Opinion
La guerre
coloniale libyenne un an plus tard
Konstantin Bogdanov
Photo: RIA
Novosti - © AFP/ Patrick Baz
Vendredi 17 février
2012
Il y a un an, le 15 février 2011, la
population libyenne s’est révoltée
contre le régime du colonel Mouammar
Kadhafi. L’opération militaire de la
France et du Royaume-Uni qui a suivi a
été longue et avec un degré d'ingérence
bien plus important que les initiateurs
ne l’espéraient, en tablant au départ
sur une campagne coloniale éclair.
Les étapes
de la guerre-rébellion
La résistance libyenne brouillonne de
faible intensité s’est transformée en
victoire des insurgés seulement grâce à
l’intervention étrangère.
Il s’agit des bombardements des forces
de l’Otan contre l’armée de Kadhafi,
ainsi que des "opérations secrètes" plus
ou moins importantes: de l’envoi
d'instructeurs et de conseillers jusqu’à
l’intervention directe des unités
d’élite pendant l’assaut de Tripoli.
En dépit de l’opinion répandue au sein
de la société russe, les Etats-Unis
étaient très réticents à lancer
l’opération libyenne. Washington a tout
fait pour minimiser sa participation à
cette guerre en se limitant aux
premières frappes fin mars 2011, en
utilisant l’aviation et en lançant plus
de 200 missiles de croisière Tomahawk
contre des sites libyens.
Par la suite, l’initiative de
l’opération a été reprise par l’Otan,
pour se transformer de facto en action
militaire franco-britannique dans le
contexte des contradictions européennes
intérieures croissantes.
Il n’y avait pas de front continu en
Libye, les combats étaient ponctuels et
se concentraient autour des grandes
villes ou des centres d’infrastructure
stratégiquement importants et des bases
militaires de Kadhafi.
Les combats s’apaisant et ressurgissant
à nouveau étaient hasardeux, et si les
deux côtés ont réellement fait preuve
d’une chose, c’est bien de leur faible
efficacité.
Le commandement médiocre des rebelles et
l’absence totale d’entraînement au
combat de leurs soldats ont été
compensés par les frappes puissantes de
l’aviation de l’Otan subies par les
kadhafistes. Sinon, les chars auraient
fait mordre la poussière aux unités
éparpillées des "combattants de la
liberté", comme c’est déjà arrivé à
maintes reprises dans la région.
Cependant, même dans ces conditions
presque parfaites, les rebelles libyens
étaient pratiquement incapables de faire
quoi que ce soit. Après avoir préparé le
terrain pour leurs alliés français et
britanniques, les Etats-Unis se sont
retirés de l’opération début avril. Or,
les actions à distance des forces
françaises et britanniques ne
suffisaient pas pour apporter un
avantage décisif aux forces
révolutionnaires.
Les corsaires
naviguant sous pavillon qatari
A la fin du printemps, la coalition a
soudainement compris que le régime du
colonel Kadhafi n’avait aucune intention
de s’effondrer. D’autant plus qu’en se
trouvant quotidiennement sous la
pression des forces aériennes dominantes
et en dépit de l’utilisation par
l’ennemi des moyens de renseignement les
plus sophistiqués, les kadhafistes
parvenaient à lancer des attaques
limitées mais très douloureuses pour les
rebelles.
Il fallait faire quelque chose de toute
urgence avec "l’armée" du "Conseil
national de transition libyen", sinon
cela pouvait durer des années. Le coût
quotidien des opérations pesait
lourdement sur Paris et Londres. Et le
cabinet d’Obama manœuvrait habilement
sans promettre son soutien militaire, ni
son retrait définitif de l’opération.
C’est la raison pour laquelle les
instructeurs occidentaux ont pris en
charge les rebelles libyens. L’objectif
était très simple.
Premièrement, inculquer à l’armée
libyenne les bases de la discipline
militaire et améliorer sa gestion sur le
terrain à défaut de pouvoir la
"dresser."
Deuxièmement, régler la question du
contrôle proprement dit, en prenant la
direction des structures de commandement
des rebelles.
Troisièmement, faire de la
reconnaissance et entretenir les
équipements de liaison nécessaires pour
diriger les attaques aériennes contre
les positions des garnisons de Kadhafi.
Et juste avant l’assaut de Tripoli les
observateurs faisaient remarquer qu’en
Libye on assistait enfin à une véritable
"guerre de la Toyota." C’est ainsi qu’on
qualifie en Afrique du Nord la forme
mobile des combats basés sur une
manœuvre décisive sur un terrain
impraticable avec des pick-up quatre
roues motrices. Les unités utilisant de
tels véhicules munis de mitrailleuses
lourdes, de canons sans recul, de
roquettes antichars et même de
lance-roquettes multiples, étaient
particulièrement efficaces.
A une époque, cette innovation a été
utilisée avec succès par les conseillers
militaires français contre l’armée de
Kadhafi pendant l’invasion par la Libye
du Tchad en 1986-1987. Par la suite, la
guerre de la Toyota est devenue la
principale forme d’opérations réussies
pendant les guerres civiles au Tchad et
au Soudan.
Tout cela a-t-il été d'une grande aide?
A en juger par le résultat de l’assaut
de Tripoli en août 2011, ce fut
efficace. Il a même été possible de
réaliser des actions coordonnées des
unités rebelles durant l’opération, lors
d’un débarquement maritime.
Mais la question du niveau de
participation aux opérations des soldats
et des officiers du 22e régiment SAS
britannique (leur présence sur les lieux
en tant que "commandants" a été
officiellement reconnue), des unités
d’élite françaises (leur participation a
été officiellement réfutée, mais
beaucoup ont vu des Français) et des
forces spéciales du Qatar et des Emirats
Arabes Unis reste en suspens.
Ces dernières, contrairement aux
hypothèses sur les forces
franco-britanniques, se sont distinguées
par une participation directe aux
opérations. Cette information ne fait
l’objet d’aucun commentaire, bien que
personne ne cherche à cacher sa
véridicité.
On voudrait également savoir qui a
participé en réalité aux opérations dans
les rangs de ces corsaires du XXIe
siècle "naviguant"sous pavillon qatari
et d’autres "pavillons de complaisance."
Et il reste encore à déterminer le
niveau réel d’implication dans ces
affaires des Européens bronzés, dont les
visages apparaissent depuis des années
entre la jungle congolaise et les
pointes opiacées du Triangle d’or.
Par exemple, l’année dernière, les
Emirats Arabes Unis ont officiellement
signé un contrat avec la société
militaire privée Xe Services (il s’agit
de Blackwater rebaptisé, tristement
célèbre en Irak). Ce contrat devait
permettre de disposer d’un bataillon
opérationnel de plus de 800 mercenaires
d’origine européenne (on parlait
d’Américains, de blancs d’Afrique du Sud
et de Colombiens). Et ce n’est que la
pointe de l’iceberg.
L’impérialisme bon
marché de l’Europe
L’une des principales conclusions de
l’affaire libyenne concerne directement
les locomotives de ce processus, Londres
et Paris, voire les puissances
européennes dans l’ensemble. La
conclusion est peu réconfortante: la
capacité opérationnelle de leurs armées
est très limitée à l’heure actuelle.
Au cours des dix dernières années
beaucoup de choses ont été dites sur les
problèmes des forces armées américaines
dans les points chauds, en Irak et en
Afghanistan. Cependant, il était
difficile de mettre en doute
l’efficacité des opérations militaires
des Etats-Unis contre des ennemis, aussi
organisés qu’ils soient, dont l’invasion
en Irak en 2003 est un parfait exemple.
Aujourd’hui, il s’avère que les alliés
les plus proches des Etats-Unis au sein
de l’Otan, la France et le Royaume-Uni,
disposent de ressources extrêmement
limitées pour mener des opérations
punitives sans contact dans le Tiers
monde, contrairement à leur partenaire
d'outre-océan.
Cependant, l’enthousiasme avec lequel la
toute nouvelle "Entente 2.0" s’est jetée
dans l’aventure libyenne met en évidence
ses grandes ambitions. Paris et Londres
désiraient certainement créer "un Irak
numéro deux", mais où ils joueraient le
premier rôle au lieu de Washington.
Au final, on a assisté à une guerre
coloniale sale, mal organisée et
extrêmement longue, à laquelle il a tout
de même fallu mettre un terme grâce à
une intervention terrestre, bien qu’elle
fût partielle. Qui plus est en disposant
de l’aide d’autochtones contre d’autres
autochtones – la mémoire historique
s'est bien conservée chez les anciens
propriétaires de l’Afrique, bien que les
forces armées ne soient plus les mêmes.
La politique impérialiste bon marché est
rarement brillante.
L’opinion de l’auteur ne coïncide
pas forcément avec la position de la
rédaction
© 2012
RIA Novosti
Publié le 19 février 2012
Le dossier
Libye
Les dernières mises à jour
|