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Mercredi 3 février 2010
Ce qui suit est proprement incroyable. Le premier ministre
François Fillon était l’invité d’Europe 1, ce matin. Une
question lui a été posée sur l’affaire Cleartream. Voici sa
réponse telle que la restitue, avec exactitude car, auditeur moi
même de cette interview, je n’en suis pas encore remis, une
dépêche AP de 9h14:
S’exprimant pour la première fois sur l’affaire, le locataire
de Matignon a estimé sur Europe-1 que « tous les gens qui
connaissent le fonctionnement de la justice (…) savent que
l’appel était automatique, il était obligatoire (…) Ce qui
aurait été anormal, c’est qu’il n’y eut pas d’appel ». »
Il est saisissant et stupéfiant d’entendre un chef de
gouvernement s’exprimer de manière aussi fausse sur le
fonctionnement de la justice du pays qu’il dirige. La justice et
ses mécanismes expriment le degré d’une civilisation d’une
société. C’est pour cela que le formalisme des procédures est
important, qu’il doit être respecté, et parmi toutes les tâches
d’un gouvernement, s’attacher à ce que ceci soit effectif n’est
pas la moindre de ses missions.
Aussi, entendre le premier des ministres dire que l’appel
d’un jugement est « automatique » et « obligatoire » ne peut que
susciter un mouvement d’effroi. Est-il possible que François
Fillon soit à ce point ignorant des procédures? Ou bien,
l’emploi inexact des mots trahit-il ici une pensée bien réelle?
Celle qui fait des magistrats du parquet des agents dociles du
pouvoir?
Si cette seconde interprétation était vrai, et beaucoup de
choses suggèrent qu’elle l’est, on peut alors déduire la marge
de manoeuvre qui était celle du procureur Jean-Claude Marin
jeudi après-midi, après le verdict du tribunal correctionnel
concernant Clearstream. Elle était nulle, évidemment (…).
En prenant au premier degré les mots de François Fillon,
Jean-Claude Marin n’avait d’autre choix que celui de l’appel,
« automatique », « obligatoire ». Formellement, nous le savons
tous, c’est faux, archi-faux, totalement faux. Un appel, dans le
droit français, tel qu’il résulte des procédures mises au point
par le législateur, est facultatif et non pas mécanique,
possible et non pas obligatoire. Que dit le pouvoir de lui même
quand il s’affiche si peu soucieux des formes?
A ce propos autre chose qui me trotte dans la tête depuis
longtemps, et qui concerne toujours la forme. Jamais Dominique
de Villepin n’aurait dû comparaître devant le tribunal
correctionnel dans le dossier Clearstream. Les deux premiers
alinéas de l’article 68-1 de la constitution de 1958
l’établissent très clairement
Les membres du Gouvernement sont pénalement responsables
des actes accomplis dans l’exercice de leurs fonctions et
qualifiés crimes ou délits au moment où ils ont été commis.
Ils sont jugés par la Cour de justice de la République.
Le tribunal correctionnel est incompétent pour juger les
actes d’un ministre. Or, durant toute l’instruction, puis
ensuite durant le procès, ce sont bien les actes de Dominique de
Villepin, successivement ministre des Affaires étrangères, puis
de l’Intérieur qui ont été jugés. Le procès, pour dire les
choses exactement comme elles sont, est inconstitutionnel.
Il ne peut y avoir de constat plus grave. Avez-vous entendu un
député, un sénateur, s’offusquer de cette situation? Non.
Pourquoi? Parce que les parlementaires en France n’ont aucun
sens de l’honneur, ce qui n’est pas grave, mais peu de souci
aussi du respect des formes. Or, sans ce souci, les lois pèsent
peu face à la folie humaine.
A-t-on entendu un ministre s’étonner de la situation? Non. Et
les juges? Muets, eux aussi. Cependant, ces derniers pourraient
bien jouer un tour pendable à Dominique de Villepin. Il
suffirait qu’au terme du procès en appel, les magistrats
composant la cour se déclarent incompétent pour que la Cour de
Justice se trouve saisi du dossier Villepin dans l’affaire
Clearstream. Le temps que cette dernière fasse son travail, nous
aurons tous oublié depuis longtemps les détails de l’élection
présidentielle de 2012.
Certains objecteront à ceci que Dominique de Villepin lui
même avait souhaité comparaître devant un tribunal ordinaire, et
pas devant la Cour de justice. Attitude singulière qui voit un
justiciable choisir ses juges. Cette volonté personnelle ne pèse
rien devant la loi et les formes de celles ci. Des actes
ministériels ne peuvent être jugés que par la Cour de justice.
Ceci est « automatique » et « obligatoire ».
On a toujours tort, et c’est toujours un tort pour tous, de
ne pas respecter les textes et les procédures.
(Blog de
Jean-Michel Apathie, 03/02/10)
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