Opinion
« À court de
cibles », les services secrets
israéliens « diminuent les assassinats »
en Iran
Julie
Lévesque
Vendredi 20 avril
2012
Citant anonymement des officiels hauts
placés du renseignement israélien, la
revue étasunienne
Time Magazine
contredit le très crédible quotidien
britannique
Sunday Times
en suggérant que durant les derniers
mois, le Mossad (les services secrets
israéliens) a « réduit » ses opérations
clandestines en Iran, incluant les
assassinats ciblés.
Paradoxalement, le Times et TIME se
contredisent. Dans son numéro du 25
mars, le
Sunday Times affirmait que les
services de renseignement israéliens
avaient intensifié leurs activités
clandestines à la base militaire de
Parchin en Iran, prétendument pour
trouver des preuves à l’effet que l’Iran
fabriquait une arme nucléaire. Ces
opérations des services de renseignement
ont été menées alors que Téhéran
négociait avec l’Agence internationale
de l’énergie atomique (AIEA). Celle-ci
faisait pression sur les Iraniens afin
qu’ils autorisent une visite sur cette
même base. (Julie Lévesque,
Fabrication de preuves pour attaquer
l’Iran? Des espions israéliens en Iran
déguisés en soldats iraniens,
Mondialisation.ca, 27 mars 2012)
Un autre article intitulé
US steps up
intelligence, sabotage missions in Iran
(Les États-Unis intensifient les
missions de renseignement et de sabotage
en Iran), publié par
The Hill le 9 avril, semble
corroborer les informations révélées par
le
Sunday Times.
The Hill indique une augmentation
dans la République islamique des
opérations clandestines de la CIA et de
ses alliés dans la région. Comme Israël
est l’allié le plus important des
États-Unis dans cette région, on peut
assumer que le Mossad participait à ces
missions de sabotage.
Citant le
Washington Post, Carlo Munoz
rapporte dans
The Hill :
Les agences de renseignement
étasuniennes intensifient les missions
de renseignement et de sabotage axées
sur le programme nucléaire iranien,
alors que Téhéran se prépare à renouer
les pourparlers avec les puissances
occidentales relativement aux efforts
réalisés dans ce domaine.
Des représentants iraniens doivent
rencontrer vendredi à Istanbul en
Turquie le soi-disant groupe P5+1, les
cinq membres permanents du Conseil de
sécurité des Nations Unies plus
l’Allemagne, dans le but de discuter du
programme nucléaire du pays […]
La
CIA et d’autres agences ont par ailleurs
multiplié les missions de sabotage en
Iran, lesquelles visent à
perturber le travail nucléaire en cours
au pays.
Afin d’y parvenir, l’agence a compté sur
ses
partenariats avec des services de
renseignement dans la région afin de
recruter des agents pour des missions de
renseignement et de sabotage en sol
iranien, rapporte le
Post. (Carlo Munoz,
US steps up
intelligence, sabotage missions in Iran,
The Hill, 9 avril 2012.)
Le compte-rendu du
Washington Post révèle par ailleurs
que l’ « activité de renseignement » a
été utilisée pour accroître les
sanctions économiques contre l’Iran :
L’augmentation des activités de
renseignement a coïncidé avec une
campagne clandestine de la CIA et
d’autres agences, visant à saboter le
programme nucléaire iranien, et a permis
d’accroître l’utilisation de
sanctions
économiques ciblées
par les États-Unis et leurs alliés
dans le but d’affaiblir la détermination
de l’Iran […]
D’anciens représentants du renseignement
ont affirmé que l’intensification des
activités s’est poursuivie sous la
direction de Leon E. Panetta, qui a
établi des
partenariats avec des agences de
renseignement alliées de la région,
capables de recruter des agents pour des
missions en Iran. (Joby Warrick et
Greg Miller,
U.S. intelligence
gains in Iran seen as boost to
confidence, The Washington
Post, 7 avril 2012.)
Ces deux reportages sèment
définitivement le doute sur la
crédibilité du reportage du
TIME publié le 30 mars et intitulé «
Mossad Cutting
Back on Covert Operations Inside Iran,
Officials Say » (Selon des
officiels, le Mossad réduit ses
opérations clandestines en Iran).
Selon le compte-rendu du
TIME, le Mossad a réduit ses
opérations en Iran, ce qui contredit les
articles du
Washington Post et du
Sunday Times.
Cependant, l’aspect le plus frappant des
révélations contradictoires du
TIME n’est pas la diminution des
activités clandestines du Mossad en
Iran, mais plutôt la nature même des
opérations, soit des assassinats et des
attaques, rapportées par le
TIME d’une manière très banale.
Selon les officiels,
la diminution touche un vaste éventail
d’opérations, non seulement les
missions très en vue comme les
assassinats et les explosions sur des
bases iraniennes de lancement de
missiles, mais aussi la collecte de
renseignement sur le terrain et le
recrutement d’espions au sein du
programme iranien. (Karl Vick,
Mossad Cutting
Back on Covert Operations Inside Iran,
Officials Say, 30 mars 2012.)
Sans preuves à l’appui, Israël a
nonchalamment accusé l’Iran d’être à
l’origine d’attaques à la bombe menées
récemment en Thaïlande et en Inde,
lesquelles n’ont pas fait de victimes,
mais ont blessé 5 personnes. Ces actions
ont été qualifiées, à juste titre,
d’attaques terroristes.
Cependant, dans le reportage du
TIME cité ci-dessus, les assassinats
et les attaques à la bombe commis par
Israël en Iran ne sont pas considérés
comme des actes terroristes. Il s’agit
d’un cas évident de deux poids deux
mesures.
L’article met l’accent sur la raison
invoquée pour la réduction des attaques
et des assassinats, notamment les
conséquences néfastes sur l’« image
d’Israël dans l’opinion publique ». Si
l’on reconnaît dans le reportage que le
Mossad a été impliqué dans l’assassinat
d’Iraniens, entre autres, et qu’il a
perpétré des attaques en sol iranien, la
nature criminelle de ces actions n’est
jamais évoquée :
Des représentants occidentaux des
services de renseignement avaient déjà
confirmé au
TIME que le renseignement iranien
avait découvert une
cellule entraînée et équipée par le
Mossad. Les
aveux détaillés de Majid Jamali Fashid
l’an dernier à la télévision d’État
iranienne étaient authentiques,
selon ces représentants. Ces aveux
concernaient
l’assassinat du scientifique spécialisé
dans le nucléaire, Massoud Ali Mohmmadi,
tué dans un attentat à la bombe mené par
un motocycliste en janvier 2010. Les
responsables du renseignement
occidentaux ont blâmé un pays tiers pour
avoir révélé l’existence de la cellule.
Dans ce cas-là, les
dommages causés à l’image d’Israël dans
l’opinion publique ont été limités
par la crédibilité de l’Iran […]
Mais cela
pourrait changer si la République
islamique capturait un Israélien ou
présentait d’autres preuves, quelque
chose de l’ordre des séquences vidéo en
circuit fermé et des faux passeports
ayant indiqué la présence
d’agents du Mossad dans
l’hôtel de Dubaï où le trafiquant
d’armes Mahmoud al-Mabhouh a été trouvé
mort dans sa chambre en janvier
2010.
Certains préviennent que
les assassinats courent déjà ce risque.
Après le plus récent
meurtre en janvier, celui du
scientifique spécialisé dans le
nucléaire Mostafa Ahmadi-Roshan, les
États-Unis ont catégoriquement nié toute
implication et ont condamné le meurtre.
Des officiels occidentaux du
renseignement affirment qu’il était au
moins le troisième scientifique iranien
tué par des agents du Mossad,
lesquels sont récemment à court de
cible, aux dires de certains
représentants israéliens […] (Ibid.)
En revanche, dans un article du
TIME sur les attaques à la bombe
ayant ciblé des Israéliens en Inde et en
Thaïlande et pour lesquelles on a blâmé
l’Iran, TIME était catégorique en ce qui
a trait à la définition du terrorisme :
Pour être juste, il faut dire qu’il
n’existe pas de définition du terrorisme
admise au niveau international. Mais
lorsque des bombes se mettent à
exploser, aucune analyse terminologique
ou déformation de définitions
n’empêchera les gens de conclure qu’il
s’agit de terrorisme. (Robert Horn,
Thai Tourism
Sector Must Face, Not Dismiss, the
Threat of Terrorism, 20
février 2012.)
Une « équipe terroriste » israélienne
arrêtée en Iran
Ces reportages contradictoires
relativement à la quantité d’opérations
secrètes en Iran pourraient indiquer
qu’Israël et les États-Unis bluffent et
font couler des informations dans le
cadre d’une opération psychologique (PsyOp).
Mais le 10 avril, le gouvernement
iranien a déclaré avoir arrêté un groupe
terroriste appuyé par Israël, sans
donner trop de détails.
Les responsables ont prétendu que
les terroristes étaient financés et
appuyés par Israël et envisageaient
d’attaquer des scientifiques œuvrant
dans le nucléaire et des sites
nucléaires au pays. Le plan
terroriste a été déjoué, a affirmé
l’agence de presse étatique Islamic
Republic News Agency (IRNA), citant des
représentants du ministère. (Stephen
Manual,Israel-backed
terrorist team arrested in Iran,
All Voices, 10 avril 2012.)
Le présumé plan terroriste cité par
Téhéran ressemble énormément aux
opérations clandestines détaillées dans
le
TIME. Mais il est possible que les
Iraniens bluffent aussi.
S’il est vrai que la République
islamique a « capturé un Israélien » ou
qu’elle possède « d’autres preuves »,
comme le mentionnait le
TIME, cela pourrait accroître « la
crédibilité de Téhéran » et, en
revanche, affecter « l’image d’Israël
dans l’opinion publique ».
Julie Lévesque,
journaliste
Mondialisation.ca
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