Opinion
Libye: Retour sur
les racines d'une guerre
Jean-Pierre Dubois
Vendredi 14
décembre 2012 L’insurrection qui
devait aboutir à l’assassinat de
Mouammar Kadhafi et à la fin de son
régime a débuté le 17 février 2011 à
Benghazi en Cyrénaïque.
Pourquoi à Benghazi et non à Tripoli
? Pourquoi en Cyrénaïque et non en
Tripolitaine ?
La Cyrénaïque et la Tripolitaine,
géographiquement séparées par le désert
de Syrte, ont toujours été deux régions
politiquement distinctes et rivales.
Cela remonte à l’Antiquité où la zone
côtière de l’Est de la Libye (la
Cyrénaïque d’aujourd’hui) était sous
l’influence des Grecs tandis que celle
de l’Ouest (la Tripolitaine) était
occupée par les Phéniciens de Carthage.
La Libye est une province ottomane de
1551 à 1911. Mais, durant une partie du
XIXème siècle, les deux régions
dépendent d’autorités différentes.
En
1945, l’Italie doit abandonner la Libye
qu’elle avait colonisée à partir de
1911. C’est alors que
Idris al-Sanussi, émir de
Cyrénaïque, proclame unilatéralement
l’indépendance de sa région tandis que
la Tripolitaine reste placée sous une
administration britannique.
En 1951, quand le pays est réunifié,
l'émir de Cyrénaïque se fait proclamé
roi de Libye, sous le nom d'Idris 1er.
Désormais la Cyrénaïque domine
politiquement et économiquement la Libye
au détriment de la Tripolitaine dont le
poids démographique est pourtant
supérieur. Le siège du pouvoir politique
passe de Tripoli à Benghazi.
En 1959, de premiers sites
d’extraction pétrolière sont exploités
en Cyrénaïque et Benghazi devient le
siège des compagnies pétrolières.
L’autoritarisme du roi Idris entraine
protestations et émeutes qui sont
sévèrement réprimées, notamment celles
de 1967 où le gouvernement fait appel à
des forces de police encadrées par des
conseillers britanniques. Les partis
d’opposition sont interdits.
Le
1er septembre 1969, un groupe de jeunes
officiers, conduit par
Mouammar Kadhafi, renverse le roi
autocrate. Tripoli redevient la capitale
politique de la Libye tandis que la
Tripolitaine va, peu à peu, être la
première bénéficiaire de la rente
pétrolière.
Défavorisée à son tour, la Cyrénaïque
connaît des difficultés économiques et
sociales avec une dégradation de son
secteur de santé ainsi qu’un retard dans
la construction de logements et
d’infrastructures. Il en résulte un
mécontentement chronique qui s’exprime
par des émeutes violemment réprimées,
comme celle de la ville de Derna en
1996.
Ce ressentiment de la Cyrénaïque à
l’encontre du régime de Kadhafi
explique, en grande partie, que Benghazi
ait été l’épicentre du mouvement du 17
février 2011 alors que les deux autres
capitales régionales – Tripoli et Sebha
– n'ont pas suivi.
« Sans l'engagement des hélicoptères
de combat en Libye, les forces du
Conseil national de transition (CNT)
seraient peut-être encore à Ajdabiya et
Brega », s'est vanté le général français
Bertrand Ract Madoux, chef d'état-major
de l'armée de terre. [1]
Ajdabiya et Brega se trouvant
en Cyrénaïque, c'est une manière
d'avouer que, sans l'intervention
militaire de l'OTAN, l'insurrection
initiée à Benghazi avait peu de chances
de s'étendre à toute la Libye.
La ville
de Syrte punie par l'OTAN pour ne pas
s'être ralliée à la "rébellion" Source : Patrick
Haimzadeh, Au coeur de la Libye de
Kadhafi, Edition JC Lattès, avril
2011. Patrick Haimzadeh a été en poste
diplomatique à Tripoli durant plusieurs
années.
[1] Commission
de la défense nationale et des forces
armées, 24 juillet 2012 :
http://www.nosdeputes.fr/14/seance/85#inter_d2bc169e4b3b2...
Jean-Pierre Dubois
Le dossier
Libye
Les dernières mises à jour
|