Le professeur James Petras analyse la guerre du Liban comme
un « conflit dual », c’est-à-dire ayant à la
fois comme objectif de détruire la résistance libanaise et de
préparer de nouvelles guerres, contre la Syrie et l’Iran.
Dans cette perspective, le Conseil de sécurité de l’ONU a été
instrumentalisé par les États-Unis et le lobby pro-israélien.
Les résolutions adoptées sont autant de moyens d’adjoindre
une coercition internationale aux efforts de Tsahal en vue du
remodelage du Grand Moyen-orient voulu par Washington.
Une recension des déclarations
de l’État israélien, des documents et communiqués de presse
repris par ses représentants locaux en la personne des présidents
des principales organisations juives des États-Unis et de leurs
partisans s’exprimant dans les principaux médias tant écrits
qu’audiovisuels révèle un effort concerté visant à
convaincre les États-Unis d’attaquer militairement l’Iran.
Dès le milieu des années 1990, les principaux idéologues israéliens
aux États-Unis ont promulgué des documents et des manifestes
de propagande ayant la prétention d’être des feuilles de
route stratégiques destinées à éclairer une agression
conjointe états-uno-israélienne contre l’Irak, la Syrie et
plus particulièrement l’Iran [1].
Alors même que les ruines du 11
septembre étaient encore fumantes, les idéologues israéliens
en vue, le sénateur Lieberman et le sous-secrétaire à la Défense
Wolfowitz exhortaient Washington à attaquer l’Iran en lançant
des guerres soit séquentielles, soit simultanées. Œuvrant aux
priorités régionales d’Israël, ses représentants au sein
du gouvernement états-unien, au Pentagone (Wolfowitz, Feith
& Shulsky), au Conseil de Sécurité Nationale (Abrams), au
cabinet du vice-président (« Scooter » Libby) et au
cabinet du président (Frum, le plumitif de Bush) ont falsifié
des renseignements, donné les grandes lignes de la propagande
(Guerre contre la Terreur, Axe du Mal) et planifié la guerre
contre l’Irak, avec l’assentiment quasi unanime du Congrès,
obtenu et verrouillé par leur lobby. Ils obtinrent ensuite un
boycott de la Syrie par les États-Unis et un soutien à
l’expropriation et à la colonisation, par Israël, de
territoires palestiniens en Cisjordanie, ainsi que la
destruction de la bande de Gaza. Alors même que l’invasion états-unienne
avait été incapable de s’assurer du contrôle de l’Irak,
les représentants d’Israël au sein du gouvernement états-unien
ont bel et bien réussi à détruire la société irakienne et
sa capacité de soutenir la résistance palestinienne,
augmentant encore la puissance régionale d’Israël (avec un
coût exorbitant pour les États-Unis).
Bien que les États-Unis eussent
été en guerre avec l’Irak, bien qu’ils eussent subi plus
de 20 000 pertes entre tués et blessés, bien que leur guerre eût
entraîné des dépenses dépassant 430 milliards de dollars,
bien que l’essentiel de leurs troupes eussent été
dangereusement dispersé, les représentants d’Israël au sein
de l’Exécutif et du Congrès, à travers leur lobby,
poussaient les États-Unis à procéder à une attaque préemptive
contre l’Iran.
Au sein du gouvernement états-unien,
les représentants d’Israël étaient confrontés à plusieurs
types d’objection, provenant du Département d’État et
d’officiers d’active, contre une attaque militaire préemptive
contre l’Iran :
1.
Une attaque contre l’Iran risquerait d’entraîner une
invasion (iranienne) de grande envergure en Irak, à travers la
frontière, mettant en danger la position déjà précaire des
troupes états-uniennes ;
2.
Le Hezbollah, la Syrie et d’autres alliés de l’Iran
feraient sans doute preuve de solidarité avec celui-ci, et
lanceraient rapidement des représailles contre des clients des
États-Unis au Liban, dans les pays du Golfe et ailleurs au
Moyen-Orient ;
3.
Une telle attaque isolerait totalement les États-Unis de leurs
alliés européens, arabes et asiatiques, contraignant les États-Unis
à assumer à eux seuls la totalité du coût humain et matériel
de la guerre ;
4.
L’Iran pourrait bloquer le détroit d’Hormuz, stoppant le
flux pétrolier à destination de l’Europe et de l’Asie.
Préparatifs de guerre
Répondant à ces objections,
les représentants d’Israël aux États-Unis ont formulé une
série de politiques permettant de les contourner.
Tout d’abord, ces représentants,
conjointement à la police secrète israélienne et à ses
collaborateurs libanais, et avec l’approbation d’un conseil
de sécurité de l’Onu totalement dominé par les États-Unis,
ont réussi à impliquer la Syrie en lui collant sur le dos
l’organisation de l’assassinat, le 14 février 2005, de
l’ex-Premier ministre Rafic Baha’eddin Al-Hariri, sur la
base de témoignages bidons obtenus d’un unique « témoin »
parjuré. Sur cette base, les « Nations-États-Unis »
ont contraint la Syrie à retirer ses forces du Liban, espérant
ainsi isoler le Hezbollah ainsi que d’ autres mouvements
anti-coloniaux et anti-impérialistes. Une fois la Syrie sortie
du Liban, les États-Unis, avec le feu vert israélien, se sont
assurés d’un régime lige à Beyrouth, un régime, toutefois,
qui n’avait quelque influence que dans le centre-nord du pays.
Le Hezbollah demeurait la force la plus importante au Sud Liban
et dans la majorité du Sud de Beyrouth, et il était totalement
immunisé contre toute machination militaire imaginée par le
gouvernement de Beyrouth.
En 2004, les États-Unis et la
France co-sponsorisèrent la résolution
1559 de l’Onu qui en appelait au « démantèlement
et au désarmement de toutes les milices tant libanaises que
non-libanaises ». Cette interférence extraordinaire dans
les affaires intérieurs du Liban, de la part du conseil de sécurité,
était manifestement une mise en condition en vue de
l’invasion israélienne de 2006.
Washington, en coordination avec
Israël, poursuivit sa « tactique du salami »,
entamant peu à peu tous les opposants réels ou supposés au
contrôle états-uno-israélien total de la région. En isolant
la Syrie, en détruisant Gaza et en « cernant » le
Hezbollah (c’est du moins ce qu’ils croyaient), ils
pensaient être en train de s’approcher d’une mise en
quarantaine de l’Iran. En juin 2006, Israël entreprit
d’envahir et de détruire Gaza, d’arrêter les dirigeants
politiques du Hamas afin d’installer un nouveau régime
vassal. Le même mois, le conseiller présidentiel ès questions
moyen-orientales, Elliot
Abrams, en consultation étroite avec le commandement
militaire israélien, donna le feu vert à l’invasion du
Liban, afin de détruire le Hezbollah, en vue de la réalisation
de l’objectif stratégique consistant à isoler l’Iran et à
surmonter les craintes des militaires états-uniens au sujet des
représailles qui ne manqueraient pas de suivre un bombardement
préemptif de l’Iran.
Parallèlement à l’invasion
états-uno-israélienne coordonnée du Liban et de Gaza,
Washington et le lobby pro-israélien travaillaient la piste
diplomatique. Ils voulaient s’assurer de l’approbation de
l’Onu à un boycott multilatéral, visant à contrer le
programme - parfaitement légal - d’enrichissement d’uranium
par l’Iran. Dans le cas de Gaza, le lobby s’était assuré
de l’ approbation unanime, par la Maison-Blanche, le Congrès
et les mass media, de la qualification d’ « organisation
terroriste » du Hamas, une organisation légalement élue.
Paradoxalement, le président Bush avait soutenu des « élections
libres » dans les territoires palestiniens, et même la décision
de participer à ces élections, prise par le Hamas. Le lobby
avait dès lors emboîté le pas à la reconnaissance par Bush
de la nature « libre et démocratique » du processus
électoral palestinien, en faisant pression (avec succès) sur
le Congrès et la Maison-Blanche afin qu’ils suppriment toute
aide et tout contact avec le gouvernement Hamas démocratiquement
élu ! La Maison-Blanche fit, à son tour, pression sur
l’Union européenne afin qu’elle rentre dans le rang. Israël
coupa toutes les routes du commerce et des approvisionnements
vitaux, et il refusa, en toute illégalité, de reverser les
taxes dues au gouvernement nouvellement élu. Israël entreprit
ensuite d’ asphyxier totalement l’économie palestinienne
(le lobby s’assurant, comme toujours, de l’aval des États-Unis
à la politique israélienne).
Après six mois de campagne
meurtrière, Israël fit monter l’escalade de ses incursions
armées dans la bande de Gaza et en Cisjordanie, tuant délibérément
des civils, des familles entières et des enfants occupés aux
activités les plus innocentes, comme une sortie familiale sur
la plage. Ces provocations israéliennes grotesques avaient pour
but de pousser le Hamas démocratiquement élu à rompre son
cessez-le-feu unilatéral, qu’il respectait depuis dix-sept
mois. Une attaque palestinienne visant à mettre hors d’état
de nuire l’emplacement d’un tank israélien qui, depuis la
proximité de la frontière, bombardait Gaza, et la capture
d’un soldat israélien servirent de prétexte à une invasion
de Gaza à grande échelle. Le gouvernement israélien détruisit
systématiquement la plupart des infrastructures vitales
(traitement des eaux, centrales électriques, réseau d’égouts,
ponts, routes, hôpitaux et écoles) et arrêta les hauts
dirigeants tant de l’exécutif que du législatif de l’Autorité
palestinienne démocratiquement élue. Israël a tué plus de
251 Palestiniens au cours des deux premiers mois de sa campagne
« Pluie d’été » contre Gaza, blessant plus de 5
000 personnes - très majoritairement des civils) [2].
En raison de la débâcle qu’il a subie au Liban, Israël a déchaîné
une campagne massive dans le style « tuer, et détruire ».
Le lobby pro-israélien a fait
taire toute dissension et s’est assuré un aval quasi unanime
au Congrès et un aval automatique au sein de l’exécutif états-unien
à la politique d’Israël envers Gaza. L’étranglement de
Gaza par Israël a affaibli toute opposition organisée
palestinienne à une attaque préemptive contre l’ Iran.
Là où l’invasion militaire
du Liban a échoué à détruire le Hezbollah, le lobby a réussi
à pousser les États-Unis à lui garantir une victoire
diplomatique majeure au moyen de l’adoption de la résolution
1701 du conseil de sécurité de l’Onu précisant les
conditions de ce qu’il est convenu d’ appeler une « cessation
des hostilités ». Cette résolution, de A jusqu’à Z,
était une duplication mot pour mot des objectifs stratégiques
israéliens : destruction du Hezbollah, division du Liban,
garantie de la primauté militaire israélienne au Liban et
isolation de l’Iran. L’approbation de cette résolution fit
suite au processus habituel en plusieurs étapes : Israël
en a fixé les termes, et son lobby a mis son appareil en ordre
de bataille, afin de pousser le Congrès et la Maison-Blanche.
Washington a présenté la résolution au Conseil de sécurité,
et il a mis la pression sur les pays qui en sont membres afin
qu’ils l’approuvent. La résolution fut approuvée, et les
processus militaire, économique et diplomatique furent mis en
branle, Kofi Annan servant de petit télégraphiste à la stratégie
états-uno-israélienne.
Dire que la résolution de
cessation des hostilités est « unilatérale » et
biaisée en faveur d’Israël est un euphémisme. Le problème
réside dans les termes mêmes et les attendus de la résolution.
Israël a envahi le Liban. Un État qui en envahit un autre, détruit
toute une infrastructure civile, 15 000 logements, et tue plus
de 1 100 des citoyens de cet autre pays, est normalement considéré
par le droit international comme un « État agresseur ».
Une zone tampon, ou une zone démilitarisée, quitte à ce
qu’il y en ait une, devrait être située à l’intérieur
des frontières du pays agresseur - soit à vingt kilomètres à
l’intérieur de la frontière israélienne. Cela devrait
d’autant plus être le cas que c’est Israël qui a bombardé
le Liban le premier et qui a envahi ce pays, et non le
contraire. Mais, en lieu et place, la résolution prévoit que
les forces de l’Onu occuperont le territoire libanais et en élimineront
ses résistants nationaux de première ligne - à savoir le
complexe de bunkers et de tunnels sous-terrains que le Hezbollah
et la résistance libanaise avaient aménagés, en guise de défense
civile contre les agressions des missiles, des bombes, de
l’artillerie et de l’infanterie d’invasion.
Ensuite, la résolution de l’Onu
en appela au déplacement, à la dissolution et au désarmement
des défenseurs du pays envahi (le Hezbollah) en lieu et place
du désarmement des envahisseurs (les Forces israéliennes de défense
(sic) - Tsahal). Dans la lignée de la stratégie israélienne,
cette proposition visait à accomplir militairement, au moyen de
l’Onu, ce qu’ Israël avait été incapable de réaliser.
Tertio, alors que la résolution
proposait que le Hezbollah soit contraint à rendre ses armes,
ou tout du moins à les« cacher », les armes israéliennes,
ainsi que ses soldats d’occupation et ses survols aériens
demeuraient intacts à l’intérieur du Liban, prêts et
impatients pour bombarder et attaquer la résistance libanaise
comme l’ont déclaré publiquement, à plusieurs reprises, le
Premier ministre et le ministre de la Défense israéliens (et
comme ils l’ont mis pratique, à plusieurs reprises).
Quatrièmement, le Hezbollah a
approuvé la cessation des hostilités, ce qu’Israël n’a
pas fait. Israël maintient ses blocus maritime et aérien, qui
sont des « actes de guerre » d’après le droit
international, et se réserve le « droit »
d’envoyer sans entraves ses commandos et ses escadrons de la
mort à l’intérieur du territoire libanais. Ni les Nations
Unies, ni Kofi Annan n’ont dénoncé les violations de la
cessationd es hostilités perpétrées par Israël. Les États-Unis,
par ailleurs, les ont entérinées.
Cinquièmement, Israël a insisté
et la résolution de l’Onu a proposé que des troupes
libanaises patrouillent la frontière, pourchassent et détruisent
les armes et les militants du Hezbollah, espérant ainsi
promouvoir une guerre civile confessionnelle et diviser le Liban
en un État fragmenté et incapable de fonctionner en lieu et
place du gouvernement de coalition (incluant le Hezbollah)
existant avant et durant l’invasion israélienne. Le Hezbollah
ne s’est pas opposé au déploiement de soldats libanais sur
les frontières libanaises ; il a même plutôt fraternisé
avec eux.
Dans cette résolution - de loin
la plus perverse de toutes les résolutions de cessation
d’hostilités adoptées jusqu’ici - l’agresseur (Israël)
conserve ses armes, peut poursuivre son occupation de terres, de
l’espace aérien et maritime du Liban, et intensifie ses
acquisitions d’armes offensives. Son lobby pousse les États-Nations-Unis
à encercler le Hezbollah, à contrôler la frontière
libano-syrienne (le Liban perdant, du même coup, sa souveraineté)
et met un terme au flux d’armes défensives, quelle qu’en
soit la nature, destiné à compenser l’arsenal entamé par la
défense du pays contre les envahisseurs israéliens.
La résolution états-nations-unis-israélienne
vise à isoler la résistance libanaise de la Syrie et de l’Iran,
et à affaiblir toute solidarité arabe commune, au cas (et au
moment) où l’Iran et la Syrie seraient attaqués.
Kofi [le Gaffeur] Annan,
nominalement secrétaire général des Nations Unies, mais connu
par les gens introduits aux Nations unies comme étant le petit
télégraphiste de Washington - et donc du lobby pro-israélien
- a effectué une mission dite de « paix » au
Moyen-Orient. Son propos n’était pas d’ouvrir des négociations
au sujet d’un échange de prisonniers entre le Hezbollah /
Liban et Israël, mais bien de garantir la libération
inconditionnelle des deux prisonniers de guerre israélien
capturés. Jamais, à aucun moment, n’a-t-il fait mention de
la demande fondamentale des Libanais, à savoir la libération
du millier de civils et combattants libanais illégalement
emprisonnés et souffrant dans les geôles israéliennes, dont
beaucoup le sont depuis des années, sans qu’aucune accusation
n’ait été formulée à leur égard, car sans procès. La
Syrie ayant accepté de travailler avec Annan à un accord réciproque
de libération de prisonniers entre Israël et le Liban, et Israël
ayant rejeté cette proposition, Annan a refusé de critiquer
l’intransigeance israélienne, et il a continué à se faire
le porte-parole des exigences israéliennes d’une libération
inconditionnelle et unilatérale des prisonniers israéliens.
Il est clair qu’Israël et son
lobby états-unien s’efforcent de miser sur la résolution de
cessation des hostilités pro-israélienne et sur sa mise en
application afin d’élargir et d’approfondir leur immixtion
dans la politique intérieure libanaise, d’en contrôler la
politique sécuritaire et d’en éroder la souveraineté en
achetant des secteurs entiers des élites beyrouthines au moyen
d’ « aides à la reconstruction », tout en
maintenant Israël sur pied de guerre à la fois à l’intérieur,
tout autour et au-dessus du Liban.
Cet accord dit de « cessez-le-feu »
est en fait un piège à rats, l’offre d’assistance faite
par des donateurs à un régime de Beyrouth affaibli et
chancelant (en particulier en ce qui concerne ses composantes de
droite, pro-occidentales) en représentant le fromage, et
l’encerclement aérien, terrestre et maritime, ainsi que les
attaques potentielles d’Israël et de ses collaborateurs
onusiens contre un Hezbollah désarmé en représentant le
ressort d’acier.
Le lobby s’est assuré des 100
% de soutien de la Maison-Blanche et du Congrès des États-Unis
à la continuation des blocus aérien et maritime israéliens
ainsi qu’aux exigences israéliennes de désarmement et de
destruction du Hezbollah, conditions sine qua non du retrait
d’Israël des territoires libanais qu’il occupe
actuellement.
Mais il y a pire : tandis
que l’Onu entame son occupation du Liban et qu’ Israël y
maintient sa présence militaire, Tel Aviv « réinterprète »
la cessation des hostilités afin de garantir sa position avancée
en territoire libanais. Israël exige la libération de ses deux
prisonniers de guerre et la destruction du Hezbollah avant
d’envisager de mettre un terme à son occupation et à son
blocus. Il insiste sur la nécessité pour les troupes de l’Onu
de contrôler la frontière syrienne, avant de se conformer aux
termes de l’accord et de retirer ses propres troupes. Aucune
mention n’est faite de troupes de l’Onu patrouillant la
frontière entre Israël et Gaza, qu’Israël franchit
quotidiennement pour aller assassiner des Palestiniens.
Autrement dit, tandis que l’Onu érode la position de la résistance
palestinienne et renforce Israël militairement, Israël ne négocie,
ni n’offre rien en retour - il poursuit son escalade, par des
exigences sans cesse nouvelles et de plus en plus extravagantes.
Tout ceci, avec le soutien de son lobby et de ses officiels
hautement placés dans le pouvoir exécutif et au Congrès des
États-Unis. Le but de cette manœuvre complexe des Nations
unies est de neutraliser toute opposition libanaise à
l’escalade de l’agression états-uno-israélienne contre
l’Iran.
La diplomatie au service de la confrontation et
de la guerre
Parallèlement à cette stratégie
de la « tapette à souris » libanaise, et
convergeant avec elle, les États-Unis, puissamment poussés par
le lobby, ont entrepris de s’assurer au conseil de sécurité
de l’Onu d’un soutien à toute une série de mesures
(sanctions) diplomatiques et économiques à l’encontre de
l’Iran. Ainsi, le conseil de sécurité, sous l’injonction
des États-Unis et de l’Union européenne est en train de
formuler des exigences en totale contradiction avec le traité
de non-prolifération nucléaire qui permet à tous les pays du
monde entier, à tout moment, d’enrichir de l’uranium à des
fins pacifiques, provoquant ainsi une confrontation majeure avec
l’Iran. Ces exigences dont l’illégalité ne le cède qu’à
la présomption n’ont absolument aucun fondement, ni dans la
loi, ni dans les faits : d’après l’Agence
internationale de l’énergie atomique (AIEA), il n’existe
aucune preuve que l’Iran serait en train d’élaborer une
arme atomique. Les États-Unis ont entamé une approche du type
pas à pas pour préparer le terrain à une guerre préemptive
contre l’Iran, afin de minimiser leur propre isolement, les coûts
humain et financier énormes à planifier ainsi que des représailles
prévisibles. Washington a d’ores et déjà préparé une résolution
appelant à des sanctions économiques - limitations de voyages
et d’investissements. Une fois le principe de ces sanctions économiques
adopté, Washington pourra plus aisément pousser à
l’adoption de mesures supplémentaires, telles des sanctions
commerciales, des restrictions à la navigation et le gel
d’avoirs à l’étranger. Une fois l’isolement économique
multilatéral de l’Iran acquis, Washington pourra lancer son
assaut aérien, avec moins d’opposition et une plus grande
approbation de ses clients européens et moyen-orientaux.
Après l’Irak, le Hezbollah, le Hamas :
l’Iran. Une énième stratégie à la noix ?
Les représentants d’Israël
au sein du gouvernement états-unien ont vu dans la guerre
contre l’Irak un terrain clé de mise en scène d’une
attaque contre l’Iran - dans le cadre d’une série
triomphale de conquêtes militaires transformant le Golfe
persique en un condominium états-uno-israélien. Avec la guerre
d’Irak, le lobby a réussi à passer le Congrès au bulldozer
afin de lui faire adopter une loi de boycott de la Syrie, autre
cible dans la stratégie générale du lobby pro-israélien et
d’Israël. Le Liban, plus particulièrement sa résistance
nationale, sous la conduite du Hezbollah, est un élément clé
dans la stratégie états-uno-israélienne en vue d’une
agression armée contre l’Iran. Le Sud Liban, avec le
Hezbollah, et la bande de Gaza, avec le Hamas, ainsi que
d’autres alliés potentiels de l’Iran, ont été
successivement ciblés au moyen de l’Onu en vue de leur
isolement diplomatique, et militairement en vue de leur
extermination physique. Les guerres tant états-unienne
qu’israélienne sont au service d’un objectif immédiat
(l’affaiblissement des adversaires) et, plus important, elles
s’ inscrivent dans la préparation d’une attaque majeure
contre l’Iran. Les guerres à « finalité duale »
sont faites pour affaiblir et détruire les adversaires des
projets états-uno-israéliens de domination régionale et de création
de bases militaires, accompagnées d’un encerclement géographique
et de pressions économiques en vu, en fin de parcours, d’un
assaut militaire contre l’Iran.
Pour sûr, des dominos tombent. Mais pas les
bons, et pas où il faudrait !
Le lobby et les architectes israéliens
des guerres séquentielles de l’administration Bush ont
toutefois essuyé plusieurs déconvenues sévères, au moins
autant que de victoires, au cours de leur avancée vers Téhéran.
Ils ont réussi à détruire le
gouvernement nationaliste laïque de Saddam Hussein, et à
paralyser totalement le potentiel militaire défensif et économique
de l’Irak. Toutefois, ils sont confrontés à une insurrection
non anticipée de long terme et à grande échelle, qui cloue
sur place des centaines de milliers de soldats d’active états-uniens
et de matériel militaire états-uniens, ponctionne leurs réserves,
impose des coûts fiscaux exorbitants et sape le soutien de
l’opinion publique à cette guerre ainsi qu ’à toute éventuelle
invasion militaire promue par le lobby pro-israélien.
Les efforts états-uniens,
soutenus par le lobby pro-israélien, visant à sortir Arafat et
à imposer un régime palestinien client opposé à l’Iran et
au Hezbollah au moyen d’élections ont fait long feu :
c’est le Hamas, un mouvement nationaliste anti-colonial, qui a
remporté les a remportées. En conséquence, Israël a réemprunté
la voie de l’agression militaire totale et des massacres pour
décimer l’opposition à son projet concernant le « Grand
Moyen-Orient ».
Quant aux efforts visant à
exterminer le Hezbollah, au Sud Liban, ils ont réussi à
ravager ce pays et à tuer de nombreux civils, mais ils ont échoué
dans leur mission principale, qui était de dégager la voie en
vue d’une attaque incontestée contre l’Iran. Si Israël a
militairement échoué, en revanche, son lobby et ses clients au
Congrès des États-Unis et dans l’ administration américaine
ont réussi à imposer leurs objectifs politiques israélo-états-uniens
communs, sous la forme de l’infâme résolution
onusienne 1701, via l’Onu et l’armée libanaise. Néanmoins,
cette résolution, tout en imposant d’importantes
restrictions, est toujours fortement contestée : le
Hezbollah rejette tout désarmement, l’armée libanaise, qui
est à près de 40 % chiite, fraternise avec le Hezbollah et ne
le provoque nullement, tandis que les troupes spéciales de l’Onu
n’ont nulle intention de jouer le rôle des troupes de choc
d’Israël en provoquant une nouvelle agression contre le
Hezbollah, en particulier après qu’Israël ait délibérément
tué des Casques Bleus.
La stratégie diplomatique israélo-lobbylo-états-unienne
à l’Onu, visant à imposer des sanctions à l’Iran s’est
assurée du soutien européen sur des points relativement
marginaux, mais elle a échoué à obtenir le soutien russe et
chinois à un embargo total. La Chine est en train de négocier
un accord avec l’Iran sur le processus d’enrichissement
d’uranium, qui risque fort de saper totalement la stratégie
états-unienne de la « diplomatie en vue de la guerre ».
Confronté à cette série
d’obstacles militaires et diplomatiques, le lobby n’en rend
pas pour autant les armes. Il s’active à une nouvelle
campagne visant à fouetter la fièvre de guerre aux États-Unis
par l’entremise d’activistes ultra « sionophiles »,
j’ai nommé entre autres John
Bolton, l’ambassadeur états-unien à l’Onu, le secrétaire
d’Etat à la Défense Donald
Rumsfeld, le vice-président Dick
Cheney, le président Bush et, bien entendu, l’inimitable
« conseiller chef ès Moyen-Orient » Elliot
Abrams. Leur position consiste aujourd’hui à laisser
tomber toutes les questions tordues et vouées à l’échec,
ainsi que les propositions diplomatiques, et à fonder
l’attaque pendante contre l’Iran sur une idéologie, qui a
nom : La nouvelle lutte entre la Démocratie et l’
« Islamo-fascisme » !
Pour le gouvernement israélien,
une attaque états-unienne préemptive contre Téhéran serait
considérée comme l’affaiblissement d’un énième opposant
à la domination régionale d’Israël. Pour les États-Unis,
elle ouvrirait tout grand les vannes de l’insurrection en Irak
et au-delà, ce qui conduirait à deux ou trois Irak, voire
plus. A un certain moment, les « poulets pourraient
rentrer se faire rôtir à la maison ». Pour avoir sacrifié
un nombre indéterminé de vies états-uniennes au service
d’une puissance étrangère, le lobby et ses soutiens
politiques au Congrès des États-Unis disparaîtront dans les
poubelles de l’Histoire en tant que traîtres à nos idéaux
les plus élevés de pays libre et indépendant.
Incapable de s’assurer d’une
attaque états-unienne contre l’Iran, Israël ne cesse d’accélérer
ses projets de guerre contre l’Iran et la Syrie. Une fois
encore, son lobby a monté de toutes pièces une campagne de
propagande massive et soutenue, prétendant que le président
iranien, Mahmoud Ahmadinejad, aurait déclaré, dans un discours
prononcé en octobre 2005, qu’ « Israël devrait être
effacé de la carte ». Ce lobby a outrageusement falsifié
la traduction anglaise de ce discours. En réalité, le président
iranien n’a utilisé ni le mot « carte », ni le
participe « effacé » ! [3].
En réalité, il a déclaré : « Ce régime, qui
occupe Jérusalem, doit disparaître de la page du temps. »
Clairement, il faisait référence à un régime qui occupe illégalement
une ville après en avoir fait militairement la conquête, qui réduit
ses propres citoyens arabes à la discrimination et à
l’indigence, et qui colonise les territoires occupés.
Autrement dit, Ahmadinejad en appelle à la disparition d’un régime
colonial raciste, et pas à la destruction, ni à l’expulsion
des juifs qui vivent en Israël. Cette « erreur de
traduction », et bien d’autres, font partie de
l’action du lobby visant à susciter artificiellement
l’opprobre à l’encontre de l’Iran et à stigmatiser ce
pays au moyen des pires clichés de « déni de l’
holocauste », afin de maquiller une attaque israélienne
contre lui en un acte de résistance courageuse contre un État
voyou « islamo-fasciste ». De janvier à mars 2006,
le haut commandement militaire israélien a mis en branle des
plans de guerre en vue d’une attaque contre l’Iran, lesquels
plans ont été provisoirement ajournés, le temps que
Washington en termine avec les manœuvres diplomatiques. En
septembre, le Times de Londres (3 septembre
2006) a écrit qu’ « Israël est en train de préparer
une éventuelle guerre tant contre l’Iran que contre la Syrie ».
D’après des sources militaires et politiques israéliennes,
« le défi que représentent l’Iran et la Syrie est
figure désormais en premier point sur l’agenda de la défense
(sic) israélienne ».
* James
Petras est professeur émérite de
sociologie à l’université Binghamton de New York.
Intellectuel emblématique de la gauche américaine, il est
l’auteur de nombreux ouvrages. James Petras est membre de la
conférence « anti-impérialiste » Axis
for Peace organisée par le Réseau Voltaire