CounterPunch
Les Iraniens et
l'amitié
Franklin
Lamb
Mardi 19 février
2013 L’observateur étasunien que je
suis a participé à d’innombrables
conférences internationales et a voyagé
dans plus de 70 pays. Mais il n’a jamais
rencontré une société aussi complexe,
évolutive, énergique, industrieuse et
riche en idéalistes chaleureux qui ont
le sens de l’humour et qui aident ceux
qui sont dans le besoin que la société
de la République Islamique d’Iran.
Se trouver en Iran, en ces temps
difficiles (de sanctions, ndt), est une
expérience bouleversante car on prend
conscience que les Iraniens et les
Etasuniens ont tant de besoins et
d’intérêts communs - oui, même en ce qui
concerne les croyances religieuses - que
les deux peuples devraient immédiatement
restaurer leurs relations et revenir à
l’époque où 60 000 étudiants iraniens
faisaient leurs études aux Etats-Unis et
où des milliers d’Etasuniens vivaient et
travaillaient en Iran - dans la plus
parfaite harmonie et pour le plus grand
profit de tous.
Des liens profonds unissent les
Musulmans et les Chrétiens depuis le
sacrifice de Hussein bin Ali à Karbala
au 7ième siècle et celui de Jésus Christ
au Calvaire au premier siècle de notre
ère. Ces deux sacrifices ont établi pour
toujours le principe divin du sacrifice
de sa vie dans le combat contre
l’injustice et dans l’intérêt supérieur
de la communauté. Ils relient
indissolublement les deux religions et
leurs fidèles.
Il n’y a probablement aucun pays qui
soit si incompris des Etats-Unis que
l’Iran. Et c’est dû presque entièrement
à la politique de diabolisation qui mène
à tout déformer, y compris les parties
des discours du président Ahmadinejad
qui portent sur Israël et les
Etats-Unis, sur la nécessité historique
de libérer la Palestine occupée, et sur
le droit de tous les pays de développer
l’énergie nucléaire à des fins
pacifiques et de vivre libres et
indépendants sans avoir à se soumettre à
l’hégémonie occidentale sous l’égide des
Etats-Unis. La plupart des Etasuniens ne
connaissent de l’Iran que les
rediffusions biaisée des discours du
président Mahmoud Ahmedinejad contre les
Etats-Unis et Israël.
En voilà un exemple : la BBC et les
médias occidentaux ont dit que pendant
la célébration, samedi dernier, du
34ième anniversaire de la révolution
iranienne la foule "était frénétique et
psalmodiait ’mort à l’Amérique’ ". Je me
trouvais là et je peux vous dire que
c’est globalement faux. J’ai entendu par
ci par là quelques slogans de ce type
mais ils étaient mêlés à des chants
révolutionnaires ou des exhortations
religieuses, et les gens songeaient
surtout à s’amuser. Offrir de l’eau,
aider les vieilles personnes ou les
enfants, voilà ce qui était au coeur des
célébrations. Les gens étaient heureux,
pas en colère, et ils se montraient
curieux et aimables envers les quelques
Etasuniens présents.
Il suffit de lire le moindre
quotidien occidental pour y trouver des
articles écrits par des iranophobes
islamophobes apologistes du Sionisme
comme Jennifer Rubin. Dans son long
article du Washington Post le jour de la
Saint Valentin, Mme Rubin fulmine de
manière venimeuse contre tout Etasunien
qui oserait exprimer la moindre opinion
objective sur l’Iran. Mme Rubin, qui est
une ancienne bénévole de l’AIPAC, a
fustigé la nomination au secrétariat de
la Défense de Chuck Hagel, l’ancien
sénateur, de conserve avec 52
organisations sionistes des Etats-Unis,
le mois passé, parce qu’il s’est
prononcé en faveur d’une relation de
respect et de bienveillance mutuels avec
l’Iran. Les propos de Hagel sur les
sanctions imposées à l’Iran et à la
Syrie sous l’égide étasunienne et sur la
nécessité de reconstruire la confiance
et de normaliser les relations par le
dialogue, sont impardonnables à leurs
yeux.
Voilà ce que Hagel a dit à propos des
relations entre l’Iran et les Etats-Unis
: "Nous ne devrions pas mettre des
conditions aux pourparlers ni rejeter
toutes les alternatives pour n’en
retenir qu’une seule que nous
’dicterons’ à l’Iran". Déjà, en 2007,
Hagel avait dit que : "Dans le
Moyen-Orient du 21ième siècle, l’Iran
sera un centre de gravité capital... un
important pouvoir régional. Les
Etats-Unis ne peuvent pas changer cette
réalité. La politique stratégique
étasunienne du 21ième siècle pour la
région du Moyen-Orient doit intégrer le
rôle de l’Iran d’aujourd’hui et des
prochaines 25 années." Et Hagel a ajouté
: "En ce qui concerne l’Afghanistan, les
Etats-Unis et l’Iran ont des intérêts
communs - défaire les Talibans et les
extrémistes islamiques, stabiliser
l’Afghanistan, arrêter la production
d’opium et empêcher l’entrée de l’opium
en Iran. Ces intérêt communs doivent
engendrer des actions communes à la
poursuite d’une objectif commun. C’était
l’intérêt de l’Iran de collaborer avec
les Etats-Unis en Afghanistan. Il ne
s’agissait pas d’aider les Etats-Unis ni
de consolider la présence étasunienne en
Asie Centrale. C’était une décision
lucide dictée à l’Iran par des raisons
personnelles."
Il se peut que Hagel se soit un peu
trompé en ce qui concerne l’Afghanistan
et les Talibans, mais Mme Rubin a accusé
Hagel de traîtrise et s’est jointe au
Lobby Israélien pour déclencher une
chasse aux sorcières contre lui en
écrivant : "Pourquoi le président
devrait-il choisir quelqu’un d’aussi
respectueux du gouvernement
révolutionnaire islamique ? ... Pendant
les vacances parlementaires du Congrès,
le Sénat devrait y penser. Et ce serait
intéressant de savoir qui l’a aidé à
écrire des discours aussi intensément
pro-Téhéran."
En Iran, aujourd’hui, on n’entend pas
de discours aussi pleins de haine que
ceux de Mme Rubin contre le renversement
anglo-étasunien de 1953 du leader
iranien Mohammad Mossedeg, ni contre
l’attaque et la destruction le 3 juillet
1988 d’un avion civil iranien, le vol
655, ni contre le fait que les
Etats-Unis aient donné des armes
chimiques à l’Irak quand ce dernier a
agressé l’Iran avec le soutien des
Etats-Unis, ni même contre les
assassinats récents de savants iraniens.
Avec les Etasuniens les Iraniens
parlent le plus souvent de la nécessité
d’améliorer les relations entre les deux
pays ou alors ils leur demandent comment
se passe leur séjour en Iran et s’ils
ont besoin d’aide ou d’information sur
le pays. Les Iraniens sont naturellement
aussi ouverts que les Etasuniens et à la
différence de beaucoup d’autres pays, il
n’y a aucun sujet tabou.
En ce qui me concerne, j’ai échangé
avec les Iraniens sur des sujets comme
l’exécution par la "police des moeurs"
des dealers et des homosexuels, la
"lapidation" des femmes, les attaques
contre la foi Bahá’i, la deuxième
religion du pays après l’Islam, la
"Révolution Verte" de 2009 et tout ce
qui a pu nous venir à l’esprit comme la
consommation d’alcool et les rendez-vous
amoureux en public.
Je me souviens d’une conversation
hilarante que j’ai eue avec quatre
étudiantes dans la vingtaine au cours
d’une Conférence la semaine dernière à
propos du nombre de femmes portant le
Tchador qui se maquillaient ouvertement
(plus de 60%), de la rapidité avec
laquelle la société iranienne changeait
et de la quantité de cheveux que
certaines femmes montraient en public.
Je leur ai demandé si cela n’était pas
interdit par une Fatwa et comment elles
géraient cela. Les réponses ont fusé.
Aucune d’entre elles n’avait vu la
"police des moeurs" dont l’Occident fait
tant de cas, depuis longtemps.
Apparemment elle se fait rare. Une jeune
fille a dit qu’en effet elle portait son
hijab en laissant voir les deux-tiers de
sa tête et a-t-elle dit : "si un de ces
types osaient me dire quelque chose, je
lui répondrais de s’occuper de ses
affaires ou si je suis de bonne humeur
je ferai semblant d’être très très
surprise, je hausserais les épaules, lui
ferais un clin d’oeil et je lui dirais
quelque chose comme : "Oh je suis
vraiment désolée, vraiment ! Ca doit
être le vent qui a repoussé mon voile et
je ne m’en suis pas rendu compte ! Même
s’il n’y a pas eu de vent depuis des
jours."
Les Iraniennes sont intelligentes,
volontaires, parfois même un peu sans
gêne et naturellement séduisantes. Qui
voudrait faire partie d’une unité de
"police des moeurs" ? D’après ces jeunes
filles, ce qui peut vous arriver de pire
si cette police vous arrête dans la rue
et que vous lui dites d’aller se faire
voir ou même pire, c’est une amende et
que vos parents soient obligés de venir
au poste de police pour signer un papier
comme quoi vous promettez de vous
améliorer et d’avoir un comportement
plus modeste en public. Ce qui n’est pas
du tout la même chose que ce que MSM
nous raconte en Occident.
Et qu’on se trouve à une conférence
internationale sur l’Hollywoodisme à
l’hôtel Azadi (liberté) qui était le
Hyatt avant la révolution, ou dans le
métro de Téhéran (beaucoup plus propre
que celui de New York), ou au Souk, ou
en train de visiter le Musée de la
Sainte Défense (dont le thème est la
guerre de 8 ans Irak-Iran), ou de
visiter la maison de l’Imam Ruhollah
Khomeini qui a mené la Révolution de
1979 jusqu’à sa mort le 3 juin 1989, ou
en train de marcher vers le Square Azadi
en compagnie de presque 2 millions de
gens pour commémorer l’anniversaire du
renversement de l’agent des Etasuniens,
le Shah Reza Palavi, on se rend
clairement compte que les Iraniens sont
aussi aimables qu’ils sont doués.
Quand je suis rentré dans le métro
bondé de Téhéran, deux jeunes gens se
sont immédiatement levés pour me donner
leurs places. Nous avons eu une
conversation animée et passionnante.
L’un des deux, Hamzeh, a dit : "Vous
savez, nous comprenons les Etats-Unis et
il nous semble que nous devrions être
amis. Nos deux pays sont uniques
culturellement parlant. Votre pays s’est
développé à partir de la culture
européenne mais a évolué dans une toute
autre direction. Et nous, ce sont les
Arabes qui nous ont apporté l’Islam
mais, comme vous avez pu vous en rendre
compte j’en suis sûr, notre identité est
tout à fait différence de celle des
nations arabes."
Mahmoud a ajouté : "Notre société est
aussi composée de nombreuses minorités
mais nous avons une identité iranienne
unique et nous sommes très fiers de
notre culture. Nous connaissons bien les
coutumes occidentales. Au cours des deux
siècles derniers nous nous sommes
ouverts au monde occidental et la
culture européenne nous a influencés
même si certaines de ses idées, comme la
démocratie, n’ont jamais pu se
développer correctement ici sans que
nous y renoncions. Mais nous savons
aussi ce que cela signifie d’être une
superpuissance. Nous en étions une
autrefois et nous continuons de jouer un
rôle important dans cette partie du
monde depuis, c’est pourquoi il nous est
impossible de nous soumettre à un
pouvoir occidental ou oriental."
Rien n’est plus bouleversant pour les
Etasuniens en général et moi en
particulier que de visiter la résidence
de l’Imam Kohmeini et d’entendre ses
voisins et ses étudiants parler de ce
grand érudit et révolutionnaire. Sa
maison et Hassineyeh sont restés comme
ils étaient à sa mort et un voisin nous
a raconté que Khadije Saghafi, la femme
de Khomeini qui est morte en 2009, lui
avait dit qu’il n’y avait qu’une seule
chose que l’Iman avait refusée de faire
pour elle toute sa vie. Et c’était de
lui demander un verre d’eau au moins une
fois. Il ne voulait rien imposer aux
autres et s’il l’avait pu, il aurait
même empêché le vent de balayer trop
vivement le visage des siens. Un autre
voisin a ajouté : "Quand nous allions
chez lui, nous le trouvions souvent en
train de faire la vaisselle, de balayer
ou de participer à d’autres travaux
domestiques".
Selon d’autres personnes qui le
connaissaient bien, l’Iman menait une
vie très pieuse. Pendant les durs hivers
de Qom, il se réveillait chaque nuit,
faisait ses ablutions (purification
rituelle avant la prière) avec de l’eau
glacée et faisait ses prières de la
nuit. Il fallait refaire la reliure de
son Mafatih (calendrier de prières)
toutes les semaines tant il s’en
servait. Avant d’enseigner à ses
étudiants le militantisme politique, il
insistait sur l’importance de la
spiritualité et sur la nécessité de se
rapprocher d’Allah. La modestie et la
simplicité du style de vie du leader de
la révolution iranienne, Imam Khomeini,
touchent tout le monde, y compris
beaucoup d’Etasuniens.
Il y a toutes les raisons du monde
pour que Washington tende la main à
l’Iran, pas seulement en paroles mais en
actes. Le peuple iranien et de nombreux
Etasuniens le désirent ardemment et ce
serait bénéfique pour les deux sociétés.
Les contacts, les visites et les
discussions ouvertes contribueraient à
détendre les relations entre l’Iran et
les Etats-Unis. Et on peut espérer que
les deux peuples finiront par faire
pression sur leurs gouvernements pour
qu’ils oublient le passé et se tournent
vers l’avenir en recréant des liens
d’amitié.
Franklin Lamb fait de la recherche en
Syrie. On peut le joindre à :
fplamb@gmail.com
Pour consulter l’original :
http://www.counterpunch.org/2013/02/18/the-iranians-and-unco...
Traduction : Dominique Muselet
© LE GRAND SOIR -
Diffusion non-commerciale autorisée et
même encouragée.
Merci de mentionner les sources.
Publié le 19 février 2013
Le
dossier Iran
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