Opinion
Assassiner
l'élite d'un pays en toute impunité,
c'est possible !
Christian Bouchet
Photo: RIA
Novosti
Dimanche 31 juillet
2011
Le 18 janvier
2006 , une pétition rassemblant plus de
quatre mille signatures de personnalités
et d’universitaires du monde entier
était remise au secrétaire-général de
l’UNESCO. Elle lui demandait d’agir pour
assurer la défense des intellectuels et
des savants irakien et elle exigeait que
l’Office du haut commissaire pour des
droits de l’homme accomplisse son devoir
en protégeant les vies et la sécurité
des scientifiques d’Irak. Rien, bien
sûr, ne fut fait et, en 2007, une étude
impartiale établit que 530 chercheurs et
enseignants avaient été assassinés en
Irak depuis l’entrée des troupes
occidentales dans ce pays. Toutes ces
victimes avaient un point commun : elles
travaillaient dans les secteurs de la
physique et de la biologie. Puis, la
vague d’assassinat cessa, faute de
cibles. Tous ceux qui devaient être tués
l’avaient été ! Interrogé par des
associations de défense des droits de
l’Homme,
le
gouvernement américain lui-même admit la
disparition de « plusieurs centaines »
de scientifiques de hauts niveau, sans
être capable de donner une explication à
ce phénomène. Et pour cause puisque tout
laisse à croire que cette campagne
homicide fut menée conjointement par la
CIA et le Mossad afin d’éliminer ceux
qui étaient susceptibles de mettre leur
savoir au service du régime des mollahs
après la disparition de l’État irakien.
Si je reviens
sur cette information un peu ancienne,
c’est parce qu’une opération de même
nature se déroule actuellement en Iran.
Bien évidemment, la situation n’est pas
la même, l’antique terre des Aryens est
encore libre, et le nombre de
scientifiques assassinés est sans
commune mesure, mais le modus operandi
est le même, et il ne faut pas être
grand clerc pour comprendre que ce sont
les mêmes services qu’en Irak qui sont à
l’œuvre.
En 2007 déjà,
un chercheur iranien lié au nucléaire
est mort d'une mystérieuse intoxication.
En janvier 2010, ce fut le tour du
professeur de physique nucléaire Ali
Mohammadi d’être abattu en sortant de
chez lui, il représentait son pays au
sein du projet Sesame, placé sous
l'égide de l'Unesco, visant à installer
en Jordanie un accélérateur de
particules conjointement géré par les
pays de la région. En novembre de la
même année, Majid Shahriari, qui
coordonnait la lutte contre le virus
stuxnet fut victime d’un attentat à la
bombe. Le même mois, le directeur des
centrifugeuses à l'usine
d'enrichissement d'uranium de Natanz ne
fut que blessé lors d’une tentative de
meurtre. Il est depuis devenu le patron
de l'Organisation iranienne de l'énergie
atomique. Le 23 juillet dernier, c’est
chercheur en physique neutronique,
Daryoush Rezael, qui a été pistolerisé
devant son domicile.
Et ce n’est
pas tout, le 20 juin 2011 un Tupolev 134
s’écrase près de la ville russe de
Petrozavodsk. L’enquête des services
aéronautique écarte rapidement la
possibilité d’une défaillance technique
pour orienter l’enquête vers un
attentat. Thèse renforcée par le décès
dans le crash de cinq ingénieurs russes
connus comme étant des spécialistes de
premier plan de la gestion des
installations nucléaires et de la
synchronisation des différents systèmes.
Leur perte porte un coup sévère à
l’industrie nucléaire russe, mais aussi
au programme iranien dont ils assuraient
l’installation…
Ces assassinats ciblés ne soulèvent pas
aujourd’hui plus d'émotion que le
meurtre des universitaires irakien n’en
suscita hier. Il ne s'agit pourtant pas
de représailles visant des auteurs ou
instigateurs d'attentats, cas où l’on
peut admettre que celui qui a pris
l'épée périsse par l'épée, mais de
meurtres d’innocents dans le seul but de
désorganiser un État. Comme l’a fait
remarquer dans Le Monde du 27 juillet
dernier, François Nicoullaud, qui fut
ambassadeur de France à Téhéran, au-delà
de l’interrogation morale, « il va de
soi que de telles pratiques nourrissent
des haines inexpiables. L'on est, bien
entendu, persuadé à Téhéran qu'Israël et
les États-Unis sont derrière ces
assassinats. L'on relève le silence de
la communauté internationale, pourtant
prompte à agir lorsque l'Iran est en
cause. Rien de ceci ne favorise la
recherche de solutions négociées. Au
contraire, tout va dans le sens de la
consolidation de la rancœur et de la
méfiance, avec au bout du chemin le
risque de montée de crise et de conflit
ouvert. » et notre diplomate de
conclure en s’interrogeant si, au-delà
de la désorganisation d’une filière
stratégique, ce n’est pas aussi là le
but recherché ?
Publié le 4 août 2011
Le
dossier Iran
Les dernières mises à jour
|