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Libye : il faut désormais passer à la séquence politique
Didier Billion


Didier Billion - © Photo: IRIS

Mardi 29 mars 2011

Une fois de plus une intervention militaire, légitimée par le Conseil de sécurité de l’ONU, montre les limites de ce que certains appellent la communauté internationale. Ce sont les menaces d’un bain de sang lancées par le colonel Kadhafi à l’encontre de la population de Benghazi qui ont justifié le vote de la résolution 1973, le 17 mars 2011, au nom de la nécessaire protection de populations civiles menacées. Il fallait une majorité de neuf voix et aucun veto pour son adoption. Au final dix mains sur quinze se sont levées, Russie, Chine, Allemagne, Inde et Brésil s’abstenant.

D’un strict point de vue diplomatique ce vote constitue un succès pour la France qui a été a la manœuvre pour rallier les hésitants et accélérer le processus onusien. Les bombardements aériens commençaient dès le 19 mars… huit ans presque jour pour jour après ceux initiés contre l’Irak, à l’époque sans mandat de l’ONU.

Quelques heures après le début des bombardements les critiques commençaient à fuser : bien évidemment provenant tout d’abord de ceux qui s’étaient abstenus à l’ONU, mais aussi, plus significativement, de la part du secrétaire général de la Ligue des Etats arabes dont le soutien à la création d’une no-fly zone, voté lors du sommet de l’organisation réuni au Caire le 12 mars, avait été décisif. En effet, les dirigeants occidentaux étaient parfaitement conscients que cette intervention militaire pouvait renforcer au Moyen-Orient le sentiment que l’opération militaire soit perçue comme une nouvelle croisade, d’où l’impérative nécessité d’obtenir l’aval des Etats arabes. Ils l’ont fourni, à l’exception de l’Algérie et de la Syrie qui s’abstenaient.

Le contenu de la résolution du Conseil de sécurité est volontairement ambigu car il ne donne pas de cadre politique et n’anticipe pas. La résolution 1973 définit la nécessité de protection de la population civile, mais elle exclut la perspective de déploiement de troupes terrestres d’occupation et ne se fixe pas l’objectif de renversement du régime du colonel Kadhafi. De facto, la ligne rouge est visiblement en train d’être franchie sur ce dernier point et la poursuite des bombardements laisse à penser que l’objectif est désormais la chute de Kadhafi… ce qui place l’opération en dehors du cadre onusien. La population de Benghazi a, à ce jour, été sauvée du massacre, c’est au moins une vertu de l’intervention militaire. Dont acte. Il s’agissait alors, dès cet objectif atteint, de cesser les bombardements, mais ces derniers continuent massivement. Or il faut impérativement raisonner politiquement et ne pas continuer à prendre des décisions dans l’urgence sans la moindre idée d’un scénario de sortie de crise. Ne nous illusionnons pas : pour de multiples raisons, la poursuite d’une intervention militaire directe fait courir les mêmes risques d’enlisement que sur d’autres théâtres d’opérations en cours.

Il faut réaffirmer qu’avec ou sans résolution de l’ONU les bombardements ne concourent jamais à l’instauration de la démocratie. Nous savons que cette dernière est le produit d’un long processus qu’aucune puissance extérieure n’accomplira à la place des peuples concernés, en l’occurrence le peuple libyen. Chasser Kadhafi par la poursuite de l’intervention militaire extérieure signifierait en pratique le remplacer par un Hamid Karzaï local et/ou accepter la partition du pays.

L’argument qui consiste à dire qu’il n’était pas possible de laisser l’armée et les mercenaires de Kadhafi continuer leurs basses œuvres serait éventuellement mieux recevable si ladite communauté internationale se comportait toujours de façon aussi sourcilleuse et si ses indignations n’étaient pas si sélectives. Deux poids deux mesures une fois de plus. Ladite communauté internationale n’en ressortira pas grandie. Les manifestants de Bahreïn pour leur part doivent douloureusement saisir l’inanité d’une pseudo diplomatie des droits de l’homme. La défense et la promotion de ces derniers est sans nul doute indispensable à tout moment et en tous lieux mais ne constitue pas une politique en tant que telle.

Il ne revient pas à des puissances extérieures de choisir leurs dirigeants à la place des Libyens. Un régime installé de l’extérieur est toujours frappé d’un soupçon d’illégitimité originelle. Constat d’autant plus préoccupant lorsque dans la réalité il est imposé par des puissances occidentales. Or, qu’on s’en félicite ou qu’on le regrette, c’est ce qui se passe aujourd’hui en Libye. Facteur aggravant, après plus d’une semaine de bombardements par une sorte de coalition de pays volontaires – France, Grande Bretagne et Etats-Unis – c’est désormais l’OTAN qui assume le commandement des opérations. Il nous est doctement expliqué que ce transfert à l’Alliance atlantique a notamment été voulu par le président Obama qui craignait plus que tout une nouvelle guerre américaine dans le monde musulman. Mais si l’OTAN n’était pas un instrument aux mains des Etats-Unis cela se saurait ! Qui ne voit le danger du processus engagé ? On peut craindre qu’une fois de plus l’OTAN apparaisse aux yeux des peuples de la région comme le bras armé des puissances occidentales les plus interventionnistes. L’OTAN n’a en effet aucun mandat de l’ONU pour prendre le commandement de l’opération militaire en cours et cette décision alimente la thèse du choc des civilisations et la self-fulfilling prophecy.

Il est désormais impératif de passer le plus vite possible à la séquence politique suivante. Il faut mettre le Politique au poste de commande : arrêt des bombardements et ouverture de négociations. Cela signifie que toutes les parties libyennes au conflit, sous des formes qui restent à définir, devraient pouvoir se rencontrer afin de fournir au nécessaire processus de transition le maximum de légitimité qu’il puisse avoir. Le Conseil national transitoire, entité hétéroclite et peu organisée, ne peut en l’état constituer à lui seul le socle d’un futur gouvernement. Outre les acteurs nationaux, la Ligue des Etats arabes – qui avait considéré, lors du sommet du Caire, que Kadhafi avait « perdu toute légitimité » – serait bien inspirée de formuler des propositions de médiations et de prendre des initiatives en ce sens. Elle peut s’appuyer sur les puissances émergentes qui ont montré leurs vives réticences quant à l’opération militaire telle qu’elle est menée aujourd’hui.

Didier Billion, Directeur des publications de l’IRIS, Rédacteur en chef de La Revue internationale et stratégique

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Publié le 29 mars 2011 avec l'aimable autorisation de l'IRIS.



Source : Affaires Stratégiques
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