Opinion
La Libye dans la
tourmente:
Le chaos constructeur en action
Chems
Eddine Chitour
Le Pr
Chems Eddine Chitour
Jeudi 26 janvier
2012
«Chaque
prétendant à l'Empire claironne à
l'extérieur qu'il veut conquérir le
monde pour y apporter la paix, la
sécurité et la liberté, et qu'il
sacrifie ses enfants dans un but
éminemment noble et humanitaire. C'est
un mensonge, et un vieux mensonge, et
pourtant des générations se succèdent et
y croient! (...) Alors le Rêve américain
mourra - sur des champs de bataille à
travers le monde - et une nation conçue
dans la liberté détruira la liberté des
Américains et imposera la tyrannie pour
assujettir les nations.»
George S. Boutwell - (1818-1905),
Secrétaire du Trésor sous le Président
S. Grant
«The war is over», s'était exclamé
George Bush en tenue de combat sur le
pont du porte-avions, trois semaines
après la prise de Baghdad en mai 2003.
Naïve certitude! la guerre n'était pas
over, elle continua et continue. L'étape
du matin de décembre, qui a vu «le
départ des Américains, s'est
caractérisée par le bilan suivant: 4500
morts pour les Américains et 1,5 million
d'Irakiens ont perdu la vie, des
millions de déplacés, une Eglise
irakienne déstabilisée, un pays en
miettes et le chaos comme projet de
société. Condoleezza Rice avait inventé
pour la cause le concept de «chaos
constructeur» prélude à un nouveau
partage du Monde arabe selon le GMO.
Mutatis mutandis le chaos ne s'est pas
arrêté avec la mort de Kadhafi, au
contraire, il a élu domicile en Libye et
curieusement ceux qui l'ont provoqué ont
d'autres chats à fouetter, Bernard-Henri
Lévy a ouvert un autre fichier et
s'occupe dit-on de porter la bonne
parole auprès d'Algériens tentés par la
méthode CNT. Les Américains et leurs
valets ont d'autres urgences, la crise
et les élections. Enfin, le potentat du
Qatar met tout son «poids» en dollars
pour peser pour le compte de l'Occident
de la nouvelle vision du Monde arabe.
La guerre
est-elle terminée?
Le chef des
nouvelles autorités libyennes, Moustapha
Abdeljalil, a exclu, dimanche 22
janvier, une démission du Conseil
national de transition (CNT). Le numéro
deux du CNT, Abdelhafidh Ghoga, a été
contraint à la démission. «Nous ne
démissionnerons pas car elle (la
démission) mènerait à une guerre
civile», a déclaré M.Abdeljalil dans une
interview à la télévision libyenne Libya
Al-Hurra(«Libye libre»). M.Abdeljalil a
tenu à rendre hommage à M.Ghoga, en
affirmant qu'il avait «choisi la patrie
avant sa personne». Il a affirmé que la
Libye risquait d'être entraînée dans «un
puits sans fond» si la contestation
violente des nouvelles autorités se
poursuivait. (...) Sous la pression de
la rue, le CNT a également reporté
l'adoption de la loi électorale qui
régira l'élection d'une Assemblée
constituante en juin, au lendemain du
saccage de son siège à Benghazi, le
berceau de la révolution, dans l'est du
pays. Il s'agit de la première crise
politique depuis que les nouveaux
dirigeants ont pris les rênes du pays.
Samedi, des grenades artisanales avaient
été jetées sur le siège du CNT à
Benghazi avant que des manifestants ne
l'envahissent et ne mettent le feu à sa
façade. (1)
Le gouvernement transitoire ne parvient
pas à désarmer les thuwars, ces
combattants révolutionnaires qui
multiplient barrages, contrôles et
vexations. Plus de deux mois après la
mort de Kadhafi, censée annoncer
l'avènement d'une démocratie apaisée, la
Libye est toujours en proie à des
accrochages sanglants entre rebelles, ce
qui alimente les divisions tribales et
régionales. Le gouvernement transitoire,
qui pensait y arriver avant la fin 2011,
ne parvient pas à désarmer les thuwars
(combattants). Dans la capitale,
Tripoli, quadrillée par ses
«libérateurs», qui multiplient barrages,
contrôles et vexations, un nouvel
affrontement a causé la mort d'au moins
quatre rebelles en ce début de
semaine... Mais c'est à Tripoli que la
situation est la plus explosive, puisque
s'y côtoient thuwars de Zenten, du
Djebel Nefousa, de Misrata ou de
Benghazi, et combattants originaires de
la capitale. Pour la première fois cette
semaine, Moustapha Abdeljalil, président
du CNT, a parlé de «confrontation
militaire», et évoqué le risque d'une
«sécession», voire d'une «guerre
civile». (2)
« Y a-t-il encore un gouvernement en
Libye s'interroge Emmanuel Berretta du
journal Le Point? Trois mois après la
mort de Muammar Kadhafi, le pays semble
inexorablement sombrer dans le chaos. En
à peine quatre jours, les autorités
libyennes de transition ont essuyé
quatre revers de taille, comme un
symbole patent de leur échec. Samedi, le
siège du Conseil national de transition
(CNT) à Benghazi (est), pourtant berceau
de la révolution, a été envahi par les
manifestants, après avoir été visé par
des grenades. Le lendemain, c'est le
vice-président Abdelhafidh Ghoga qui a
été contraint à la démission, après
avoir été victime, jeudi, d'une
agression à l'université de Ghar Younès.
Lundi, ce sont des partisans pro-Kadhafi
lourdement armés qui, à la surprise
générale, ont repris dans le sang le
contrôle de la ville de Bani Walid.
Brandissant la menace d'une «guerre
civile», l'homme fort de la Libye
nouvelle a accusé des «mains cachées»
d'être responsables des dernières
violences. Pourtant, aux dires des
habitants de Benghazi, il est d'ores et
déjà le prochain sur la liste. (...) »
(3)
«D'une façon hypocrite, le journaliste
«compatit» et s'inquiète de la
prolifération des armes: «Mais le
véritable fléau qui frappe la Libye
nouvelle reste la prolifération d'armes
à travers le pays. Si celles-ci ont
permis aux troupes rebelles de se
débarrasser du Guide libyen, elles
approvisionnent désormais allègrement
les milices tribales, aussi bien en
Cyrénaïque (est) qu'en Tripolitaine
(ouest). Et les combattants ne sont
prêts à les rendre sous aucun prétexte,
à moins d'obtenir une place de choix au
sein du nouveau pouvoir. L'État n'existe
plus.
Les gens sortent la kalachnikov au
moindre problème.» (3)
La résistance
des pro-Kadhafis
Zine Cherfaoui
décrit la situation anomique et parle de
guerre civile et écrit: «L'ex-Jamahiriya
y est presque. En plus du fait que les
milices rebelles se livrent, depuis des
semaines, une guerre sans merci pour
assurer à leurs tribus respectives une
place au soleil dans la Libye post-El
Gueddafi, les partisans de l'ancien
régime viennent de passer à l'action
dans l'optique de reconquérir le terrain
perdu. Hier, en menant une offensive
meurtrière contre des positions des
Thouar de la brigades du 28 Mai, à
l'issue de laquelle ils ont repris le
contrôle de Bani Walid, une localité
située à 170 km au sud-ouest de Tripoli
(...) Parallèlement à cette
opération-éclair, la «résistance»
libyenne structurée au sein du Front
pour la libération de la Libye (FLL)
révèle, dans un communiqué posté hier
sur Internet, qu'elle a enlevé, il y a
deux jours, à la sortie de la base
militaire de Maetika, le colonel Ahmed
Zawi qui fait partie du commandement de
l'armée du CNT. (...) Ces violences
interviennent au moment où le CNT fait
face à la plus grave crise depuis sa
création. Outre son incapacité à faire
régner l'ordre, la composante du CNT ne
fait plus l'unanimité au sein de la
population qui réclame son départ.
Particulièrement honni par la population
qui voit en lui un «opportuniste», son
vice-président, Abdelhafidh Ghoga, a dû
démissionner en direct à la télévision
en début de semaine.(..)» (4)
Pour sa part, le ministre libyen de
l'Information, Faouzi Abdelali, a tenté
de minimiser l'attaque. «Les
informations dont nous disposons disent
qu'il y a des problèmes internes entre
les habitants de cette ville, et c'est
la raison de ce qui s'est passé», «Les
informations que nous avons en
provenance de l'intérieur de la ville ne
disent pas qu'il y a des drapeaux verts
et il n'y a rien qui soit lié à l'ancien
régime, a-t-il annoncé à la chaîne de
télévision Libya. Le CNT a dû se
résoudre à se réunir en secret et à
reporter l'adoption de la loi électorale
qui régira l'élection d'une Assemblée
constituante en juin après le saccage
samedi de son siège à Benghazi, le
berceau de la révolution dans l'est du
pays.
Dans ce chaos, pour le moment
destructeur, on annonce qu'un
gouvernement libyen vert sera créé à
l'étranger. Selon le docteur Hamza
Touhami, qui est intervenu sur la radio
Libya One, il a demandé aux femmes
libyennes de faire attention aux
rebelles qui ne respectent personne et
n'arrêtent pas d'agresser les femmes. Il
a demandé aux jeunes en Libye et à
l'étranger, en Arabie Saoudite, en
Egypte, Tunisie et en Algérie d'aider la
résistance. Il a longuement parlé de
l'Algérie; ce pays qui a montré aux
autres peuples les vrais sacrifices et
les vrais combats, le peuple des héros,
les héros des Aurès. (5)
Les raisons
du lynchage de Khadafi puis de la curée
sur la richesse libyenne
Manlio Danucci nous
remet à l'esprit, comment l'Italie a
participé à la curée. Il écrit: «Comme
don emblématique de l'´´amitié
italo-libyenne´´ rénovée, par
l'opération des nouveaux gouvernements
des deux pays, le Premier ministre,
Mario Monti, a rapporté en Libye la tête
de Domitille, que quelqu'un avait volée
il y a vingt ans en décapitant une
statue antique. En matière de têtes
coupées, Mario Monti en effet, s'y
entend. Avant de recevoir du président
Napolitano la charge de chef de
gouvernement, il a fait partie pendant
des années de la banque étatsunienne
Goldman Sachs.(...). En tant que
consultant international, il était,
selon Le Monde, ««ouvreur de portes»,
chargé de pénétrer au coeur du pouvoir
européen pour défendre les intérêts de
la banque d'affaires».(....) Berlusconi
menaçant alors d'enlever aux alliés
l'usage des bases italiennes. Rappelé
par H.Clinton, il est rentré dans les
rangs et l'Italie, une fois le traité de
non-agression avec la Libye déchiré, a
joué son rôle dans la guerre «avec
honneur». (...) Et c'est dans ces salons
secrets qu'on a décidé de faire tomber
la tête de Kadhafi, matériellement, en
démolissant l'état qu'il avait construit
et en l'assassinant ».
Poursuivant à juste titre son
réquisitoire Malio Danucci écrit : « Ce
n'est pas par hasard que la guerre a
commencé par l'assaut aux fonds
souverains, au moins 170 milliards de
dollars que l'État libyen avait investis
à l'étranger, grâce aux revenus de
l'export pétrolier. (..) Fonds de plus
en plus investis en Afrique, pour
développer les organismes financiers de
l'Union africaine (la Banque
d'investissement, le Fonds monétaire et
la Banque centrale) et créer le dinar
d'or en concurrence au dollar. Projet
démantelé avec la guerre décidée, avant
les gouvernements officiels, par le
gouvernement ombre dont fait partie
Goldman Sachs. (..) Mario Monti qui, en
habit de chef du gouvernement italien, a
débarqué à Tripoli, accompagné par
l'amiral Di Paola, aujourd'hui ministre
italien de la Défense, lequel, comme
président du Comité militaire de l'Otan,
a joué un rôle fondamental dans la
guerre contre la Libye. Ils ont apporté
en cadeau la tête de Domitille à un
«gouvernement» créé artificiellement par
l'Otan, avec le devoir de couper
(matériellement) les têtes de ceux qui
veulent une Libye indépendante du
nouveau colonialisme.» (6)
Quoi qu'on dise, la Libye était le
réservoir de main-d'oeuvre de l'Afrique
Les gens vivaient, je dirais même
vivaient bien. Non, il n'y avait pas de
mandat de l'ONU pour tuer 70.000
libyens, il y en avait un pour les
protéger. La Libye était en train de
devenir un État fort et pilote pour
l'Afrique et, encore plus grave, prenait
des initiatives très dommageables du
point de vue «occidental», tout
particulièrement états-unien (Fonds
monétaire africain, par exemple).
Pour Adrian Salbuchi, le chaos actuel
n'est pas une surprise. L'histoire
montre que toute attaque et invasion
militaire contre un pays souverain
débouchent sur la mort, la destruction
et le chaos, et que cela ne s'arrête pas
une fois l'invasion menée à son terme.
Voyez l'Irak, l'Afghanistan, la
Palestine, le Vietnam, l'Irlande du
Nord, et plus loin dans le temps, la
Seconde Guerre mondiale et la guerre
froide. Pourquoi le cas de la Libye
devrait-il donc être différent?
Aujourd'hui, les médias se déclarent
horrifiés par les combats armés entre
factions; l'agence Reuters vient
d'informer que «les chocs entre milices
rivales ont fait deux morts et seize
blessés, dans le heurt le plus récent
entre des groupes armés qui refusent de
déposer les armes». Qu'est-ce que
l'Occident espérait? La Libye, un pays
souverain, a été attaquée et envahie par
les forces armées de l'Otan sous de faux
prétextes validés par une résolution
hypocrite de l'ONU, qui a fait des
dizaines de milliers de morts et de
blessés libyens; logements et
infrastructures bombardés; pillages et
un pays poussé dans le chaos total, les
dirigeants assassinés, avec leurs
enfants et petits-enfants, en direct à
la télévision, ce qui a provoqué un
éclat de rire retentissant et vulgaire
de la secrétaire d'État Hillary Clinton,
en public... » (7)
« Tout cela ressemble beaucoup poursuit
Adrian Salbuchi à ce que le monde a
observé en Irak tout au long des huit
ans qui ont suivi l'invasion... et à
l'Afghanistan, donc... et aux 60
dernières années en Palestine, au
quotidien... et à la Serbie il y a vingt
ans, et au Vietnam il y a quarante
ans...» «Ne nous y trompons pas,
poursuit Adrian Salbuchi, la destruction
de la Libye et d'autres Etats
transgresseurs a servi et continue à
servir pour la promotion des objectifs
clés de l'élite du pouvoir mondialiste,
car il s'agit d'adresser un message
terrifiant à chaque pays. C'est une
façon précise de dire: «Si nous pouvons
faire cela en Libye, nous pouvons en
faire autant avec n'importe quel autre
pays, si c'est notre bon plaisir.» (...)
Kadhafi se préparait à introduire le
Dinar Or (c'est-à-dire une monnaie en
or, métallique, et non pas en papier,
comme le dollar ou l'euro) pour
commercialiser le pétrole libyen (la
Libye dispose de la neuvième réserve
pétrolière du monde et de la première
pour le continent africain), et ensuite,
pourquoi pas, pour gérer la vente du
pétrole africain et de tout le
Moyen-Orient... ce qui constituait une
atteinte sérieuse à l'hégémonie du
dollar, les célèbres pétrodollars, sur
le marché mondial du pétrole. Saddam
Hussein avait fait quelque chose de
semblable lorsqu'en novembre 2002 il
avait décidé de se faire payer en euros
(...)» (7)
L'Irak «débarrassé» de Saddam Hussein
est à feu et à sang. Même type de
scénario actuel en Libye Un avant-goût
de ce qui attend la Syrie! L'anarchie
actuelle, c'est bon pour les affaires et
c'est ce qui compte pour le grand
capital.
1.http://www.lemonde.fr/libye/article/2012/01/23/le-conseil-national-de-transition-libyen-exclut-de-demissionner-malgre-les-tensions_1633121_1496980.html#ens_id=1481986
2. Thierry Portes: Les milices font la
loi en Libye 6.01.2012 Le Figaro.fr
3. Emmanuel Berretta: La Libye libre
sombre dans le chaos Le Point.fr
23/01/2012
4.
http://www.elwatan.com/international/la-libye-au-bord-de-la-guerre-civile-24-01-2012
5. http://mai68.org/spip/spip.php?article3681
6. Manlio Dinucci Les coupeurs de tête
modernes
www.ilmanifesto.it/area-abbonati/in
edicola/manip2n1/20120124/manip2pg/14/manip2pz/316924/
Marie-AngePatrizio
7. Adrian Salbuchi: Leçons de Libye
http://mai68.org/spip/spip.php?article3726
21 01 2012
Professeur
Chems Eddine our
Ecole Polytechnique enp-edu.dz
Publié le 27 janvier
2012 avec l'aimable autorisation de
l'auteur
Le sommaire du Pr Chems Eddine Chitour
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