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Ha'aretz
Lieberman
au pouvoir
Gideon
Lévy
Haaretz, 15
octobre 2006
www.haaretz.co.il/hasite/spages/774804.html
Version anglaise : www.haaretz.com/hasen/spages/774651.html
Les
pacifistes devraient appuyer l’entrée d’Avigdor Lieberman au
gouvernement. L’opposition de plusieurs ministres travaillistes
à cette ouverture est incompréhensible : car qu’est-ce
qui changera au juste ? Israël se lancera dans une guerre
superflue ? L’entreprise des colonies sera renforcée ?
Le gouvernement rejettera la proposition de paix de la Syrie ?
Le racisme à l’égard des citoyens arabes d’Israël va croître ?
L’armée d’occupation se rendra cruelle envers les
Palestiniens ?
Mais
tout cela, le gouvernement, dans sa composition actuelle, nous le
dispense déjà en abondance, et la participation de Lieberman
fera seulement tomber le masque. Mieux vaut un gouvernement
d’extrême droite avec Lieberman et sans masque, qu’un
gouvernement sans Lieberman mais avec un masque aux allures de
centre-gauche. Tout comme le combat risible contre les
avant-postes « illégaux », qui entérine en fait toutes les autres colonies
« légales »,
la lutte contre la participation de Lieberman a pour seule et
unique visée de donner une apparence progressiste à un
gouvernement d’extrême droite et de légitimer la participation
en son sein du parti Travailliste. L’opposition d’Amir Peretz
et de plusieurs de ses amis à l’entrée de Lieberman est dès
lors frappée d’hypocrisie : ils sont déjà maintenant
membres d’un gouvernement qui s’est lancé dans une guerre
malfaisante, un gouvernement qui dit non à la Syrie, qui se
montre cruel envers les Palestiniens et qui renforcent les
colonies.
Lieberman
dit ce que beaucoup pensent. Son racisme et son nationalisme sont
sortis de l’armoire alors que chez beaucoup d’autres, ils y
restent enfouis tout au fond, tout en agissant sur leur esprit.
Ils n’ont sur lui aucune supériorité morale. Quelqu'un
d’ouvertement raciste et nationaliste vaut mieux que quelqu'un
qui l’est secrètement, de manière cachée. Lieberman a aussi
un programme bien organisé, contrairement à Ehoud Olmert,
Benjamin Netanyahou ou Shimon Peres, dont nul n’a la moindre idée
(et apparemment eux non plus) de ce qu’ils veulent faire demain
matin. Lieberman a peut-être l’air d’un extrémiste pour des
oreilles innocentes ou qui feignent l’innocence, mais en bien
des matières, il dit exactement ce qu’Israël fait.
En
2001 déjà, Lieberman, alors Ministres des infrastructures,
publiait son programme de cantons. Il proposait alors de diviser
la Cisjordanie en quatre cantons sans possibilité de déplacement
de l’un à l’autre. C’est exactement ce que fait
effectivement Israël : faire éclater le cadre de vie dans
les Territoires par une brutale séparation physique entre régions.
Même sans Lieberman, un habitant de Naplouse qui veut rendre
visite à son fils à Hébron se heurte à des obstacles quasiment
insurmontables ; quant à voir son fils de Gaza, il doit se
contenter d’en rêver. Lorsque Liberman a avancé sa
proposition, certains se sont agités ; lorsque l’armée
israélienne met la chose en œuvre, presque personne n’ouvre la
bouche. Un Lieberman qui dit la vérité ne vaut-il pas mieux
qu’un gouvernement Olmert qui vous roule ?
Lieberman
a également expliqué comment parvenir à prendre militairement
le dessus sur les Palestiniens : « En
48 heures, il y a moyen d’entrer dans tous les quartiers généraux,
dans tous les tunnels, tous les dépôts d’armes, et il est
alors possible d’aller au-delà, de passer au programme des
cantons », avait-il déclaré en 2001 à « Haaretz ».
Or que tente de faire Israël à Gaza, bien que sans succès ?
Israël liquide, tue, détruit, exactement dans cet esprit de
« prendre
militairement le dessus » imaginé par Lieberman.
L’entrée
de Lieberman dans le gouvernement en fera tomber le masque aussi
dans la relation avec le monde. A partir du moment où le chef du
gouvernement a abandonné son idée de ‘convergence’, il ne
lui reste de toute façon rien à proposer dans le domaine du
politique. Lieberman montrera aux Palestiniens et au monde vers
quoi le gouvernement actuel s’oriente réellement. Le monde
saura et les Arabes sauront de la manière la plus claire que
c’est un gouvernement nationaliste extrémiste qui est installé
à Jérusalem et qu’il n’est pas porté à la paix.
Un
sondage publié à la fin de la semaine par « Yediot
Aharonot » et qui attribue à « Israël Beiténou », le parti de Lieberman, 20 sièges (seul
le Likoud en obtient davantage dans le même sondage), révèle également
la vraie orientation de l’opinion publique en Israël :
plus à droite et plus extrémiste que jamais. Cela aussi, il vaut
mieux que nous le sachions. Quel long chemin nous avons parcouru
depuis le moment où Meir Kahana était ostracisé au Parlement
par la majorité des factions, jusqu’à ce que Lieberman
devienne un candidat légitime au titre de « ministre
à la sécurité ». Lors des prochaines élections, on
ne parlera plus de Lieberman comme d’un dirigeant marginal ;
peut-être sera-t-il même un jour Premier Ministre. On pourrait
logiquement penser qu’un gouvernement d’extrême droite dirigé
par Lieberman devrait conduire à un boycott international à
l’encontre d’Israël, exactement comme celui qui est imposé
au gouvernement Hamas. Peut-être est-ce précisément une telle
radicalisation effrayante qui amènerait enfin le monde à
intervenir fermement afin de mettre fin au conflit.
Il
n’est pas bien difficile de deviner comment Israël réagirait
à l’entrée de quelqu'un comme Lieberman dans un gouvernement
européen. Lorsque le raciste Jörg Heider est entré dans le
gouvernement autrichien en février 2000, Israël a rappelé son
ambassadeur et a suspendu tout contact avec des représentants du
gouvernement autrichien. Mais ce qui est interdit à l’Autriche
nous est permis et le monde, jusqu’ici, n’a pas sourcillé.
L’instinct
naturel des pacifistes en Israël – qui les porte à s’opposer
vigoureusement à un homme qui appelle au transfert de localités
entières et à l’expulsion de tout citoyen qui ne serait pas
« loyal »
envers l’Etat, qui aspire à un Etat « nettoyé »
des Arabes et qui ne connaît que le langage de la force – cet
instinct se comprend. Dans la nomination d’un ministre aux
conceptions fascistes se cache un grave dommage à la fois éducatif
et social. Le fait aussi que Lieberman modèle dans une large
mesure les conceptions de beaucoup de gens sur le million et
quelques immigrants venus de l’ex-Union Soviétique est une dure
nouvelle pour la société israélienne. Et malgré tout cela,
mieux vaut un raciste déclaré que des hypocrites qui vous
parlent peut-être de paix mais font la guerre. Lieberman au
pouvoir ? Il y est déjà depuis longtemps.
(Traduction
de l'hébreu : Michel Ghys)
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