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IRIN
Liban:
Les travailleurs syriens vivent « entourés d'ennemis »
Les travailleurs syriens du Liban qui représenteraient
plusieurs centaines de milliers de personnes dans le pays,
disent être les victimes de relations plus tendues que jamais
entre les deux pays.
Photo:
Hugh Macleod/IRIN BEYROUTH, 4 décembre
2007 (IRIN) Radwan dormait profondément lorsque
trois hommes ont fracassé la porte de son appartement. Ils
l’ont battu, lui ont cassé une côte, puis deux d’entre eux
lui ont tenu les bras tandis que le troisième lui lacérait le crâne
au coup-de-poing américain. Son crime ? Etre syrien et travailler
au Liban, lui ont-ils dit.
Après que Radwan – qui comme tous les Syriens interrogés par
IRIN a témoigné sous un nom d’emprunt, par crainte des représailles
– se fut rendu à la police, les malfrats sont revenus. « Ils
m’ont dit d’expliquer à la police que j’avais menti, sinon
je retournerais en Syrie les pieds devant », a-t-il raconté. Et
Radwan a obéi.
Les travailleurs syriens comme Radwan disent être les victimes de
relations plus tendues que jamais entre le Liban et la Syrie,
depuis l’assassinat, en février 2005, de l’ancien Premier
ministre libanais Rafik Hariri.
Parce que les travailleurs syriens n’ont pas besoin de visa pour
le Liban, il est difficile d’estimer combien le pays en compte.
Selon les estimations des économistes de Beyrouth, ils étaient
environ un demi-million avant l’assassinat de Rafik Hariri, et
des centaines de milliers seraient toujours dans le pays, dont la
plupart travaillent dans les secteurs de l’agriculture ou du bâtiment,
ou vivent d’autres travaux manuels ou sans qualification
requise.
Après la guerre civile de 1975-1990 au Liban, la Syrie a commencé
à exercer une forte influence politique sur son petit voisin et
bon nombre de personnes, au Liban comme ailleurs, ont accusé
Damas d’être responsable de la mort de M. Hariri. Selon
les premiers résultats de l’enquête actuellement menée par
les Nations Unies sur l’assassinat de Rafik Hariri – et dont
le neuvième rapport a été publié le 29 novembre – plusieurs
hauts responsables des services de sécurité syrien et libanais
auraient été impliqués dans l’affaire. La Syrie nie toute
implication dans l’assassinat.
« Je suis venu au Liban en 1994 et j’aimais bien travailler
ici, avant. J’avais l’impression que c’était un endroit où
les personnes et leurs droits étaient respectés », a raconté
Radwan. Mais tout a changé après l’assassinat de Rafik Hariri.
« Maintenant, ma famille me demande tout le temps de rentrer et
j’ai bien l’intention de partir dès que je le pourrai ».
Les travailleurs, victimes des tensions entre la Syrie et
le Liban
Les travailleurs syriens démunis font les frais de chaque période
de tensions, selon Abed, qui comme Radwan fait la cuisine et
travaille comme serveur dans un café, à Beyrouth.
Lorsque la police libanaise a arrêté son cousin, gardien de
parking et père de deux enfants, et s’est mise à fouiller le
contenu de son téléphone mobile, il a protesté. « Ils lui ont
fait mettre les mains contre le mur et l’ont passé à tabac »,
se souvient Abed. « Il est rentré en Syrie il y a quelques mois,
mais n’a toujours pas réussi à trouver du travail ».
Selon un porte-parole des services de sécurité libanais, tous
les chefs d’accusation ont fait l’objet d’une enquête et
les services de sécurité intérieure ont agi dans le respect des
droits humains. « Le travailleur syrien [a le même statut que]
tout autre ressortissant étranger au Liban ; il est traité
conformément à la loi », a-t-il déclaré. Après
l’assassinat de Rafik Hariri, les travailleurs syriens du Liban
avaient été victimes de « dizaines » de meurtres et de
passages à tabac bien plus nombreux encore, rapportait à l’époque
Amnesty International, qui appelait à appréhender et à traduire
en justice les auteurs de ces violences.
Mais aujourd’hui encore, selon les travailleurs et les
activistes, les violences, quoique moins fréquentes, se
poursuivent. Parmi les agressions violentes, signalées à
l’encontre de travailleurs syriens au Liban en 2007, on compte :
le meurtre de deux hommes à Damour, près de Sidon, en octobre ;
une agression au couteau ayant fait un mort et un blessé à Aley,
une station de ski, en juillet ; le corps d’un homme, retrouvé
mort le crâne fracassé, en janvier dernier, et d’un autre, âgé
d’une soixantaine d’années, vraisemblablement étouffé, en
octobre. Par ailleurs, les médias font souvent état de cas
d’incendies criminels dans les tentes ou les cabanes habitées
par des travailleurs syriens.
Impunité
Pour Nadim Houry, spécialiste du Liban à Human Rights Watch (HRW),
ces rapports illustrent un schéma de violence.
« Il semble que certains Libanais passent leur frustration à
l’égard du régime syrien sur de pauvres travailleurs syriens
», a-t-il résumé. « Je les vois comme des victimes du conflit
politique ».
En mai, après avoir reçu un rapport de sécurité sur la
question, le Premier ministre Fouad Siniora avait appelé les
Libanais à ne pas attaquer les travailleurs syriens. «
Ce rapport attirait l’attention sur le fait que chaque jour, aux
quatre coins du Liban, environ quatre [agressions] sont perpétrées
à l’encontre de travailleurs syriens, dont la plupart
s’accompagnent de vols, qu’ils soient commis dans des
stations-service, des boutiques ou au domicile [des victimes] »,
selon son porte-parole.
Selon M. Houry, HRW s’est réjoui de l’appel lancé par M.
Siniora. « Toutefois, nous voulons que davantage de déclarations
officielles émanent des hautes sphères pour faire comprendre que
la violence contre les Syriens ou d’autres travailleurs migrants
ne saurait être tolérée, et nous souhaitons que des mesures
concrètes soient prises au plan politique ».
Le Liban a « un problème d’impunité », a-t-il estimé. «
Les autorités doivent enquêter promptement et sérieusement ».
Selon plusieurs experts juridiques contactés par IRIN, il n’y a
jamais de poursuites. « A ma connaissance, aucune de ces affaires
ne fait jamais l’objet d’enquêtes », a indiqué Omar Nashabe,
expert en criminologie.
« Au Liban, tous les gens différents sont victimes de
discrimination raciale. Cela ne s’arrête pas aux agressions
contre les travailleurs syriens : on n’enquête pas non plus sur
la mort d’une femme de chambre qui s’est jetée d’un balcon,
pour savoir s’il s’agissait d’un suicide ou si on l’y a
forcée ». Les enquêtes menées par la police libanaise sont généralement
bâclées, a-t-il estimé.
Pas d’ambassade
Les Syriens du Liban n’ont pas d’ambassade qui puisse les protéger,
car Damas a toujours soutenu que les deux pays entretenaient des
rapports trop étroits pour justifier la nécessité d’une
ambassade, bien que le Conseil de sécurité des Nations Unies et
le gouvernement libanais aient exigé que la Syrie délimite ses
frontières et ouvre une ambassade au Liban.
Plus que jamais, les travailleurs se disent sur le qui-vive. Le président
libanais prosyrien Emile Lahoud, qui a achevé son mandat le 23
novembre sans qu’un successeur lui ait été choisi, a laissé
un vide dangereux au sommet ; et le camp des anti-syriens, qui
tient les rênes du pouvoir, et l’opposition soutenue par Damas
n’ont pas pu se mettre d’accord pour le combler. L’Assemblée
se réunira de nouveau le 7 décembre en vue d’une nouvelle
tentative de vote.
A six ans, Abdullah et ses frères, tous
originaires de Raqqa au nord de la Syrie,
sont partis au Liban pour trouver un emploi. Deux ans plus tard,
le jeune garçon mal nourri
et fatigué fait les poubelles dans l'espoir de trouver des objets
à vendre.
Photo:
Hamza Haj Hassan/IRIN
La
peur
Ahmed, qui gagne à peine plus de 50 dollars par semaine en
travaillant comme pompiste dans une station-service de Beyrouth, a
expliqué que son frère était rentré en Syrie pour éviter les
tensions politiques qui entourent l’élection. « Tout le monde
a peur que nous soyons tenus pour responsables, si ça se passe
mal. Mais je perdrais mon emploi, si je rentrais au pays ».
Un avocat et éditorialiste juridique beyrouthin, qui a préféré
conserver l’anonymat, a rapporté qu’un Syrien, gérant d’un
parking local, avait été violemment battu, dernièrement, par
des officiers des services de renseignement, dans ses bureaux.
« J’ai tenté de le convaincre de me laisser le représenter
devant les tribunaux, mais il a refusé de déclarer l’incident
aux autorités ; il avait trop peur », a raconté l’avocat.
Selon M. Nashabe, expert juridique, les Syriens n’ont aucun
recours. « Ils sont passés à tabac ici parce que les gens
estiment qu’ils appartiennent au régime qui ne les ménage pas
non plus lorsqu’ils sont de l’autre côté de la frontière »,
a-t-il expliqué. « Ils vivent entourés d’ennemis ». Copyright © IRIN
2007
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