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ERRANCE DE L'EMPIRE AMÉRICAIN

Est-ce le début du déclin ?
Chems Eddine Chitour

Lundi 27 décembre 2010

«Nous serons une grande nation qui aura échoué parce que nous avons perdu le contrôle de notre économie et que nous nous sommes trop agrandis.»
Paul Kennedy (historien américain)

Une publication parue récemment dans le journal Asia Times a attiré mon attention. Pour la première fois, l’auteur, un professeur américain d’une université prestigieuse, décrit et avec moult détails, le déclin de l’empire américain. Avant de lui donner, je crois bon de rappeler au lecteur que cet anathème de la décadence, qui frapperait les Etats-Unis, avait été le crédo de tous ceux qui avaient un «compte à régler» avec l’empire américain, nouveau taghout (Goliath) des temps modernes. Ce fut le cas des régimes arabes qui passèrent et passent leur temps à se lamenter. A ce propos, on raconte que lors d’un raid américain sur Tripoli (Libye) pour mettre au pas El Gueddafi, ce dernier appelle au secours ses «frères» arabes. Réunis en conclave, ces derniers ne purent se mettre d’accord sur la réponse adéquate à faire aux Américains. Chacun ayant peur des sanctions à venir. On dit que parmi eux, un «dirigeant» proposa une idée singulière, résumée d’une façon lumineuse par cette phrase à l’encontre de Reagan: «Nouaklou ‘alihe Al Rabb», «Nous prenons Dieu à témoin pour l’offense qu’il nous a faite».L’impuissance des Arabes et leurs rodomontades sans lendemain étant une donnée fondamentale des relations internationales actuelles.
Plus sérieusement, le déclin avéré de l’Occident et, partant des Etats-Unis, plonge ses fondements dans l’histoire, Ibn Khaldoun le père de la sociologie, avait décrit magistralement l’apogée puis le déclin des civilisations. Pourtant, le XXe siècle a vu le triomphe en définitive, du capitalisme sur le communisme. L’Occident se retrouva sans adversaire. Il fallait en trouver un. Les idéologues du Pentagone de la fin du siècle dernier réunis autour de Richard Perle, Paul Wolkowitz, élaborèrent le Pnac (Programme for New American Century),Programme pour un nouveau siècle américain. Plus rien ne devrait s’opposer à l’hyperpuissance américaine, il fallait lui donner un nouveau souffle, une cause fédératrice, un Satan de rechange devant remplacer «l’Empire du mal» que représentait l’Urss dans la doxa occidentale. Ce sera l’Islam. Pour cela, la nécessité pour l’empire de gouverner le monde est indexée sur sa soif des matières premières, notamment les hydrocarbures. L’Empire sera amené à gérer deux guerres en même temps avec des dépenses de l’ordre de 2 milliards de dollars par jour pour le Pentagone dont une grande partie sert à alimenter le complexe militaro-industriel. Plus rien ne doit s’opposer à l’empire. Fukuyama avec «la fin de l’histoire» et Huntington avec «le choc des civilisations» étaient deux alibis puissants légitimant, en définitive, l’inéluctabilité de la bataille contre l’Asie et contre l’Islam.

Ce sera l’Islam

Mérick Freedy Alagbe écrit à ce propos: «Dans l’euphorie ambiante, Francis Fukuyama publie La fin de l’histoire et le dernier homme qui traduit sa vision d’un monde marqué par la prééminence de la démocratie libérale occidentale. Pour lui, l’humanité a atteint le bout de sa fécondité idéologique et le modèle occidental s’impose comme la forme accomplie de gouvernement des humains. En l’absence d’alternative sérieuse, le monde ne pouvait désormais qu’être homogène. Condescendance ethnocentrique ou angélisme? La fin des idéologies, loin de voir émerger un monde pacifique, avec l’universalisation des valeurs et principes d’organisation politique qu’épouse l’Occident chrétien, ouvre au contraire une nouvelle page de l’histoire, où les prodromes d’un «choc des civilisations» n’ont jamais été aussi prégnants. (...)Elle sera cependant réhabilitée au lendemain des attentats du 11 Septembre 2001 et l’engagement militaire des Etats-Unis en Afghanistan et en Irak, sous le slogan de «Croisade» contre le terrorisme.»(1)
Quand George Bush montant sur un char en Irak en juin 2003, annonce urbi et orbi que la guerre est finie, les Etats-Unis ne le savaient pas, jamais ils entamaient leur déclin en provoquant la guerre en Irak sous les conseils lancinants des néoconservateurs des lobbys pétroliers et dit-on d’Israël pour qui la guerre avait un double rôle; éliminer un rival dangereux et affaiblir le camp arabe ou ce qu’il en reste, après le Front du refus et après la reddition en rase campagne de Sadate et la vassalisation de Moubarak pour une aumône de 3 petits milliards de dollars par an et l’assurance de faire de son trône une «affaire dynastique» contre la volonté de son peuple.
Cette destinée manifeste de l’Empire américain plonge ses racines dans l’arrogance de l’Homme blanc européen. Kishore Mahboubani en parle: «Il y a plus de 40 ans écrit-il - j’avais alors entre 20 et 30 ans - un ouvrage de l’important historien britannique Victor Kiernan m’avait fortement impressionné: il s’intitulait The Lords of Humankind, European Attitudes to the Outside World in the Imperial Age. Il avait été publié en 1969, lorsque la décolonisation européenne touchait à sa fin, à quelques rares exceptions près. Kiernan brossait le portrait de l’arrogance et du fanatisme traversés par un rayon de lumière exceptionnel. La plupart du temps, cependant, les colonialistes étaient des gens médiocres mais en raison de leur position et, surtout, de leur couleur de peau, ils étaient en mesure de se comporter comme les maîtres de la création. De plus, l’ouvrage de Kiernan me montrait que, même si la politique coloniale européenne touchait à sa fin - les puissances coloniales européennes ne pouvant plus garder leurs colonies - l’attitude colonialiste des Européens subsisterait probablement encore longtemps. En fait, celle-ci reste très vive en ce début du XXIe siècle. Souvent, on est étonné et outré lors de rencontres internationales, quand un représentant européen entonne, plein de superbe, à peu près le refrain suivant: «Ce que les Chinois [ou les Indiens, les Indonésiens ou qui que ce soit] doivent comprendre est que...», suivent les platitudes habituelles et l’énonciation hypocrite de principes que les Européens eux-mêmes n’appliquent jamais. Le complexe de supériorité subsiste. Le fonctionnaire européen contesterait certainement être un colonialiste atavique. C’est là qu’est le problème. Cette tendance européenne à regarder de haut, à mépriser les cultures et les sociétés non européennes, a des racines profondes dans le psychisme européen.»(2)
En effet, dans la présentation synoptique que S. Huntington nous fournit sur les grandes lignes de fracture entre les différentes civilisations, deux grandes entités distinctes que tout semble opposer, retiennent l’attention: l’Occident, imprégné de culture judéo-chrétienne et le Proche-Orient de tradition islamique. Les autres communautés, bouddhiste, taoïste, shintoïste, hindouiste...ayant subi aussi des risques d’anomie face à la montée en puissance de l’Occident chrétien - à la pointe de la technologie - ont su par moments se résigner à cette hégémonie tout en se préservant de la destruction. C’est le cas de la Chine, du Japon, et de l’Inde dont le dynamisme économique durant la décennie fait rêver l’Occident. En effet, entre 1999 et 2009, l’économie mondiale a connu de grands bouleversements. Leur point commun: la vitesse à laquelle ils se sont produits. Dans le même temps, un autre facteur marque tout autant: l’accélération du rythme de ces changements. Accélération tout d’abord chinoise. Avec un taux de croissance annuelle de 10%, la Chine double son produit intérieur brut tous les 7 ans et demi. Il avait fallu 58 ans au Royaume-Uni, pour doubler son revenu par tête à la fin du XVIIIe et au début du XIXe siècles; 47 ans aux Etats-Unis, entre 1839 et 1886; 34 ans au Japon entre 1885 et 1919. La Chine l’a fait plus de trois fois depuis 1978. En 1999, elle occupait la 7e place mondiale, derrière l’Italie. elle est numéro deux, derrière les Etats-Unis.(3) On dit qu’elle dépassera les Etats-Unis en 2025
S’agissant justement de ces pays asiatiques qui talonnent l’Occident, selon le professeur Kishore Mahbubani doyen de la Lee Kuan Yew School of Public Policy de Singapour qui en parle dans son ouvrage: «Pendant des siècles, les Asiatiques ont eu le sentiment d’avoir été exclus de l’histoire mondiale. Aujourd’hui, ils sont prêts à devenir des acteurs à part entière, après avoir intégré les «bonnes pratiques» de l’Occident - l’économie de marché, les sciences et les technologies, la méritocratie, l’Etat de droit, le pragmatisme, la culture de la paix et le développement de l’éducation.»(4)

La chute de l’Amérique

Tels sont, selon Kishore Mahbubani, les «sept piliers de la sagesse occidentale» dont se sont inspirés les pays asiatiques pour avancer à grands pas. L’Occident saura-t-il résister à l’ascension économique vertigineuse de l’Asie? L’Asie n’a nulle intention de dominer l’Occident, elle y puise simplement les solutions qui lui permettront de tourner définitivement la page de la pauvreté. Mais elle nous met aussi en garde: l’Occident devra à son tour renoncer à sa domination, notamment sur les institutions internationales. L’Occident deviendra alors une simple «province du monde», avec seulement 9% de la population mondiale en 2025.
Examinons pourquoi: Est-ce le pronostic fatal pour tous les empires comme l’écrit Alfred Mc Coy?: «Un atterrissage en douceur pour les Etats-Unis d’ici quarante ans? N’y pensez pas!(...) une estimation plus réaliste des tendances aux Etats-Unis et dans le monde laisse penser qu’en 2025, exactement dans 15 ans, tout pourrait être pratiquement terminé. Malgré l’aura d’omnipotence que la plupart des empires projettent, un regard sur leur histoire devrait nous rappeler que ce sont des organismes fragiles. L’écologie de leur pouvoir est si délicate que lorsque les choses commencent à aller vraiment mal, les empires se désagrègent généralement à une vitesse incroyable: juste une année pour le Portugal, deux années pour l’Union soviétique, 8 pour la France, 11 pour les Ottomans, 17 pour la Grande-Bretagne et, selon toute vraisemblance, 22 ans pour les Etats-Unis, à partir de la cruciale année 2003. Les futurs historiens identifieront probablement, l’invasion irréfléchie de l’Irak par l’administration de George W.Bush, cette année-là, comme le commencement de la chute de l’Amérique. (...) Le Siècle Américain, proclamé si triomphalement au commencement de la Seconde Guerre mondiale, sera réduit à néant et s’éteindra d’ici à 2025, dans sa huitième décennie, et pourrait être relégué définitivement au passé d’ici 2030. Fait révélateur, en 2008, la Commission nationale américaine des Renseignements [US National Intelligence Council] a admis pour la première fois que la puissance globale des Etats-Unis suivait vraiment une trajectoire déclinante. (...) Selon les projections actuelles, les Etats-Unis se retrouveront en deuxième position derrière la Chine (déjà deuxième économie mondiale) en termes de production économique, aux alentours de 2026, et derrière l’Inde d’ici à 2050. (...)»(5)
Est-ce que les Américains accepteront cela sans broncher? Mc Coy nous donne la réponse: «D’ici 2020, selon les prévisions actuelles, le Pentagone se lancera dans un va-tout militaire d’un empire mourant. Il lancera une triple couverture spatiale létale, constituée de robotique avancée et qui représente le dernier meilleur espoir de Washington de maintenir son statut de puissance mondiale, malgré son influence économique déclinante. Toutefois, dès cette année-là, le réseau mondial de satellites de communication de la Chine, soutenu par les superordinateurs les plus puissants du monde, sera également entièrement opérationnel, procurant à Pékin une plate-forme indépendante pour la militarisation de l’espace et un puissant système de communication pour ses missiles - ou attaques cybernétiques - dans tous les endroits de la planète. Les Américains ordinaires, voyant leurs emplois se délocaliser à l’étranger, ont une vision plus réaliste que leurs dirigeants qui, eux, sont bien protégés. Un sondage d’opinion d’août 2010 a mis en évidence que 65% des Américains pensaient que leur pays était désormais «en état de déclin».
«D’un point de vue historique, la question n’est pas de savoir si les Etats-Unis perdront leur puissance globale incontestée, mais juste à quelle vitesse et avec quelle brutalité se produira leur déclin.(...) Ces scénarios futuristes comprennent: le déclin économique, le choc pétrolier, la mésaventure militaire et la Troisième Guerre mondiale. Même si ces scénarios sont loin d’être les seules possibilités en matière de déclin - voire même d’effondrement - américain, ils offrent une fenêtre sur un futur qui arrive au pas de charge. (...)D’ici 2025, la Russie et l’Iran contrôleront près de la moitié des réserves mondiales de gaz naturel, ce qui leur octroiera potentiellement un énorme effet de levier sur une Europe affamée d’énergie. A travers les âges, les empires assaillis souffrent d’une arrogance qui les conduit à plonger encore plus profond dans les mésaventures militaires, jusqu’à ce que la défaite devienne une débâcle. En 413 av. J.-C., Athènes, affaiblie, envoya 200 vaisseaux se faire massacrer en Sicile. En 1921, l’Espagne impériale mourante envoya 20.000 soldats se faire massacrer par les guérillas berbères au Maroc. En 1956, l’Empire britannique déclinant détruisit son prestige en attaquant Suez. Et, en 2001 et en 2003, les Etats-Unis ont occupé l’Afghanistan et envahi l’Irak. Avec la prétention démesurée qui marque les empires au fil des millénaires, Washington a augmenté à 100.000 le nombre de ses soldats en Afghanistan, étendu la guerre au Pakistan.»(5)
Il vient que la leçon que donne la Chine et à un degré moindre l’Inde, montre que le centre de gravité du monde a basculé vers l’Asie. Les Etats-Unis ont perdu leur magister moral qu’ils avaient du temps d’Eisenhower qui, lors de son discours d’adieu, avait mis en garde contre le complexe militaro-industriel, magister moral qu’ils avaient sous Kennedy qui, rappelons-le, fut l’un des sénateurs à défendre au nom de la liberté, la cause algérienne aux Nations unies. L’Amérique d’Armstrong, celle de l’American way of life qui nous a tant fait rêver est devenue au fil des ans, de plus en plus intolérante et, par la force des choses, c’est celle de l’American way of war (la façon américaine de faire la guerre). Obama avait donné l’illusion d’un redressement de l’Amérique mais ses atermoiements sur le climat et son «abdication» devant une poignée de colons risque de précipiter encore plus ce déclin par les prémisses d’un choc des civilisations au Moyen-Orient que Samuel Huntington avait appelé de ses voeux. C’est cette incapacité à exercer convenablement un leadership juste et moral qui fait que les Etats-Unis seraient sur le déclin.


1.Mérick Freedy Alagbe: L’impensé du Choc des civilisations.Agoravox 2 janvier 2010
2.Kishore Mahbubani: Le Défi asiatique. Editions Fayard 2008
3.Frédéric Lelièvre: Accélération, mot-clé de la décennie. LeTemps.ch. 23 décembre 2009
4.Kishore Mahbuani: The Irresistible Shift of Global Power to the East. 2008.
5.Alfred W.McCoy: La disparition des Etats-Unis en tant que superpuissance mondiale ou la fin du «Siècle Américain» Mondialisation.ca, le 9 décembre 2010

Pr Chems Eddine Chitour, Ecole nationale polytechnique

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Publié le 27 décembre 2010 avec l'aimable autorisation de l'
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Source : L'Expression
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