yougoslave en Iran
Konstantin Bogdanov
Photo: RIA
Novosti - © AFP/ Behrouz Mehri
Vendredi 20 janvier
2012
Les Etats-Unis
rassemblent des unités navales près des
côtes iraniennes et depuis novembre
dernier beaucoup de rumeurs circulent
dans le monde sur une opération
militaire imminente contre
l’infrastructure nucléaire iranienne.
Quels seront les points communs et les
différences entre cette guerre
hypothétique et les opérations déjà
connues en Irak et en Yougoslavie? Quels
buts pourrait-elle poursuivre et quelles
pourrait être les conséquences?
Eviter le
contact
Si une opération
était lancée, l’attaquant tenterait
d’éviter au maximum le contact, en
optant pour les frappes aériennes et en
utilisant des missiles de croisière, en
s’appuyant sur les données des moyens de
renseignement puissants et la
supériorité générale en termes de moyens
de gestion de troupes interarmées sur le
théâtre d’opérations extérieures.
Les alliés ne
lanceront certainement pas d'opération
terrestre. Les Etats-Unis ne disposent
ni des forces ni du soutien politique de
la nation à cet effet. L’Iran est un
adversaire très coriace, et il serait
très difficile de le combattre au sol
(en comparaison avec l’Irak en 1991 ou
en 2003). Il faudrait être un politicien
suicidaire - et ce n'est pas le cas d'Obama
- pour organiser le rapatriement
ininterrompu de cercueils de soldats
américains à la veille de la
présidentielle de novembre.
C’est la raison
pour laquelle on ne devrait pas assister
à une invasion terrestre. La seule
exception pourrait consister à projeter
des commandos qui accompliraient des
missions de reconnaissance approfondie
sur le terrain afin de désigner les
sites stratégiques à l'attention de
l’aviation et effectueraient des
opérations de sabotage.
Pratiquement tout
le poids de l’opération reposerait sur
l’aviation : sous la forme d’une guerre
aérienne selon le principe hit and run
(frappe et fuis). Après l’opération
"tout en finesse" des alliés
franco-britanniques en Libye, les
Etats-Unis pourront montrer au monde ce
qu’ils ont appris depuis la guerre en
Irak en qui a débuté en 2003.
C’est à cette
époque que l’armée de l’air américaine a
commencé à s’armer de munitions guidées
par satellite (JDAM) : un moyen bon
marché permettant de transformer les
bombes aériennes classiques en une arme
de haute précision. Et c’est également à
l’époque qu’a commencé le passage à la
production de systèmes intégrés de
guidage, de désignation de cible et de
reconnaissance de la situation – du
concept de guerre réseau centrique. Les
drones ont également commencé à jouer un
rôle plus important.
L’éventuelle opération en Iran
ressemblerait de loin à l’opération de
l’Otan en Yougoslavie au printemps 1999.
Les raids de 1993 et de 1998 en Irak
étaient très limités, et étaient des
expéditions punitives. Les blitz aériens
en 1991 et en 2003 servaient
principalement les intérêts des
opérations terrestres qui les ont
immédiatement suivis.
© RIA Novosti.
La
situation dans le détroit d'Ormu
Cependant, contrairement à la
Yougoslavie européenne qu’il a fallu
briser politiquement, dans le cas
présent il faudra régler des questions
militaires concrètes de destruction du
potentiel militaire et industriel.
L’Iran n’agitera pas le drapeau blanc
après quelques coups durs, au contraire,
cela le rendra encore plus furieux.
D’après l’expérience des opérations
aériennes en Yougoslavie et en Irak, les
moyens de défense antiaérienne, les
aérodromes et les bases de missiles
balistiques seront les objectifs
primaires. La flotte iranienne et les
missiles antinavires côtiers seront les
premières cibles des bombardements
aériens. Puis l’attaque pourrait se
concentrer sur les sites cruciaux de
l’infrastructure pétrolière et
énergétique, en particulier les
entreprises de production de carburant.
Cette dernière cible pourrait devenir
primordiale. L’Iran, pays exportateur de
pétrole, a éprouvé pendant de longues
années un important déficit de carburant
: Téhéran achetait jusqu’à 45% de son
carburant aux pays voisins du Golfe. Ses
efforts dans ce sens en 2009-2010 lui
ont permis de produire des produits
pétroliers en quantité suffisante pour
satisfaire la consommation intérieure
strictement réglementée. Cependant, la
faiblesse de l’industrie de raffinage
nationale demeure une épine dans le pied
de la croissance économique iranienne.
Et l’infrastructure du programme
nucléaire iranien est la cible centrale
parmi les objectifs mentionnés. On s’en
prendra à lui avec un acharnement
particulier, mais pas forcément dès la
première vague.
Ainsi, le site de Natanz et le
réacteur inachevé d'Arak pourraient
recevoir leur part de "bombes
intelligentes". La centrale nucléaire de
Bouchehr est peu susceptible d’être
directement attaquée, bien qu’on puisse
supposer la mise hors service de la
centrale en détruisant ses ressources.
L’inexpugnable Fordo
Mais la cible ultime se trouve
profondément enfouie dans le sol de la
puissance perse, près de la ville de
Qom. Il s’agit du site d’enrichissement
de Fordo, un immense complexe souterrain
renforcé, dont la construction a
commencé en 2007, et qui a été mis en
service l’année dernière.
A l’heure actuelle, tous les travaux
iraniens de production d’uranium enrichi
à 19,75% ont été transférés à Fordo.
Auparavant, ils étaient réalisés sur le
site de Natanz, mais son niveau de
sécurité contre les frappes aériennes,
selon les dirigeants iraniens, était
trop faible. Le site souterrain de Fordo
est nettement mieux sécurisé.
Israël s'est souvent plaint à
Washington du manque de munitions
air-sol, permettant de traiter les
cibles en profondeur, en faisant
ouvertement allusion à leur possible
utilisation contre l’Iran. Les
Etats-Unis ont toute une panoplie de
munitions conçues pour ce travail. Le
plus monstrueux d’entre eux est le
GBU-57 MOP (Massive Ordnance Penetrator),
une bombe anti-bunker de 13,6 tonnes
embarquée par les bombardiers B-52 et
les avions furtifs B-2.
© RIA Novosti.
Nucléaire civil ou arme atomique
Selon les sources ouvertes, la
capacité de pénétration du GBU-57
atteint 60 mètres. Cette bombe peut
percer jusqu’à 40 mètres de sol, moins
en cas de roches dures. Selon les études
des experts américains, la profondeur
probable des principaux locaux de
travail du site de Fordo pourrait
atteindre 80 mètres, voire plus.
Même les partisans de l’opération
aérienne sont très sceptiques quant à sa
réussite. On établit des concepts de
frappes multiples au même endroit grâce
à la précision du ciblage, mais tous
sont confrontés au même problème – on
ignore la structure intérieure du site
de Fordo.
De cette manière, le bombardement
aérien massif de Fordo permettrait au
mieux de bloquer les accès vers
l’extérieur, détruirait les systèmes
d’alimentation en électricité et
l’infrastructure de transport aux
alentours. Pour ce faire il suffirait
d’utiliser des armes de haute précision
du type JDAM et des missiles de
croisière Tomahawk traditionnels pour ce
genre de guerres.
Cependant, les capacités de
production ne seraient pas directement
affectées. Pour parvenir à un meilleur
résultat, il faudrait soit une chance
inouïe, soit l’utilisation d’une arme
nucléaire tactique (TNW), soit pénétrer
à l’intérieur avec une unité de
commandos.
La chance est un élément imprévisible
et chaotique. L’utilisation d’une TNW
réglerait le problème du site de Fordo,
mais engendrerait parallèlement
tellement de complications (aussi bien
techniques qu’à l’échelle de la "grande
stratégie"), que le jeu n’en vaudrait
pas la chandelle.
Les commandos et leurs succès sont
également un signe de chaos en général :
on ignore si l’opération se terminera
par un succès ou un échec, et dans tous
les cas les troupes d’élite auront
besoin de moyens de combat appropriés
pour une opération de sabotage qui
tienne la route. La seule chose qui
vient à l’esprit parmi les moyens qui
fournissent une certaine garantie, ce
sont les armes nucléaires portatives, ce
qui nous ramène une fois de plus à
l’histoire des chandelles.
Un objectif
controversé
Nous sommes face à une situation
curieuse. L’opération terrestre contre
l’Iran est improbable, et l’occupation
du pays relève de la science-fiction.
Les frappes aériennes massives seraient
capables de saboter le potentiel
industriel de la puissance perse, mais
elles pourraient être insuffisantes pour
régler définitivement la question
nucléaire.
Une offensive aérienne de grande
envergure contre l’Iran repousserait
quelques années en arrière le projet
nucléaire de Téhéran. Dans ce sens, une
opération potentielle pourrait
probablement être considérée comme
réussie. Cependant, il est difficile
d’évaluer les conséquences possibles
d’une telle ingérence par la force dans
les affaires intérieures d’un leader
régional.
Une chose est sûre: ces conséquences
seront forcément négatives. Le
Proche-Orient instable qui traverse le
printemps arabe pourrait subir un
préjudice qui ferait définitivement
chavirer le navire.
Et les radicaux islamistes
balaieraient alors les monarchies
conservatrices du Golfe comme un château
de cartes (pour leur position
proaméricaine), les derniers régimes
séculaires du Proche-Orient (la Syrie,
la Jordanie, le Koweït) et les faibles
gouvernements de transition des
coalitions révolutionnaires (l’Egypte,
le Yémen).
Une telle "explosion" dans cette
région, qu’on pourrait appeler à juste
titre le ventre mou de la planète,
vaut-elle le coût pour retarder le
programme nucléaire iranien de 5-6 ans?
C’est une question purement rhétorique.
Les Etats-Unis ont très peu de chances
de vaincre l’Iran, mais dynamiter
maladroitement plusieurs décennies de sa
propre politique dans la région est une
tâche bien plus facilement réalisable
dans ces conditions.
L’opinion de l’auteur ne coïncide
pas forcément avec la position de la
rédaction
© 2012
RIA Novosti
Publié le 24 janvier 2012
Le
dossier Iran
Les dernières mises à jour
|