Libye
Libye : Réflexions
sur une guerre
Demba
Moussa Dembélé
Photo:
Picasaweb
Lundi 12 septembre
2011
La guerre contre la
Libye lancée par l’Organisation du
Traité de l’Atlantique Nord (OTAN), sous
prétexte de « protéger les populations
civiles », marque un tournant très
dangereux dans les relations entre
l’Afrique et les pays occidentaux,
notamment la France, les Etats-Unis et
la Grande Bretagne, les principaux
protagonistes de cette équipée
impérialiste contre un Etat africain
souverain.
« SOULEVEMENT
POPULAIRE» OU AGRESSION IMPERIALISTE?
Au début des évènements en Libye, on
avait cru à la contagion des
soulèvements populaires en Tunisie et en
Egypte. Mais quelque temps après, on
s’est rendu compte qu’il y avait de
grandes différences avec ces mouvements.
En Libye, le soulèvement avait pour
origine Benghazi, fief de l’ancien roi
Idriss, déposé par Kadhafi en 1969. Un
soulèvement tribal contre Tripoli. En
outre, contrairement à ce qui s’est
passé en Tunisie et en Egypte, les
principaux chefs « rebelles » sont
d’anciens ministres ou hauts
responsables du régime de Kadhafi. On
dit que le président du CNT, Mustapha
Abdul Jelil, était même ministre de la
Justice jusqu’au mois de février 2011 !
Dans ces conditions, les évènements en
Libye ressemblaient plus à une tentative
de « révolution de palais » qu’à un «
soulèvement populaire ».
Par ailleurs, le quotidien britannique «
Guardian », dans son édition du 24 août,
nous apprend que « ces sont les
principaux pays de l’OTAN qui ont
soutenu et financé le CNT, qui comprend
des membres liés de longue date à la CIA
et au M15 [le service secret
britannique, DMD] ». C’est pourquoi ces
puissances occidentales avaient aidé le
CNT à créer une société pétrolière en
vue de remplacer la compagnie étatique
libyenne et une « Banque centrale
libyenne » avec l’aide du géant
britannique de la banque, HSBC. Une
équipe de haut niveau de cette
institution financière avait d’ailleurs
été dépêchée à Benghazi dans ce but.
Ainsi, l’appel à une intervention
extérieure par le CNT était la suite
logique de la coordination étroite entre
celui-ci et les pays occidentaux. Ces
derniers y avaient vu une occasion de se
débarrasser du régime de Kadhafi et de
reprendre pied dans un pays aussi
stratégique, surtout après le
traumatisme causé par la chute de deux
dictateurs pro-occidentaux en Tunisie et
en Egypte.
Comme on le constate, les évènements de
Libye sont une opération planifiée avec
des puissances étrangères en plus d’être
une insurrection armée dès le début. Ils
n’ont rien de spontané et rien à voir
avec un soulèvement populaire, comme en
Tunisie et en Egypte. .
Une fois les plans de l’intervention des
puissances occidentales établis, il
restait à la faire accepter à l’opinion.
Ce fut le travail des grands médias
occidentaux, dont la plupart sont
contrôlés par les multinationales, et
ceux des monarchies du Golfe comme Al
Jazeera et Al Arabya. Ces médias seront
utilisés à fond pour fabriquer des
mensonges et manipuler l’opinion
publique et même les Nations-Unies, afin
de les préparer à une intervention
militaire pour « protéger » des civils.
Les prétendues menaces « d’extermination
de civils » à Benghazi par l’armée de
Kadhafi, utilisées comme prétexte pour
obtenir la Résolution 1973, n’étaient
que de l’intoxication. Selon le
Guardian, Amnesty International et aussi
Human Rights Watch ont émis par la suite
des doutes sur la véracité de ces
allégations.
Ainsi donc, le déroulement de la
campagne de destructions massives et de
terreur de l’OTAN a-t-elle montré que la
« protection » des civils n’était que le
voile servant à masquer le vrai objectif
des Etats-Unis, de la France et de la
Grande Bretagne : à savoir abattre le
régime de Kadhafi pour installer à sa
place un régime plus docile, qui serait
« reconnaissant » à ses « protecteurs »
occidentaux qui seraient ainsi amplement
« récompensés » par le contrôle et le
pillage des ressources de la Libye.
L’OTAN est une machine à tuer au service
du capitalisme et de l’impérialisme
occidental. C’est une menace contre la
liberté des peuples, l’indépendance et
la souveraineté des pays du Sud. Après
ce qui s’est passé en Tunisie et en
Egypte, l’intervention en Libye est
destinée à canaliser d’autres
soulèvements populaires, à défaut de
pouvoir les étouffer, au profit des pays
occidentaux. Car, les évènements en
Tunisie et en Egypte ont pris de court
et complètement déjoué les plans de
l’impérialisme nord-américain et de ses
alliés. Il fallait donc utiliser la
Libye pour étouffer le virus du
soulèvement populaire contre à la fois
les dictateurs internes et leurs
protecteurs extérieurs, c'est-à-dire
l’impérialisme occidental.
UNE INTERVENTION MILITAIRE DECIDEE DE
LONGUE DATE
Comme indiqué plus haut, l’argument de
la « protection des civils » était une
manière d’obtenir l’aval, ou plutôt la
complicité des Nations-Unies, avec le
vote de la Résolution 1973, pour donner
une couverture légale à l’intervention
des pays occidentaux. Cette intervention
avait été décidée plusieurs semaines
auparavant par les Etats-Unis, la France
et la Grande Bretagne. Et le cours des
évènements a montré que ces pays se sont
servis du Conseil de Sécurité pour
exécuter leur plan en violant
délibérément les dispositions de la
Résolution 1973. D’ailleurs, plusieurs
journaux aux Etats-Unis et en Europe, et
non des moindres, ont indiqué que les
pays occidentaux avaient envoyé des
forces spéciales et des agents de la CIA
en Libye bien avant l’idée d’une « zone
d’exclusion aérienne ». A ce propos, le
quotidien britannique, Guardian, déjà
cité, observe que « les services de
renseignements et les forces spéciales
des pays occidentaux avaient été envoyés
sur le terrain des mois auparavant, en
narguant des Nations Unies, pour former,
planifier et coordonner les opérations
des rebelles».
Le philosophe italien, Dominico Losurdo,
cite un autre quotidien britannique, le
Sunday Mirror, qui, dans son édition du
20 mars, révélait que «trois semaines»
avant la résolution de l’ONU, étaient à
l’œuvre en Libye des « centaines » de
soldats britanniques, encadrés dans un
des corps militaires les plus
sophistiqués et les plus redoutés du
monde (SAS). Des révélations similaires
ont été rapportées par l’International
Herald Tribune du 31 mars, parlant de la
présence de « petits groupes de la CIA »
et d’une «ample force occidentale en
action dans l’ombre», « avant
l’éclatement des hostilités le 19 mars
».
C’est pourquoi toutes les tentatives
faites par la Chine, la Russie, membres
permanents du Conseil de Sécurité, et
surtout par l’Union africaine, ont été
soit rejetées soit tout simplement
ignorées. Parce que ces propositions
appelaient à un règlement politique du
conflit, une issue qui n’intéressait ni
l’OTAN ni ses marionnettes du CNT. La
destruction de la Libye et la chute de
Kadhafi étaient la seule et unique
solution recherchée par les Etats-Unis,
la France et la Grande Bretagne.
UN BILAN ACCABLANT POUR L’OTAN
Comme indiqué plus haut, l’OTAN est un
instrument au service des entreprises
criminelles de l’impérialisme occidental
ayant à sa tête l’impérialisme yankee.
C’est le bras armé du capitalisme. Sous
prétexte de « lutte contre le terrorisme
» ou « d’intervention humanitaire »,
l’OTAN est devenue une machine à tuer
pour renforcer le contrôle des pays
occidentaux sur les ressources de la
planète et préserver leur hégémonie,
notamment celle de l’impérialisme
nord-américain. Et pour remplir cette
mission, tout est permis, y compris les
crimes les plus abominables. On l’a
observé en Afghanistan depuis 2001. Et
maintenant c’est le tour de la Libye.
Un des chefs militaires rebelles a dit
que le conflit avait fait au moins
50.000 morts ! Voilà un aspect du bilan
macabre de l’intervention de l’OTAN, qui
était censée « protéger » les civils et
« sauver des vies »! Et ce chiffre
exclut les dizaines de milliers de
blessés, dont certains ne s’en
remettront jamais. La quasi-totalité de
ces victimes – morts ou blessés- est à
mettre au compte des bombardements de
l’OTAN dans sa folie destructrice contre
la Libye. En effet, on estime à quelque
20.000 les sorties aériennes et à plus
de 30.000 bombes larguées par cette
organisation sur le territoire libyen,
sans compter les tirs de missiles et les
opérations menées par les drones à
partir des Etats-Unis.
Le Guardian souligne : “Tandis que les
puissances occidentales affirment
qu’elles étaient en train de sauver des
vies, des milliers sont morts sur le
terrain, avec un nombre incalculable de
civils tués par les attaques aériennes
de l’OTAN, y compris 85 corps calcinés
près de la ville de Zlitan » au début du
mois d’août.
Les grands médias occidentaux ont été
très discrets sur les chiffres annoncés
par les rebelles, parce qu’ils
contredisent les mensonges de l’OTAN qui
prétendait intervenir pour «empêcher le
massacre de civils »! Finalement, c’est
elle qui a fini par les massacrer. En
effet, pendant six mois, l’OTAN a semé
la terreur, la désolation et la mort
dans les rangs du peuple libyen. Des
familles entières ont été décimées après
le bombardement de prétendues «cibles
militaires». Des populations ont été
privées d’eau, d’électricité, de
nourriture, de soins médicaux, dans le
but de les amener à se «soulever» contre
leur « dictateur » ! Des infrastructures
vitales ont été détruites avec une
sauvagerie gratuite!
Selon le bureau de coordination des
Nations Unies pour les affaires
humanitaires (OCHA), cité par le
président de la Commission de l’Union
africaine, le 26 août, le conflit a fait
fuir de la Libye près de 750.000
personnes, dont 100.000 Libyens et près
de 650.000 étrangers, dont plus de la
moitié composée de ressortissants de
pays voisins, qui travaillaient en Libye
parfois depuis des décennies. A cela, il
faut ajouter plus de 220.000 déplacés
internes. Des gens qui ont tout perdu et
qui doivent recommencer leur vie à zéro.
Tel est donc le bilan catastrophique de
l’agression barbare de l’OTAN contre la
Libye.
La barbarie de l’OTAN est également
illustrée par d’autres exemples
rapportés par des journaux occidentaux.
Le philosophe italien Dominico Losurdo
cite l’International Herald Tribune qui
rapporte dans son édition du 26 août: «
Dans un campement au centre de Tripoli
ont été retrouvés les corps criblés de
balles de plus de 30 combattants
pro-Kadhafi. Deux au moins étaient
ligotés avec des liens en plastique, et
ceci laisse penser qu’ils ont subi une
exécution. Parmi ces morts, cinq ont été
trouvés dans un hôpital de fortune ;
l’un était sur une ambulance, étendu sur
un brancard et ligoté par une ceinture
et portant encore une perfusion
intraveineuse dans le bras ». Mais
l’OTAN s’est également signalée par la
non assistance aux réfugiés en détresse
et qui se noyaient en haute mer, fuyant
ses bombardements et les exactions de
ses affidés du CNT. Une attitude que
même le gouvernement italien, pourtant
membre de la coalition des croisés,
avait dénoncée publiquement !
Selon le site du quotidien français Le
Monde, au moins 1 500 personnes ont péri
noyées pendant leur fuite dans des
embarcations de fortune pour échapper à
la guerre. Ainsi donc, en plus de ceux
qui ont été écrasés sous les bombes à
fragmentation ou à l’uranium appauvri,
armes prohibées par les conventions
internationales, l’intervention de
l’OTAN a fait périr des milliers
d’autres personnes qui seront sans doute
mises au compte de «victimes
collatérales» comme elle en produit tous
les jours en Afghanistan/
QU’ATTEND DONC LA COUR PENALE
INTERNATIONALE?
Au vu de ces crimes contre l’Humanité
commis par l’OTAN, de nombreuses voix se
sont élevées pour demander ce qu’attend
la CPI pour ouvrir une enquête sur les
actions de l’OTAN et des autres
mercenaires à la solde du CNT. Une CPI
qui a été si prompte à inculper Kadhafi
et son fils sur la base des «
témoignages » plus que douteux rapportés
par les médias occidentaux et des ONG
des « droits de l’homme », souvent au
service de la « mission civilisatrice «
de l’impérialisme occidental! Les
éléments sur lesquels s’est basée la CPI
pour inculper Kadhafi ont été contestés
par l’International Crisis Group qui
avait pourtant envoyé une mission
d’enquête sur le terrain!
En vérité, la CPI est un instrument au
service du système impérialiste, jouant
le même rôle que l’OTAN contre les
peuples du Sud. Donc, il n’y a rien à
attendre de ce côté-là. D’autant plus
que toute enquête sérieuse sur les
crimes perpétrés par l’OTAN mènerait
directement à Barack Obama, Nicolas
Sarkozy et David Cameron, qui ont
planifié cette agression et donné les
ordres pour détruire la Libye et mettre
ainsi la main sur un pays aussi
stratégique, surtout après les
changements intervenus dans les deux
pays voisins que sont la Tunisie et
l’Egypte!
PROBLEME DE LEGITIMITE POUR LE CNT
Ayant été porté au pouvoir par une
coalition de mercenaires composés des
forces de l’OTAN, de leurs forces
spéciales, d’agents de la CIA, de
combattants d’Al Qaeda et des monarchies
du Golfe et de l’Arabie Saoudite, le CNT
aura un grand problème de crédibilité et
même de légitimité auprès du peuple
libyen. En effet, l’appel à
l’intervention extérieure montre
clairement que le CNT ne jouissait pas
de soutien populaire capable de faire
tomber le régime de Kadhafi,
contrairement à ce qui s’est passé en
Tunisie et en Egypte. En outre, comment
un mouvement de « libération » peut-il
être légitime quand il fait appel à des
puissances extérieures pour détruire les
infrastructures vitales de son pays et
faire massacrer ses propres compatriotes
? D’ailleurs, Le Guardian observe à ce
sujet: «il est clair qu’une implication
aussi étroite des Etats-Unis et des
anciennes puissances coloniales va
entacher et saper la légitimité de la
transformation en Libye ».
Outre le fait d’avoir été installé par
une force étrangère, le CNT est un
regroupement très hétéroclite, composé
d’islamistes radicaux liés à Al Qaeda,
de royalistes, de tribalistes et de
représentants de la petite bourgeoisie.
Ce mélange détonnant risque de poser des
problèmes de cohabitation entre factions
n’ayant pas nécessairement les mêmes
objectifs sur l’avenir de la Libye après
la guerre. Par ailleurs, l’image du CNT
a été ternie par l’attitude foncièrement
raciste observée à l’égard des Libyens
noirs et des Africains au Sud du Sahara
qui travaillaient en Libye. Quand les
médias étrangers au service de
l’agression impérialiste développent une
campagne raciste et abjecte contre ces
Africains, tous considérés comme des «
mercenaires » de Kadhafi, c’est d’abord
pour masquer la nature criminelle de la
coalition qui a porté le CNT au pouvoir.
Ensuite, leur campagne tend à justifier
les massacres perpétrés contre ces
Africains, comme l’ont rapporté
plusieurs médias indépendants, dont
Michel Collon, journaliste
d’investigation bien connu, qui avait
rencontré certains de ces Africains lors
de sa visite à Tripoli.
L’International Herald Tribune du 2
septembre rapporte que des rebelles
continuent de rafler tous les libyens à
la peau noire et les Africains au Sud du
Sahara. Comme quoi la « nouvelle Libye »
installée par l’OTAN semble s’engager
dans la voie de « l’épuration ethnique »
pour se débarrasser de ses propres
ressortissants noirs!
OCCUPATION ET PILLAGE DES RESSOURCES DE
LA LIBYE
Une « nouvelle Libye » se dessine, qui
sera sous la coupe réglée des «
protecteurs » du CNT, en dépit de ce
qu’en dira ce dernier, car il ne pourra
rien leur refuser. D’ailleurs, en a-t-il
les moyens? Nullement. Comme on l’a déjà
souligné plus haut, le but véritable de
l’agression impérialiste des principaux
pays membres de l’OTAN est le contrôle
des ressources de la Libye et la
recherche de bases militaires dans un
pays hautement stratégique, surtout
après la « perte » éventuelle de
l’Egypte par les Etats-Unis.
En détruisant à grande échelle les
infrastructures libyennes, les pays
occidentaux sont assurés de se servir
des immenses ressources pétrolières de
la Libye pour faire travailler leurs
entreprises pour « reconstruire » le
pays. Une « reconstruction » qui, selon
les rebelles, pourrait prendre au moins
dix ans! Donc, les entreprises
occidentales sont assurées d’obtenir des
marchés pour plusieurs années et créer
ainsi des emplois pour leurs
ressortissants. Ce qui pourrait donner
l’illusion d’une embellie pour le marché
de l’emploi aux Etats-Unis et en France,
deux pays avec des présidents très
impopulaires et qui seront en période
électorale en 2012 !
Comme quoi, il n’y a rien «
d’humanitaire » dans cette guerre
d’agression contre la Libye. Il faut
être vraiment naïf, et même niais, pour
croire un seul instant que Sarkozy,
Obama, Cameron ou encore le dépravé
sexuel Silvio Berlusconi, tous
confrontés à des crises économiques et
financières sans précédent, vont
dépenser des millions de leurs devises
chaque jour et risquer la vie de leurs
pilotes et autres agents secrets, juste
pour « protéger » des Libyens. Comment
des gouvernements qui édictent des
politiques carrément racistes et
xénophobes, notamment à l’encontre des
immigrés de confession musulmane
peuvent-ils faire croire qu’ils se
soucient du sort du peuple libyen?
Le philosophe italien Dominico Losurdo
observe à juste titre que « Cette guerre
n’a rien à voir avec la protection des
droits humains. » Il cite un journal
italien, La Stampa, qui souligne que
c’est pour des intérêts purement
économiques que l’Italie et les autres
pays de l’OTAN sont intervenus en Libye.
Et ce même journal prédit déjà une «
guerre économique » entre la France et
l’Italie, une fois que l’OTAN aura
accompli sa sale besogne. Ainsi dans son
édition du 26 août, La Stampa écrit,
faisant allusion à la France : « on a
immédiatement compris que la guerre
contre le Colonel allait se transformer
en un conflit d’un autre type: guerre
économique, avec un nouvel adversaire,
l’Italie évidemment ».
De fait, la réalité n’a pas tardé à
prendre le dessus sur la fiction et les
mensonges. Un article du New York Times
du 23 août nous apprend que la guerre
n’est même pas encore finie que déjà a
commencé la course pour le contrôle du
pétrole libyen. Sous la plume de
Clifford Krauss, le journal écrit, “la
bataille n’est même pas encore terminée
à Tripoli, que la course pour l’accès
aux richesses pétrolières libyennes a
déjà commencé…Les nations occidentales,
en particulier les pays de l’OTAN qui
ont accordé un soutien aérien
déterminant aux rebelles, veulent
s’assurer que leurs entreprises seront
en pôle position pour pomper le pétrole
libyen » Et l’article cite le ministre
italien des Affaires étrangères, Franco
Frattini, qui souligne que la compagnie
italienne ENI « jouera un rôle de
premier plan dans l’avenir » en Libye.
Mais apparemment, certains des ses
homologues ne l’entendent pas de cette
oreille. En effet, comme une réponse
indirecte aux déclarations de Frattini,
Alain Jupé, le ministre français des
Affaires étrangères, a comparé
l’intervention de la France en Libye à «
un investissement dans l’avenir ».Un
avenir qui se conjuguera sans doute en
contrats juteux pour les entreprises
françaises au nom de la « reconstruction
» de la Libye mais dont le vrai objectif
sera de mettre la main sur une bonne
partie du pétrole et du gaz libyens!
Le quotidien français Libération, du
jeudi 1er septembre, nous apprend qu’il
y a eu un accord secret entre la France
et le CNT, conclu le 3 avril 2011, qui
promet 35% du pétrole libyen à la France
en échange d’un soutien total et
permanent de celle-ci à la rébellion !
Ainsi l’on comprend mieux «
l’investissement dans l’avenir » dont
parlait Alain Juppé, et surtout
l’activisme du président Sarkozy dans la
guerre d’agression contre la Libye! Mais
Frattini, cité dans un autre quotidien
français Le Figaro du 2 septembre,
prévient : « il n’y aura pas de bataille
de type coloniale entre l’Italie et la
France pour s’emparer des richesses de
la Libye. L’Italie restera un partenaire
privilégié de Tripoli. Ne venez pas
chasser dans notre réserve. » Dans le
même temps, le numéro du New York Times,
déjà cité, rapporte les propos
d’Abdeljalil Mayouf, porte-parole de la
compagnie pétrolière créée par le CNT,
qui affirme que des pays comme la Chine,
la Russie et le Brésil pourraient être «
punis » pour avoir critiqué
l’intervention de l’OTAN et proposé une
solution politique.
Comme quoi le voile de mensonges et de
désinformation sur les vraies raisons de
la guerre de l’OTAN contre la Libye
commence à se déchirer petit à petit.
Ceux qui ont été abusés par les discours
sur la protection des « droits de
l’homme » et la promotion de la «
démocratie » comprendront alors que
c’est la protection des droits de
propriété sur les richesses libyennes
qui constitue la force motrice
fondamentale de l’agression de l’OTAN
contre la Libye!
OBSTRUCTIONS A LA MEDIATION DE L’UNION
AFRICAINE
Tout occupée à atteindre ses objectifs
de changement de régime, l’OTAN, avec la
complicité des Nations Unies, a rejeté
systématiquement tous les appels au
cessez-le-feu et à la négociation
formulés par l’Union africaine. L’OTAN a
même tout fait pour entraver les efforts
des pays africains auprès du CNT, en
empêchant la visite des chefs d’Etat
mandatés par l’UA au tout début des
frappes aériennes ou en soumettant
Tripoli à d’intenses bombardements
durant le séjour de ces derniers.
Les Etats-Unis, la France et la Grande
Bretagne ont non seulement ignoré les
propositions de l’Afrique mais également
tenté de diviser celle-ci en se servant
de certains de leurs pions ou
marionnettes pour affaiblir la position
de l’Union africaine. Dans ce registre,
le président Wade du Sénégal s’est
distingué d’une manière honteuse et
grotesque. Il s’est mis sans vergogne au
service de l’agression impérialiste
contre un pays africain souverain. Il
fut le premier chef d’Etat africain à
trahir Kadhafi, dont il était pourtant
l’un des plus fervents courtisans. Et
aussi l’un des partisans les plus zélés
dans le débat sur les Etats-Unis
d’Afrique ! Son voyage à Benghazi,
préparé et encadré par la France et à
partir de Paris, a couvert de ridicule
le Sénégal au sein de l’opinion
africaine. Et pour davantage satisfaire
ses maîtres occidentaux, Wade vient de
déclarer -encore à Paris- qu’il est
partisan du « droit d’ingérence »,
c'est-à-dire le soutien à des
interventions impérialistes en Afrique
pour la recoloniser sous le prétexte de
« protection des droits humains » et «
de promotion de la démocratie »! Un
quotidien sénégalais l’a qualifié à très
juste titre de « honte africaine » !
Le refus de l’OTAN d’écouter la voix de
l’Afrique sur une question aussi
essentielle qui concerne un autre pays
africain, témoigne à n’en pas douter du
manque total de respect, voire du
mépris, de la part des Etats-Unis, de la
France et de la Grande Bretagne,
notamment, à l’égard de l’Union
africaine. Ce faisant, ils ont démontré
qu’avec les pays africains ce sont eux
qui dictent la conduite à observer et
non l’Union africaine. Les obstructions
répétées des pays de l’OTAN pour saper
la médiation de l’Union africaine
montrent que les discours sur le respect
de la souveraineté des Etats n’ont
aucune valeur dans la bouche des
dirigeants occidentaux quand on est
faible et désuni.
La leçon à retenir ici est que l’Union
africaine n’existe pas encore dans la
réalité. Non seulement, elle a été
impuissante à infléchir l’attitude des
pays membres de l’OTAN mais certains de
ses propres membres ont déjà accepté le
fait accompli en reconnaissant le CNT
alors que le Conseil de Paix et de
Sécurité de l’UA a refusé jusqu’à
présent de le faire. .
DIABOLISER LES DIRIGEANTS AFRICAINS POUR
MIEUX SERVIR LES DESSEINS DE
L’IMPERIALISME
Le refus de prendre en compte la
position de l’Afrique découle du manque
de respect, voire du mépris, que les
dirigeants occidentaux éprouvent à
l’égard des dirigeants africains. Ces
derniers sont presque toujours
diabolisés par les médias occidentaux,
les présentant presque tous comme des «
dictateurs», des « corrompus » et des «
oppresseurs » de leurs peuples. Et ce
sont les pays occidentaux qui se
chargeraient de « protéger », voire de «
sauver », les pauvres peuples africains
de ces « dictateurs », de ces
oppresseurs », de ces « tyrans » !
Il y a certes des dictateurs en Afrique,
mais la plupart sont les « protégés »
des puissances occidentales. Aussi
longtemps qu’ils servent loyalement les
intérêts de ces dernières, on continue à
les protéger et même à les présenter
sous des dehors de « démocrates ». Ce
n’est que quand ces dictateurs
n’arrivent plus à servir les intérêts de
leurs maîtres qu’on les lâche, tout en
cherchant à assurer leur relève, dans la
mesure du possible. Le cas le plus
récent est celui de Moubarak lâché par
les Etats-Unis pour essayer de sauver
leurs intérêts non seulement en Egypte
mais aussi dans toute la région, pour
surtout protéger Israël.
Mais en général, ce sont les dirigeants
qui résistent aux puissances
occidentales qui sont souvent
diabolisés, vilipendés et font l’objet
de plans de déstabilisation, voire
d’assassinat pur et simple! Par exemple,
Tony Blair, ancien Premier ministre
britannique, a révélé dans ses Mémoires
qu’il avait envisagé d’attaquer le
Zimbabwe pour faire tomber le régime de
Robert Mugabe, sous prétexte de défense
« des droits de l’homme ». Mais le vrai
motif était d’installer un gouvernement
« ami » dans ce pays qui reviendrait sur
le programme de redistribution des
terres qui appartenaient à une minorité
blanche d’origine britannique!
Avec la Libye, les dirigeants
occidentaux sont passés des intentions
aux actes. L’intervention de l’OTAN a
été préparée et accompagnée par une
campagne médiatique odieuse pour non
seulement la légitimer mais également
justifier tous les meurtres perpétrés
par cette organisation contre la famille
Kadhafi et des populations civiles
innocentes que les pays occidentaux
prétendaient « protéger ». La campagne
médiatique contre Kadhafi s’est même
intensifiée après la chute de Tripoli.
Les atrocités commises par l’OTAN et ses
supplétifs sont attribuées aux «
pro-Kadhafi ».C’est ainsi que des corps
calcinés, qui ne peuvent être que le
fait de bombardements par l’OTAN, sont
attribués aux « pro-Kadhafi ». Et même
maintenant, on accuse Kadhafi, ses fils
et ses soldats de viol sur les «
amazones libyennes » ! Les journaux
africains ont repris sans discernement
des articles relatant de tels « viols »
publiés dans Le Figaro, le principal
quotidien de la droite française, qu’un
journaliste français avait qualifié à
juste titre de « quotidien du peuple
sarkozyste» !
Tous ces ragots se révéleront
complètement faux et infondés mais
l’objectif aura été atteint : traîner
dans la boue Kadhafi et sa famille et
soulager la « bonne conscience »
occidentale d’être intervenue pour
débarrasser le « peuple libyen » d’un
tel « dictateur » ! Le philosophe
italien Losurdo, déjà cité, observe
encore : « Barbare comme toutes les
guerres coloniales, la guerre actuelle
contre la Libye démontre comment
l’impérialisme se fait de plus en plus
barbare. Dans le passé, innombrables ont
été les tentatives de la CIA
d’assassiner Fidel Castro, mais ces
tentatives étaient conduites en secret,
avec un sentiment si ce n’est de honte
du moins de crainte des possibles
réactions de l’opinion publique
internationale. Aujourd’hui, par contre,
assassiner Kadhafi ou d’autres chefs
d’Etat non appréciés à l’Occident est un
droit ouvertement proclamé. Le Corriere
della Sera du 26 août 2011 titre
triomphalement: «Chasse à Kadhafi et à
ses fils, maison par maison».
Et cette campagne est non seulement
destinée à faire oublier les crimes
monstrueux commis par l’OTAN et les
autres mercenaires au service du CNT,
mais elle vise également à justifier
l’éventuel assassinat de Kadhafi que
l’OTAN avait cherché à tuer dès le début
de son intervention, comme l’illustre
l’assassinat d’un de ses fils et de
trois de ses petits-fils. Maintenant, le
CNT a mis la tête de Kadhafi à prix,
promettant une récompense à toute
personne qui tuerait ce dernier ! Et les
médias occidentaux le répètent à l’envi,
sans la moindre retenue. Et sans la
moindre objection de la part des Obama,
Sarkozy et Cameron!
A travers cette campagne médiatique
odieuse, c’est toute la barbarie d’une
prétendue « civilisation » qui s’exprime
au grand jour, exposant ainsi la nature
perverse, terroriste, tyrannique et
despotique de l’impérialisme et du
capitalisme en crise.
Pourquoi les Africains devraient-ils
accepter cela ? Quel que soit ce que
l’on peut penser de Kadhafi ou de tel
autre dirigeant africain, on ne devrait
pas accepter ce qui est une véritable
abomination, à savoir la diabolisation
systématique des dirigeants africains
par les dirigeants occidentaux qui se
posent en moralisateurs, tout imbus de
la prétendue « supériorité » de leur
système, de leur « civilisation ». Une
civilisation dont l’influence s’est
propagée dans le monde à travers des
génocides et des massacres en série de
peuples non Européens, de l’Afrique aux
Amériques en passant par l’Asie, de la
destruction de leurs cultures et du
pillage de leurs ressources.
Ecoutons à ce sujet ce que Césaire et
Fanon disaient de cette « civilisation
occidentale » qui prétend être «
supérieure » aux autres civilisations
humaines. Dans Discours sur le
colonialisme, Césaire souligne que «
l’entreprise coloniale est, au monde
moderne, ce que l’impérialisme romain
fut au monde antique : préparateur du
Désastre et fourrier de la Catastrophe »
(p. 55). La critique de Frantz Fanon,
dans Les Damnés de la terre, est encore
plus acerbe, plus dévastatrice : «
Quittons cette Europe qui n’en finit pas
de parler de l’homme tout en le
massacrant partout où elle le rencontre,
à tous les coins de ses propres rues, à
tous les coins du monde. Voici des
siècles que l’Europe a stoppé la
progression des autres hommes, les a
asservis à ses desseins, à sa gloire ;
des siècles qu’au nom d’une prétendue «
aventure spirituelle » elle étouffe la
quasi-totalité de l’humanité… L’Occident
a voulu être une aventure de l’Esprit.
C’est au nom de l’Esprit, de l’esprit
européen s’entend, que l’Europe a
justifié ses crimes et légitimé
l’esclavage dans lequel elle maintenait
les quatre cinquièmes de l’humanité »
(p.301 & 303).
Ces jugements sans appel, ont été
prononcés il y a plus d’un demi-siècle.
Et c’est toujours au nom de « l’esprit
européen » que les chevaliers de la «
civilisation occidentale » se permettent
de juger les autres et de leur donner
des leçons. Mais à y regarder de près,
ils sont plus despotiques, plus
tyranniques et plus immoraux que ceux
qu’ils vouent aux gémonies en Afrique ou
dans les autres pays du Sud.
LES DICATEURS ET LES TYRANS SE TROUVENT
AUSSI EN OCCIDENT
Selon le dictionnaire Le Robert illustré
(édition 2012, page 551), la dictature
est « la concentration du pouvoir entre
les mains d’un individu, d’une
assemblée, d’un parti, d’une classe.» En
Europe, la concentration du pouvoir
économique et financier entre les mains
d’une minorité de plus en plus réduite a
renforcé la dictature du capital sur le
travail et sur la société tout entière.
De sorte que les élus, présidents,
premiers ministres, députés, sont
devenus des agents au service des
marchés financiers et des
multinationales. En France, malgré
l’opposition de l’écrasante majorité du
peuple français, illustrée par des
grèves massives et d’une ampleur sans
précédent, Sarkozy est passé outre et a
imposé la réforme du système de retraite
pour satisfaire les marchés financiers.
N’est-ce pas la manifestation de la
dictature d’une classe ?
Aux Etats-Unis, Barack Obama a renié une
bonne partie de ses promesses sous la
pression de la même dictature de classe
incarnée par Wall Street, le siège de la
Bourse de New York. Et que dire alors de
Silvio Berlusconi, le premier ministre
italien, un homme qui a utilisé son
argent et son empire médiatique pour se
faire élire et réélire en dépit de tous
les scandales financiers, politiques et
sexuels qui l’accablent ? Et il a
utilisé et continue d’utiliser son
pouvoir pour entraver la justice,
bafouer les règles de l’Etat de droit!
C’est un homme profondément immoral et
corrompu qui s’est payé les services
d’une prostituée, mineure de surcroît !
Et dans l’impunité la plus totale !
Alors, au nom de quoi, ces dictateurs,
dépourvus de toute valeur éthique et
morale, devraient-ils faire la leçon aux
Africains et à leurs dirigeants?
Les dirigeants occidentaux sont
l’incarnation de la décadence d’une
classe cynique, arrogante et immorale.
Un autre exemple de la dépravation des
classes dirigeantes occidentales nous a
été fourni par Dominique Strauss-Kahn.
Voilà un homme qui se préparait à se
présenter à l’élection présidentielle en
France, qui « saute », littéralement,
sur une femme de chambre dans un hôtel
et au moment où il s’apprêtait à aller
prendre son avion ! Et sur une
Africaine, de surcroît! Sans doute,
a-t-il pensé qu’elle n’oserait pas
parler, et que même si elle le faisait,
personne ne croirait son récit face à un
« homme puissant et fortuné » comme lui
! Mais le courage de Nafissatou Diallo a
exposé à la face du monde la profondeur
de la déchéance morale et humaine de ce
délinquant et pervers sexuel. Voilà un
homme qui aurait pu diriger la France et
se donner le beau rôle en revêtant le
manteau d’un moraliste, d’un « défenseur
» des droits humains pour aller faire la
leçon aux dirigeants africains!
En vérité, Dominique Strauss-Kahn,
Sarkozy, Obama, Cameron ou encore
Berlusconi se comportent ainsi parce
qu’ils se croient au-dessus des lois.
Ils croient qu’ils peuvent tout se
permettre surtout dans leurs relations
avec l’Afrique ou les autres pays du
Sud. Et on ne peut que soutenir cette
affirmation du philosophe Dominico
Losurdo, quand il observe que «les
monarques absolus» de notre époque, les
tyrans et dictateurs planétaires de
notre époque siègent à Washington, à
Bruxelles et dans les plus importantes
capitales occidentales. » En effet,
seuls des dictateurs et même des
monarques, peuvent s’arroger le droit de
violer délibérément les Résolutions de
l’ONU, comme celles sur la Libye. Seuls
des dictateurs peuvent se permettre de
refuser d’écouter les appels au
cessez-le-feu des pays africains et même
de membres permanents du Conseil de
Sécurité, comme la Chine et la Russie,
pour la résolution pacifique de la crise
et sauver des vies.
En s’entêtant, les dictateurs
occidentaux ont fait massacrer plus de
50.000 morts, chiffre sans doute
provisoire et inférieur à la réalité, et
ont laissé un pays complètement détruit.
Seuls des dictateurs, des despotes
peuvent s’arroger le droit de faire
tomber des Chefs d’Etat de pays
souverains, comme en Libye, ou d’exiger
leur départ, comme en Syrie ou ailleurs.
Si ces comportements ne sont pas du
despotisme, de la tyrannie, alors les
mots n’ont plus aucun sens !
« LE DROIT D’INGERENCE HUMANITAIRE »:
UNE IMPOSTURE !
L’intervention militaire en Libye serait
une illustration du « droit d’ingérence
humanitaire », la nouvelle trouvaille de
l’impérialisme, avec la complicité des
Nations-Unies, ou plutôt du Conseil de
Sécurité, pour recoloniser les pays
africains. En effet, la guerre contre la
Libye va porter un coup terrible à la
souveraineté de ce pays et mettre ses
richesses entre les mains des pays de
l’OTAN, comme on l’a vu plus haut. Après
ce qui s’est passé en Libye, le danger
de recolonisation de certains pays
africains n’est plus une vue de
l’esprit. Ceux qui avaient encore des
doutes sur la réalité de l’impérialisme
et de sa nature perverse, despotique,
terroriste et barbare, doivent se
réveiller. La Libye doit faire taire
leurs doutes et balayer leurs illusions.
La Libye est un test majeur pour
l’Afrique. Et cela, quel que soit ce que
l’on peut penser de Kadhafi et de son
régime.
Vu la crise profonde qui secoue les
principaux pays capitalistes et face au
grand défi à leur l’hégémonie que
représentent les pays émergents, il est
clair que leur survie dépendra dans une
très large mesure du contrôle qu’ils
pourront exercer sur les ressources du
continent africain, pratiquement la
seule région du monde où malheureusement
les pays occidentaux peuvent encore
dicter leur loi!
La création d’AFRICOM par les Etats-Unis
fait partie de cette stratégie de
contrôle des ressources de l’Afrique par
l’installation de bases militaires sur
le sol africain. Sous prétexte de «
lutte contre le terrorisme » en Afrique,
AFRICOM est en train de tisser sa toile
dans les pays africains à coup de
manœuvres militaires, de programmes
sociaux et de subtile propagande
médiatique, dans le but de gagner les
cœurs et les esprits des Africains,
notamment des dirigeants et d’une
certaine « élite » occidentalisée. Tout
cela vise à masquer la vraie mission
d’AFRICOM qui est de promouvoir les
intérêts stratégiques, économiques et
politiques de l’impérialisme yankee en
Afrique, en exerçant notamment son
contrôle sur une bonne partie des
ressources du continent et en disposant
de points d’appui militaires dans
certains pays ou régions-clés. Kadhafi
avait été parmi les chefs d’Etat
africains les plus vigoureusement
opposés à une présence militaire des
Etats-Unis sur le sol africain. Kadhafi
avait aussi fermé toutes les bases
militaires en Libye après sa prise de
pouvoir en 1969.
Qu’en sera-t-il des membres du CNT ?
C’est un secret de polichinelle que l’un
des objectifs de l’intervention de
l’OTAN est la possibilité d’une
réouverture de certaines des bases qui
avaient été fermées par Kadhafi.
D’ailleurs, Le Guardian, cité plus haut,
souligne que le fait que le gouvernement
britannique dise ne pas exclure la
possibilité d’envoyer des troupes en
Libye pour aider à « stabiliser » la
situation est une indication de la
volonté des pays occidentaux de
reprendre pied militairement en Libye.
DECONSTRUIRE LE DISCOURS DE
L’IMPERIALISME
Quand donc les dirigeants africains et
leur « élite » comprendront-ils que le
discours sur la « démocratie » et les «
droits de l’homme » n’est qu’un vernis,
ou plutôt l’emballage qui cache la vraie
nature de la marchandise, à savoir la
stratégie impérialiste de domination de
l’Afrique et du reste du monde. En
réalité, quand les dirigeants
occidentaux se retrouvent en
tête-à-tête, ils ne perdent pas de temps
à discuter des vertus supposées de la
démocratie dans les pays du Sud. Ils
parlent plutôt de questions
géostratégiques majeures, du
renforcement de leur hégémonie. En un
mot, des moyens de renforcer leur
domination sur le reste du monde. Et
cela passe par le contrôle des
ressources de la planète à leur profit
et l’occupation de points stratégiques
dans les pays du Sud et dans d’autres
endroits du Globe. Et les moyens de
réalisation de cette stratégie sont
l’OTAN, l’Armée des Etats-Unis, et les
armées de quelques pays européens.
Mais pour vendre cette stratégie à
l’opinion publique, on sortira le
discours sur les « droits de l’homme »
et la « démocratie ». C’est ce qui s’est
passé dans le cas de la Libye. Mais pas
plus qu’en Afghanistan ou ailleurs,
l’OTAN n’apportera la « démocratie » à
la Libye. Même dans les pays
occidentaux, les droits de l’homme sont
aujourd’hui bafoués, soumis aux
impératifs de la « lutte contre le
terrorisme ». C’est le cas notamment aux
Etats-Unis. Quant à la démocratie, elle
a été vidée de son contenu originel.
Partout, c’est la « démocratie de marché
» qui domine. Des dirigeants élus se
mettent au service des marchés
financiers et des multinationales, en
reniant toutes les promesses faites à
leurs citoyens et en leur imposant
toutes sortes de sacrifices afin de «
calmer les marchés »! La France,
l’Espagne, le Portugal, l’Italie et
surtout la Grèce sont des cas d’école en
Europe. Et que dire des Etats-Unis sous
Obama, dont le slogan «Yes, We Can »
s’est transformé en « No, I Can’t »!
Quand on trahit les idéaux démocratiques
et qu’on bafoue les droits de l’homme
chez soi, comment peut-on avoir
l’outrecuidance, l’impudence,
l’arrogance de prétendre exporter la
démocratie et protéger les droits de
l’homme ailleurs? Mais si « le doit
d’ingérence humanitaire » est une
doctrine destinée à secourir les
populations opprimées, partout dans le
monde, comment se fait-il qu’elle ne
s’applique pas à la Palestine ? Un
peuple occupé, privé de ses droits les
plus élémentaires, soumis à une
oppression monstrueuse et à
l’extermination quotidienne de la part
de l’Etat d’Israël. La réponse, tout le
monde la connaît: Israël se comporte en
hors-la-loi international et exerce
impunément une politique de terreur sur
les Palestiniens, parce qu’il bénéficie
du soutien inconditionnel des pays
occidentaux, notamment des Etats-Unis.
Cette « exception palestinienne » montre
bien que «le droit d’ingérence
humanitaire » est une stratégie réservée
principalement à l’Afrique pour la
recoloniser et mettre la main sur ses
ressources. C’est une abomination, une
imposture et les Africains doivent la
considérer comme telle ! En effet, la
doctrine de «droit d’ingérence
humanitaire » est la version moderne du
« fardeau de l’homme blanc » qui avait
servi de force motrice à la colonisation
de l’Afrique au 19e siècle, dans le but
de « civiliser » ses populations «
sauvages » ! On sait ce que cette
entreprise « civilisatrice » a produit :
des génocides en série, des massacres à
répétition, la destruction des cultures
autochtones, le pillage éhonté des
ressources et du patrimoine de
l’Afrique. « Le droit d’ingérence
humanitaire » vise les mêmes objectifs.
A la place de la « civilisation » on
évoque la « protection » des populations
contre leurs « dictateurs », leurs «
tyrans » ! .
AFRIQUE, REVEILLE-TOI !
La naïveté de nombre de dirigeants
africains et la veulerie d’une certaine
« élite » africaine « occidentalisée »
risquent de faciliter la tâche de
recolonisation du continent par les pays
occidentaux. On en a eu l’illustration
par le soutien apporté à l’intervention
de la France en Côte d’Ivoire,
permettant ainsi à celle-là de
reconquérir un des piliers de la
Françafrique et de renforcer ainsi sa
mainmise sur les ressources ivoiriennes
ainsi que sa présence militaire en
Afrique de l’Ouest.
Dans le cas de la Libye, la même « élite
», croyant aux balivernes des dirigeants
occidentaux sur la « défense des droits
de l’homme » et la « démocratie », a
applaudi à l’agression de l’OTAN contre
un pays africain souverain. Et
l’installation du CNT au pouvoir par
l’OTAN dans une Libye occupée, remplie
de « conseillers militaires » et de
mercenaires occidentaux, appelés «
société de services », comme Black Water
en Iraq, sera sans doute saluée comme
«l’avènement de la démocratie»! Et à
ceux qui auraient quelques états d’âme
sur cette occupation, les médias
occidentaux se chargeront de les «
ramener à la raison » en insistant sur
la nécessité de prévenir tout « retour
possible » de Kadhafi, toute « menace »
de la part de ses « loyalistes » qui
seraient encore actifs en Libye. Ou
encore, on insistera sur la nécessité «
d’aider » le CNT à se débarrasser des
combattants d’Al Qaeda, déguisés en «
rebelles ».
Tel est le drame de l’Afrique: des
dirigeants naïfs, faciles à manipuler et
toujours prêts à imiter ou servir leurs
tuteurs, comme le président Wade en a
donné l’exemple, une certaine « élite »
sensible à la propagande sur « la
démocratie » et les « droits de l’homme
» ! Il est temps que les Africains se
ressaisissent. Et heureusement, il y a
une partie de plus en plus importante de
l’opinion en Afrique et dans la Diaspora
qui comprend les véritables intentions
des pays occidentaux que tentent de
masquer les discours lénifiants sur la «
démocratie » et les « droits de l’homme
». Les consciences commencent à se
réveiller. Les intellectuels, le
mouvement social, les artistes, les
musiciens et autres hommes et femmes de
culture contribuent à cet éveil. Ils ont
été capables de déconstruire le discours
du système impérialiste et d’exposer sa
stratégie de recolonisation du continent
africain. Ils ne cessent d’appeler les
dirigeants et peuples africains à se
mobiliser pour faire échec à cette
stratégie.
Le cas de la Libye doit servir de
déclic. Quels que soient les sentiments
à l’égard du régime de Kadhafi, ce qui
s’est passé en Libye est inacceptable.
L’enjeu est la défense de l’indépendance
et de la souveraineté d’un pays
africain. Si les Africains se taisent et
ferment les yeux sur ce cas, d’autres
suivront et le processus de reconquête
de l’Afrique continuera sous le prétexte
de « protection des civils » contre
leurs « dictateurs »! Il est temps de se
réveiller! Partout ailleurs, les peuples
sont en train de prendre leur destin en
main en secouant le joug de la
domination impérialiste. En Amérique
latine, que l’impérialisme yankee
appelait il n’y a pas si longtemps son «
arrière-cour », les peuples sont en
train de réécrire leur propre histoire,
déformée et dénaturée par des siècles de
domination, ponctués de génocides, de
massacres, de pillage et de négation des
cultures autochtones.
Il n’y a aucune fatalité que l’Afrique
reste le seul continent dominé et
humilié. Il ne dépend que de ses
enfants, hommes et femmes, pour
consentir les sacrifices nécessaires
pour libérer leur continent et préserver
son indépendance et sa souveraineté.
* Demba Moussa Dembélé est économiste,
chercheur
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