Opinion
Comment BHL a poussé
la France à s'engager dans le conflit Libyen
Dmitri Babitch
Vendredi 1er avril 2011
L’homme qui pratiquement à lui seul a réussi à convaincre le
président français Nicolas Sarkozy de reconnaître le
gouvernement "alternatif" de la Libye, exhortait à la fin des
années 1990 l’Occident à reconnaître le "président" tchétchène
Aslan Maskhadov et son "premier ministre" Chamil Bassaïev. Après
les événements de Tskhinvali (conflit russo-géorgien d'août
2008, ndlr), il qualifiait également Mikhaïl Saakachvili
d'"homme le plus hostile à la guerre" qu’on puisse jamais
rencontrer. Tous ces faits invitent à se poser la question
suivante: sur quelles informations et en provenance de quelles
sources l’opération militaire internationale en Libye se
base-t-elle?
Le nom de cet homme, de l’informateur de Sarkozy, est
Bernard-Henri Lévy, BHL pour les intimes. Il signe ses articles,
comme son ami et collègue André Glucksmann, "Bernard-Henri Lévy,
le philosophe."
BHL est millionnaire, et il a accordé un entretien aux
journalistes du magazine allemand Spiegel dans sa résidence
permanente de l’hôtel parisien Raphaël en présence d’un valet.
Ses jugements sont comme toujours péremptoires et sans appel:
"Vous avez un mauvais ministre des affaires étrangères et il
vous faut s’en debarasser... Et l'Allemagne aura beaucoup de mal
à satisfaire son ambition légitime d'avoir un siège permanent au
conseil de sécurité de l'ONU".
On pourrait croire entendre le seigneur de l’Univers, et non
pas un modeste "activiste de la diplomatie populaire qui n’a
aucun pouvoir, à l’exception de celui que lui donne la
conscience" (c’est ainsi que BHL s’est modestement décrit lors
d’une conférence en ligne avec les lecteurs du quotidien Le
Monde). Mais le problème est précisément dû au fait que
l’influence de BHL sur la politique mondiale au cours des
dernières semaines a été plus importante que celle des 27
ministres des Affaires étrangères de l’Union européenne réunis.
En se rendant début mars à Benghazi, Lévy appelle Sarkozy et
propose au président de la république de rencontrer
personnellement les dirigeants du Conseil national de transition
(CNT) qui luttent contre Kadhafi. Sarkozy donne immédiatement le
feu vert à la visite de ces messieurs accompagnés par Lévy à
Paris, sans même prendre la peine de prévenir son propre
ministre des Affaires étrangères Alain Juppé. Le 10 mars,
Sarkozy annonce personnellement la reconnaissance du CNT par la
France en tant que gouvernement légitime de la Libye. Juppé a
été pris au dépourvu par cette décision.
"C'est la première fois dans l'histoire de la Ve République
qu'une décision majeure de politique étrangère est annoncée
par... des personnalités étrangères !", s'étrangle dans Le
Monde un diplomate français qui a souhaité garder l’anonymat.
Le fait est que les diplomates français sont arrivés en Libye
quelques jours après Lévy. Et les Libyens ont expliqué aux
diplomates qu’une personnalité bien plus importante qu’eux,
"l’homme du président", était déjà venu et qu’il avait
accompagné les dirigeants des rebelles à Paris. "Tu mesures que
leur arrive, c'est un acte politique majeur ? ", lui
demande Bernard-Henri Lévy. Ces phrases de Lévy ont accompagné
la discussion avec Sarkozy et ont beaucoup impressionné les
Libyens. Seul un philosophe du calibre de Lévy ou de Glucksmann
peut se permettre de tutoyer le président français.
"J’ai seulement proposé au président d’accueillir les
représentants de la Libye libre", dit modestement Lévy
aujourd’hui, depuis que sa "proposition" a provoqué un nouveau
cycle de guerre civile en Libye avec l’implication des
puissances européennes. Rappelons que de la même manière en
1999, après l’attaque contre le Daguestan par Chamil Bassaïev,
Lévy avait recommandé à l’Occident de reconnaître l’autorité de
Maskhadov en Tchétchénie.
Le reconnaître afin de contrarier le régime russe
"stalino-hitlérien" (sa propre expression!). Il ne reste plus
qu’à regretter qu’à l’époque les Français n’aient pas apprécié à
sa juste valeur la proposition de Lévy et ne l’aient pas envoyé
de l'hôtel Raphaël dans un établissement plus adapté pour des
auteurs d'idées de ce genre. Probablement, Alain Juppé, qui a
rencontré le philosophe hyperactif pendant son premier mandat à
la tête du ministère des Affaires étrangères en 1993-1995,
aurait même accepté de l’accompagner. A l’époque, après s’être
rendu à Sarajevo, Lévy exigeait des pays de l’OTAN qu'ils
bombardent sans attendre les positions serbes en sabotant ainsi
les actions des diplomates français et allemands, qualifiées à
l’époque de "plan Kinkel-Juppé", qui cherchaient un règlement
politique du conflit.
En regardant les images de l’opposition libyenne à la
télévision et en voyant ces "cavaliers" du XXIe siècle avec des
mitrailleuses sur des pick-up japonais, d’autres protégés de
Lévy viennent à l’esprit. Les combattants tchétchènes, les
moujahids afghans (la mention du nom de Massoud dans l’appel
téléphonique de Benghazi n’est pas un hasard), les miliciens
bosniaques d’Alija Izetbegovic. Et le tout dernier: Mikhaïl
Saakachvili. Voici ce qu’a écrit Lévy à son sujet le 20 août
2008 dans Le Monde: "Il est francophile et francophone. Féru de
philosophie. Démocrate. Européen. Libéral au double sens,
américain et européen, du mot. De tous les grands résistants que
j'aurai rencontrés dans ma vie, de tous les Massoud ou
Izetbegovic dont il m'a été donné de prendre la défense, il est
le plus évidemment étranger à l'univers de la guerre, à ses
rites, ses emblèmes, sa culture - mais il fait face."
Personnellement, les emblèmes de la guerre sont probablement
étrangers à BHL, mais il ne dédaigne pas de déclencher des
guerres. L’algorithme est toujours le même: il faut d’abord
trouver un conflit, suivi de "l’hystérie pour la défense des
droits de l’homme", puis un règlement militaire (et seulement
militaire, jusqu’à l’anéantissement total de l’ennemi!).
"Allez fouiller dans mon inconscient!", a lancé avec mépris
Lévy aux lecteurs du Monde, lorsqu’ils ont osé supposer que
l’amour pour les combattants était proche des complexes étudiés
par Freud. Ou peut-être les Etats-Unis, l’Union européenne et
surtout la France devraient fouiller dans leur propre
subconscient: pourquoi de telles personnes forgent-elle
l’opinion publique et sont-elles considérées comme la
"conscience de l’Europe"? Et cela vaut-il la peine de les
écouter? Ainsi que les interlocuteurs recommandés par messieurs
Lévy et Glucksmann en Russie, au Kosovo, en Libye…
L'opinion de l'auteur ne
correspond pas forcément à celle de la rédaction.
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