|
Le Quotidien d'Oran
Oser la question
démocratique
K. Selim
Dimanche 9 janvier 2011
L'Algérie n'est pas la Tunisie. La Tunisie n'est pas
l'Algérie. Mais dans les deux pays, les régimes en place ont
décidé de bannir la politique et ont la prétention d'être à
la fois le pouvoir et l'opposition. Et d'exprimer mieux que
quiconque les intérêts du pays et les aspirations de la
société. Dans une telle configuration où les mécanismes du
changement sont totalement neutralisés, il n'existe pas de
place pour une contestation pacifique. Mais le plus grave
est que les pouvoirs eux-mêmes, après avoir banni la
politique et réduit les partis et syndicats officiels à
l'état de croupions, finissent par croire qu'ils ont
l'assentiment total de la société.
Avec des pouvoirs élus avec des taux records, des partis
politiques qui applaudissent à tout rompre, les tentatives
des militants des droits de l'homme ou des syndicats
autonomes d'exprimer autrement la réalité sont perçues comme
des anomalies. Il est inévitable aujourd'hui qu'à Tunis
comme à Alger, certains responsables se laissent aller à
suggérer l'idée d'une manipulation ou d'une conspiration.
Les régimes autoritaires finissent toujours par n'écouter
qu'eux-mêmes et perdre le sens des réalités. Devant le
déferlement des jeunes défavorisés en Algérie, on se prend
même à souhaiter qu'il y ait «quelqu'un derrière» avec
lequel le pouvoir pourrait parler pour stopper la casse et
surtout limiter les dégâts humains.
Il y a eu en quatre jours d'émeutes deux morts, selon des
indications officielles. Ce sont deux morts de trop. Mais,
hélas, le refus d'accepter que la société puisse s'organiser
librement à travers des structures crédibles finit par se
payer lourdement. D'abord, parce que les politiques
publiques ne sont pas alimentées sérieusement par une
information crédible sur les besoins et les attentes de la
population. Ensuite, en l'absence de ces structures
crédibles, l'Etat se retrouve à confier aux forces de
sécurité la gestion de crises qui ne sont pas strictement
sécuritaires mais politiques et économiques.
Il y a sans doute des motivations économiques et sociales à
la colère des jeunes Tunisiens et Algériens. Mais
l'expression violente qu'elle prend, en Algérie surtout, est
directement liée à la caporalisation générale du champ
politique. Ceux qui, comme un responsable du RND, parlent
d'un complot des affairistes et des grossistes qui auraient
pris peur à la suite des mesures prises pour imposer la
transparence, donnent dans la diversion. C'est la réponse
pathologique classique des systèmes fermés. Les affairistes
qui ne viennent pas du ciel et encore moins de l'étranger
n'ont pas la capacité de provoquer un mouvement de
contestation aussi important. Si tel est le cas, la raison
et même les impératifs de la sécurité publique commandent de
leur demander de s'organiser en parti et de devenir
l'interlocuteur du pouvoir.
Il y a bien sûr des affairistes, ils ne fréquentent pas les
bidonvilles ou les quartiers populaires. On les retrouve
plus souvent dans les clientèles du système, voire même dans
les structures des partis. Cela tout le monde le sait. Faire
semblant d'inventer une «force» organisée n'est pas sérieux.
L'Algérie a connu un début de démocratisation après octobre
1988 avant de revenir à la gestion autoritaire à la faveur
de la crise des années 90. Aujourd'hui, à moins de continuer
à s'aveugler, cette gestion autoritaire, nettement plus
efficace en Tunisie qu'ici, est totalement obsolète.
Il est significatif que la LADDH appelle les associations
et les partis existants à essayer d'encadrer le mouvement de
contestation. Quand le dialogue social se résume à une
confrontation entre un jeune de quartier et un jeune
policier, cela donne une idée de la régression à laquelle la
gestion autoritaire mène le pays. Il faut donc oser poser la
question de fond, celle du changement démocratique.
Démocratiser, sans occulter les problèmes qui ont été
générés après l'ouverture d'octobre 88, n'est pas un luxe.
Cela n'apporte pas une solution immédiate. Mais c'est bien
l'option stratégique pour mettre le pays à l'abri des graves
secousses qui le guettent.
Le dossier Algérie
Dernières mises à
jour
|