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Le
camp de Nahr el-Bared: entre colère et amertume (2/2)
Le camp de Nahr el-Bared
29 décembre 2007 2
– La vie reprend
Au
premier jour de la fête d’al-Adha, une manifestation importante
de la population de Nahr el-Bared a circulé dans les rues du camp
avant de se rendre au cimetière. Elle était impressionnante, par
le nombre des participants et leur vivacité, affirmant haut et
fort la volonté de retourner au camp et de le reconstruire,
rappelant à ce qui tient lieu de gouvernement libanais, à l’UNRWA,
aux responsables politiques divers, palestiniens et libanais, mais
aussi à l’opinion internationale, leur responsabilité et
l’engagement pris, dès la fin du combat, de reconstruire le
camp.
Les
Palestiniens du camp de Nahr el-Bared sont clairs là-dessus :
ils ne sont absolument pas responsables de ce qui s’est passé.
Ils en sont les premières victimes. En acceptant d’abandonner
le camp, ils ont voulu prouver à l’armée et aux Libanais
qu’ils se dissociaient des groupes armés responsables des
attaques contre l’armée libanaise. Leur attitude doit être
remerciée par leur retour au camp et sa reconstruction. Des
engagements publics ont été pris par Sanioura et son équipe
pour le retour des réfugiés, et pour la reconstruction, également.
Mais Sanioura et son équipe sont à mille lieux de penser aux réfugiés
palestiniens, et notamment à ceux du camp de Nahr el-bared et
leurs enfants non encore scolarisés cette année.
Une
conférence de « donateurs » avait été réunie pour
discuter de la reconstruction, mais les organisations
palestiniennes ont été surprises par le partage fait par les
hommes du pouvoir libanais : l’argent des donateurs sera
partagé presque à égalité entre les villages libanais voisins
du camp et le camp, prenant prétexte des quelques obus tombés
sur ces villages. Un responsable palestinien s’écrie :
« mais la somme que vous nous réservez ne suffit même pas
à compenser un des grands magasins bombardé ou pillé !»
En fait, le gouvernement anticonstitutionnel libanais veut plutôt
rallier la population libanaise à sa politique, en l’achetant
grâce à l’argent fourni par les donateurs. C’est ainsi
qu’agit ce gouvernement. Il a déjà fait le coup avec
l’argent des donateurs pour la reconstruction de certaines régions
bombardées lors de l’agression israélienne du Liban :
l’argent devant assurer la reconstruction des régions sinistrées
a été globalement avalé dans des projets de « développement »
dans d’autres régions.
Des
pertes irrécupérables
Les
pertes à Nahr el-Bared sont énormes : affaires personnelles
de la population, fruit du travail de plusieurs générations,
mais aussi stocks de marchandises, voitures, sans parler des
maisons détruites entièrement ou en partie. Le photographe du
camp est attéré : toutes les photos, depuis la construction
du camp, jusqu’à présent, ont péri. Il en pleure presque.
« C’est l’histoire du camp et de ses habitants. Je
prenais en photos les naissances, les mariages, les enterrements,
sans parler des photos lors des fêtes dans les écoles, des
remises de diplômes. J’avais dans mon studio l’histoire de
toutes ces familles qui forment la population du camp de Nahr
el-Bared ». Il ne parlait pas de ses affaires
personnelles perdues et enterrées, mais de l’histoire du camp,
effacée sans crier gare.
Les
centres médicaux privés ou associatifs sont entièrement détruits.
Presque plus rien. Dans un des centres privés, formé de deux étages,
les médecins et employés s’affairent à sa reconstruction. Ils
avaient des appareils plus ou moins sophistiqués, un seul a survécu.
Les salles sont en train d’être repeintes, et le médecin
responsable montre dans la salle au rez-de-chaussée où
s’entassent quelques stocks de médicaments : « le
pillage n’a touché que les médicaments difficiles à trouver
ou chers. Il ne reste que les aspirines et les pommades légères. »
Parmi
les autres centres médicaux, une antenne du centre Shifaa situé
à Baddawi. Installé aux abords du vieux quartier, il n’en
reste plus rien. Mais une nouvelle équipe a ouvert une antenne
dans un garage, provisoirement. Le médecin de garde, 24 heures
sur 24, assure les premiers soins, avec un léger stock de médicaments,
trié et installé dans le fond de la pièce, près du lit pour
l’auscultation. Tous les médecins palestiniens des deux camps,
et notamment de Nahr el-Bared, se sont constitués en réserve
pour « tourner » sur les différents centres médicaux
récemment installés, celui de l’union des médecins
palestiniens, le centre Shifaa, le Croissant rouge palestinien.
Tous assurent des permanences pour les familles qui sont retournées
au camp.
Et
la reconstruction d’une partie du camp se poursuit, malgré la
pluie et la boue, en ces jours d’hiver. Le local des scouts,
entièrement pillé et saccagé, est pris en main par les jeunes
membres, tous ensemble : ils enlèvent les gravats, à la
main, repeignent les murs où des inscriptions obscènes et
racistes ont été écrites par des soldats de l’armée
libanaise. Les propriétaires des maisons sont également en plein
travaux. Ils sont aidés en cela par une association européenne
qui, après avoir établi les dégâts pour toutes les maisons du
nouveau quartier, verse une somme d’argent après devis, pour la
reconstruction, et surtout pour les portes et les fenêtres.
La
rivière al-Bared traverse le camp. Jadis, un pont permettait de
passer d’une partie du camp à l’autre, mais aujourd’hui, le
pont est détruit. Le « Islamic Relief » a installé
un pont en bois, pour les piétons, mais les voitures doivent
traverser d’une rive à l’autre, en s’enfonçant dans la
rivière. De l’autre côté de la rive, se trouvent les maisons
préfabriquées installées par l’UNRWA pour les familles évacuées
des écoles libanaises. Beaucoup de familles se plaignent de cette
installation de fortune : l’eau pénètre par le toit, par
les « murs » et à partir du sol, et d’autre part,
les cloisons sont si minces que les familles n’ont aucune
intimité.
Où
sont les dirigeants du Fateh el-islam ?
Mais
le premier souci de la population de Nahr el-Bared reste cependant
la suite de cette affaire. Plus de trois mois après la fin des
bombardements, la population est en colère et s’interroge :
à quoi cela a-t-il servi, sinon à détruire le camp ? Où
sont les membres du Fateh el-islam responsables soi-disant de la
destruction du camp ? Envolés, disent-ils. Entre les
dirigeants qui ont disparu et qui se sont évaporés et les
membres arabes qui ont été remis à leurs pays, qui reste-t-il ?
Pour des responsables du camp, ce n’est que la preuve d’une
machination diabolique pour détruire le camp, expulser sa
population et accorder la nationalité libanaise à une partie,
selon un plan américano-arabe pour supprimer le droit au retour
des réfugiés Palestiniens.
Plus
personne ne parle plus d’ailleurs de Fateh el-islam. Des
nouvelles sporadiques nous informent que Shaker Absi est retourné
en Irak, après avoir été en Jordanie, après avoir passé pour
mort lors du bombardement du camp. N’est-ce pas la preuve d’un
coup monté pour la destruction du camp ? Le camp détruit,
on dirait que cette organisation qui avait fait parler d’elle et
avait été considérée pendant plusieurs mois comme la
principale source de tous les maux libanais, voilà qu’elle
disparaît d’un coup, comme elle est apparue. Il y a de quoi être
en colère, pour la population de Nahr el-Bared et il faut
craindre le pire, pour les Palestiniens du Liban, car à tout
moment, un scénario aussi diabolique peut être monté, un autre
camp peut être détruit pendant que la vie continue ailleurs.
Ni
Tawtîn, ni tarhîl, mais retour au camp pour le retour en
Palestine
C’est
pourquoi, pour la majorité des responsables des organisations
palestiniennes, la reconstruction et le retour au camp sont le
chemin certain pour le retour des réfugiés en Palestine. Le
retour au camp signifie garder la question des réfugiés ouverte
et maintenir la cohésion de la population réfugiée, et surtout,
rester sous l’administration de l’UNRWA. Il s’agit d’un
enjeu important. Si le dossier de Nahr el-Bared passe entre les
mains des « pays donateurs » ou d’une quelconque
commission internationale, cela signifie qu’il ne s’agit plus
de « réfugiés palestiniens » mais d’une population
étrangère, palestinienne en l’occurrence, dont
l’installation doit être réglée, au Liban ou ailleurs.
Le
gouvernement de Sanioura avait souhaité faire appliquer le plan
américain, consistant à accorder la nationalité libanaise et à
installer en dispersant une partie des réfugiés de Nahr el-Bared
(tawtîn), et pousser à l’émigration une autre partie (tarhîl).
D’où le mot d’ordre national palestinien refusant tawtîn
et tarhîl à la fois, réclamant le retour et la
reconstruction du camp.
En
réalité, au Liban, la question de l’installation définitive
des Palestiniens est majoritairement refusée, sauf, semble-t-il,
pour le clan Harîrî – Sanioura, mais pour différentes raisons :
si une grande partie refuse le tawtîn pour ne pas
bousculer l’équilibre confessionnel sur lequel est bâti le
Liban, une autre partie le refuse pour réclamer le droit au
retour des réfugiés et c’est à ce stade que les avis
divergent. Le refus du tawtîn doit être accompagné du
refus du tarhîl, soit l’émigration forcée des
Palestiniens avec l’aide des ambassades étrangères, et il
semble que des forces politiques libanaises agissent pour pousser
les Palestiniens à partir, surtout après le climat de suspiscion
créé lors de la crise. Les combattants du Fateh el-islam avaient
lancé quelques obus sur les villages voisins et l’armée
libanaise a subi d’importantes pertes humaines, ce qui fut
largement suffisant pour susciter un climat épouvantable contre
les Palestiniens dans certains milieux libanais, et notamment dans
le nord du pays.
Quant
au clan Harîrî – Sanioura, leur approbation du plan américain,
visant à installer une partie des Palestiniens au Liban, en leur
accordant la nationalité, vise plusieurs buts : appuyer la
confession sunnite, à laquelle ils appartiennent et auxquels les
Palestiniens appartiennent aussi, même si ces derniers ne se sont
jamais sentis concernés par ces divisions subtiles libanaises.
Ensuite, utiliser la population palestinienne en tant que forces
armées dans les conflits internes au Liban, et notamment pour
faire face au Hizbullah. Ce plan américain aurait été soutenu
par une partie de l’équipe saoudienne au pouvoir qui aurait
financé le Fateh el-islam.
Bien
que le bombardement et la destruction de Nahr el-Bared n’ont pas
entièrement rempli l’objectif, à cause de la détermination de
la population palestinienne à retourner, et aussi, parce le
pouvoir libanais a dû se désolidariser entièrement de Fateh
el-islam, même s’il a réussi à assurer la fuite et le départ
de plusieurs de ses têtes, il n’en reste pas moins que le plan
n’est pas entièrement étouffé. Il y a quelques semaines, une
tension éclatait dans le camp de Borj el-Barajneh, dans la
banlieue sud de Beirut : des informations laissaient entendre
que le parti de Harîrî était en train d’armer des
Palestiniens pour les utiliser contre le Hizbullah, dans les
quartiers voisins. Mais le Hizbullah, et notamment son secrétaire
général, sayyid Hassan Nasrullah, rassura l’ensemble : il
n’y aura pas une nouvelle guerre des camps, il l’empêcherait
coûte que coûte, en empêchant sûrement toute utilisation de la
population palestinienne comme menace sécuritaire.
Il
semble de plus en plus que la situation dans les camps
palestiniens du Liban soit entièrement liée à la situation
politique du pays. Que ce soit pour le retour des habitants de
Nahr el-Bared, la reconstruction du camp, ou plus globalement, la
vie, le travail et l’activité des Palestiniens, il semble
qu’ils dépendent de plus en plus de la situation interne dans
ce pays, qui vit les moments les plus difficiles de son histoire,
ayant été pris en otage par les Etats-Unis dans sa guerre contre
l’axe de la résistance.
Le camp de Nahr el-Bared:
entre colère et amertume (½)
Centre d'Information sur
la Résistance en Palestine
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