|
Le Quotidien d'Oran
Les mêmes causes ont
les mêmes effets
Kharroubi Habib
Mercredi 12 janvier 2011
Après avoir décrété que les jeunes émeutiers ont été mus par
«des instincts revanchards», le ministre de l'Intérieur et des
Collectivités locales a remis une couche en considérant qu'ils
sont «extrêmement nihilistes et pessimistes». A qui la faute si
ces jeunes sont ce qu'il a dit être? Pour Ould Kablia, c'est
parce qu'ils ont grandi en plein terrorisme qu'ils cultivent ces
sentiments et penchants.
Il est probable que le vécu de la période du terrorisme a
marqué l'esprit et la conscience des jeunes qui en ont tiré des
enseignements et conclusions sur lesquels ils ont basé leurs
comportements. Leur «nihilisme et pessimisme» ont néanmoins
d'autres raisons d'être qu'Ould Kablia élude parce qu'elles
mettent en cause le système et sa génération de dirigeants à
laquelle il appartient. Plus que ceux qui les ont précédés, les
adolescents d'aujourd'hui sont victimes des désastres cumulés
dont la génération du ministre de l'Intérieur s'est rendue
coupable depuis l'indépendance et dont eux payent au prix fort
les conséquences.
S'ils aiment «toutes choses qu'ils ne sont pas en mesure
d'acquérir autrement que par le vol, par la contrebande, le
trafic de drogue, qu'ils ne trouvent pas de dérivatif dans la
musique, le sport, les voyages et que leur univers c'est la rue
et le quartier», ce n'est pas parce qu'ils sont nés marqués par
des ADN qui les prédisposaient à ce que le ministre de
l'Intérieur a décelé en eux. Ils sont nés et vivent dans une
société à laquelle la génération ayant confisqué le pouvoir
depuis l'indépendance a imposé des valeurs et des normes
haïssables. Celle de la quête de l'argent facilement et
malhonnêtement acquis. A cette aune, les jeunes émeutiers qui
ont pillé et cassé sont-ils plus réprouvables et condamnables
que ces responsables et hauts fonctionnaires qui ont bâti leurs
fortunes colossales par la corruption et le détournement?
Oui notre jeunesse est habitée par le désespoir. Ses révoltes
sont autant d'appels au secours. N'y voir que ce que le ministre
de l'Intérieur a voulu voir est le pire des aveuglements.
Concédant à Ould Kablia que l'Etat a construit «stades et
piscines» pour ces jeunes. Mais est-ce tout ce que ces jeunes
sont en droit d'attendre quand pour le reste il leur faut subir
l'injustice sociale, la hogra, le chômage et la mise à l'écart
des affaires du pays
La violence a laquelle se laisse aller la jeunesse algérienne
ne lui est pas spécifique. Les mêmes causes ayant les mêmes
effets, là où la jeunesse est envahie par le désespoir et se
révolte l'on assiste aux mêmes scènes de violence destructrices
que celles que vient de connaître notre pays. La jeunesse
tunisienne que notre ministre de l'Intérieur devait certainement
considérer plus «civilisée dans sa colère» a elle aussi fait
preuve de violence. Il en a été de même en Grèce, et le sera
partout où les conditions de vie atteindront le seuil de
l'insupportable.
Ould Kablia est assez honnête homme pour ne pas admettre que la
colère de la jeunesse algérienne se nourrit du constat de
l'immense gâchis engendré par la mauvaise gouvernance qui se
perpétue depuis l'indépendance. Là est la véritable cause que
cette jeunesse soit devenue «extrêmement nihiliste et
pessimiste». Quand un jeune ne voit poindre aucune perspective,
il ne faut pas lui demander de positiver et encore moins d'avoir
du respect pour la société dans laquelle il vit.
Le dossier
Algérie
Dernières mises à
jour
|