Opinion
Réconciliation et
démocratisation :
le contre-exemple irakien
Gilles
Munier
Gilles
Munier
Samedi 2 mars
2013
(Afrique Asie – mars 2013)
En Irak, les mots « réconciliation »
et « justice » ont perdu leur
sens. L’instrumentalisation de la vie
politique au profit d’organisations
chiites pro-iraniennes, voulue par les
Américains, a élargi le fossé entre les
communautés ethniques ou religieuses, à
un point tel qu’il semble maintenant
impossible à combler.
En 2003, le discours américain annonçant
« l’instauration d’un État
démocratique garantissant les libertés
civiles, la liberté d’expression, une
réconciliation nationale, une justice
équitable et apolitique » est
évidement resté lettre morte. Dès
janvier 2008, Hans von Sponeck, ancien
coordinateur du Programme « Pétrole
contre nourriture » en Irak de 1998
à 2000, constatait sur le site suisse
Horizon et Débats que dans ce pays,
rien ne se déroulait normalement : «
Les élections n’étaient pas des
élections normales, la reconstruction
n’est pas normale, l’invasion a été à
l’encontre du droit international, tout
comme l’occupation. Dans aucun domaine,
on rencontre des conditions normales.
Cela vaut pour le parlement, pour le
gouvernement et pour la justice ».
Dix ans après le renversement du
président Saddam Hussein, le chaos s’est
installé.
Justice aux ordres
L’instauration
d’une démocratie à l’occidentale en Irak
était une vue de l’esprit. Les élections
législatives de 2005 et 2010 ayant
tourné à la mascarade, les dirigeants
qui en sont issus ne sont considérés
comme légitimes que par leurs partisans.
La débaasification du pays, a été menée
par un Conseil de débaasification
au fonctionnement opaque, dirigé par
Ahmed Chalabi et Nouri al-Maliki. Pas
moins de 150 000 professeurs,
fonctionnaires, policiers, furent
licenciés pour délit d’opinion rien
qu’entre mai et septembre 2003.
Alors que les
péripéties du procès du Président Saddam
Hussein déconsidéraient la justice dite
transitionnelle, Nouri al-Maliki
assurait qu’il était « exemplaire ».
Il lui importait peu que trois avocats
de la défense aient été assassinés,
qu’un juge eût dû démissionner et un
autre, remplacé sans explication.
Qu’importe si pour une majorité
d’Irakiens - y compris pour d’anciens
opposants - la condamnation à mort
de Saddam et son lynchage télévisé, le
30 décembre 2006 - jour où les
sunnites fêtaient l’Aïd al-Adha –
ont été perçus pour ce qu’ils étaient :
une ignoble revanche sectaire*.
Difficile ensuite de parler de
réconciliation nationale… Et pourtant
c’est ce à quoi Nouri al-Maliki, élu
Premier ministre, s’employait
parallèlement, à la demande de Zalmay
Khalilzad, ambassadeur des Etats-Unis à
Bagdad. En fait de dialogue, ses
partenaires se réduisaient aux membres
de partis et aux personnalités plus ou
moins indépendantes tolérés par les
Américains et les Iraniens. Les
nationalistes dans la clandestinité et
les prisonniers politiques internés par
les troupes d’occupation avec lesquels
il aurait dû prendre langue en étaient
exclus. Question hypocrisie ou double
langage, on ne fait pas mieux. Onze
organisations de la résistance
condamnèrent l’opération comme étant un
leurre.
Des femmes
emprisonnées secrètement
Les manifestations
antigouvernementales qui se déroulent
depuis le 23 décembre dernier à Ramadi,
Samarra, Bagdad, Mossoul et Tikrit –
soutenues par des chefs de tribu du sud
de l’Irak et des organisations de
résistance – ont justement pour
origine la persécution et la
discrimination dont les sunnites sont
victimes. Au Parlement, les
parlementaires sunnites qui réclament la
libération de prisonniers politiques –
notamment des femmes – ainsi que
l'abrogation des lois anti-terroristes
en sont venu aux mains avec leurs
collègues chiites… Selon le ministère
irakien de la Justice, le nombre des
détenues serait de 980. Salim al-Jibouri,
député de l’opposition (Iraqiya),
parle de 1 500, la plupart sur de
simples soupçons. En Irak, les
variations constatées dans les
statistiques carcérales s’expliquent par
le fait que les organismes concernés –
Premier ministre, Intérieur, Justice
- disposent de leurs propres prisons.
Inutile de dire que les personnes
incarcérées dans des prisons secrètes ne
sont pas comptabilisées. A Ramadi, où la
révolte enfle, 80 femmes auraient été
découvertes dans l’une d’elles, gardées
par des miliciens chiites. Dans son
rapport de janvier 2012, l’ONG Human
Rights Watch qualifie l’Irak d’«
État policier en devenir ». Pour de
nombreux Irakiens, il l’est déjà, et
depuis longtemps ! La condamnation cinq
fois à mort pour « terrorisme »
de Tareq al-Hachemi, vice-Président
sunnite de la République et la tentative
d’arrêter Rafaï al-Essawi, son ministre
sunnite des Finances - originaire de
la province d’Al-Anbar – pour le
même chef d’inculpation, en sont les
exemples les plus flagrants.
Aujourd’hui,
l’insécurité et les injustices sont
telles que les représentants de la
minorité arabe sunnite, opposés en 2005
à l’introduction du fédéralisme dans la
nouvelle constitution, menacent de
déclarer l’autonomie des provinces où
leur communauté est majoritaire. Ils
n’ont plus le choix, disent-ils. C’est
peut-être ce à quoi l’Iran, après Israël
et les néo-conservateurs américains,
veut en venir.
Les excuses
présentées, le 14 janvier dernier, par
le vice-Premier ministre, Hussein al-Shahristani
– sous la pression de la rue - à
quelques 300 prisonniers dont la
détention était injustifiée, calmeront
un temps l’ardeur de certains
manifestants, mais pas le vent de
révolte qui souffle dans nombre de
provinces irakiennes.
* Saddam face à
l’Histoire – Crimes et mensonges de
l’Occident (Afrique Asie - janvier
2010).
© G. Munier/X.
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Publié le 2 mars avec l'aimable
autorisation de Gilles Munier
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