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Le Quotidien d'Oran
Vide
K. Selim
Samedi 8 janvier 2011
Face aux émeutes qui se sont propagées rapidement à plusieurs
wilayas du nord du pays, le pouvoir algérien a paru complètement
sans voix. Et ce n'est pas Mustapha Benbada, malchanceux
ministre du Commerce, qui s'est retrouvé en première ligne qui
pouvait suppléer à ce curieux silence des autorités. Les
événements ne pouvant être minimisés, pas plus qu'ils ne doivent
être perçus comme ceux annonçant le «grand soir», le silence
officiel n'a donc pas d'explication rationnelle. Mais on peut
d'emblée souligner que ces émeutes, dans un pays interdit de
politique, ne sont pas réductibles à la hausse des prix de
certaines catégories de produits. Non, ce n'est ni la faute de
Benbada, ni celle de Rebrab. Les raccourcis sont indubitablement
trompeurs.
Cette intrusion violente et destructrice d'une partie des
jeunes des quartiers populaires s'effectue dans un espace
politique en ruine où le mécontentement est dans l'attente d'un
prétexte pour s'exprimer, d'une étincelle pour allumer des
incendies. Les hausses de prix des produits de large
consommation ont effectivement sidéré les ménages dans un pays
où le salaire réel mène une course perdue d'avance contre
l'inflation. Mais il ne fait guère de doute que ce n'est pas une
justification suffisante pour sortir dans la rue et se livrer au
vandalisme et au pillage. Cet excès de fièvre est bien celui
d'un pays où même les jeunes qui ont le privilège d'un emploi ne
sentent pas qu'ils ont un avenir.
Cette jeunesse qui n'a pas vraiment de mots pour exprimer sa
colère et son désarroi n'est ni islamiste, ni nationaliste, ni
laïque… Elle est le produit achevé d'une démarche de
dépolitisation générale où les partis politiques finissent par
n'être que des appendices du pouvoir. En réalité, le système qui
les a voulus ainsi aurait pu se passer de ces appareils inutiles
et encombrants. Il aurait pu fermer définitivement des partis
qui ont déposé leurs bilans depuis belle lurette. Car
aujourd'hui, comme hier, ils ne sont d'aucun usage quand des
jeunes emportés par leur fougue et leur ennui se mettent en
danger et mettent en danger tout le monde. Auraient-ils
d'ailleurs quelque chose à dire à ces jeunes ? Ils n'ont rien en
commun, ni le langage, ni les intérêts. Comme Ali Benhadj qui,
en essayant de dialoguer avec les jeunes de Bab El-Oued,
démontre sans conteste que même les islamistes sont en déphasage
avec la jeunesse de ce pays.
Il est frappant d'observer que le mouvement de contestation en
Tunisie suscite des échos chez les élites du pays alors qu'en
Algérie seul un silence sidéral répond aux clameurs de la rue.
Des avocats tunisiens ont ostensiblement manifesté leur présence
et leur «lien» avec le mouvement social. Ils contribuent à en
donner une lecture et un sens. Dans l'Algérie «dépolitisée» et
comme privée d'élites, seuls quelques journalistes tentent de le
faire. C'est, bien entendu, un exercice vain. Les journalistes
ne sont pas des hommes politiques, ni une force sociale. Ils
peuvent accompagner, par leur travail, un mouvement, ils ne
peuvent ni le créer, ni remplacer les politiques et les clercs.
Les intellectuels qui servent de relais et qui régulent les
contestations dans les sociétés équilibrées sont aux abonnés
absents au point qu'on se demande s'ils existent. L'émeute est
de ce point de vue le révélateur non seulement du vide politique
mais aussi d'un vide intellectuel au moins aussi préoccupant.
Le dossier Algérie
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