Opinion
Ingérence
délibérée sous prétexte douteux !
Général (2S) Dominique Delawarde
Jeudi 5 septembre 2013
Ancien chef du bureau
"Situation-Renseignement-Guerre
électronique" de l'Etat Major
Interarméees de Planification
Opérationnelle en région parisienne,
ayant servi près de deux années au
Proche Orient, dont
14 mois en qualité de chef du
bureau renseignement de la Force
Intérimaire des Nations Unies au Liban,
ayant fait une bonne douzaine de séjours
au Moyen Orient (Qatar, Emirats, Koweit),
ayant enfin servi trois années aux Etats
Unis en qualité d'officier de liaison
auprès de l'Enseignement militaire
supérieur
américain, je crois connaître
mieux que le citoyen moyen, voire que
certains experts autoproclamés, les
problèmes du Proche et du Moyen Orient.
Je me suis toujours tenu informé sur ce
qui s'y passait et, par conséquent sur
le sujet qui nous préoccupe aujourd'hui
: une éventuelle intervention militaire
en Syrie.
Ce courrier a pour but de donner les
raisons précises de mes doutes quant à
l'opportunité d'une intervention en
répondant à quelques questions simples.
Il s'agit aussi de donner matière à
réfléchir à ceux qui veulent vraiment
étudier le problème sans se contenter
des logorrhées verbales bien pensantes
et des affirmations péremptoires des
hommes politiques de tous bords.
1 - Les preuves indubitables présentées
par le premier ministre aux députés
sont-elles convaincantes et crédibles
?
Quelles que soient ces preuves, ma
réponse est non.
Les preuves peuvent évidemment être
indubitables puisque personne n'a
d'éléments concrets pour les mettre en
doute. Mais elles peuvent être fausses.
Je n'ai pas la mémoire courte et me
souviens du général américain Colin
Powell présentant aux Nations Unies,
avec un aplomb incroyable,
ses "fausses preuves
indubitables" établie par la CIA sur
l'existence d'armes de destruction
massive en Irak pour justifier
l'intervention militaire qui a suivi. Je
sais qu'en France, phare de l'humanité,
on ne ment jamais, mais tout de même...
Personnellement, j'ai la conviction
intime que nous sommes en présence d'une
nouvelle manipulation avec le massacre
au gaz chimique de Damas et je vais
tenter d'en convaincre le lecteur.
2 - A qui profite ce "massacre" au gaz ?
Certainement pas à
Bachar El Assad qui n'aurait
jamais pris le risque
de franchir cette ligne rouge
posée depuis longtemps par les
américains et les franco-anglais. Il
savait qu'une intervention occidentale
suivrait toute utilisation de gaz et
signifierait sa chute à courte échéance.
Il savait que les Nations Unies étaient
mandatées pour étudier l'utilisation des
gaz en Syrie. Il possède un arsenal
suffisant pour frapper ses adversaires
sans faire appel au gaz. Aurait-il pris
un tel risque, à un tel moment pour tuer
seulement quelques centaines
d'adversaires en banlieue de Damas,
capitale du pays, à une relative
proximité des délégations diplomatiques
étrangère ? Cette affirmation absurde ne
tient pas la route.
Ce "massacre" dont nul ne connaît
l'ampleur réelle profite donc aux deux
autres parties en cause dans cette
affaire.
D'abord aux opposants de Bachar El Assad
qui, si intervention il y a, ont toutes
les chances de gagner rapidement leur
combat et de prendre le pouvoir en
Syrie.
Ensuite aux américains et aux franco
anglais qui souhaitent depuis longtemps
affaiblir le Hezbollah libanais mais
surtout l'Iran (cible principale en
raison du nucléaire) en supprimant leur
allié de toujours : la Syrie de Bachar
El Assad.
2 - Y a-t-il eu d'autres précédents dans
ce genre de manipulation ?
La réponse est oui.
Il y a eu TIMISOARA (décembre 1989) où
les médias du monde entier ont repris
pendant près de six semaines
la fausse information d'un "massacre" de
4 600 personnes pour aider à faire
tomber Ceaucescu. En fait les opposants
avaient déterré quelques cadavres des
cimetières de la ville, les avaient
entourés de fils de fer barbelés et
avaient tourné des images horribles
visant à faire pleurer les
téléspectateurs occidentaux. Ils ont
ensuite, sur la foi de ces images
manipulées, avancé le chiffre énorme de
4 632 victimes qui n'existaient pas mais
que personne n'a osé mettre en doute.
Leur coup était joué et gagné puisqu'il
a entraîné la chute De Ceaucescu.
Après coup les médias et les politiques
occidentaux ont eu le bon goût de
s'excuser pour leur erreur et ont avoué
qu'ils avaient été manipulés... mais
l'objectif était atteint.
Il y a eu deux autres manipulations de
ce type en Bosnie et au Kosovo lorsque
j'étais en fonction.
Elles ont été réalisées avec
succès et l'opinion et les médias n'en
ont jamais connu les tenants et les
aboutissants.
3) Comment une telle manipulation avec
utilisation de gaz aurait elle pû être
réalisée par l'opposition ?
C'est assez simple à réaliser…
L'opposition prend quelques familles
entières (hommes, femmes, enfants,
vieillards) soupçonnées d'être pro-
Bachar et capturées lors des combats.
Elle utilise du gaz prélevés sur les
stocks de l'Armée Syrienne par du
personnel déserteur. Elle gaze et
filme les derniers instants
horribles, puis,
en appelle à l'ONU et aux
américains. Le tour est joué. Pour faire
bonne mesure, vous rajoutez quelques
témoins de votre camp pour raconter
l'horreur, vous avancez le chiffre de 1
700 morts, chiffre invérifiable (comme
celui de TIMISOARA) et vous envoyez les
images les plus horribles.
La manipulation est servie...
Le renseignement français prétend que
les rebelles n'ont pas les savoir-faire
pour mettre en oeuvre les gaz. C'est
oublier un peu vite que les rebelles
sont soutenus et conseillés par des
services spéciaux étrangers qui, eux,
ont toutes les connaissances
nécessaires.
4) Pourquoi les Allemands, les Canadiens
et même les député britanniques
doutent-ils du bien-fondé de
l'intervention militaire.
Ces trois pays se doutent bien qu'il y a
très probablement une manipulation. Ils
ont eux aussi des services de
renseignement et un minimum de bon sens.
Ils ne veulent pas engager la vie de
leurs soldats sur des preuves qui
pourraient bien s'avérer "bidon",
analysent les conséquences d'une telle
intervention. Ils préfèrent s'occuper du
rétablissement de leur économie en crise
et de la sécurité à l'intérieur de leur
frontière avant d'aller jouer, à crédit
comme le fait la France, les justiciers
dans le reste du monde.
Par ailleurs, il ne peut échapper à
personne que les gaz sont volatils et
que l'utilisation de Gaz dans une zone
urbanisée comme Damas très
majoritairement et densément peuplée par
les partisans de Bachar El Assad
pourrait se retourner contre ses auteurs
au moindre coup de vent...
Cette utilisation de gaz dans la ville
de Damas n'est tout simplement pas
crédible. Il est vrai que "plus c'est
énorme, plus ça passe", mais là, la
ficelle est un peu grosse...
5) Quelles conséquences régionales et
internationales en cas d'intervention
militaire ?
Pour la Syrie même, une seule certitude.
La chute de Bachar El Assad, chef d'état
laïque, entraînera la
débâcle et l'exil pour les populations
chrétiennes et Alaouites dont la
majorité aura soutenu Bachar El Assad
pendant de très nombreuses années, voire
pour de nombreux sunnites... donc, de
nouveaux massacres et de nouvelles
masses de réfugiés... Est-ce le but
recherché ?
Pour les Israéliens, une Egypte et une
Syrie affaiblies, divisées et dont les
économies auront été ramenées 50 ans en
arrière,
ne représentent plus une menace
sérieuse pour très longtemps. Une
intervention américaine et
franco-anglaise n'est pas une mauvaise
affaire pour eux, au point de se
demander si nous ne "travaillons" pas
un peu
à leur profit...
L'Iran étant la prochaine cible, connue
de tous, il est probable que le prix du
pétrole explosera assez vite à la suite
de l'intervention entraînant de
nouvelles difficultés pour nos économies
déjà fragiles.
L'intervention aura un coût pour un pays
déjà surendetté comme le notre. Ce coût
sera évidemment supporté directement ou
indirectement par le contribuable. A
moins que le gouvernement ne réalise
l'opération à budget de défense constant
ce qui conduira à échelonner les
dépenses d'équipement et à retarder, une
fois de plus, la modernisation de nos
forces.
6) Une telle participation française à
une intervention relève-t-elle de
l'ingérence humanitaire et/où du respect
des conventions de Genève ?
Si tel était le cas, pourquoi la France
n'a-t-elle pas proposé d'intervenir
militairement lors du massacre de Gaza
en Janvier 2009
(1300 morts, bien réels ceux là,
dont 900 civils et 300 enfants) ?
L'armée israélienne avait alors utilisé
des bombes au phosphore interdites par
les conventions de Genève...
Y aurait-il deux poids deux mesures ?
Des massacres autorisés ou tolérés, et
des massacres interdits ?
7) Autres éléments troublants
en vrac.
Le 6 Mai dernier, Madame Carla del
Ponte, ancienne procureur au tribunal
pénal international, membre de la
commission indépendante mandatée par
l'ONU pour enquêter sur l'utilisation de
gaz
en Syrie déclare que les
rebelles (et non les forces du
régime) ont utilisé du gaz sarin.
Toute vérité n'étant pas bonne à dire
dans un monde onusien largement financé
par les USA, la commission indépendante
(peut être moins qu'on ne le croit)
déclarera dès le lendemain que les
preuves sont insuffisantes pour accuser
formellement la rébellion
d'utilisation de gaz...
Par ailleurs la mission d'observateurs
de la Ligue arabe envoyée au début du
conflit a publié un rapport très
équilibré sur les violences en Syrie dès
Janvier 2012. J'ai noté dans ce rapport
:
28 – La mission a noté l’émission de
faux rapports émanant de plusieurs
parties faisant état de plusieurs
attentats à la bombe et de violence dans
certaines régions. Lorsque les
observateurs se sont dirigés vers ces
zones pour enquêter, les données
recueillies montrent que ces rapports ne
sont pas crédibles.
29 – La mission a noté également, se
basant sur les documents et les rapports
émanant des équipes sur le terrain,
qu’il y a des exagérations médiatiques
sur la nature et l’ampleur des accidents
et des personnes tuées ou blessées à la
suite des événements et des
manifestations qui ont eu lieu dans
certaines villes.
Cet excellent rapport établi par une
commission majoritairement sunnite (donc
plutôt anti-Bachar) n'était sans doute
pas suffisamment anti-Bachar pour être
évoqué par les médias occidentaux. Il
mérite pourtant une lecture attentive. A
ceux qui souhaitent s'informer au delà
du prêt-à-penser politique Français, il
suffit de taper sur Google : "rapport du
chef de la mission des observateurs de
la Ligue arabe en Syrie" et on obtient
ce rapport dans sa version française.
En conclusion, vous aurez compris que je
ne crois pas un instant que les "preuves
indubitables" françaises, quelles
qu'elles soient, puissent justifier, à
ce jour, une intervention militaire de
quelque niveau que ce soit. Je sais
évidemment qu'une grande partie des
forces rebelles est composée de
mercenaires financés par le Qatar et
l'Arabie Saoudite (sunnites) dans leur
croisade contre les Alaouites et les
chiites. Cette force rebelle soutenue
par les américains et les franco-anglais
n'est donc pas vraiment d'une Force
Syrienne Libre.
Les Nations Unies rendront leur rapport
dans quelques semaines tout au plus.
Sera-t-il impartial ? Je l'espère. Mais
je sais que les financements US sont
vitaux pour l'ONU et qu'il lui est
parfois difficile d'être vraiment
indépendante.
Je voudrais terminer en disant que je ne
suis pas un partisan de Bachar El Assad,
loin s'en faut. Mais il est très
probablement moins pire que celui qui
pourrait prendre sa suite. La
justification et les conséquences de nos
actes doivent donc être examinées
beaucoup plus sérieusement qu’elles ne
le sont aujourd'hui.
Je constate enfin que la "communauté
internationale", terme utilisée
indûment par nos hommes politiques et
repris par nos journalistes à longueur
de journée, ne semble compter
aujourd'hui que trois pays : les
Etats-Unis, la Grande-Bretagne et la
France qui représentent à eux trois
moins de 8% de la population mondiale.
Les positions de la Chine, de l'Inde, de
la Russie, du Brésil, du Japon, de
l'Allemagne sont presque totalement
occultées des débats internationaux, y
compris sur la Syrie, alors qu'ils
constituent près de 60% de la population
mondiale. Font-ils partie ou non de la
communauté internationale ? Il y a, là
aussi, matière à réflexion...
Publié le 12
septembre 2013
Le
dossier Syrie
Les dernières mises à jour
|