Opinion
Du bon usage du
péril islamiste
K.
Selim
Jeudi 16 juin 2011
Au secours ! Les Occidentaux qui
mènent la guerre à leur vieux et
méchant ami Mouammar Kadhafi
découvrent que l'islamisme existe et
prolifère en Libye. Une mission
«indépendante» auprès des très
honorables insurgés de Benghazi,
menée par des experts du Centre
international de recherche et
d'étude du terrorisme et du Centre
français de recherche sur le
renseignement, a ainsi rendu des
conclusions censées surprendre.
Ainsi, proclament ces experts, la
«révolution» libyenne, contrairement
à l'Egypte ou à la Tunisie, n'avait
pas de motivations sociales, les
Libyens ayant «un des plus hauts
niveaux de vie du monde arabe». Et
si Mouammar Kadhafi est un vrai
dictateur, le soulèvement contre lui
n'avait rien de pacifique. Et que
les «révolutionnaires» libyens se
sont lancés dans une surenchère
raciste pour mettre en accusation
injustement les migrants africains,
qualifiés indifféremment de
«mercenaires».
Et, last but not least, les experts
découvrent que le Conseil national
de transition, accueilli en grande
pompe dans les capitales civilisées,
serait du genre plutôt pas très
clair. On y trouverait un petit
groupe se revendiquant de la
démocratie associée à des réseaux
islamistes, dont Al-Qaïda (Sir, yes
sir !), des mafias locales et
d'anciens dignitaires du régime.
Ces experts parmi lesquels notre
très cher ami Yves Bonnet, ancien
patron de la DST française sortent
finalement la Libye du printemps
arabe. Ils rappellent � le rappel
étant utile même aux incroyants !
que la Cyrénaïque, c'est-à-dire
l'Est «libéré» de la Libye, est la
région qui a le plus envoyé de
djihadistes en Irak, que les
arsenaux de cette région ont été
pillés. Que des missiles sol-air
portables de type SAM-7 se promènent
dans la nature et que des membres de
l'AQMI en auraient acquis plusieurs
exemplaires. Sur ce dernier point,
les experts reproduisent les alertes
exprimées régulièrement par les
responsables algériens.
Pourtant, même si ces experts
évoquent l'aventurisme «coupable»
des puissances occidentales,
critiquent une intervention qui
«crée plus de problèmes qu'elle n'en
résout» et dénoncent une
désinformation «savamment distillée
par les chaînes Al-Jazira et Al-Arabia»,
les responsables algériens auraient
tort de se réjouir. La machine de
l'intervention militaire ayant
franchi tous les Rubicon, il ne faut
pas s'attendre à ce que les pouvoirs
occidentaux déclarent subitement
«Pouce ! Nous nous sommes trompés,
on arrête les frais». Ce n'est pas à
l'ordre du jour.
En outre, l'intervention en Libye a
ouvert la voie et stimulé l'appétit
pour des interventions décomplexées
et «nobles». Ainsi que l'a annoncé
Tony Blair, le traitement libyen est
susceptible d'être appliqué à
d'autres pays.
Gageons que ce rapport, qui
redécouvre quelques réalités
élémentaires, sera utilisé à bon
escient. Il pourra fournir le bon
argumentaire pour que la Libye, une
fois Kadhafi et son régime éliminés
par l'OTAN, reste sous contrôle
occidental direct. Le rapport sur le
«péril islamiste» en Libye est de ce
fait une préparation à une
occupation de la Libye sur le modèle
afghan.
Les experts vous le disent déjà :
la Libye n'est pas «prête» à la
démocratie, on ne va pas laisser la
Libye aux islamistes qui vont
déstabiliser la région et créer des
problèmes au sud de l'Europe. Et si
Benghazi grouille de dangereux
islamistes, comme l'affirment nos
braves experts, elle ne manque pas
d'apprentis-Karzaï. La boucle est
bouclée.
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