Opinion
Tel Aviv recherche
la somalisation de la Syrie
Israel Shamir
Mercredi 1er août
2012
Désormais, nous relaierons régulièrement
certains articles dont nous ne sommes
pas les auteurs, spécialement lorsque
ceux-ci contiennent des informations qui
nous semblent pertinentes, et
(quasiment) absentes des médias
francophones. Le présent article, dont
Israël Shamir est l’auteur, est paru en
anglais le 30 juillet 2012 sur le site
CounterPunch.
Israël conserve sa capacité à contrôler
les rebelles islamistes syriens.
Netanyahou n’est pas inquiet de
la possible désintégration de la Syrie.
Malgré l’opinion admise selon laquelle
les Israéliens préfèrent un
Assad stable et familier à la
grande inconnue de la guérilla
islamique, l’information nouvelle et
sensationnelle que nous venons de
recevoir souligne le contraire, à savoir
que les Israéliens préfèrent la
somalisation de la Syrie, son éclatement
et l’élimination de son armée, car cela
leur permettra de s’attaquer à l’Iran
sans obstacle.
C’est ce qu’implique un dossier secret
récemment divulgué par une personne(s)
proche du ministre israélien des
Affaires étrangères, Avigdor
Lieberman. Il contient un
enregistrement des conversations entre
Bibi Netanyahou, Avigdor Lieberman et le
président russe Vladimir Poutine
lors de la visite récente de ce dernier
en Israël. Les Israéliens ne semblent
pas avoir de doutes sur son
authenticité. Counterpunch a reçu le
fichier d’origine, et voici les faits
saillants de cette conversation (dans
notre traduction de l’hébreu):
Netanyahou a demandé à Poutine de
faciliter le départ de Bachar Al-Assad.
“Vous pouvez désigner son successeur, et
nous ne nous y opposerons pas, a déclaré
le Premier ministre israélien. “Mais Il
y a une condition – le
successeur doit rompre avec l’Iran“.
Poutine a répondu : “nous n’avons pas de
candidat pour succéder à Bachar. Et vous
?”
“Non, nous n’en avons pas, a répondu M.
Netanyahou, mais nous allons vous dire
notre préférence bientôt.”
Apparemment, Israël peut influer
sur les rebelles, dans la
mesure où il suppute qu’ils choisiraient
d’accepter un successeur acceptable pour
Tel-Aviv. Cela signifie que la chaîne du
commandement des rebelles va bien
au-delà des chefs de troupe
indisciplinés sur le terrain, au-delà du
Qatar et l’Arabie saoudite, au-delà de
Paris et Washington, et débouche tout
droit sur Israël. Il est bien connu que
les rebelles
cherchent l’amitié
avec
Israël, mais personne ne pensait qu‘Israël
était en mesure de les contrôler dans
une telle mesure.
Il
va de soi que Netanyahou avait reçu le
feu vert de Washington
pour faire une telle offre. Cela
signifie que pour les États-Unis et
Israël, cela ne dérange pas que la Syrie
reste dans la sphère d’influence russe,
à condition qu’elle coupe ses liens avec
l’Iran. Et c’est cela qui indique
qu’Israël est la force motrice derrière
les rebelles, car autrement, un tel
arrangement serait inacceptable pour les
Américains.
Cependant, il est possible que l’offre
de Netanyahou ait été une simple ruse
pour découvrir les intentions russes. En
tout cas, c’est ce qu’a pensé Poutine,
et il a répondu dans la même veine :
“Nous ne devons rien à Assad,” a déclaré
M. Poutine. “Avant la rébellion, il
était un visiteur fréquent à Paris
plutôt qu’à Moscou. Nous n’avons pas de
programme secret en ce qui concerne la
Syrie. J’ai demandé au président Obama
quelles sont les intentions des
États-Unis en Syrie ; pourquoi les
Américains rejettent Assad. Est-ce à
cause de son incapacité à se réconcilier
avec Israël ? Ou à cause de ses liens
avec l’Iran ? En raison de sa position
sur le Liban ? Je n’ai reçu aucune
réponse sérieuse. Notre motivation, a
dit Obama, c’est la répression violente
d’Assad contre le peuple syrien. Je lui
ai répondu que la violence est causée
par le Qatar et l’Arabie, par leurs
interférences.”
On
comprend que Poutine est perplexe : s’il
lui a été offert de garder la Syrie dans
la sphère russe, pourquoi les USA s’en
prennent-ils au gouvernement syrien ?
Peut-être, les États-Unis relayent-ils
simplement les instructions d’Israël ?
Et quelles sont les intentions
d’Israël ?
“L’objectif
d’Israël est la somalisation de la Syrie,
à la suite de la somalisation de
l’Irak,” a déclaré M. Poutine, et
Netanyahou n’a pas rejeté son
interprétation.
Ces mots durs de Poutine répondent à la
question des intentions américaines et
israéliennes. Telle était la position de
Yinon, stratège
israélien et des néo-conservateurs : la
somalisation de la région. Les
dirigeants israéliens obéissent encore à
leur stratégie à cout terme de
déclencher la guerre civile en Syrie, en
supprimant Assad, et en plongeant la
Syrie dans un bourbier de groupes armés
qui ne constitueraient pas un obstacle
pour les avions israéliens cherchant à
atteindre l’Iran. C’est un jeu risqué,
comme il était risqué d’attaquer le
Liban en 2006, mais Israël a un complexe
militaire tellement puissant qu’il a
besoin de prendre des risques, qui
seraient inutiles autrement.
Le
dossier de la conversation
Poutine-Netanyahou contient deux
importantes concessions russes envers
Israël : Poutine a promis de
rompre le contrat sur l’offre de
systèmes S-300 de missiles anti-aériens
à Damas (et il l’a fait) et d’arrêter
les fuites d’informations de missiles
utiles au Hezbollah.
Le
ministre israélien des Affaires
étrangères Avigdor Lieberman a profité
de la réunion pour se plaindre de la
chaîne audacieuse Russia Today
:
“Le bureau israélien de RT se répand en
propagande anti-israélienne. Ils ont
diffusé des entretiens avec Hassan
Nasrallah [probablement une référence à
l'entrevue que celui-ci a accordée à
Julian Assange]. Nous avons parlé à des
journalistes RT privé, mais ils ne
bougeront pas, arguant en cela des
instructions de Moscou. Vladimir
Vladimirovitch [Poutine], s’il vous
plaît, penchez-vous sur la politique
éditoriale de RT de sorte qu’elle
devienne objective envers d’Israël…. “
Cette plainte s’inscrit bien dans la
pratique israélienne de faire
pression sur les médias étrangers.
Récemment, l’ambassadeur israélien à
Washington a tenté d’interférer avec CBS
et de censurer Bob Simon au sujet de son
reportage
sur
les chrétiens palestiniens, causant
beaucoup de
ressentiment
aux
États-Unis. Les Israéliens ne peuvent
toujours pas s’habituer à l’existence
d’une presse relativement libre.
La
principale conclusion des échanges qui
ont fuité, c’est que les dirigeants
israéliens continuent d’aimer vivre
dangereusement. Alors que certains
autres pays, notamment la Russie, sont à
la recherche de la stabilité, les
Israéliens aiment le jeu, et le jeu pour
le pouvoir. Qui ne risque rien n’a rien,
disent-ils. Ils sont prêts à accepter
des risques à court terme pour des gains
à long terme. Et l’élimination de
l’armée syrienne est certainement un
gain à long terme pour Israël.
Israël Shamir est correspondant de
CounterPunch à Moscou
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