Opinion
Développement
spectaculaire :
la force tranquille des Brics
Chems
Eddine Chitour
Samedi 30 mars 2013
«Les Américains
sont considérés en Chine généralement
comme une puissance en déclin à long
terme... La question est, maintenant, de
savoir combien d'années et non combien
de décades il faudra avant que la Chine
remplace les États-Unis au rang de
première puissance mondiale...élément
d'une nouvelle structure émergente.»
Wang Jisi,
recteur de la School of International
Studies (École des études
internationales) de l'université de
Pékin
Un événement important a eu lieu cette
semaine, il s'agit de la décision de la
mise en place par les pays du Brics
d'une banque d'investissement.
Naturellement les médias européens et
américains ont passé délibérément sous
silence cette information, suivis en
cela par les médias des pays en
développement chacun étant, d'une façon
ou d'une autre, «enchainé» aux médias
dominants occidentaux de sa région.
Pourquoi cet événement est-il important?
Et que représentent ces pays qui ont
décidé de perturber l'ordre établi en
tentant de se dégager de la chape
occidentale mise en place à la fin de la
Seconde Guerre mondiale?
Les pays
du Brics
Selon l'encyclopédie Wikipédia: «Brics
est un acronyme anglais pour désigner
une organisation regroupant cinq pays:
Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique
du Sud. Ils sont pour la plupart
considérés comme des grandes puissances
émergentes, ils sont respectivement les
sixième, neuvième, dixième, deuxième et
vingt-neuvième puissances économiques
mondiales (au sens du PIB nominal). Ils
comptent 40% de la population mondiale
et, en 2015, ils devraient assurer 61%
de la croissance mondiale selon le FMI.
Leur place dans l'économie mondiale
croît fortement: 16% du PIB mondial en
2001, 27% en 2011 et d'après des
estimations, 40% en 2025. En 2011, le
Brics totalisait un PIB de 11 221
milliards pour près de 3 milliards
d'habitants. Le PIB total des Brics
devrait égaler en 2040 celui du G6 (les
États-Unis, le Japon, le Royaume-Uni,
l'Allemagne, la France et l'Italie).
Regroupés, les Brics pourraient faire
contrepoids au G8. (1)
En 2009 d'après le FMI, le PIB (en
milliards de dollars) des 15 principales
puissances économiques mondiales, en
milliards de dollars, et en parité
pouvoir d'achat était le suivant .:
Etats-Unis: 14 033, Chine: 8511, Japon:
4123, Inde: 3469, Allemagne: 2773,
Royaume-Uni: 2159, Russie: 2146, France:
2087, Brésil: 1974). En 2020, le
bouleversement sera énorme: les
Etats-Unis (21 253) seront doublés par
la Chine (27 223), La France (2896) sera
rattrapée par le Mexique (2746),
l'Indonésie (1829) aura doublé l'Espagne
(1757) qui sera suivie juste derrière
par la Turquie, l'Iran, l'Australie, la
Pologne et l'Arabie Saoudite. La Chine
sera alors la première puissance
économique, probablement la principale
puissance militaire et politique. Le
Brésil aura dépassé la France... D'après
Goldman Sachs, l'Inde pourrait aussi
dépasser les États-Unis entre 2040 et
2045. (2)
Les pays composant le Brics pourraient,
dans un avenir proche, renforcer
davantage leur coopération économique en
échangeant les ressources naturelles et
technologiques, le Brésil et la Russie
produisant du pétrole et du gaz naturel,
tandis que la Chine et l'Inde sont en
plein processus d'industrialisation qui
nécessite beaucoup d'énergie. Pendant ce
temps, l'Afrique du Sud, elle, extraira
de ses mines des métaux et d'autres
minéraux. Le premier sommet des pays du
Brics a eu lieu le 16 juin 2009 à
Iekaterinbourg, en Russie. Le second
sommet a eu lieu le 16 avril 2010 à
Brasília, au Brésil. Ces deux rencontres
témoignent d'une institutionnalisation
des sommets du Brics et participent
ainsi à la formation d'une «nouvelle
réalité géopolitique». Le 14 avril 2011,
le troisième sommet du Brics, a eu lieu
à Sanya (Hainan), en Chine. Le dernier a
eu lieu le 25 et le 26 mars en Afrique
du Sud.
Politique
étrangère: un début de coordination
Les Brics n'ont pas de forte politique
étrangère bien définie mais il y a
certains points communs, comme
l'équilibre des relations
internationales avec les États-Unis ou
encore la défense du concept de
souveraineté nationale. La Russie, la
Chine et l'Inde ont toujours pratiqué
une politique d'indépendance envers les
États-Unis. (...) Les Brics n'ont pas
reconnu le Kossovo et se sont aussi
opposés aux interventions armées en
Libye et en Côte d'Ivoire. Même si tous
ne sont pas des membres actuels du
Conseil de sécurité (seules la Chine et
la Russie y sont des membres
permanents), ils se sont abstenus lors
du vote de la résolution sur la Libye.
Au dernier sommet de Durban, le Brésil,
la Russie, l'Inde, la Chine et l'Afrique
du Sud ont fait preuve d'unanimité
politique dans leur communiqué final
pour juger qu'il ´´n'y a pas
d'alternative à une solution négociée au
problème du nucléaire iranien´´. Ils se
disent ´´inquiets des risques d'action
militaire et de sanctions
unilatérales´´. Ils ont témoigné de la
même unanimité au sujet de la Syrie,
exprimant leur ´´profonde inquiétude
face à la détérioration de la situation
sécuritaire et humanitaire´´, condamnant
´´l'augmentation des violations des
droits de l'homme´´, mais réaffirmant
leur ´´opposition à toute militarisation
supplémentaire du conflit´´. On se
souvient à cet effet de l'initiative
sabotée du Brésil de Lula et de la
Turquie d'Erdogan pour trouver une
solution à l'enrichissement de l'uranium
iranien, initiative que ce pays était
prêt à accepter mais que les pays
occidentaux ont ignorée.
Avènement d'un
autre monde que celui de «Bretton Woods»
De manière générale, les Brics plaident
pour une refondation des organisations
internationales comme le Conseil de
Sécurité de l'ONU et les organisations
de Bretton Woods (FMI, Banque mondiale)
dans un sens qui reflète mieux
l'émergence des nouvelles puissances et
le caractère multipolaire du monde au
XXIe siècle. Les Brics veulent renforcer
leur poids et mieux faire avancer leurs
points de vue dans les négociations
économiques internationales notamment au
Groupe des 20, au FMI et à l'OMC. Lors
du sommet du Brics en Chine, ils ont
insisté sur la nécessité de réformer le
Système monétaire international, de
réviser la composition des Droits de
tirage spéciaux.
Le Brésil est la quatrième économie des
Brics et la principale puissance
économique du continent sud-américain.
La Russie, plus grand pays au monde par
sa superficie, et, au contraire des
autres pays, son poids industriel est
déclinant. Mais elle reste la
superpuissance militaire la plus
importante après les États-Unis Son
poids est beaucoup lié à ses riches
ressources énergétiques et minières (gaz,pétrole,
uranium, etc.). L'Inde reste le pays des
paradoxes. C'est le pays le moins
développé des Brics mais avec une
répartition des revenus la moins
inégalitaire. C'est le futur pays le
plus peuplé de la planète (sa population
dépassera celle de la Chine vers 2025).
En moins de trois décennies, la Chine
est devenue la deuxième puissance
économique mondiale derrière l'Amérique.
Cette croissance spectaculaire (les taux
de progression du PIB ont souvent
dépassé les 10% par an). La «nation
commerçante» n'est pas qu'une puissance
économique, elle s'impose aussi comme
puissance financière, militaire et
culturelle. L'Afrique du Sud a une
croissance égale à 3,5% et un PIB seize
fois plus faible que celui de la Chine.
Pour Jim O'Neil, de Goldman Sachs,
l'inventeur du terme, l'entrée de
l'Afrique du Sud dans ce club ne peut se
comprendre que si «on la considère comme
le représentant du continent africain».
Le dernier
sommet de Durban
Les cinq pays ont réaffirmé leur volonté
de créer une ´´nouvelle banque de
développement´´, déjà annoncée lors de
leur précédent sommet, en 2012, à New
Delhi. Elle est attendue avec
impatience, a déclaré le chef de l'Etat
sud-africain, Jacob Zuma, car les
besoins en infrastructures sont
´´considérables, environ 4 500 milliards
de dollars [3500 milliards d'euros] au
cours des cinq prochaines années´´. Le
principe a été acté de la création d'un
fonds dans lequel les Brics mettraient
en commun une partie de leurs réserves
de change pour ´´contribuer à renforcer
le système de sécurité financier mondial
et compléter les accords internationaux
en y ajoutant une ligne de défense
supplémentaire´ »´.(3)
« (..) Selon Anton Siluanov, le ministre
russe des Finances, les négociateurs
travailleraient sur un apport de la
Chine pour 41 milliards de dollars, du
Brésil, de la Russie et de l'Inde pour
18 milliards chacun et de 5 milliards
pour l'Afrique du Sud. (...) Chinois et
Brésiliens ont convenu que leurs banques
centrales signeraient un accord d'un
montant de 30 milliards de dollars, afin
de commercer en real brésilien et en
yuan chinois et de se passer de la
monnaie américaine.En fait, la
domination de la Chine sur les Brics n'a
jamais été aussi manifeste. Sachant les
craintes que son pays suscite, son
président Xi Jinping a déclaré
modestement: ´´Le potentiel de
croissance des Brics est infini, mais
leur potentiel de coopération est encore
à réaliser.´´ (3)
Les échanges commerciaux au sein du
BRICS ont augmenté de 28% en 2011 pour
atteindre 230 milliards de dollars. Le
capital initial de la future banque sera
de 100 milliards de dollars. La banque
de développement des Brics aura pour
objectif de promouvoir le financement
des infrastructures et du développement
durable des cinq pays et au profit
d'autres pays en développement, dont les
pays africains. La future banque prévoit
de mobiliser 4,5 milliards de dollars de
réserves au cours des cinq prochaines
années.
Vers un monde
multipolaire?
La Banque mondiale a salué l'initiative
prise par les pays du Brics de créer une
banque de développement, et elle s'est
engagée à collaborer étroitement avec
cette nouvelle institution pour lutter
contre la pauvreté. Cette
«reconnaissance est-elle le début d'un
basculement? L'émergence des Brics
marque-t-elle le signal de notre entrée
réelle dans un nouveau monde
multipolaire? Selon Paul Kennedy,
historien britannique, nous avons déjà
ou sommes en train de traverser une
«ligne de partage des eaux» qui nous
entraîne très loin du monde unipolaire
de l'après-guerre et de «la
super-puissance». Quatre raisons à cela:
la lente érosion du dollar américain
(passé de 85% des réserves mondiales à
moins de 60%), la paralysie du projet
européen, la montée de l'Asie (avec la
fin de 500 ans d'hégémonie occidentale)
et la décrépitude des Nations unies. Le
G-8 (États-Unis, Japon, Allemagne,
France, Royaume-Uni, Italie, Canada et
Russie) s'avère déjà hors sujet. Le G-20
qui regroupe le G-8 plus les Brics,
pourrait être le bon groupe. Mais il y a
beaucoup à faire pour traverser cette
ligne de partage des eaux et ne pas être
simplement balayé bon gré mal gré, à
savoir réformer le Conseil de sécurité
de l'ONU, et au-delà, réformer le
système Bretton-Woods, particulièrement
les deux institutions, Fonds monétaire
international (FMI) et Banque mondiale
(BM)».(4)
On le voit, le dollar n'est plus la
sainte et intouchable monnaie d'échange.
Les pays du Brics commencent à échanger
dans leurs monnaies «(...) Le système
post-Seconde Guerre mondiale de Bretton
Woods est, désormais, officiellement
mort, totalement illégitime. (...) Les
Brics savent très bien que Washington et
Bruxelles n'abandonneront jamais le
contrôle du FMI et de la BM. Néanmoins,
le commerce entre ces pays atteindra
l'impressionnant chiffre de $500
milliards en 2015, pour la plupart dans
leur propre devise. (...)»(4)
«Mais le problème central des Brics
reste le manque d'alternative
idéologique ou institutionnelle au
néolibéralisme et aux Seigneurs de la
finance internationale.» Comme le note
Vijay Prashad, le Nord a tout fait pour
empêcher toute discussion sérieuse sur
la manière de réformer la pagaille
financière internationale. Il ne faut
pas s'étonner si le président du G-77
(en réalité G-132, actuellement),
l'ambassadeur thaïlandais Pisnau
Chanvitan, a mis en garde contre «un
comportement qui semble indiquer un
désir de naissance d'un
néo-colonialisme». Entre-temps, il se
passe des choses de façon désordonnée.
La Chine, par exemple, continue
informellement de se servir du yuan
comme devise sinon internationale, du
moins mondialisante. Elle commerce déjà
en yuan avec la Russie et l'Australie,
sans parler de l'Amérique latine et du
Moyen-Orient. Les pays du Brics misent
de façon accrue sur le yuan comme leur
monnaie alternative pour dévaluer le
dollar américain. Le Japon utilise à la
fois le yen et le yuan dans ses échanges
avec son puissant voisin asiatique.»(4)
A tort en Occident on accuse la Chine
d’exploiter l’Afrique et de lui prendre
ses matières premières et de lui vendre
ses produits finis en exportant aussi sa
main d’œuvre excédentaire. Il n’en est
rien ; Ainsi dans un artiche paru sur le
journal Le Monde on lit : « L'un des
facteurs de l'avancée chinoise en
Afrique est le retrait des Occidentaux.
C'est particulièrement vrai en ce qui
concerne les entreprises, note
Jean-Raphaël Chaponnière, chercheur
associé à Asia Centre. Bon nombre
d'entrepreneurs européens se sont
tournés, depuis la chute du Rideau de
fer à la fin des années 1980, vers
l'Europe orientale, délaissant le
continent africain. Par leurs achats des
matières premières africaines, les
Chinois ont également permis aux cours
de ne pas s'effondrer et ont permis un
renouveau économique, dont les Chinois
ont été les premiers à profiter en
raison de leur présence. C'est ce qu'a
souligné le magazine chinois Outlook le
24 mars : "La croissance rapide du
commerce sino-africain a commencé dans
les années 1990, alors que les pays
européens négligeaient l'Afrique, les
uns après les autres, et que beaucoup de
pays africains se trouvaient dans une
impasse pour leur commerce extérieur et
même pour leurs finances. Depuis vingt
ans, la raison pour laquelle le commerce
sino-africain a progressé rapidement et
a suscité l'envie de l'Occident est que
la Chine ne s'ingère pas dans les
affaires intérieures africaines et
qu'elle est prête à payer à l'Afrique un
prix plus élevé que les pays
occidentaux". (5)
Conclusion
L'ambiguïté de la stratégie des nouveaux
pays émergents est qu'ils veulent
prendre les règles du capitalisme et
leur donner un visage humain. Leur
«réussite» actuelle la doivent-ils au
marché ou est-ce l'avènement d'un monde
nouveau qui peut servir d'exemple aux
autres pays en développement? Ainsi,
leur coordination pour «contrer» les
anciens pays industrialisés et leur doxa
sont un signe d'un changement qui sera
combattu par les tenants du consensus de
Washington. On fera tout pour amoindrir
leur rôle. Robert Zoellick, ancien
directeur de la Banque mondiale
écrivait: «(...) S'il n'est plus
possible de résoudre les grands
problèmes internationaux sans la
participation des pays en développement
et en transition, il est tout aussi
impossible de prétendre que les plus
grands d'entre eux - le Brésil, la
Russie, l'Inde et la Chine (Brics) - les
représentent tous. Cela vaut pour un
grand nombre de défis qui se profilent à
l'horizon: l'eau, les maladies, les
migrations, la démographie, les États
fragiles et les pays sortant d'un
conflit.(6)
Quoiqu'il en soit, le diplomate
singapourien Kishore Mahbubani avait
raison de déclarer que le barycentre du
monde s'est déplacé vers l'Asie. Par la
force des choses, les pays du Brics vont
remettre en cause l'odre unipolaire
établi sous l'égide de la superpuissance
américaine et ses vassaux. On assistera
graduellement à une organisation de type
Otan - organisation qui devait
disparaitre en même temps que le Pacte
de Varsovie en 1989-, Une nouvelle OMC
sous l'égide du Brics verra le jour. Ce
sera aussi le cas de toutes les
organisations verrouillées par les
Occidentaux (l'AIE, l'Aiea) et la plus
problématique d'entre elles, le Conseil
de sécurité des pays du Brics et quand
on parlera à tort de Communauté
internationale, il faudra bien déclarer
laquelle? Celle qui veut que tout reste
en l'état ou la nouvelle qui veut
changer les choses, tout en espérant que
l'ivresse de la puissance ne fasse pas
de ces pays du Brics un club bis de
futurs pays impérialistes. Ce sera alors
à coup sûr une défaite définitive pour
la pensée, la générosité, l'altermondialisme
dont se revendiquait en son temps Lula
le paléo- altermondialiste (7).
1. Les pays du Brics: Encyclopédie
Wikipédia
2.
http://www.atout-finance.com/principales-puissances-economiq...
3.http://www.lemonde.fr/economie/article/2013/03/28/la-creation-de-la-banque-de-developpement-des-brics-renvoyee-a-2014_3149286_3234.html
4.
http://www.afrique-asie.fr/menu/afrique/2840-lemergence-des-brics-et-le-xxie-siecle.html
5.http://www.lemonde.fr/asie-pacifique/article/2013/03/29/chinafrique-les-questions-qui-derangent_3150304_3216.html#xtor=EPR-32280229-[NL_Titresdujour]-20130330-[titres]
6. Robert B.Zoellick: La fin du
tiers-monde? Washington D.C. 14 avril
2010
7.
http://www.legrandsoir.info/L-Avenement-des-pays-du-BRIC-peut-il-changer-le-monde.html
Professeur Chems Eddine Chitour
Ecole Polytechnique enp-edu.dz
Publié le 30 mars 2013 avec l'aimable
autorisation de l'auteur
Le sommaire du Pr Chems Eddine Chitour
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