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Opinion
Révoltes populaires
et actes de vandalisme
Fadwa Nassar
Vendredi 28 janvier 2011
Certains peuvent croire que les révoltes populaires, comme celle
qui se déroule actuellement en Tunisie, s’accompagnent
nécessairement d’actes de vandalisme, mais cela n’est pas
toujours le cas, et en Tunisie, ce ne l’est pas. Pire, certains
peuvent croire que les actes de vandalisme remplacent les
révoltes populaires, comme ce qui s’est passé au Liban, au «
jour de la colère » des protestataires du 14 mars et à Ramallah,
où des bandes du Fateh ont attaqué et incendié les bureaux d’al-Jazeera,
pour protester contre la liberté de presse.
Tout ce qui est mouvement de rue n’est pas nécessairement
populaire ni révolutionnaire. Dans certains pays arabes, ça
l’est. Le peuple tunisien est descendu dans la rue et a renversé
le dictateur président qui gouvernait depuis 23 ans, soutenu par
l’Occident et le FMI. Il continue à manifester pour protester
contre le maintien au pouvoir de certaines figures de l’ancien
régime honni et réclame la liberté de presse, lui qui a connu la
pire des censures existant dans le monde arabe. Il réclame les
libertés politiques après qu’il ait souffert sous les 23 ans de
régime du parti unique, avec pour opposition des partis qui
avaient accepté de jouer le jeu de la vitrine démocratique de
Ben Ali et des puissances occidentales.
En Egypte, le peuple est également dans la rue, réclamant le
départ d’un président qui prépare l’accès de son fils au pouvoir
alors qu’il gouverne depuis près de trente ans, avec le soutien
occidental et notamment américain. Des milliers de manifestants
ont parcouru les rues du Caire et des villes importantes,
affrontant pour la première fois, depuis bien longtemps, la
répression policière du régime, pour protester contre les
conditions misérables dans lesquelles le régime maintient le
peuple, contre le parti unique, contre la répression et pour la
liberté d’expression.
Il y a près d’une semaine, le peuple jordanien manifestait
également pour protester contre la dégradation des conditions de
vie et le blocage de la vie politique dans le pays, et toutes
les semaines, un rassemblement, certes de moindre importance, se
tient devant l’ambassade sioniste à Amman, pour réclamer sa
fermeture et le départ de l’ambassadeur. Dans ces trois pays, ce
sont des peuples en colère qui revendiquent la liberté, la vie
digne et la libre expression.
Les protestataires de la « journée de la colère » au Liban (14
mars) et à Ramallah ont probablement cru que leurs protestations
allaient être confondues avec les mouvements arabes populaires
et qu’ils pouvaient déstabiliser la situation. Sauf que les
actes de vandalisme que les protestataires au Liban ont commis,
que ce soit à Beyrouth, à Tripoli ou ailleurs, et les actes
d’intimidation et d’agression contre les passants, sont
inacceptables pour des peuples qui tiennent à leur dignité. Ces
actes montrent seulement que leurs auteurs ne sont qu’une
poignée d’individus qui, même s’ils appartiennent à des couches
pauvres, agissent pour le compte d’autrui (hommes politiques,
puissances étrangères, etc..).
Comme leurs confrères à Ramallah, situation encore plus
complexe, ils ont attaqué la presse et les journalistes, en
rupture avec tout mouvement populaire. Non pas que la presse,
surtout occidentale, soit au-dessus de tout soupçon, loin de là,
mais quand nous assistons au mouvement populaire en Tunisie et
réalisons l’importance de la liberté d’expression et de la
presse qu’il a ardemment voulue, nous ne pouvons que condamner
et rejeter tout mouvement de rue liberticide qui s’imagine
représenter les aspirations d’un peuple.
Il faut surtout ajouter que tout mouvement populaire dans le
monde arabe est nécessairement antisioniste et antiaméricain, à
quelques rares exceptions près, même si les revendications
immédiates peuvent masquer sa profonde appartenance. Car les
peuples, dans leur conscience et spontanéité, refusent
l’injustice et l’arrogance. Et les peuples arabes détestent le
régime sioniste et l’impérialisme américain et ne peuvent se
soulever pour accomplir leurs intérêts.
Dans la Cisjordanie de l’Autorité palestinienne, qui gémit sous
l’occupation sioniste et la coopération sécuritaire entre
sionistes et forces sécuritaires palestiniennes, les quelques
individus du Fateh ou autres ont dirigé leur colère contre la
presse, nommément al-Jazeera, au lieu de la diriger contre ceux
qui s’apprêtent à vendre le pays et sa cause au cours des
négociations. Ils ont incendié ses bureaux de Ramallah pour
protester contre le dévoilement des documents jugés
confidentiels, et attaqué le bureau Palmedia à Nablus pour
protester contre la présence du professeur Abdel Sattar Qassem,
opposé au pouvoir de l’AP. Le Fateh a émis un communiqué
interdisant à tous ses membres de participer à une quelconque
émission de la chaîne al-Jazeera, ou même de coopérer par des
interviews sur le terrain, menaçant d’exclusion tous ceux qui
contrediraient ces ordres. Le président de l’Autorité serait
lui-même intervenu auprès du pouvoir qatari lui demandant de
museler la chaîne al-Jazeera. De même, Fateh ordonne aux
fonctionnaires de manifester ce jeudi pour soutenir l’Autorité,
ce qui ne peut que rappeler étrangement les milices du pouvoir
de Ben Ali en Tunisie, appelant à soutenir l’abandon, les
concessions, la corruption et tout ce qui s’ensuit.
Alors que les soldats de l’occupation tuent les citoyens en
Cisjordanie occupée et que les colons agressent jour et nuit les
paysans et les citadins, brûlent les champs et arrachent les
oliviers, l’Autorité palestinienne poursuit les combattants et
résistants et les jette en prison, pour appliquer ses
engagements envers les sionistes et les puissances étrangères.
On aurait pu s’attendre à ce qu’une révolte palestinienne éclate
contre l’Autorité, en Cisjordanie, comme les manifestations qui
se déroulent à Gaza, suite à la diffusion de ces documents
catastrophe par la chaîne satellitaire arabe, qui n’ont fait que
dévoiler, après tout, jusqu’où est arrivée l’équipe des
négociateurs. Non, ce sont les miliciens du pouvoir qui sont
dans la rue, pour soutenir l’abandon, la coopération sécuritaire
et la corruption. Peut-on comparer ces miliciens palestiniens ou
les protestataires libanais de la « journée de la colère » aux
peuples qui aspirent à la dignité, la liberté et l’indépendance
?
Article publié sur Résistance islamique au Liban
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