De la géopolitique du pétrole à celle du
gaz
La Syrie, centre de la guerre du gaz au
Proche-Orient
Imad Fawzi-Shueibi
Mardi 8 mai
2012
L’attaque
médiatique et militaire à l’encontre de
la Syrie est directement liée à la
compétition mondiale pour l’énergie,
ainsi que l’explique le professeur Imad
Shuebi dans l’article magistral que nous
publions. À un moment où la zone euro
menace de s’effondrer, où une crise
économique aiguë a conduit les
États-Unis à s’endetter à hauteur de 14
940 milliards de dollars, et où leur
influence s’amenuise face aux puissances
émergentes du BRICS, il devient clair
que la clé de la réussite économique et
de la dominance politique réside
principalement dans le contrôle de
l’énergie du 21ème siècle : le gaz.
C’est parce qu’elle se trouve au cœur de
la plus colossale réserve de gaz de la
planète que la Syrie est prise pour
cible. Les guerre du siècle dernier
étaient celles du pétrole, mais une
nouvelle ère commence, celle des guerres
du gaz.
Avec la chute de
l’Union soviétique, les Russes ont
réalisé que la course à l’armement les
avait épuisés, surtout en l’absence des
approvisionnements d’énergie nécessaires
à tout pays industrialisé. Au contraire,
les USA avaient pu se développer et
décider de la politique internationale
sans trop de difficultés grâce à leur
présence dans les zones pétrolières
depuis des décennies. C’est la raison
pour laquelle les Russes décidèrent à
leur tour de se positionner sur les
sources d’énergie, aussi bien pétrole
que gaz. Considérant que le secteur
pétrolier, vu sa répartition
internationale, n’offrait pas de
perspectives, Moscou misa sur le gaz, sa
production, son transport et sa
commercialisation à grande échelle.
Le coup d’envoi fut donné en 1995,
lorsque Vladimir Poutine mis en place la
stratégie de Gazprom : partir des zones
gazières de la Russie vers
l’Azerbaïdjan, le Turkménistan, l’Iran
(pour la commercialisation), jusqu’au
Proche-Orient. Il est certain que les
projets Nord Stream et South
Stream témoigneront devant
l’Histoire du mérite et des efforts de
Vladimir Poutine pour ramener la Russie
dans l’arène internationale et peser sur
l’économie européenne puisqu’elle
dépendra, durant des décennies à venir,
du gaz comme alternative ou complément
du pétrole, avec cependant une nette
priorité pour le gaz. À partir de là, il
devenait urgent pour Washington de créer
le projet concurrent Nabucco,
pour rivaliser avec les projets russes
et espérer jouer un rôle dans ce qui va
déterminer la stratégie et la politique
pour les cents prochaines années.
Le fait est que le gaz sera la
principale source d’énergie du 21ème
siècle, à la fois comme alternative à la
baisse des réserves mondiales de
pétrole, et comme source d’énergie
propre. Par conséquent, le contrôle des
zones gazières du monde par les
anciennes et les nouvelles puissance est
à la base d’un conflit international
dont les manifestation sont régionales.
De toute évidence, la Russie a bien
lu les cartes et a bien retenu la leçon
du passé, car c’est le manque de
contrôle au niveau des ressources
énergétiques globales, indispensables à
l’injection de capital et d’énergie dans
la structure industrielle, qui fut à
l’origine de l’effondrement de l’Union
Soviétique. De même la Russie a assimilé
que le gaz serait la ressource
énergétique du siècle à venir.
Historique du grand jeu
gazier
Vladimir
Poutine et Alexei Miller, président de
Gazprom
Une première lecture de la carte du
gaz révèle que celui-ci est localisé
dans les régions suivantes, en termes de
gisements et d’accès aux zones de
consommation :
1. Russie : Vyborg et Beregvya
2. Annexé à la Russie : Turkménistan
3. Environs plus ou moins immédiats de
la Russie : Azerbaïdjan et Iran
4. Pris à la Russie : Géorgie
5. Méditerranée orientale : Syrie et
Liban
6. Qatar et Égypte.
Moscou s’est hâté de travailler sur
deux axes stratégiques : le premier est
la mise en place d’un projet sino-russe
à long terme s’appuyant sur la
croissance économique du Bloc de
Shanghai ; le deuxième visant à
contrôler les ressources de gaz. C’est
ainsi que furent jetées les bases des
projets South Stream et Nord
Stream, faisant face au projet
étasunien Nabucco, soutenu par
l’Union européenne, qui visait le gaz de
la mer Noire et de l’Azerbaïdjan.
S’ensuivit entre ces deux initiatives
une course stratégique pour le contrôle
de l’Europe et des ressources en gaz.
Pour la Russie :
Le projet Nord Stream relie
directement la Russie à l’Allemagne en
passant à travers la mer Baltique
jusqu’à Weinberg et Sassnitz, sans
passer par la Biélorussie.
Le projet South Stream
commence en Russie, passe à travers la
la mer Noire jusqu’à la Bulgarie et se
divise entre la Grèce et le sud de
l’Italie d’une part, et la Hongrie et
l’Autriche d’autre part.
Pour les États-Unis :
Le projet Nabucco part d’Asie
centrale et des environs de la Mer
Noire, passe par la Turquie où se
situent les infrastructures de stockage,
puis parcours la Bulgarie, traverse la
Roumanie, la Hongrie, arrive en Autriche
et de là se dirige vers la République
Tchèque, la Croatie, la Slovénie et
l’Italie. Il devait à l’origine passer
en Grèce, mais cette idée avait été
abandonnée sous la pression turque.
Nabucco était censé
concurrencer les projets russes.
Initialement prévu pour 2014, il a dû
être repoussé à 2017 en raison de
difficultés techniques. À partir de là,
la bataille du gaz a tourné en faveur du
projet russe, mais chacun cherche
toujours à étendre son projet à de
nouvelles zones.
Cela concerne d’une part le gaz
iranien, que les États-Unis voulaient
voir venir renforcer le projet
Nabucco en rejoignant le point de
groupage de Erzurum, en Turquie ; et de
l’autre le gaz de la Méditerranée
orientale : Syrie, Liban, Israël.
Or en juillet 2011, l’Iran a signé
divers accords concernant le transport
de son gaz via l’Irak et la Syrie. Par
conséquent, c’est désormais la Syrie qui
devient le principal centre de stockage
et de production, en liaison avec les
réserves du Liban. C’est alors un tout
nouvel espace géographique, stratégique
et énergétique qui s’ouvre, comprenant
l’Iran, l’Irak, la Syrie et le Liban.
Les entraves que ce projet subit depuis
plus d’un an donnent un aperçu du niveau
d’intensité de la lutte qui se joue pour
le contrôle de la Syrie et du Liban.
Elles éclairent du même coup le rôle
joué par la France, qui considère la
Méditerranée orientale comme sa zone
d’influence historique, devant
éternellement servir ses intérêts, et où
il lui faut rattraper son absence depuis
la Seconde Guerre mondiale. En d’autres
termes, la France veut jouer un rôle
dans le monde du gaz où elle a acquis en
quelque sorte une « assurance maladie »
en Libye et veut désormais une «
assurance-vie » à travers la Syrie et le
Liban.
Quant à la Turquie, elle sent qu’elle
sera exclue de cette guerre du gaz
puisque le projet Nabucco est
retardé et qu’elle ne fait partie
d’aucun des deux projets South Stream
et Nord Stream ; le gaz de la
Méditerranée orientale semble lui
échapper inexorablement à mesure qu’il
s’éloigne de Nabucco.
L’axe Moscou-Berlin
Gerhard
Schroeder et Aleksei Miller. Le 30 mars
2006, l’ancien chancelier allemand
était nommé à la tête du consortium chargé de construire North Stream.
Pour ses deux projets, Moscou a créé
la société Gazprom dans les années 1990.
L’Allemagne, qui voulait se libérer une
fois pour toutes des répercussions de la
Seconde Guerre mondiale, se prépara à en
être partie prenante ; que ce soit en
matière d’installations, de révision du
pipeline Nord, ou de lieux de stockage
pour la ligne South Stream au
sein de sa zone d’influence,
particulièrement en Autriche.
La société Gazprom a été fondée avec
la collaboration de Hans-Joachim Gornig,
un allemand proche de Moscou, ancien
vice-président de la compagnie allemande
de pétrole et de gaz industriels qui a
supervisé la construction du réseau de
gazoducs de la RDA. Elle a été dirigée
jusqu’en octobre 2011 par Vladimir
Kotenev, ancien ambassadeur de Russie en
Allemagne.
Gazprom a signé nombre de
transactions avec des entreprises
allemandes, au premier rang desquelles
celles coopérant avec Nord Stream,
tels les géants E.ON pour l’énergie et
BASF pour les produits chimiques ; avec
pour E.ON des clauses garantissant des
tarifs préférentiels en cas de hausse
des prix, ce qui revient en quelque
sorte à une subvention « politique » des
entreprises du secteur énergétique
allemand par la Russie.
Moscou a profité de la libéralisation
des marchés européens du gaz pour les
contraindre à déconnecter les réseaux de
distribution des installations de
production. La page des affrontements
entre la Russie et Berlin étant tournée,
débuta alors une phase de coopération
économique basée sur l’allégement du
poids de l’énorme dette pesant sur les
épaules de l’Allemagne, celle d’une
Europe surendettée par le joug
étasunien. Une Allemagne qui considère
que l’espace germanique (Allemagne,
Autriche, République Tchèque, Suisse)
est destiné à devenir le cœur de
l’Europe, mais n’a pas à supporter les
conséquences du vieillissement de tout
un continent, ni celle de la chute d’une
autre superpuissance.
Les initiatives allemandes de Gazprom
comprennent le joint-venture de Wingas
avec Wintershall, une filiale de BASF,
qui est le plus grand producteur de
pétrole et de gaz d’Allemagne et
contrôle 18 % du marché du gaz. Gazprom
a donné à ses principaux partenaires
allemands des participations inégalées
dans ses actifs russes. Ainsi BASF et
E.ON contrôlent chacune près d’un quart
des champs de gaz Loujno-Rousskoïé qui
alimenteront en grande partie Nord
Stream ; et ce n’est donc pas une
simple coïncidence si l’homologue
allemand de Gazprom, appelé « le Gazprom
germanique », ira jusqu’à posséder 40 %
de la compagnie autrichienne Austrian
Centrex Co, spécialisée dans le stockage
du gaz et destinée à s’étendre vers
Chypre.
Une expansion qui ne plait
certainement pas à la Turquie qui a
cruellement besoin de sa participation
au projet Nabucco. Elle
consisterait à stocker, commercialiser,
puis transférer 31 puis 40 milliards de
m³ de gaz par an ; un projet qui fait
qu’Ankara est de plus en plus inféodé
aux décisions de Washington et de
l’OTAN, d’autant plus que son adhésion à
l’Union européenne a été rejetée à
plusieurs reprises.
Les liens stratégiques liés au gaz
déterminent d’autant plus la politique
que Moscou exerce un lobbying sur le
Parti social-démocrate allemand en
Rhénanie-du-Nord-Westphalie, base
industrielle majeure et centre du
conglomérat allemand RWE, fournisseur
d’électricité et filiale d’E.ON.
Cette influence a été reconnue par
Hans-Joseph Fell, responsable des
politiques énergétiques chez les Verts.
Selon lui quatre sociétés allemandes
liées à la Russie jouent un rôle majeur
dans la définition de la politique
énergétique allemande. Elles s’appuient
sur le Comité des relations économiques
de l’Europe de l’Est —c’est-à-dire sur
des entreprises en contact économique
étroit avec la Russie et les pays de
l’ex Bloc soviétique—, qui dispose d’un
réseau très complexe d’influence sur les
ministres et l’opinion publique. Mais en
Allemagne, la discrétion reste de mise
quant à l’influence grandissante de la
Russie, partant du principe qu’il est
hautement nécessaire d’améliorer la «
sécurité énergétique » de l’Europe.
Il est intéressant de souligner que
l’Allemagne considère que la politique
de l’Union européenne pour résoudre la
crise de l’euro pourrait à terme gêner
les investissements germano-russes.
Cette raison, parmi d’autres, explique
pourquoi elle traine pour sauver l’euro
plombé par les dettes européennes, alors
même que le bloc germanique pourraient,
à lui seul, supporter ces dettes. De
plus, à chaque fois que les Européens
s’opposent à sa politique vis-à-vis de
la Russie, elle affirme que les plans
utopiques de l’Europe ne sont pas
réalisables et pourraient pousser la
Russie à vendre son gaz en Asie, mettant
en péril la sécurité énergétique
européenne.
Ce mariage des intérêts
germano-russes s’est appuyé sur
l’héritage de la Guerre froide, qui fait
que trois millions de russophones vivent
en Allemagne, formant la deuxième plus
importante communauté après les Turcs.
Poutine était également adepte de
l’utilisation du réseau des anciens
responsables de la RDA, qui avaient pris
soin des intérêts des compagnies russes
en Allemagne, sans parler du recrutement
d’ex-agents de la Stasi. Par exemple,
les directeurs du personnel et des
finances de Gazprom Germania, ou encore
le directeur des finances du Consortium
Nord Stream, Warnig Matthias qui, selon
le Wall Street Journal, aurait
aidé Poutine à recruter des espions à
Dresde lorsqu’il était jeune agent du
KGB. Mais il faut le reconnaitre,
l’utilisation par la Russie de ses
anciennes relations n’a pas été
préjudiciable à l’Allemagne, car les
intérêts des deux parties ont été servis
sans que l’une ne domine l’autre.
Le projet Nord Stream, le lien
principal entre la Russie et
l’Allemagne, a été inauguré récemment
par un pipeline qui a coûté 4,7
milliards d’euros. Bien que ce pipeline
relie la Russie et l’Allemagne, la
reconnaissance par les Européens qu’un
tel projet garantissait leur sécurité
énergétique a fait que la France et la
Hollande se sont hâtées de déclarer
qu’il s’agissait bien là d’un projet «
européen ». À cet égard, il est bon de
mentionner que M. Lindner, directeur
exécutif du Comité allemand pour les
relations économiques avec les pays de
l’Europe de l’Est a déclaré, sans rire,
que c’était bien « un projet européen et
non pas allemand, et qu’il n’enfermerait
pas l’Allemagne dans une plus grande
dépendance vis-à-vis de la Russie ». Une
telle déclaration souligne l’inquiétude
que suscite l’accroissement de
l’influence Russe en l’Allemagne ; il
n’en demeure pas moins que le projet
Nord Stream est structurellement un
plan moscovite et non pas européen.
Les Russes peuvent paralyser la
distribution de l’énergie en Pologne
dans plusieurs pays comme bon leur
semblent, et seront en mesure de vendre
le gaz au plus offrant. Toutefois,
l’importance de l’Allemagne pour la
Russie réside dans le fait qu’elle
constitue la plate-forme à partir de
laquelle elle va pouvoir développer sa
stratégie continentale ; Gazprom
Germania détenant des participations
dans 25 projets croisés en
Grande-Bretagne, Italie, Turquie,
Hongrie et d’autres pays. Cela nous
amène à dire que Gazprom – après un
certain temps – est destinée à devenir
l’une des plus importantes entreprises
au monde, sinon la plus importante.
Dessiner une nouvelle
carte de l’Europe, puis du monde
Les
gazoducs North Stream, South stream et
Nabucco.
Les dirigeants de Gazprom ont non
seulement développé leur projet, mais
ils ont aussi fait en sorte de contrer
Nabucco. Ainsi, Gazprom détient
30 % du projet consistant à construire
un deuxième pipeline vers l’Europe
suivant à peu près le même trajet que
Nabucco ce qui est, de l’aveu même
de ses partisans, un projet « politique
» destiné à montrer sa force en
freinant, voire en bloquant le projet
Nabucco. D’ailleurs Moscou s’est
empressé d’acheter du gaz en Asie
centrale et en mer Caspienne dans le but
de l’étouffer, et de ridiculiser
Washington politiquement, économiquement
et stratégiquement par la même occasion.
Gazprom exploite des installations
gazières en Autriche, c’est-à-dire dans
les environs stratégiques de
l’Allemagne, et loue aussi des
installations en Grande-Bretagne et en
France. Toutefois, ce sont les
importantes installations de stockage en
Autriche qui serviront à redessiner la
carte énergétique de l’Europe,
puisqu’elles alimenteront la Slovénie,
la Slovaquie, la Croatie, la Hongrie,
l’Italie et l’Allemagne. À ces
installations, il faut ajouter le centre
de stokage de Katrina, que Gazprom
construit en coopération avec
l’Allemagne, afin de pouvoir exporter le
gaz vers les grands centres de
consommation de l’Europe de l’ouest.
Gazprom a mis en place une
installation commune de stockage avec la
Serbie afin de fournir du gaz à la
Bosnie-Herzégovine et à la Serbie
elle-même. Des études de faisabilité ont
été menées sur des modes de stockage
similaires en République Tchèque,
Roumanie, Belgique, Grande-Bretagne,
Slovaquie, Turquie, Grèce et même en
France. Gazprom renforce ainsi la
position de Moscou, fournisseur de 41 %
des approvisionnements gaziers
européens. Ceci signifie un changement
substantiel dans les relations entre
l’Orient et l’Occident à court, moyen et
long terme. Cela annonce également un
déclin de l’influence états-unienne, par
boucliers antimissiles interposés,
voyant l’établissement d’une nouvelle
organisation internationale, dont le gaz
sera le pilier principal. Enfin cela
explique l’intensification du combat
pour le gaz de la côte Est de la
Méditerranée au Proche-Orient.
Nabucco et la
Turquie en difficulté
Manquant
de source d’approvisionnement et sans
clients identifiés,
Nabucco est sans cesse repoussé.
Nabucco devait acheminer du
gaz sur 3 900 kilomètres de la Turquie
vers l’Autriche et était conçu pour
fournir 31 milliards de mètres cubes de
gaz naturel par an depuis le
Proche-Orient et le bassin caspien vers
les marchés européens. L’empressement de
la coalition Otan-États-unis-France à
mettre fin aux obstacles qui s’élevaient
contre ses intérêts gaziers au
Proche-Orient, en particulier en Syrie
et au Liban, réside dans le fait qu’il
est nécessaire de s’assurer la stabilité
et la bienveillance de l’environnement
lorsqu’il est question d’infrastructures
et d’investissement gaziers. La réponse
syrienne fût de signer un contrat pour
transférer vers son territoire le gaz
iranien en passant par l’Irak. Ainsi,
c’est bien sur le gaz syrien et libanais
que se focalise la bataille, alimentera
t-il Nabucco ou South Stream
?
Le consortium Nabucco est
constitué de plusieurs sociétés :
allemande (REW), autrichienne (OML),
turque (Botas), bulgare (Energy Company
Holding), et roumaine (Transgaz). Il y a
cinq ans, les coûts initiaux du projet
étaient estimées à 11,2 milliards de
dollars, mais ils pourraient atteindre
21,4 milliards de dollars d’ici 2017.
Ceci soulève de nombreuses questions
quant à sa viabilité économique étant
donné que Gazprom a pu conclure des
contrats avec différentes pays qui
devaient alimenter Nabucco,
lequel ne pourrait plus compter que sur
les excédents du Turkménistan, surtout
depuis les tentatives infructueuses de
mainmise sur le gaz iranien. C’est l’un
des secrets méconnus de la bataille pour
l’Iran, qui a franchi la ligne rouge
dans son défi aux USA et à l’Europe, en
choisissant l’Irak et la Syrie comme
trajets de transport d’une partie de son
gaz.
Ainsi, le meilleur espoir de
Nabucco demeure dans
l’approvisionnement en gaz d’Azerbaïdjan
et le gisement Shah Deniz, devenu
presque la seule source
d’approvisionnement d’un projet qui
semble avoir échoué avant même d’avoir
débuté. C’est ce que révèle
l’accélération des signatures de
contrats passés par Moscou pour le
rachat de sources initialement destinées
à Nabucco, d’une part, et les
difficultés rencontrées pour imposer des
changements géopolitiques en Iran, en
Syrie et au Liban d’autre part. Ceci au
moment où la Turquie s’empresse de
réclamer sa part du projet Nabucco,
soit par la signature d’un contrat avec
l’Azerbaïdjan pour l’achat de 6
milliards de mètres cubes de gaz en
2017, soit par l’annexion de la Syrie et
du Liban avec l’espoir de faire obstacle
au transit du pétrole iranien ou de
recevoir une part de la richesse gazière
libano-syrienne. Apparemment une place
dans le nouvel ordre mondial, celui du
gaz ou d’autre chose, passe par rendre
un certain nombre de service, allant de
l’appui militaire jusqu’à l’hébergement
du dispositif stratégique de bouclier
antimissiles.
Ce qui constitue peut-être la
principale menace pour Nabucco,
c’est la tentative russe de le faire
échouer en négociant des contrats plus
avantageux que les siens en faveur de
Gazprom pour North Stream et
South Stream ; ce qui invaliderait
les efforts des États-Unis et de
l’Europe, diminuerait leur influence, et
bousculerait leur politique énergétique
en Iran et/ou en Méditerranée. En outre,
Gazprom pourrait devenir l’un des
investisseurs ou exploitants majeurs des
nouveaux gisements de gaz en Syrie ou au
Liban. Ce n’est pas par hasard que le 16
août 2011, le ministère syrien du
Pétrole à annoncé la découverte d’un
puits de gaz à Qara, près de Homs. Sa
capacité de production serait de 400 000
mètres cubes par jour (146 millions de
mètres cubes par an), sans même parler
du gaz présent dans la Méditerranée.
Les projets Nord Stream et
South Stream ont donc réduit
l’influence politique étasunienne, qui
semble désormais à la traîne. Les signes
d’hostilité entre les États d’Europe
centrale et la Russie se sont atténués ;
mais la Pologne et les États-Unis ne
semblent pas disposés à renoncer. En
effet, fin octobre 2011, ils ont annoncé
le changement de leur politique
énergétique suite à la découverte de
gisements de charbon européens qui
devraient diminuer la dépendance
vis-à-vis de la Russie et du
Proche-Orient. Cela semble être un
objectif ambitieux mais à long terme, en
raison des nombreuses procédures
nécessaires avant commercialisation ; ce
charbon correspondant à des roches
sédimentaires trouvées à des milliers de
mètres sous terre et nécessitant des
techniques de fracturation hydraulique
sous haute pression pour libérer le gaz,
sans compter les risques
environnementaux.
Participation de la
Chine
L’Organisation de coopération de
Shanghai, qui regroupe la Russie, la
Chine,
le Kazakhstan, le Kirghizistan, le
Tadjikistan et l’Ouzbékistan.
La coopération sino-russe dans le
domaine énergétique est le moteur du
partenariat stratégique entre les deux
géants. Il s’agit, selon les experts, de
la « base » de leur double véto réitéré
en faveur de la Syrie.
Cette coopération ne concerne pas
seulement l’approvisionnement de la
Chine à des conditions préférentielles.
La Chine est amenée à s’impliquer
directement dans la distribution du gaz
via l’acquisition d’actifs et
d’installations, en plus d’un projet de
contrôle conjoint des réseaux de
distribution. Parallèlement, Moscou
affiche sa souplesse concernant le prix
du gaz, sous réserve d’être autorisé à
accéder au très profitable marché
intérieur chinois. Il a été convenu, par
conséquent, que les experts russes et
chinois travailleraient ensemble dans
les domaines suivants : « La
coordination des stratégies
énergétiques, la prévision et la
prospection, le développement des
marchés, l’efficacité énergétique, et
les sources d’énergie alternative ».
D’autres intérêts stratégiques
communs concernent les risques encourus
face au projet du « bouclier
antimissiles » US. Non seulement
Washington a impliqué le Japon et la
Corée du Sud mais, début septembre 2011,
l’Inde a aussi été invitée à en devenir
partenaire. En conséquence, les
préoccupations des deux pays se croisent
au moment où Washington relance sa
stratégie en Asie centrale,
c’est-à-dire, sur la Route de la soie.
Cette stratégie est la même que celle
lancée par George Bush (projet de Grande
Asie centrale) pour y faire reculer
l’influence de la Russie et de la Chine
en collaboration avec la Turquie,
résoudre la situation en Afghanistan
d’ici 2014, et imposer la force
militaire de l’OTAN dans toute la
région. L’Ouzbékistan a déjà laissé
entendre qu’il pourrait accueillir
l’OTAN, et Vladimir Poutine a estimé que
ce qui pourrait déjouer l’intrusion
occidentale et empêcher les USA de
porter atteinte à la Russie serait
l’expansion de l’espace Russie-Kazakhtan-Biélorussie
en coopération avec Pékin.
Cet aperçu des mécanismes de la lutte
internationale actuelle permet de se
faire une idée du processus de formation
du nouvel ordre international, fondé sur
la lutte pour la suprématie militaire et
dont la clé de voute est l’énergie, et
en premier lieu le gaz.
Le gaz de la Syrie
La «
révolution syrienne » est un paravent
médiatique
masquant l’intervention militaire
occidentale à la conquête du gaz.
Quand Israël a entrepris
l’extraction de pétrole et de gaz à
partir de 2009, il était clair que
le bassin Méditerranéen était entré
dans le jeu et que, soit la Syrie
serait attaquée, soit toute la
région pourrait bénéficier de la
paix, puisque le 21ème siècle est
supposé être celui de l’énergie
propre.
Selon le Washington Institute for
Near East Policy (WINEP, le think
tank de l’AIPAC), le bassin
méditerranéen renferme les plus
grandes réserves de gaz et c’est en
Syrie qu’il y aurait les plus
importantes. Ce même institut a
aussi émis l’hypothèse que la
bataille entre la Turquie et Chypre
allait s’intensifier du fait de
l’incapacité Turque à assumer la
perte du projet Nabucco
(malgré le contrat signé avec Moscou
en décembre 2011 pour le transport
d’une partie du gaz de South
Stream via la Turquie).
La révélation du secret du gaz
syrien fait prendre conscience de
l’énormité de l’enjeu à son sujet.
Qui contrôle la Syrie pourrait
contrôler le Proche-Orient. Et à
partir de la Syrie, porte de l’Asie,
il détiendra « la clé de la
Maison Russie », comme
l’affirmait la Tsarine Catherine II,
ainsi que celle de la Chine, via la
Route de la soie. Ainsi, il serait
en capacité de dominer le monde, car
ce siècle est le Siècle du Gaz.
C’est pour cette raison que les
signataires de l’accord de Damas,
permettant au gaz iranien de passer
à travers l’Irak et d’accéder à la
Méditerranée, ouvrant un nouvel
espace géopolitique et coupant la
ligne de vie de Nabucco,
avaient déclaré « La Syrie est la
clé de la nouvelle ère ».
Imad Fawzi Shueibi,
Philosophe et géopoliticien. Président
du Centre de documentation et d’études
stratégiques (Damas, Syrie).
Traduction Mouna Alno-Nakhal
pour Mondialisation.ca
Le
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