Actualité
Hugo Chavez,
symbole d'une époque
Fedor
Loukianov
Photo: RIA
Novosti - © REUTERS/ Jorge Silva/Files
Mercredi 6 mars
2013 Source:
RIA Novosti
Hugo Chavez s'accrochait autant au
pouvoir qu'à la vie. Mais il n'y a pas
de miracles – ni en médecine ni en
politique.
Les hommes politiques marquent
l'histoire de deux manières. Soit par
leurs actions – bonnes ou mauvaises -
soit par leur capacité à incarner une
époque. Hugo Chavez faisait probablement
partie de la seconde catégorie.
Son "socialisme bolivarien" ne lui
survivra certainement pas – trop de
choses dépendaient de la personnalité du
dirigeant vénézuélien. Son charisme et
son énergie ont transformé cet Etat
périphérique malgré ses richesses en
hydrocarbures en acteur de la grande
politique mondiale.
Son décès fera revenir le Venezuela à
sa place modeste du point de vue global.
A moins, bien sûr, que la mort de Chavez
ne plonge le pays dans une guerre civile
dont les conséquences ne feraient pas
effondrer la conjoncture pétrolière.
Le flair de
Chavez
Mais en ce qui concerne l'esprit du
temps, peu d'hommes politiques de la fin
du XXème et du début du XXIème siècle
pourraient se vanter de réunir autant de
lignes de tension, tracées par les
processus déterminant la situation
mondiale.
Paradoxalement Chavez, accusé
d'autoritarisme, symbolisait
pertinemment le processus de
démocratisation en cours dans de
nombreux pays ainsi qu’à l’échelle
internationale.
Hugo Chavez a tenté d'arriver au
pouvoir par un coup d'Etat il y a 20 ans
mais il a échoué et en a tiré les
conclusions. Le colonel a ressenti ce
que beaucoup de dirigeants n'ont pas
compris après des années, comme les
présidents du Proche-Orient : que
l'époque de la dictature touchait à sa
fin, était démodée. Les masses sont
arrivées dans l'arène historique avec
leur énergie et leurs intérêts souvent
très contradictoires.
Photo: RIA
Novosti - © AFP/ Leo Ramirez
Chavez a montré que dans les pays
souffrant de profonds problèmes sociaux
– comme au Venezuela avec sa
stratification traditionnelle et son
aristocratie hautaine - l'appel à la
démocratie, à la volonté de la majorité
était bien plus efficace que tout
complot.
Les escapades
à l'Onu
Chavez est devenu le précurseur d'un
autre processus démocratique :
l'aspiration du pays à l'équité et à
l'érosion de la hiérarchie mondiale. La
discorde grandissante de l'arène
internationale - qui a résulté de la fin
du système bipolaire - a
particulièrement limité la capacité des
puissants à dicter leur volonté.
Comme le Conseil de sécurité de l'Onu
n'a pas l'intention de changer – les
membres permanents n'ont pas intérêt à
partager leurs privilèges avec d'autres
- la voix de l'Assemblée générale comme
assemblée internationale universelle du
"public" se fait de plus en plus
entendre.
Et les leaders marquants, qui se
prononcent au nom de la majorité
mondiale en colère contre l'inégalité
des droits et des possibilités, sont de
plus en plus persuasifs et gagnent en
retentissement.
Les escapades de Chavez à la tribune
de l'Onu pouvaient rappeler un numéro de
clown mais on retrouvait, derrière, les
émotions de nombreux pays.
L’alternative
Chavez
L'ascension du "socialisme
bolivarien" s’est également accompagnée
d'un vide idéologique sur le flanc
gauche après la chute du communisme
soviétique.
Il s'est rapidement avéré qu'aucun
triomphe de l’enseignement libéral ne
s'était produit et que l'absence
d'équilibre idéologique entraînait un
développement instable. En fin de
compte, la l'idéologie du vainqueur s’en
est trouvée discréditée.
L'aspiration mondiale croissante vers
une alternative - alors que la crise de
2008 a remis en question le caractère
incontestable du marché libre - a
contribué au succès de Chavez, même si
beaucoup ont considéré les réussites du
"nouveau socialisme" au Venezuela comme
de la propagande.
Emancipation
des régions
La présidence de Chavez a coïncidé
avec l'ascension des USA comme leader
mondial ayant les pleins pouvoirs et
avec le début de leur chute.
Le virage à gauche de la politique
régionale, la réticence à suivre les
recommandations et les indications de
Washington ont commencé par Chavez. En
partie pour une histoire défavorable –
le soutien des dictateurs. En partie
aussi parce que les réformes
néolibérales défendues par les USA ont
commencé à susciter la réticence de la
population.
Photo: RIA
Novosti - © Reuters/ Carlos Garcia
Rawlins
En se prenant pour un empire mondial,
les Etats-Unis en ont oublié la "cour
arrière", qui s'est considérablement
écartée de la ligne directrice dans les
années 2000.
Avec son antiaméricanisme franc et
parfois théâtral, Chavez a créé pendant
un certain temps une vague de nouveaux
dirigeants en Bolivie, en Equateur ou au
Nicaragua et a forcé les autres, plus
modérés, à prendre en compte cette
tendance.
D'ailleurs, l'éventuel retour de la
droite au Venezuela ne signifie pas que
tout reviendra à la case départ – les
masses ont vécu l'émancipation avec
Chavez et plus aucun homme politique ne
pourra ignorer ce large public.
Sans "Comandante"
Hugo Chavez est un héros de son
époque - une époque très étrange, sans
dogmes idéologiques ou de règles de
conduites inébranlables, où les faibles
peuvent soudainement devenir plus forts
que les puissants avant de chuter aussi
rapidement qu’ils sont arrivés.
Si cette époque était apparue il y a
un demi-siècle, l'URSS aurait déjà fait
en sorte que le "camarade Hugo"
bénéficie d'un "toit". En dépit des
révérences mutuelles, la Russie n'avait
pas l'intention d'aider Chavez hormis
pour lui vendre des armes et il devait
agir seul.
Les ambitions de Chavez, qui dans ses
meilleures années - comme le colonel
Kadhafi - cherchait à reconstruire tout
autour de lui sans hésiter à s'ingérer
dans les affaires d'autres pays,
détournaient l'énergie et les ressources
du développement de son propre pays.
Ses presque 15 ans de règne ont
forcément influé sur son exactitude
d'appréciation et sa capacité à faire
preuve de souplesse - la frontière entre
l'audace politique et le despotisme
s'effaçait.
Au final il ne laisse pas un héritage
solide. On peut comprendre la panique de
ses compatriotes, qui sont loin d'être
persuadés de pouvoir tenir la barre sans
"Comandante".
Il n'a pas eu le temps de transmettre
les rênes du pouvoir - ou plutôt ne
voulait pas le faire.
Hugo Chavez s'accrochait autant au
pouvoir qu'à la vie. Mais les miracles
n'existent pas – ni en médecine ni en
politique.
© 2013
RIA Novosti
Publié le 6 mars 2013
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