Opinion
Scoop: The Guardian censure et déforme les
dépêches WikiLeaks
La censure politique exercée sur les fuites de WikiLeaks par The
Guardian
Israel Shamir
Israel Shamir
Mardi 11 janvier 2011
http://www.israelshamir.net/English/GuardianAstana.htm
Bien que le
filet se resserre autour du fondateur de WikiLeaks, Julian
Assange, les contenus des câbles diplomatiques US nous ont été
prodigués à pleines pelletées. Pire, le Guardian met en forme et
déforme ces câbles afin de protéger ses lecteurs contre des
remarques désobligeantes au sujet de la façon dont leurs grands
trusts se comportent outre-mer. Ce n’est pas une conjecture,
mais un fait : The Guardian a délibérément coupé des passages
des câbles qu’il a publiés afin de dissimuler des preuves de
corruption.
Il y a un an
de cela, le 25 janvier 2010, l’ambassadeur US à Astana, capitale
du Kazakhstan, a envoyé le câble secret ASTANA 000072,
intitulé : Kazakhstan : argent et pouvoir. Ce câble relatait un
dîner en privé de l’ambassadeur américain avec un haut
responsable du gouvernement kazakh, Maksad Idenov. A l’époque,
Idenov était à la tête de la compagnie du pétrole et du gaz
kazakhe et il représentait l’Etat dans des négociations avec des
compagnies pétrolières étrangères, dont British Gaz et l’ENI.
Une version expurgée de ce câble a été publiée (par le Guardian)
[http://www.guardian.co.uk/world/us-embassy-cables-documents/245167],
et c’est ainsi que nous est accordé le rare privilège d’observer
le processus éditorial du Guardian en action. Cela ressemble
très fort à de la censure politique.
Voici le
passage intéressant du câble d’Astana ; les mots supprimés par
The Guardian sont en gras :
« …
l’économie de marché, cela signifie le capitalisme, ce qui
signifie les gros sous, et ce qui signifie des pots-de-vin
conséquents pour les mieux introduits ».
Il semble
bien que quelqu’un, au Guardian, veut nous épargner une
désillusion au sujet de la loi du marché. The Guardian n’hésite
pas à révéler à ses lecteurs que le capitalisme, cela signifie
« les gros sous », mais une discussion de ce que les gros sous
sont susceptibles de faire à un gouvernement étranger est
strictement ‘verboten’. Idenov n’est pas quelque outsider
frustré, c’est un acteur du pouvoir, il se trouve au cœur du
système. Il sait de quoi il parle. Les lecteurs du Guardian
risquent de ne jamais en entendre parler, mais les « gros sous »
du capitalisme se traduisent bel et bien, dans la réalité, par
« des pots-de-vin conséquents pour les mieux introduits ».
Juste avant
ce dîner, l’on avait entendu Idenov « aboyer dans son téléphone
portable » contre le directeur de British Gaz pour le
Kazakhstan, Mark Rawlings, « qui continue à jouer des petits
jeux avec James Griffin, de Mercator, cet AmCit indicateur
notoire accusé de corruption à grande échelle dans des marchés
pétroliers en 1990, dont le procès se traîne au Southern
District Court de New York. Idenov lui disait : « Mark, arrête
de faire l’imbécile ! Arrête de tenter le sort ! Arrête de
parler à un criminel notoire ! »
Mais, là
encore, l’information particulièrement pertinente et audacieuse
du câble d’Astana a été censurée afin que les contribuables
britanniques n’apprennent pas que le directeur régional d’une
éminente firme britannique insiste à faire des affaires avec un
rufian mis en examen. Les lecteurs du Guardian ne seront
peut-être jamais que le cas du citoyen américain (car c’est bien
ce que l’abréviation AmCit signifie…) James Giffen (dont le nom
avait été estropié dans le câble) avait été innocenté par le
Juge de District américain du fait que les pots-de-vin qu’il
avait donné aux officiels kazakhs avaient été autorisés par la
CIA. Le juge avait louangé publiquement ce « trafiquant
notoire » en le qualifiant de combattant de la Guerre froide [http://www.mainjustice.com/justanticorruption/2010/11/19/in-stunning-end-to-kazakh-bribe-case-judge-lauds-giffen-as-a-patriot/]
ayant contribué à
faire avancer la cause juive (ce qui est, toujours, une
circonstance atténuante dans le système judiciaire américain) et
il avait déclaré afin que nul n’en ignore que « son comportement
en affaires s’intégrait dans le cadre d’opérations autorisées
par la CIA ».
« M. Giffen
était une source d’informations importante pour le gouvernement
américain et un intermédiaire pour des communications secrètes
avec l’Union soviétique et ses dirigeants, durant la Guerre
froide », avait dit le juge. Au Kazakhstan, Giffen faisait la
promotion des intérêts américains, dont ceux des firmes privées.
« Il a joué le rôle d’un canal pour des communications portant
sur des questions vitales pour l’intérêt national des Etats-Unis
dans cette région du monde », avait indiqué le même juge.
« L’intermédiaire des affaires pétrolières James H. Giffen, qui
fut accusé d’avoir acheminé 84 millions de dollars de
pots-de-vin au président kazakh et à d’autres officiels du
Kazakhstan » [http://www.justice.gov/criminal/fraud/fcpa/cases/docs/08--04-04giffen-second-superseding-indict.pdf]
est reparti de ce pays en homme libre et riche. Peut-être notre
homme, Rawlings, en sait-il un peu plus au sujet des liens entre
Giffen et la CIA que ce n’était le cas en ce qui concerne
l’ambassadeur américain et M. Idenov ?
La dernière
coupure opérée par le Guardian finit par avoir raison du
proverbial gâteau. Idenov poursuit, disant que tant British Gas
que le pétrolier italien ENI sont corrompus et que des officiels
kazakhs avides de prébendes sont impatients de travailler avec
ces deux firmes. Ce passage du câble diplomatique a été
caviardé.
Le seul
passage du câble que le Guardian a jugé bon de souligner était
celui indiquant que le gendre du président préféré du moment se
trouvait « sur la liste des 500 premiers milliardaires de la
revue Forbes)(ainsi que son épouse, d’ailleurs, qui ‘concourait
à part’). De plus, le câble traficoté a été balancé sur les
pages du Guardian sans la moindre information du contexte et
sans commentaire. Le Kazakhstan n’est pas le pays d’à-côté, et
les lecteurs du Guardian méritaient davantage. Voici ce qu’ils
ont laissé transparaître de cette histoire : Idenov a quitté le
service de l’Etat (kazakh) en mai 2010 et il a ré-émergé, en
juillet – surprise, surprise – en tant que vice-président de la
Planification stratégique de l’ENI [http://www.biografia.kz/neft-i-gaz/idenov.html#ixzz1AcHowL38].
Oui : vous avez bien lu : de l’ENI, cette même entreprise
« corrompue » avec laquelle il était en affaires depuis son
bureau ministériel.
Le câble
d’Astana est un épitomé du vol de l’espace ex-soviétique par les
grandes firmes occidentales. Grâce à lui, nous apprenons que les
pots-de-vin étaient autorisés par la CIA et que les rufians sont
blanchis par les tribunaux américains. Nous apprenons aussi que
des juristes formés à Harvard, tel que M. Idenov, retirent tous
les avantages de la porte tournante séparant leurs positions
dans l’appareil d’Etat et les firmes occidentales qui plument
celui-ci. Bref : nous apprenons que « le capitalisme, cela
signifie des pots-de-vin conséquents pour les mieux
introduits ». Bien entendu, les lecteurs du Guardian n’ont été
mis au courant de rien de tout cela.
Idenov
conclut sa conversation avec des ratiocinations des gens de son
espèce : « Presque tout le monde, au sommet (de l’Etat) est
révulsé par les excès de la corruption capitaliste. « Si les
exécutifs de Goldman Sachs peuvent gagner 50 millions de dollars
par an et dirigent l’économie américaine à Washington, en quoi
ce que nous faisons (ici, au Kazakhstan) est-il vraiment
différent », demandent-ils. C’est vrai : cela ne diffère
probablement en rien. Si les Américains sont désarmés devant la
rapacité des responsables de Goldman Sachs, comment pouvons-nous
attendre du peuple kazakh qu’il se défende face à des trusts
transnationaux bénéficiant des conseils de la CIA ? Le câble
intégral et non expurgé ne rend que trop clair le fait que le
seul choix qui leur est laissé est celui du montant du
pot-de-vin qu’ils vont demander.
Bien que
l’accord entre WikiLeaks et The Guardian autorise ce journal à
censurer les noms de personnes innocents risquant de souffrir de
la révélation de leur identité, le câble d’Astana a
manifestement été caviardé pour des raisons politiques afin de
protéger l’image du genre de capitalisme prédateur que ces gens
prêchent, à l’Est.
Nous
devrions peut-être passer en revue d’autres informations
diffusées par le Guardian afin d’y rechercher ce genre de
traficotage lourd de documents récemment révélés. Prenons par
exemple le câble Tashkent 000902, expédié le 5 mai 2005. Voici
la présentation qu’en fait The Guardian :
http://www.guardian.co.uk/world/us-embassy-cables-documents/62979.
Il est presque entièrement censuré ; seuls deux phrases
significatives ont échappé à la boucherie pratiquées à des fins
propres par les éditeurs du Guardian. Avec des éditeurs tels que
ceux-là, l’épée suspendue au-dessus du soldat Manning et le nœud
coulant placé autour du cou de Julian Assange deviennent
superflus.
Le câble
original de Tashkent [http://www.israelshamir.net/wiki/TASHKENT_000902.htm]
décrit les agissements du « patron du crime organisé » et
« petite frappe en chef » ouzbek Salim Abduvaliyev (dont le nom
est plus souvent orthographié Abduvaliev), lequel, d’après
l’ambassade américaine, contrôle les emplois gouvernementaux et
donne des gratifications au gouvernement pour certains contrats
via ses connexions avec Gulnara, « la fille aînée du président
Karimov ». Le principal porteur de messages entre cet
ultra-criminel et Gulnara est un citoyen britannique d’origine
iranienne. Pourquoi le Guardian a-t-il décidé de caviarder le
plus gros de ce câble ? Afin de protéger l’intermédiaire
britannique ? Afin de protéger la connexion avec l’éminent homme
d’affaires israélien Chernoy ? A moins qu’il y ait un criminel
uzbek qui tire les ficelles au sein même de la rédaction du
Guardian ?
Un autre
câble secret, référencé Tachkent 00465, [http://www.israelshamir.net/wiki/TASHKENT_000465.htm],
décrit un mariage dans la famille du malfrat. Cela ne diffère
pas tellement de la fameuse description de ce mariage au
Daghestan, dans un autre câble [http://www.guardian.co.uk/world/us-embassy-cables-documents/76763]
référencé Moscou 009533. Pourtant, le Guardian a décidé de ne
pas publier du tout celui-ci. Cela n’est pas bien du tout, de la
part du Guardian, de protéger le peuple uzbek contre la prise de
connaissance des liens de corruption entre la famille Karimov et
les grands gangsters de ce pays, n’est-ce pas ? Cela pourrait-il
s’expliquer par l’éloignement de Moscou du régime Karimov et par
son étroite coopération avec les Américains, comme cela est
indiqué dans le câble Moscou 000337, bizarrement non publié ?
Cette sorte
d’autocensure politique explique la raison pour laquelle The
Guardian a choisi d’attaquer Israel Shamir, un journaliste
indépendant travaillant avec WikiLeaks. Dans les pages du
Guardian, Nick Cohen [http://www.guardian.co.uk/commentisfree/2011/jan/02/hungary-repression-wikileaks-assange]a
affirmé qu’Israel Shamir « a peut-être remis des informations
confidentielles à Lukachenko », comme si ce Shamir était une
sorte d’agent secret muni d’un attaché-case blindé. Tant qu’à
faire, Shamir « aurait bien pu », aussi, pourquoi pas, voler
jusqu’à la Lune et en être revenu, non ?
Je reste
stupéfait par la naïveté à l’état pur de cette allégation sans
fondement. Nick Cohen a-t-il jamais entendu parler des méls ?
Même le Guardian publie des informations confidentielles (quand
ça n’est pas des articles entiers). WikiLeaks fournit des
informations confidentielles à tout un chacun sans
discrimination et sans avoir besoin d’agents secrets Tous les
câbles diplomatiques US relatifs à la Biélorussie sont sur le
point d’être publiés sur le plus important des sites
indépendants biélorusses [http://naviny.by/rubrics/politic/2011/01/07/ic_articles_112_171961/]
afin que tout le monde voit de quoi il retourne, y compris
Lukashenko et Cohen.
Nick Cohen
part de là où son prédécesseur Andrew Brown était arrivé [http://whyevolutionistrue.wordpress.com/2010/02/12/andrew-brown-the-guardians-resident-moron/].
Ce Brown disait, dans son attaque
contre Shamir publiée dans le Guardian (http://www.guardian.co.uk/commentisfree/andrewbrown/2010/dec/17/wikileaks-israel-shamir-russia-scandinavia],
que « les liens entre celui-ci et WikiLeaks comporte des
implications préoccupantes pour la sécurité de toutes les
personnes nommées dans les câbles diplomatiques. Cela, non que
lesdits câbles soient inexacts. Mais bien, au contraire, parce
qu’ils sont vrais ».
Une fois
n’est pas coutume : ce Brown a raison, en dépit de sa triple
négation emberlificotée. Les gens cités dans les câbles
diplomatiques – généralement des vétérans des portes à tambour
entre les trusts internationaux et les services étatiques –
peuvent dormir tranquille lorsqu’ils voient que les médias
consensuels « embedded », comme The Guardian et The New York
Times, nient immanquablement tout lien entre leurs agissements
et leurs responsabilités. L’existence-même de journalistes
indépendants et de médias libres, indépendants et fondés sur
Internet a, effectivement, « des conséquences préoccupantes pour
leur sécurité ». Qu’ils se fassent donc du mauvais sang ; c’est
bien leur tour ! Alors que les gens du tout venant n’ont rien à
craindre, les riches et les puissants nous font confiance pour
ce qui est de les tenir pour comptables de leurs méfaits. Le
Guardian comprend-il seulement pourquoi on lui a remis ces
câbles diplomatiques secrets et confidentiels ? WikiLeaks essaie
de diriger un petit peu de lumière sur le monde souterrain
sombre et sale de l’intrigue internationale, et le Guardian fait
tout ce qu’il peut pour l’occulter à nouveau.
La bataille
pour la vérité ne fait que commencer.
(édité par
Paul Bennett)
Lire, pour
plus d’information :
La réponse
de Shamir à Andrew Brown, du Guardian :
http://www.israelshamir.net/English/response-to-Guardian.htm
The Secrets of Wikileaks :
http://www.israelshamir.net/English/Belarus2.htm
Le câble diplomatique Tachkent 000465, inédit :
http://www.israelshamir.net/wiki/TASHKENT_000902.htm
Traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier
Le
sommaire d'Israel Shamir
Les traductions de Marcel Charbonnier
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