Opinion
Syrie : pas
d'intervention !
Les forces françaises ne peuvent
affronter Damas
Général (CR) Jean Fleury
Le général
Jean Fleury
Samedi 25 août 2012
(Opinion- revue de presse – Le Monde –
24/8/12).
Personne ne peut
être indifférent au drame qui se déroule
en Syrie. Aussi, en raison de l’exemple
libyen, de nombreuses voix s’élèvent
pour demander une intervention
militaire. Certains réclament la mise en
œuvre de toutes les mesures nécessaires,
comme cela avait été demandé par le
Conseil de sécurité de l’ONU en 1990
pour libérer le Koweït ou en 2011 pour
protéger les populations que Mouammar
Kadhafi voulait massacrer. Mais pour que
l’aviation puisse détruire les chars ou
les pièces d’artillerie menaçant les
civils, il faut qu’elle ait au préalable
la maîtrise du ciel, c’est-à-dire mis
hors de combat batteries sol-air et
chasseurs ennemis.
Dans le cas libyen,
ce n’était pas trop difficile car la
force aérienne du dictateur était peu
opérationnelle et ses moyens terrestres
de défense contre avions ont été
rapidement détruits. Pour la Syrie, la
chanson n’est pas la même. Son armée de
l’air totalise environ 500 avions de
combat, soit deux fois plus que la nôtre
; bien que seulement une partie d’entre
eux soit moderne, leur nombre et la
qualité d’un entraînement conduit en vue
d’une guerre éventuelle avec Israël en
font un adversaire sérieux. Nous ne
sommes pas de taille à l’affronter. En
juin dernier, quand les Turcs ont voulu
tester la défense aérienne syrienne
(pour tout expert en la matière, c’est
une évidence à l’examen des trajectoires
publiées) la réaction ne s’est pas fait
attendre et l’appareil a été abattu.
Pour venir à bout aujourd’hui de
l’aviation de Bachar el-Assad, il
faudrait employer toute la machine de
guerre américaine et utiliser les
aéroports de Grèce et de Chypre, voire
du Moyen Orient.
Pour la Libye,
c’est notre armée de l’air seule qui a
conduit le premier raid de libération de
Benghazi. Si l’aide américaine a été
indispensable pour la poursuite de la
guerre, nous n’en avons pas moins
effectué près du quart des missions de
protection de la population menacée par
Kadhafi, nous plaçant ainsi au premier
rang de la coalition. Face à la Syrie,
nous ne serions qu’une petite force
d’appoint placée sous les ordres de
Washington ; ce ne serait pas très
glorieux.
Quant à la zone
d’exclusion aérienne réclamée par
d’autres, elle pose exactement le même
problème car pour détruire les appareils
de Damas en vol, il faut une maîtrise du
ciel encore plus parfaite !
Il m’a paru
étonnant que ce point de vue n’ait pas
été davantage émis. Mais il y a à cela
une bonne raison : ce serait reconnaître
la faiblesse de notre aviation
militaire. Lors de la première guerre du
Golfe en 1991, l’armée de l’air
française disposait de 450 avions de
combat auxquels s’ajoutaient 32 Mirage
IV de la force aérienne stratégique. Le
livre blanc en vigueur ramène ces moyens
à 230 Mirage 2000 ou Rafale dont les
vecteurs nucléaires. La déflation de
l’aéronautique navale a été similaire.
Les budgets militaires de la France sont
ainsi passés en 20 ans de 3% du PIB à
1,5% ; ils ont été chaque année la
variable d’ajustement des finances
publiques assortie de la promesse de
jours meilleurs prochains … lesquels ne
sont toujours pas là.
Mais il est
impossible aujourd’hui aux pouvoirs
publics de proclamer cette faiblesse :
la conclusion serait immédiate, le
budget de la défense deviendrait
prioritaire ce qui serait contradictoire
avec les engagements du Président de la
République.
Alors, finalement,
le «
niet » de Vladimir Poutine est bien
pratique : il évite de poser les vraies
questions.
Le général Jean
Fleury a été Chef d'état-major de
l'armée de l'Air (24 avril 1989 - 1er
décembre 1991)
© G. Munier/X.
Jardez
Publié le 25 août avec l'aimable
autorisation de Gilles Munier
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