Imad Mughniyyeh
Global Security & Intelligence Report, 11
février 2009
http://www.stratfor.com/weekly/20090211_retribution_mughniyah_dish_served_cold
Le 12 février marquera le premier
anniversaire de l’assassinat
d’Imad Mughniyyéh, un des plus hauts commandants de la
branche militaire du Hezbollah. Cet anniversaire ne sera
certainement pas fêté dans les réjouissances à Tel-Aviv et à
Washington – en plus de tous les
Israéliens qu’il a estourbis, Mughniyyéh avait aussi une
quantité non négligeable de sang américain sur les mains. Mais
cette date sera accueillie avec de la colère et un redoublement
d’appels à la vengeance de la part des activistes du Hezbollah,
dont beaucoup avaient été recrutés, formés ou inspirés par
Mughniyyéh.
En raison de l’habitude bien ancrée du
Hezbollah d’effectuer des attaques de représailles après
l’assassinat de ses leaders, et de
fréquents appels, particulièrement tonitruants, à venger
l’assassinat de Mughniyyéh, nombreux sont les observateurs (dont
Stratfor) à s’attendre à ce que le Hezbollah passe à l’acte.
Même si cette opération n’a pas encore eu lieu, les menaces
restent d’actualité. Ainsi, par exemple, lors d’une conférence
de presse, le 29 janvier, le secrétaire général du Hezbollah
Cheikh Hassan Nasrallah, n’a laissé planer aucun doute quant à
l’intention du Hezb. « Les Israéliens vivent dans la crainte de
notre revanche », a-t-il déclaré, poursuivant : « La décision de
répliquer au crime israélien est toujours sur la table. Ce qu’il
nous reste à décider, c’est le moment, et le lieu… »
Initialement, vu la force de la colère et
de l’outrage soulevés par l’assassinat, nous avons anticipé que
nous frapperions peu après le deuil de trente jours faisant
suite à la disparition de Mughniyyéh. Manifestement, cette
riposte n’a pas eu lieu. Désormais, une année s’est écoulée
depuis l’assassinat, mais la colère et l’outrage ne sont
nullement apaisés. De fait, comme l’a reflété la déclaration
récente faite par Nasrallah, le leadership du Hezbollah demeure
soumis à une pression interne considérable pour le pousser à
laver l’assassinat de Mughniyyéh dans le sang. Mais étant donné
que toute représailles seraient vraisemblablement assombries par
des craintes de provoquer une attaque de très grande ampleur
contre l’infrastructure du Hezbollah (similaire à l’agression de
juillet 2006), toute frappe du Hezbollah serait menée de manière
à laisser place à un minimum de possibilité de dénégation.
Il importe de se souvenir du fait que le
Hezbollah conserve une capacité considérable à mener des
attaques terroristes hors du Liban, dès lors qu’il choisirait de
le faire. De fait, nous pensons qu’en raison de son haut degré
d’entraînement, de sa vaste expérience et de ses liens très
étroits avec le gouvernement iranien, le Hezbollah conserve
une capacité terroriste bien plus importante et dangereuse que
celle d’al-Qaeda.
Les appels récurrents à la vengeance et les
capacités du Hezbollah combinés n’ont pas manqué de faire que le
gouvernement israélien maintient un état d’alerte maximum. Bien
qu’une année se soit écoulée, les Israéliens attendent, eux
aussi, la chute du deuxième soulier. Le 1er février,
Elkana Harnof, du Bureau du contre-terrorisme du cabinet du
Premier ministre israélien a déclaré au Jerusalem Post que
« selon nos informations, nous pensons que l’organisation [le
Hezbollah, ndt] est en train de planifier une attaque de
représailles de grande envergure, à une date proche de
l’anniversaire de la mort de Mughniyyéh. » Harnof a poursuivi :
« La seule chose que nous pouvons déclarer publiquement, c’est
que le Hezbollah a déployés des efforts considérables en vue de
préparer diverses sortes d’attaques terroristes, et que la « big
one » se produira sans doute très bientôt. » Comme nous, à
Stratfor, les Israéliens pensent aussi que cette attaque sera
dirigée contre des cibles israéliennes et/ou juives, en-dehors
du « territoire israélien ».
Le
Hezbollah ne reste pas les bras ballants
Un certain nombre d’indices laissent
entendre que le Hezbollah ne s’est pas contenté de regarder les
feuilles à l’envers, durant l’année écoulée depuis la
disparition de Mughniyyéh. Tout d’abord, il y a eu une intense
activité pré-opérationnelle d’activistes du Hezbollah dans
plusieurs pays, y compris aux Etats-Unis… Cette activité a
comporté notamment de la veille technologique et le recueil
d’autres types de renseignements visant à l’ajustement de cibles
potentielles. A un certain moment, à l’automne dernier,
l’activité [du Hezb] était tellement intense, aux Etats-Unis,
que des officiels de la police judiciaire pensaient qu’une
attaque de sa part était imminente – mais cette attaque ne s’est
jamais produite (angoisse…). De surcroît, des informations
crédibles selon lesquelles le Hezbollah comploterait afin de
frapper des cibles israéliennes en Azerbaïdjan et en Hollande
ont été captées (toutefois, d’après des informations que nous
avons reçues, il ne semble pas que l’un quelconque de ces
complots fussent à un stade avancé du
processus attentatoire).
Nous n’avons aucune raison de mettre en
doute les rapports faisant état d’une activité
pré-opérationnelle du Hezbollah. Il s’agit tout simplement de ce
que fait le Hezbollah, et de ce qu’est le Hezbollah. Même si ce
groupe n’a pas procédé à une seule attaque couronnée de succès à
l’étranger depuis 1994, il n’en entretient pas moins un solide
réseau d’agents qui n’ont jamais cessé d’être très activement
engagés dans des activités opérationnelles. Même si beaucoup de
ces agents sont essentiellement impliqués dans des activités
financières et logistiques, nous pensons qu’il convient de noter
que le Hezbollah n’a jamais effectué, ni même tenté, une seule
attaque dans un pays où il n’aurait pas disposé d’une telle
infrastructure de soutien déjà en place. Ils recourent à ces
réseaux afin d’assister leurs activités militantes de diverses
manières, mais la manière la plus significative de toutes sans
doute est, sans nulle doute, la mise en œuvre d’une surveillance
pré-opérationnelle.
Le Hezbollah, émanation de la Révolution
islamique iranienne, a aussi toute une longue histoire d’aide
reçue de la part d’ambassades iraniennes dans ses opérations
outre-mer, dont ses frappes terroristes. Quasi inévitablement,
on trouve que les plans d’attaque du Hezbollah à l’étranger
présentent peu ou prou des liens obscurs avec l’ambassade
iranienne du pays dans lequel l’attaque devait se produire,
ainsi qu’avec le ministère iranien du Renseignement et de la
Sécurité, ou encore avec des officiers de la Garde
Révolutionnaire Islamique s’y trouvant affectés.
Le Hezbollah recourt à la méthode « plan à
jour disponible sur l’étagère » pour planifier ses attentats
terroristes. Cette méthode est très semblable à la manière dont
opèrent les états-majors des armées les plus puissantes : à
l’avance, ils mettent au point des plans conjoncturels contre
des adversaires potentiels, après quoi ils veillent à
réactualiser ces plans en permanence. Ce style de planification
sophistiquée et très anticipée fournit aux décisionnaires
suprêmes du Hezbollah un large éventail d’options tactiques, et
cela leur permet d’évaluer un certain nombre de plans d’attaque
dans diverses parties du monde. Cela leur permet, de surcroît,
de choisir, puis de réactualiser très rapidement un plan
d’attaque en particulier, quand ils prennent la décision de
passer à l’action. Quand ils prennent la décision d’appuyer sur
la gâchette, ils peuvent frapper fort, et vite…
Ce type de planification requiert beaucoup
de recueil d’information, non seulement pour planifier les
projets (d’attaque) initiaux, mais aussi pour les actualiser
au-jour-le-jour. Cela requiert un travail énorme de recueil
d’information, et c’est sans doute cela qui explique la plus
grosse part de l’activité opérationnelle qui a pu être observée
durant l’année écoulée, aux Etats-Unis et ailleurs. Ces
opérations de surveillance constante ne servent pas seulement à
des fins de planification : elles sont aussi excellentes pour
semer la confusion, pour créer des diversions et susciter une
certaine habituation, sinon une certaine complaisance. Si les
agents du Hezbollah ont été observés, périodiquement, en train
d’effectuer une surveillance dans les alentours d’un point
sensible et qu’aucune attaque n’a fait suite à ladite activité,
avec le temps, les personnels de sécurité auront très facilement
une propension à fermer les yeux sur une telle activité, en la
considérant inoffensive – même si, cette fois-ci, la fois de
trop (ou la « bonne » fois, selon le point de vue où l’on se
place, ndt), elle risque de ne pas être innocente du tout…
Ce
ne sont pas des cris d’orfraie…
D’aucuns arguent du fait que l’absence
d’attaque, de la part du Hezbollah, depuis l’assassinat de
Mughniyyéh, combinée au fait que le groupe n’a pas utilisé sa
capacité terroriste pour mener une attaque, depuis de nombreuses
années, signifie(rait) que le Hezbollah a(urait) abandonné ses
manières terroristes et s’est (se serait) focalisé, en lieu et
place, sur le développement de sa capacité militaire
conventionnelle.
Nous n’adhérons pas à cette hypothèse. Tout
d’abord, elle ignore l’existence et la finalité de l’Unité 1800
du Hezbollah, qui, entre autres choses, recrute des Palestiniens
en vue d’opérations terroristes anti-israéliennes en territoire
« israélien » et dans les territoires occupés. Ensuite, si le
Hezbollah avait abandonné l’arme du terrorisme, il n’y aurait
aucune justification de l’activité de planification
pré-opérationnelle que nous avons notée plus haut, et, à notre
avis, des rapports concernant cette activité de surveillance
sont trop fréquents et trop largement répandus pour être écartés
du revers de la main au motif qu’il s’agirait de leurres.
Bien entendu, ce genre d’activité provoque
des frayeurs, et il a une efficacité indéniable en tant qu’arme
psychologique, mais nous ne pensons pas que ces bénéfices
limités justifient le temps et les efforts investis dans le
programme de recueil d’informations du Hezbollah. Il y a aussi
ce problème lancinant : comment expliquer les complots
d’attentats déjoués en Azerbaïdjan et en Hollande ? C’est la
raison pour laquelle nous ne pensons pas que les gouvernements
américains et israéliens (parmi d’autres) seraient en train de
crier au loup, quand ils lancent des mises en garde contre de
possibles attentats de la part du Hezbollah.
Nous restons persuadés que, si un attentat
du Hezbollah doit se produire, il se produira vraisemblablement
dans un pays où existe, d’ores et déjà, un appareil de soutien
au Hezbollah, et une ambassade iranienne. (Toutefois, dans une
zone géographique réduite, des opérations pourraient être aidés
par un pays-tiers dépourvu de l’un de ces deux éléments
essentiels). Nous pensons également qu’une telle attaque est
plus vraisemblable dans un pays où existe d’ores et déjà la
possibilité d’accéder à des armes ou à des explosifs, et où le
contrôle gouvernemental et les capacités de surveillance du
territoire seraient déficients. Nous avons écrit une analyse
examinant avec un certain niveau de détail à ce sujet, durant la
guerre de juillet 2006 entre Israël et le Hezbollah. Dans cet
article, nous fournissions une
matrice des lieux où nous pensions que se trouvaient les
lieux les plus plausibles d’attentats du Hezbollah contre des
cibles israéliennes, et un des critères fondamentaux que nous
avions pris en compte était la présence simultanée (dans les
pays concernés) d’une ambassade iranienne et d’un réseau de
soutien au
Hezbollah. Quand nous débattons de ces deux éléments, il est
important de noter qu’au cours d’attaques, par le passé, les
attaquants avaient été amenés d’au-delà les frontières afin de
garantir une dénégation possible – mais ces attaquants avaient
bel et bien reçu un soutien et un encadrement importants de la
part du réseau de soutien et de l’ambassade iranienne en
question.
Depuis que nous avons rédigé cette analyse,
en juillet 2006, on a assisté à une augmentation significative
de l’influence iranienne dans certains pays d’Amérique Latine,
dont le Venezuela, le
Nicaragua et la Bolivie, et le Hezbollah n’a pas tardé à y
suivre l’Iran. S’ajoutant à certaines allégations du Trésor
américain, selon lesquelles des citoyens et des organisations
vénézuéliennes soutiendraient le Hezbollah financièrement, des
rumeurs persistantes ont circulé, selon lesquelles des
activistes du Hezbollah et des officiers des Gardiens de la
Révolution Islamique iranienne dirigeraient des camps
d’entraînement dissimulés dans la jungle vénézuélienne.
Ces informations sont particulièrement
dignes d’intérêt lorsqu’on les combine à une poussée récente
d’antisémitisme au Venezuela et une hostilité déclarée
envers les juifs de milices pro-Chavez. Une de ces milices
pro-Chavez est soupçonnée d’avoir été impliquée dans la mise à
sac de la principale synagogue de Caracas, dans la nuit du 30 au
31 janvier. Nous faisons partie de ceux (nombreux) qui ne sont
pas convaincus par l’explication officielle du gouvernement
vénézuélien, selon laquelle ce vandalisme aurait été motivé par
le vol. Pour nous, le fait que les intrus soient restés dans les
lieux plusieurs heures durant, qu’ils aient pris la peine de
gribouiller des slogans anti-israéliens à l’intérieur du
bâtiment et qu’ils aient volé des fichiers renfermant des
informations personnelles sur des membres du consistoire
israélite semble vraiment inhabituel, pour des cambrioleurs
ordinaires. Nos soupçons sont renforcés par les déclarations
outrancièrement antisémites faites sur les sites ouèbe de
certains dirigeants de la milice pro-Chavez. Tous ces éléments
suscitent de sérieuses craintes que le gouvernement vénézuélien
soit susceptible de fermer les yeux sur les efforts du Hezbollah
visant à perpétrer un attentat contre des intérêts israéliens ou
juifs au Venezuela.
Beaucoup d’observateurs pensent que
l’attitude antisémite du gouvernement argentin, au début des
années 1990, a contribué à enhardir Mughniyyéh et ses émules à
attaquer des cibles israéliennes et juives dans ce pays. Or,
l’environnement antisémite, de nos jours, au Venezuela, est
encore plus patent et hostile qu’il ne l’était en Argentine.
Conformément à l’histoire qui est celle du
Hezbollah, si une attaque est lancée, nous anticipons qu’elle
devra être nécessairement très spectaculaire, étant donné le
fait que Mughniyyéh était quelqu’un d’extrêmement important pour
le Hezbollah et pour ses soutiens iraniens – même si cette
attaque ne devrait pas être spectaculaire au point de provoquer
une attaque généralisée d’Israël contre le Liban. Le Hezbollah
peut concocter quelques attaques aériennes, mais il ne veut pas
provoquer un conflit à grande échelle – d’autant plus que la
direction politique du Hezbollah est tout entière focalisée sur
la manière de rafler un maximum de voix aux prochaines élections
au Liban.
Etant donné la propension du Hezbollah à
recourir aux services d’agents dissimulés, nous soupçonnons que
l’attaque sera menée par une cellule furtive ou ambiguë, ou bien
par plusieurs cellules de ce type qui n’auront vraisemblablement
aucune connexion directe avec l’organisation. Ainsi, par
exemple, en juillet 1994, le Hezbollah avait recouru à des
agents palestiniens pour mener des attaques contre l’Ambassade
israélienne et contre le bureau d’une ONG juive, à Londres. Et
puis, nous l’avons déjà vu lors de précédents attentats, si une
cible blindée telle qu’une ambassade israélienne ou une haute
personnalité n’est absolument pas vulnérable, une cible
secondaire, plus molle, peut être choisie. L’attentat à la
bombe, en juillet 1994, contre l’Association mutuelle israélite
d’Argentine, à Buenos Aires, est un exemple magistral de ce type
d’attaque. Cet exemple devrait tenir lieu d’avertissement, pour
les centres des communautés juives et les autres cibles
israéliennes non-gouvernementales, partout dans le monde, qu’y
compris des cibles juives non-israéliennes sont considérés comme
du gibier autorisé.
Traduit de l’anglais par Marcel Charbonnier
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