Opinion
La chute
vertigineuse de David Petraeus
Gilles Munier
Gilles
Munier
Samedi 1er décembre
2012 (Afrique
Asie - décembre 2012)
David Pétraeus a-t-il été poussé à la
démission et rebondira-t-il d’ici 2016,
date de la prochaine présidentielle
étasunienne ? Les Républicains préparent
déjà leur revanche.
Derrière la
démission de David Petraeus de la CIA,
il y a
«
autre chose qu’une affaire de sexe »,
dit l’ancien espion Robert Baer, dont
les aventures ont inspiré le film
Syriana
(Stephan Gaghan, 2005), et qui a
travaillé sous plusieurs directeurs
connus pour avoir des relations
extraconjugales. Le père de Paula
Broadwell, ex-maîtresse du général
Petraeus, ajoute que c’est un
«
écran de fumée » derrière lequel se
cache
«
quelque chose de plus important ».
Le 15 novembre
dernier, lors de son audition au Sénat,
le général s’est refusé à lier son
départ à l’attaque du consulat américain
et de son annexe. Il savait depuis le
début, a-t-il dit, que l’opération était
l’œuvre d’islamistes. C’était écrit,
noir sur blanc, dans le bulletin
quotidien d’information remis au
président Barack Obama. La question est
de savoir qui a ordonné de gommer les
noms d’Al-Qaïda
et d’Ansar
al-Charia dans la version non
classifiée remise à l’administration
américaine. Peter King, congressiste
républicain de New York, se fait fort de
le trouver, et pourquoi. Le président
américain se retrouvera en première
ligne s’il est prouvé qu’il a caché le
caractère prémédité de l’attaque pour ne
pas nuire à sa réélection, et fermé les
yeux sur la véritable nature de l’annexe
: une prison secrète pour islamistes
hostiles aux Etats-Unis.
Le « Bigeard américain »
David Petraeus, 60
ans, fils d’émigré néerlandais, est
entrée dans l’histoire étasunienne comme
«
le vainqueur de l’Irak ». Le livre
que vient de lui consacrer Régis Le
Sommier * lui tresse à ce sujet des
lauriers immérités. La guerre d’Irak
s’est tout de même soldée par un million
de civils tués, selon le congressiste
démocrate Dennis Kucinich.
Le
«
roi Daoud » (David
en arabe), comme Petraeus aimait se
faire appeler, doit sa réputation aux
techniques employées par l’armée
française pendant la guerre d’Algérie.
Fan du général Bigeard avec qui il
correspondait, il est l’auteur du
nouveau manuel contre-insurrectionnel
américain, inspiré par les écrits du
général Trinquier et de David Galula, du
service d’action psychologique en
Kabylie. Il l’a expérimenté, sous son
commandement en Irak, en créant les
Sahwa, milices tribales formées
d’anciens d’Al-Qaïda, et en semant la
terreur sous faux drapeau. Les relations
humaines étant primordiales dans la
lutte anti-guérilla, les
GI’s ne défonçaient plus les portes
des maisons, et n’humiliaient plus leurs
occupants… quand ils étaient filmés.
Mais, derrière la façade, les forces
spéciales torturaient à qui mieux mieux.
Certes, on peut
porter au crédit de Petraeus la réussite
du
Surge, stratégie qui a permis de
planifier la retraite des troupes US
sans trop de pertes. Mais, il n’en
demeure pas moins que la résistance
irakienne a fait plier bagages aux
occupants. Comme l’a écrit Marcel
Bigeard dans
«
Mon dernier round », après avoir
encensé Barack Obama :
«
un outil de contre-guérilla, ça ne se
prépare pas en cinq minutes».
Poussé à la démission ?
Chef du CENTCOM
(Commandement pour le Moyen-Orient et
l'Asie centrale), puis des forces
étrangères en Afghanistan, David
Petraeus entretenait des relations
houleuses avec la Maison-Blanche. Il
critiquait le calendrier de retrait des
troupes, le jugeant trop rapide, et
reprochait à Obama de ne lui avoir
accordé que 30 000 hommes pour rééditer
le
Surge, alors qu’il en fallait plus.
Mettant de côté les théories
anti-guérilla, il intensifiait l’usage
de drones, accroissant les dommages
collatéraux. Selon le quotidien
pakistanais
Dawn, 90% des frappes ciblées
tuaient des civils. Sans Paula Broadwell,
on n’aurait jamais su qu’en janvier
2011, il avait ordonné de rayer de la
carte plusieurs villages de la province
de Kandahar pour punir leurs habitants
qui refusaient d’indiquer l’emplacement
des fabriques de bombes artisanales. Sa
future maîtresse avait révélé la
destruction justifiée de Tarok Kolache
sous 25 tonnes de bombes, au motif que
les militaires US étaient
«
terrifiés » lorsqu’ils traversaient
les vergers qui l’entouraient.
Nommé à la tête de
la CIA sur recommandation de son
prédécesseur Robert Gates et des trois
derniers présidents des Etats-Unis,
Petraeus accéléra la militarisation de
l’agence de renseignement. Le 30
septembre 2011, au Yémen, des tirs de
drone tuèrent avec l’autorisation d’Obama,
Anwar Al-Aulaqi
et
Samir Khan, deux citoyens américains
liés à Al-Qaïda. Le 14 octobre suivant,
ce fut le tour de Abdulrahman Al-Aulaqi,
16 ans, et de 7 autres personnes dont
deux enfants. On dit qu’Obama reproche
depuis à la CIA et au JSOC (Programme
commun Special Operations Command)
de le mettre devant le fait accompli
dans les deux-tiers de ce genre
d’assassinats.
Très courtisé,
Petraeus a repoussé la proposition de
Mitt Romney d’être son Vice-président,
mais il ne convainquait pas l’AIPAC
et l’ADL
(Anti-Diffamation
Ligue), deux lobbies pro-israéliens,
quand il disait ne pas avoir d’ambition
présidentielle. Aux aguets depuis qu’en
mars 2010, il a lié les difficultés des
Etats-Unis au Proche-Orient au conflit
israélo-palestinien, expliqué que
soutenir Israël ne fait pas progresser
les intérêts des Etats-Unis, et que ce
«
favoritisme » est à l’origine du
sentiment anti-américain qui affaiblit
les régimes arabes modérés, est pour eux
une déclaration de guerre. Croire qu’ils
ne le lui feraient pas payer un jour est
faire preuve, là aussi, d’un
« énorme manque de jugement ».
* David Petraeus -
Un beau jour dans la vallée du Tigre,
par Régis Le Sommier
(Editions Erick Bonnier, 2012 – 20 €)
© G. Munier/X.
Jardez
Publié le 2 décembre avec l'aimable
autorisation de Gilles Munier
Le sommaire de Gilles Munier
Les dernières mises à jour
|