«Il
n'est point de vent
favorable pour celui qui ne
sait pas où il va»
Sénèque
Ce mois de juillet est
l'occasion pour nous de
revenir sur l'Arlésienne de
Bizet constituée par l'Union
pour la Méditerranée
inaugurée avec faste il y a
de cela trois ans. La
configuration actuelle a
remis aux calendes grecques
cette utopie, notamment du
fait des convulsions des
pays arabes et du changement
de stratégie qui donnerait à
croire qu'au lieu de
négocier avec les pays, dans
la plus pure tradition de la
diplomatie de la canonnière,
on met en oeuvre une
nouvelle invasion pour
s'assurer l'énergie.
Où en est l'Europe?
Avec sa lucidité coutumière,
Hubert Védrine nous donne sa
vision de l'Europe. Pierre
Haski rapporte ses propos.
«L'occasion était donnée par
un débat à l'Académie
diplomatique internationale
-dirigée par Jean-Claude
Cousseran autour d'un
recueil de textes d'Hubert
Védrine entre 2003 et 2009,
«Le Temps des chimères»
(Fayard). Hubert Védrine
parle de chimères. Les
«chimères»? De belles idées
véhiculées par l'Occident au
temps de sa splendeur, comme
son «assurance
universaliste», le «monopole
du leadership occidental»,
une «vision simpliste du
prosélytisme démocratique»,
le «droit-de-l'hommisme» ou
le «manichéisme». Sans
oublier le «devoir
d'ingérence» cher à Bernard
Kouchner, qu'il rapproche du
«logiciel caché profond» de
l'Occident:
«L'évangélisation». Autant
de vaches sacrées
occidentales que pourfend
l'ancien chef de la
diplomatie».(1) (2)
Plus grave encore, il y a
une fracture entre les pays
du Sud de l'Europe et ceux
du Nord. Les premiers
reprochant aux seconds de ne
pas tenir compte de
l'histoire de la
civilisation méditerranéenne
dans laquelle la Grèce et
l'Italie ont eu un rôle
majeur. Nous lisions:
«Ignorée au début de la
construction européenne, la
Méditerranée a, depuis, fait
l'objet de plusieurs
tentatives d'intégration,
toutes vouées à l'échec. La
crise qui frappe
actuellement la rive Sud
montre qu'une nouvelle
approche est nécessaire. La
Méditerranée a vécu dans le
passé de nombreuses périodes
de guerre et de paix. (....)
A son tour, l'histoire
contemporaine a vécu une
succession de fractures qui
ont déclenché des tensions,
voire de véritables guerres:
dans le Maghreb, dans le
Machrek, en Espagne, en
Grèce, à Chypre, dans les
Balkans, dans
l'ex-Yougoslavie, en
Palestine, et ainsi de
suite. Au Nord comme au Sud,
l'ensemble du Bassin
méditerranéen se lie
difficilement avec les
régions continentales. » (2)
Même des reproches sont
faits à la création de
l’Union Européenne, dans le
sens que les aspirations des
pays du Sud de l’Europe
n’ont pas été pris en compte
! L´Union européenne s'est
créée sans prendre en
considération les
spécificités de la
Méditerranée, telle une
Europe séparée du «berceau
de l'Europe». Comme si une
personne privée de son
enfance ou de son
adolescence pouvait se
développer normalement...
Depuis un certain temps
déjà, notre chère mer
ressemble à une frontière
maritime, s'étendant du
Levant au Ponant et séparant
l'Europe, d'un côté, de
l'Afrique et de l'Asie
mineure, de l'autre. A de
nombreuses reprises, les
décisions concernant le sort
de la Méditerranée ont été
prises hors de son
territoire ou sans tenir
compte de son opinion. (...)
La tentative du président
Nicolas Sarkozy de créer une
nouvelle «Union pour la
Méditerranée» a été
accueillie avec mépris par
l'Europe continentale (par
l'Allemagne en particulier).
Du reste, la proposition
française a été hâtivement
mise en oeuvre. La peur de
l'immigration provenant de
la côte méridionale ne
suffit pas à elle seule à
déterminer les grandes
lignes d'une politique
réfléchie. La côte
méridionale reste sur ses
réserves, gardant toujours
en mémoire l'expérience du
colonialisme. Aujourd'hui,
il se passe peu ou prou la
même chose, avec cette
guerre qui vient d'éclater
en Libye».(2)
Dans le même ordre, Richard
Werly reproche aux grands
pays de l'Europe de ne pas
s'occuper assez des pays du
sud de l'Europe. Justement,
l'Europe actuelle paraît
plus engluée que jamais dans
ses crises à répétition.
Tous les pays du sud de
l'Europe sont, à des degrés
divers, dans la tourmente
financière. «Les pays du sud
de l'Europe écrit-il,
rencontrent d'immenses
difficultés. Mais ce n'est
pas une raison pour les
négliger, ou les pousser
vers la sortie: le sort de
l'UE est lié à sa partie
méridionale, rappelle un
journaliste du Temps. Il y a
les chiffres, et ils sont
impitoyables. Ceux de la
Grèce, avec sa dette
d'environ 350 milliards
d'euros équivalente à 160%
de son Produit intérieur
brut (PIB), servent
désormais de slogan à tous
ceux, Allemagne en tête, qui
clouent au pilori la
mauvaise gestion et les
tricheries (avérées) passées
d'Athènes. Le Portugal, avec
une dette publique de 126
milliards, soit 88% du PIB,
ou l'Italie avec une dette
d'environ 1800 milliards
d'euros, soit près de 120%
de son PIB viennent tout de
suite derrière. La dette
publique espagnole, à 680
milliards d'euros,
représente environ 64% du
PIB du pays... contre 1650
milliards pour la France,
soit 84% du PIB de
l'Hexagone, que les agences
de notation ont dans leur
collimateur».
Continuant son plaidoyer, il
met en exergue le rôle de
charnière des pays du Sud
qu'il oppose aux politiques
des droites extrêmes «Une
telle antienne, reprise à
l'envi par des formations
populistes de droite dure
tel que le Parti de la
Liberté néerlandais de Geert
Wilders, nie pourtant une
évidence: le sort de
l'Europe-puissance, dans
l'histoire, a toujours été
lié à la Méditerranée, et
amputer l'UE de sa frange
méridionale serait un
contresens politique tant
les enjeux stratégiques et
économiques qui se jouent
sur ce flanc sud sont
déterminants. Ne parlons pas
ici de l'apport colossal de
la Grèce à la pensée
européenne, ou de la manière
dont l'identité commerciale
et capitaliste européenne
s'est forgée en Méditerranée
comme l'a démontré Fernand
Braudel. Les Printemps
arabes, pourraient être des
sources de vitalité pour
l'Europe. Parlons juste
marchés, main-d'oeuvre et
actualité: Qui peut
contester que les «Printemps
arabes» sont potentiellement
source d'une incroyable
vitalité pour le continent?
Les relais passent par
Athènes, Naples, Gibraltar,
Barcelone ou Nicosie.
Berlin, qui investit tant
dans le projet solaire
Desertec au sud de la
Méditerranée, ne doit pas
l'oublier. L'Union pour la
Méditerranée, justifiée mais
mal pensée par Nicolas
Sarkozy, ne doit pas être
naufragée».(3)
Beau plaidoyer! On peut y
ajouter le dernier attentat
du fondamentaliste norvégien
et attribué en priorité à
l'Islam, alors qu'une
enquête d'Europol a montré
que sur les 200 «attentats»
seuls trois sont du fait de
réseaux terroristes
islamiques.
Que
reste-t-il de l'Union pour
la Méditerranée?
Curieusement, même dans la
tourmente, les leaders
européens - pris de court
par les révoltes arabes se
rattrapent sur Kadhafi en
démolissant la Libye, le
seul pays à ne pas vouloir
de l'Union pour la
Méditerranée.... Justement,
à propos du bilan de l'UPM,
Predrag Matvejeviæ est
sceptique quant aux
résultats: «Trois ans
d'existence, et un bilan
nul. Mais La Vanguardia veut
croire qu'avec un nouveau
secrétaire général, l'UPM
peut encore oeuvrer
utilement. Les grandes
civilisations qui ont placé
la Méditerranée au centre de
la planète se nourrissaient
de mythes et de légendes
dans lesquels dieux et
surhommes régnaient sur la
nature et ses éléments,
commandant aux mortels et
s'immisçant dans leur
destin. (...) Mais, dans nos
civilisations actuelles, les
réalités comptent davantage.
L'une de ces réalités, c'est
l'Union pour la
Méditerranée. Les
balbutiements de l'UPM sont
loin d'être couronnés de
succès. » (4)
Cette institution poursuit
Predrag Matvejeviæ a été
lancée il y a trois ans par
Nicolas Sarkozy. Elle a
d'abord été accueillie avec
scepticisme aussi bien par
les pays du Nord, qui
redoutaient une division de
l'Union européenne, que par
les pays du Sud, dont la
cohésion n'est pas la
principale qualité. Les
premiers pas de l'UPM ont
été lents, tant dans
l'approbation des statuts
que dans la nomination des
dirigeants et la
distribution des
responsabilités. Le conflit
au Proche-Orient a eu tôt
fait d'assombrir ses débuts,
en mettant à bas la
stratégie de gestion de
l'eau et en faisant avorter
les deux derniers sommets
(...) (...)Ce projet a
besoin d'une volonté
politique affirmée et d'une
dotation financière
suffisante. Il est
indispensable que nous,
citoyens et entreprises de
la Méditerranée, soyons
convaincus de son
importance. L'UPM ne peut
pas laisser s'évaporer
l'enthousiasme que suscite
cette renaissance ni se
satisfaire d'un même passé
commun: elle doit oeuvrer à
l'avenir commun de ses
peuples et se lancer sans
tarder dans des actions
ambitieuses.(4)
Pour sa part, le député
socialiste Arnaud Montebourg
n'a pas été tendre avec la
politique de la France et
partant de l'UPM. Dans une
conférence à l'Idri, il a
qualifié le 27 avril à
Alger, l'Union pour la
Méditerranée (UPM) de
«coquille vide». Pour lui
«l'échec de l'UPM est dû
également à l'accroissement
du nombre de ses membres
alors qu'au départ il ne
concernait que les pays du
pourtour méditerranéen».(5)
Qu'en est-il de la
Turquie, chaînon majeur ?
Il est intéressant de noter
que l'adhésion de la Turquie
à l'Union européenne connaît
toujours, avec les
gouvernements actuels
(France Allemagne,
Grèce...), un refus. Les
architectes de l'UPM
pensaient «régler le
problème» en diluant les
espérances de la Turquie
dans la coquille vide de
l'UPM. En fait, le problème
est plus profond et au
risque de nous répéter, le
moteur du refus concerne la
peur de l'Islam. Même les
plus hautes autorités
n'hésitent plus à pointer du
doigt l'Islam. Le refus de
la Turquie dans l'Europe
tient de l'obstination
irrationnelle. On connaît
les positions de Giscard
d'Estaing qui ramène
l'adhésion de la Turquie à
un problème ethnique et
d'essence chrétienne.
Cependant, un homme
politique a toujours été
constant dans ses positions:
Michel Rocard n'est pas un
inconnu. Pour lui,
l'adhésion de la Turquie est
un facteur contribuant à la
«paix régionale». «Nous
partageons avec la Turquie
un héritage historique.» «La
Turquie est aux frontières
de l'Europe, mais elle lui
est historiquement intégrée
depuis la Grèce antique
jusqu'à nos jours.»(6)
A l'autre bout de l’énigme,
pour ce qui est de la
Croatie, la Moldavie, voire
la Serbie, c'est l'Europe
qui propose un traitement
accéléré de leur
intégration. C'est dire si
d'un côté c'est le TGV, de
l'autre l'escargot perclus
de rhumatismes. Par
ailleurs, l'Europe - sans
publicité - a déclaré en
décembre 2008, dans les
faits, Israël 28e Etat de
l'Europe avec tous les
avantages du fait des
relations upgrading.
Curieusement, l'Europe et
l'Occident commencent à
«redécouvrir» les vertus de
la Turquie vue de plus en
plus comme un modérateur,
notamment après les
convulsions actuelles du
Monde arabe. Passerelle
entre l'Orient et
l'Occident, la Turquie
pourrait s'imposer dans les
prochaines années comme un
acteur géopolitique majeur.
La Turquie aurait dû se
méfier des promesses qui lui
ont été faites -l'adhésion à
l'Europe suivrait son
cours...normal - lors de la
mise en place du canular
traquenard de l'Union pour
la Méditerranée».
UP Méditerranée ou
UP Maghreb? Quelle priorité?
Quelle est l'alternative
pour les pays du Maghreb,
maintenant que l'Union pour
la Méditerranée est en
panne, faute de combattants!
On sait le forcing qui a
amené à sa mise en place.
Mettre autour de la même
table Bachar el Assad et
Israël, il faut le faire!.
Que deviennent les acteurs
du premier show? Exit
Moubarak, Ben Ali. Kadhafi
et El Assad luttent
justement pour garder leur
trône contre une coalition
européenne. Il est
pratiquement admis que
l'UPM, dans sa configuration
ancienne, a vécu. Les
replâtrages, les calculs
d'épicier quant à la
distribution des sucettes
(les postes: il n'est que de
voir comment le secrétariat
général a été confié à un
Jordanien puis après sa
«démission» à un Marocain),
on constatera que l'Algérie
avec sa politique de un pas
en avant, deux pas en
arrière, s'est faite
marginaliser et elle est
absente dans les rares
projets toujours en projets.
Pour Georges Stanechy, un
des fondements de la
politique étrangère
européenne et tout
particulièrement française
et espagnole, est d'empêcher
à tout prix une «Union» du
Maghreb. En fait, il
convient de réactiver le
formidable projet de l'UMA
(Union du Maghreb arabe) qui
réunissait
Maroc-Algérie-Tunisie-Libye-Mauritanie.
Soit un ensemble d'une
centaine de millions de
personnes, aux compétences
de niveau international par
la qualité de ses cadres
multilingues, aux ressources
complémentaires (mines-
énergie-agriculture-industrie)
et au potentiel de
développement en termes de
marchés (infrastructures et
consommations)
extraordinaire. Cet ensemble
représenterait un poids dans
les négociations
internationales, face à
l'Europe ou autres,
autrement plus efficace que
les différents accords
bilatéraux qui ne sont qu'un
habillage du: «Diviser pour
régner». Dans le partage de
la prospérité, la
renaissance de ses
traditions et de son
patrimoine historique, trop
longtemps arasés par un
colonialisme et un
néocolonialisme
impitoyables.(8)
Imaginons que les dirigeants
du Maghreb soient fascinés
par l'avenir. Imaginons que
nous ayons un Jean Monnet,
un De Gaulle ou un Adenauer,
le Maghreb que tout unit:
l'histoire la culture et
même un Islam tolérant non
politique dans son essence,
serait une véritable force
avec une jeunesse
exubérante, un immense
territoire supérieur à celui
de l'Europe, des ressources
énergétiques, un
savoir-faire et surtout une
vision rationnelle de la
réalité que nous avons
appris, il faut bien le
reconnaître, de la présence
coloniale, nul doute que ce
Maghreb qui aurait 125
millions d'habitants en 2030
serait un acteur important
du Bassin méditerranéen. Les
leaders naissent aussi d'un
élan de la société. C'est là
où l'encadrement, les
leaders d'opinion, doivent
se rassembler.... Sans cette
volonté, l'attente du
«miracle», de «l'homme
providentiel», ne donnera
rien. Combien y a-t-il de
colloques organisés sur
l'Union pour le Maghreb
entre représentants
non-gouvernementaux des
différents pays concernés,
sur des projets communs, par
la «société civile», par le
«pays profond», les
universités, les centres de
recherche, les organisations
professionnelles,
patronales, syndicales ou
autres?...
Le Maghreb doit travailler,
d'abord, en priorité, en
urgence, sur ce qui
«rassemble» et non pas sur
ce qui «divise». L'avenir du
Sahara est l'exemple même du
problème qui trouvera sa
solution, dans le cadre de
l'Union pour le Maghreb,
sous une forme à déterminer
dans la solidarité face aux
pressions et enjeux imposés
par l'Occident. Rien
n'interdit, d'ailleurs, d'y
inclure l'Egypte. L'ensemble
de plus de 6 millions de km2
et un marché de 200 millions
d'âmes est une opportunité
pour les peuples de la
région. Nul doute que cet
ensemble négociera en
position de force avec
l'Europe qui, on s'en doute,
mettra tout son poids pour
le faire échouer sauf si les
peuples du Maghreb en
décident autrement.
1.Pierre Haski: «Quelques
burqas et la République
serait en danger?» Rue89
26/04/2010
2.http://www.presseurop.eu/fr/content/article/564321-des-nuages-sombres-sur-mare-nostrum
22 03 2011
3.http://www.presseurop.eu/fr/content/article/799381-sans-le-sud-l-europe-perdrait-le-nord
4.http://www.courrierinternational.com/article/2011/07/26/l-union-pour-la-mediterranee-vous-vous-rappelez
26 07 2011
5.Chems
Chitourhttp://www.legrandsoir.
info/Declin-du-sens-Ou-va-la-vieille-Europe.html
6.Michel Rocard, Oui à la
Turquie. Ed. Seuil 2008
7C.E. Chitour: Le niet de
l'Europe à la Turquie:
L'Expression mars 2009
8. Georges Stanechy -
Commentaire article Chitour
http://stanechy.overblog.com