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CADTM
Venezuela, Honduras,
Pérou, Equateur :
« petits» oublis et « grands » mensonges des médias
Éric Toussaint
Photo: Humaterra
Mardi 6 octobre 2009
Il
convient de prendre la mesure du danger que constitue l’attitude
systématiquement hostile adoptée par l’écrasante majorité des
grands médias européens et nord-américains (ainsi que par
l’organisation Reporters sans frontières) à l’égard des
expériences en cours en Equateur, en Bolivie et au Venezuela.
Cette hostilité n’a d’égale que le silence embarrassé et
complice à l’égard des putschistes honduriens ou de la
répression exercée par l’armée péruvienne contre les Indiens
d’Amazonie.
Pour
illustrer cette affirmation, quelques faits récents.
1) Le 5 juin 2009, l’armée péruvienne a massacré à Bagua plus de
50 Indiens d’Amazonie qui protestaient contre les concessions de
terres accordées par le gouvernement d’Alan Garcia aux
transnationales étrangères, principalement européennes. Cela n’a
pas provoqué la réprobation des grands groupes de presse
mondiaux |1|.
Ceux-ci donnaient alors la priorité quasi exclusive aux
protestations en cours en Iran. Non seulement la presse n’a pas
réprouvé la répression au Pérou, mais à peine y a-t-elle fait
écho. Or, le mécontentement était tel au Pérou que le
gouvernement a dû annoncer l’abrogation du décret présidentiel
contre lequel les Indiens d’Amazonie étaient entrés en lutte.
Encore une fois, la couverture par les médias de ce recul du
gouvernement a été quasiment nulle. Posons-nous la question
suivante : si une intervention de l’armée vénézuélienne ou
équatorienne avait provoqué la mort de dizaines d’Indiens
d’Amazonie, quelle aurait été la couverture médiatique ?
2)
Lorsque le président constitutionnel Manuel Zelaya a été
renversé par les militaires le 28 juin, l’écrasante majorité des
médias a déclaré, en contradiction totale avec la vérité, que
les militaires réagissaient à sa volonté de modifier la
Constitution afin de rester au pouvoir. De nombreux medias
ajoutaient qu’il suivait en cela l’exemple d’Hugo Chavez,
présenté comme un dirigeant populiste autoritaire. En réalité,
Manuel Zelaya proposait aux citoyens honduriens de se prononcer
en faveur de l’organisation d’élections générales à une
Constituante ce qui aurait représenté une réelle avancée
démocratique dans ce pays. C’est ce qu’expliquent très bien
Cécile Lamarque et Jérôme Duval, de retour d’une mission du
CADTM au Honduras : « Le coup d’État est réalisé le jour où
Manuel Zelaya organise une "consultation" à caractère non
contraignant demandant aux Honduriens s’ils désiraient, ou non,
la convocation d’une Assemblée nationale constituante, après les
élections prévues le 29 novembre 2009. La question était : « Êtes-vous
d’accord qu’aux prochaines élections générales de 2009, une 4e
urne soit installée pour permettre au peuple de se prononcer sur
la convocation d’une assemblée nationale constituante ? OUI ou
NON ». Si cette consultation avait recueilli une majorité
de "oui", le président aurait soumis un décret à l’approbation
du Congrès pour que, le 29 novembre, les Honduriens se
prononcent formellement sur la convocation d’une Constituante,
dans une "quatrième urne" (les trois premières étant réservées
respectivement à l’élection du président, des députés et des
maires). Pour donner un semblant de légalité au coup, le Congrès
et la Cour Suprême, associés au putsch, ont jugé ce scrutin
illégal et ont fait valoir que le président Zelaya a « violé la
Constitution » en prétendant la modifier « pour pouvoir briguer
un nouveau mandat », à la manière d’un « apprenti dictateur
chaviste ». Or, Manuel Zelaya ne cherchait pas, via cette
consultation populaire, à reconduire son mandat présidentiel
lors des prochaines élections puisque celles-ci se tiendront
dans le cadre de l’actuelle Constitution qui prévoit des mandats
présidentiels de quatre ans non renouvelables. Zelaya ne pouvait
donc pas être candidat à sa propre succession. » |2|.
Alors
que les mouvements populaires d’opposition aux putschistes ont
multiplié grèves et manifestations en juillet, en août et
septembre, les grands médias y ont à peine consacré quelques
lignes. Les rares fois où les grands quotidiens consacrent un
article de fond à la situation au Honduras, ils pratiquent une
politique de dénigrement du président constitutionnel quand ils
ne présentent pas carrément l’action des militaires sous la
forme d’un coup militaire démocratique. C’est le cas du Wall
Street Journal, qui dans son éditorial du 1er juillet 2009,
écrivait que “le coup d’Etat militaire qui a eu lieu au
Honduras le 28 juin dernier et qui a conduit à l’exil le
président de ce pays d’Amérique centrale, Manuel Zelaya, est
étrangement démocratique”. L’éditorial ajoute que “les
autorités législatives et judiciaires resteront intactes”
suite à l’action militaire. De son côté et de manière plus
nuancée, le célèbre quotidien français Le Monde a
participé à une campagne de dénigrement de Manuel Zelaya. En
voici un exemple. Le 12 septembre 2009, Jean-Michel Caroit, son
envoyé spécial au Honduras, cite les paroles d’une Française
expatriée dans ce pays et ensuite accole le mensonge répété
systématiquement sur les mauvaises intentions attribuées à
Manuel Zelaya : « « Pour les Honduriens, le retour de Zelaya est
inacceptable car il signifierait vingt ans de dictature à la
[Hugo] Chavez », s’exclame Marianne Cadario, en référence au
président du Venezuela qui – comme son allié Manuel
Zelaya prétendait le faire – a modifié la Constitution
pour pouvoir se faire réélire. Marianne Cadario, une Française
installée depuis trente ans au Honduras, se dit « hyperchoquée
par la réaction de la communauté internationale » qui a condamné
le putsch. ». |3|
Le ton des journaux comme Le Monde et Libération a
commencé à changer fin septembre après que les putschistes aient
franchi plusieurs degrés supplémentaires dans la répression. Il
est devenu assez critique à l’égard des putschistes. Ceci dit,
le quotidien Libération mérite un prix pour l’utilisation des
euphémismes. En effet, le 28 septembre 2009 (3 mois après le
coup jour pour jour), il intitulait « Parfum
de dictature » le paragraphe dans lequel il expliquait que le
gouvernement putschiste avait décrété : « l’interdiction de «
toute réunion publique non autorisée »,
arrestation de « toute personne mettant en danger sa
vie ou celle des autres », «
évacuation » des locaux occupés par les
manifestants et brouillage de « l’émission par
n’importe quel média de programmes portant atteinte à la paix
. » » |4|.
3)
Début août 2009, l’intention des autorités vénézuéliennes de
remettre en cause le droit d’émettre de 34 radios et télévisions
a trouvé un écho important dans la presse internationale sur le
thème : « c’est une preuve de plus de la quasi disparition du
droit d’expression et de critique dans ce pays autoritaire ». La
manière dont la grande presse traite la situation des médias au
Venezuela est unilatéralement hostile aux autorités du pays,
alors que 90% des médias vénézuéliens sont privés et soutiennent
pour la plupart très activement des campagnes de désinformation.
Globovision, une des principales chaînes de télévision
privées, a participé activement au coup d’Etat militaire contre
Chavez le 11 avril 2002. Un reportage réalisé par Globovision
a fait le tour du monde le 11 avril 2002 et dans les jours qui
suivirent le coup militaire. Il s’agit d’un montage qui falsifie
la réalité. On y voit des civils présentés comme chavistes en
train de tirer au pistolet à partir d’un pont dans une direction
qui n’est pas identifiable. La voix off du journaliste de
Globovision affirme que les chavistes sont en train
d’abattre des manifestants d’opposition qui défilent
pacifiquement dans la rue en dessous du pont. Le parquet
vénézuélien a pu reconstituer le déroulement exact des faits à
partir de l’analyse des reportages et des différentes photos
prises par des particuliers le 11 avril 2002. En fait, les
militants chavistes qui, selon Globovision, tiraient sur des
manifestants, répondaient en réalité à des tirs provenant d’un
blindé de la police métropolitaine alliée aux putschistes. Les
manifestants d’opposition n’étaient plus dans la rue vers
laquelle tiraient les chavistes au moment des faits. Plusieurs
sources ont pu démontrer sans équivoque possible que les
putschistes avaient programmé l’assassinat de manifestants anti-chavistes
en attribuant ces crimes à Chavez pour justifier leur coup. Le
11 avril 2008, les téléspectateurs vénézuéliens ont pu revoir
les images de la conférence de presse donnée par les militaires
putschistes à un moment où aucun manifestant n’avait encore
été tué. Or, ces militaires y affirmaient qu’ils prenaient
le pouvoir suite aux assassinats réalisés par les chavistes, ce
qui corrobore clairement la thèse selon laquelle ils avaient
délibérément planifié ces assassinats pour justifier leur action
séditieuse.
Au cours des deux jours qui suivirent le coup d’Etat, les 12 et
13 avril 2002, alors que des centaines de milliers de personnes
non armées encerclaient les casernes putschistes pour réclamer
le retour d’Hugo Chavez emprisonné, Globovision n’a
diffusé aucune image de ces protestations, elle expliquait que
le calme était revenu dans le pays et que Hugo Chavez avait
donné sa démission et était en route vers Cuba. Au cours des
dernières heures du putsch, cette chaîne se contentait de
diffuser des dessins animés et des émissions de variété |5|
. Globovision s’est donc fait complice des putschistes à
plusieurs moments clé ce qui a amené les associations de parents
des victimes et les survivants blessés à exiger une condamnation
de la chaîne. Ce à quoi le gouvernement chaviste s’est jusqu’ici
refusé afin d’éviter que la campagne internationale menée contre
lui ne monte subitement de plusieurs crans. Plusieurs
associations de défense des droits humains sont d’ailleurs
mécontentes de cette attitude passive de la part des autorités
vénézuéliennes.
Plus
récemment, Globovisión a manifesté sa sympathie pour les
auteurs du coup d’Etat du 28 juin 2009 au Honduras. Les
animateurs de plusieurs émissions de Globovision n’ont
rien fait d’autre que de soutenir le coup d’Etat au Honduras
depuis le début, accusant à leur tour le gouvernement Chavez
d’ingérence pour avoir condamné le coup. A titre d’exemple,
Guillermo Zuloaga, président de Globovision a affirmé le
17 juillet dernier que “le gouvernement de Micheletti est
conforme à la Constitution, et nous voudrions, nous serions
ravis qu’ici au Venezuela, la Constitution soit respectée de la
même manière qu’elle l’est au Honduras”, marquant ainsi
clairement son soutien au gouvernement putschiste.
Globovision
n’a jamais fait l’objet d’une interdiction d’émettre. Quel est
le grand média européen ou nord-américain qui mentionne ce
fait ? Quel grand média européen ou nord-américain informe le
public sur le fait que l’écrasante majorité des médias
vénézuéliens sont contrôlés par le secteur privé ? Qu’ils
représentent plus de 90% de l’audimat au niveau télévisuel.
Qu’ils attaquent avec une violence extrême le gouvernement
présenté comme une dictature et que certains d’entre eux bien
qu’ayant participé activement au coup d’Etat contre un président
constitutionnel, continuent à émettre librement depuis sept ans.
Peut-on imaginer que le général de Gaulle n’aurait pas pris des
mesures répressives à l’égard d’un journal, d’une radio ou d’une
télévision qui aurait soutenu activement le coup de l’OAS au
moment de la guerre d’Algérie ? Ne trouverait-on pas normal que
le gouvernement espagnol prenne des mesures contre les médias
qui auraient soutenu activement en temps réel le colonel Tejero
lorsque, à la tête d’un groupe de militaires putschistes, il a
menacé d’une arme les députés présents aux Cortes |6| ?
Si Manuel Zelaya était restitué dans son mandat de président
constitutionnel, lui et son gouvernement ne seraient-ils pas en
droit de demander des comptes et de prendre des mesures contre
les propriétaires des médias honduriens qui ont résolument
appuyé les putschistes en déformant systématiquement la réalité
et en ne couvrant pas les multiples violations des droits
humains commises par les militaires ?
4) Les
dépenses d’armement. A lire la presse européenne ou d’Amérique
du Nord, on a nettement l’impression que le Venezuela est en
train de faire d’importantes dépenses d’armement (notamment
auprès de la Russie,) ce qui constitue une menace pour la paix
dans la région. Or si l’on en croit la CIA |7|,
la situation est toute différente, le budget militaire
vénézuélien est le 6e de la région par ordre d’importance, il
vient après ceux du Brésil, de l’Argentine, du Chili (beaucoup
moins peuplé que le Venezuela et considéré comme un modèle), de
la Colombie et du Mexique. En termes relatifs, ramené au produit
intérieur brut de chaque pays, le budget militaire vénézuélien
vient au 9e rang de l’Amérique latine ! A-t-on pu lire cette
information dans la grande presse ?
Par contre, on aura pu lire en août 2009 que la Suède demandait
des comptes au Venezuela parce que le gouvernement colombien
avait une fois de plus dénoncé son voisin comme fournisseur
d’armes à la guérilla des FARC. La Suède avait en effet déclaré
à la Colombie que des missiles SAAB retrouvés dans un camp des
FARC avaient été fournis au Venezuela. Qui a pu lire la réponse
détaillée donnée par Hugo Chavez ? Les missiles en question
avaient été volés dans un port vénézuélien en 1995, quatre ans
avant que Chavez n’accède à la présidence de la République…
Conclusion :
Il faut prendre conscience de l’asymétrie avec laquelle les
grands médias traitent des événements et garder dès lors un
esprit hautement critique. Le discrédit porté contre Hugo
Chavez, Rafael Correa et Evo Morales est tel qu’il prépare
l’opinion publique internationale à la passivité au cas où une
nouvelle tentative de coup d’Etat aurait lieu ou à l’approbation
de mesures agressives prises par un gouvernement comme celui des
Etats-Unis. Parmi les accusations insidieuses dénuées de
fondement, on peut lire dans la presse espagnole (dont El Pais)
que la campagne électorale de Rafael Correa a été financée par
les FARC. On peut lire également que les autorités
vénézuéliennes ne combattent pas le narcotrafic. Dans le cas du
président hondurien Manuel Zelaya, le discrédit porté sur lui,
vise à empêcher une mobilisation de l’opinion internationale en
faveur de sa restitution à la tête de l’Etat.
Notes
|1|
Voir
http://www.cadtm.org/Le-CADTM-est-pleinement-solidaire
et
http://www.cadtm.org/Perou-le-massacre-de-Bagua
|2|
Cécile Lamarque et Jérome Duval, « Honduras : Pourquoi le coup
d’État », 17 septembre 2009,
www.cadtm.org/Honduras-Pourquoi-le-coup-d-Etat
|3|
Jean-Michel Caroit, « Au Honduras, la campagne électorale
s’ouvre dans un climat de haine »,
Le Monde, p. 8, samedi 12 septembre
2009.
|4|
http://www.liberation.fr/monde/0101593847-le-honduras-s-enfonce-dans-la-crise
|5|
Il est intéressant de mentionner à ce propos l’initiative prise
par le gouvernement d’Hugo Chavez le 11 avril 2008 - six ans
après le coup d’Etat. Le gouvernement a utilisé son droit de
passage sur les antennes privées et publiques pour faire
rediffuser l’intégralité du reportage réalisé par les chaînes
privées anti-chavistes (Globovision,
RCTV...) de la séance officielle d’intronisation du président et
du gouvernement putschiste dans un salon du palais présidentiel
Miraflores. Le programme auquel tous les spectateurs
vénézuéliens ont pu assister le 11 avril 2002, a donc été
rediffusé sans aucune coupure et sans aucun commentaire critique
de la part du gouvernement chaviste. Celui-ci a compté sur
l’esprit critique de la société vénézuélienne pour qu’elle se
fasse elle-même une opinion sur la complicité active des médias
privés avec les responsables du coup parmi lesquels on a pu
reconnaître les principales autorités de l’Eglise catholique,
les chefs militaires factieux, le dirigeant du syndicat jaune
CTV (Centrale des Travailleurs du Venezuela), les dirigeants
d’entreprises privées et le président de la Fédération patronale
vénézuélienne (Fedecamaras), Pedro Carmona. A noter que ce
président qui a occupé le pouvoir pendant à peine environ 36
heures est aujourd’hui affublé communément du sobriquet "Pépin
le Bref" (« Pepe el breve »).
|6|
Le 23 février 1981, à la chambre haute du Parlement, a eu lieu
une tentative de coup d’Etat organisée par des secteurs
franquistes. Le colonel Tejero qui la dirigeait, a menacé d’une
arme les députés et les a pris en otage au moment de
l’investiture du nouveau président de gouvernement.
|7|
Voir
https://www.cia.gov/library/publications/the-world-factbook/index.html,
consulté en mars 2009.
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