Opinion
Les multiples
visages de la colonisation israélienne:
L'apartheid de l'eau enfin reconnu
Chems
Eddine Chitour
Le Pr
Chems Eddine Chitour
Mardi 24 janvier
2012
«J'ai vu
l'humiliation des Palestiniens aux
points de passage et aux barrages
routiers, souffrant comme nous quand de
jeunes policiers blancs nous empêchaient
de circuler. Cela ressemble beaucoup à
ce qui est arrivé aux Noirs de l'Afrique
du Sud.»
Evêque Desmond Tutu
Une information ignorée par les médias
lourds en France est le rapport de
mission du député socialiste Jean
Glavany décrivant la situation de la
répartition de l'eau en Palestine comme
étant un apartheid exercé par la
puissance occupante. Le rapport provoque
un tollé en Israël. Il décrit la
question de l'eau comme ´´révélatrice
d'un nouvel apartheid au Moyen-Orient´´.
Sur la méthodologie, le député dit
s'être rendu ´´une petite semaine´´ avec
d'autres élus français dans la région -
Liban, Jordanie, Israël, territoires
palestiniens - et avoir rencontré ´´les
ministres israélien et palestinien de
l'eau, des diplomates et des ONG´´. (..)
Sur place, précisément, loin des bureaux
de l'Assemblée nationale, Gidon
Bromberg, directeur israélien de Friends
of the Earth Middle East - une ONG qui
rassemble Jordaniens, Israéliens et
Palestiniens pour la promotion de la
paix et du développement durable dans la
région - évoque la question
´´historique´´ de l'eau dans la région.
´´Israël ne partage pas l'eau de façon
équitable avec les Palestiniens´´,
commente ce spécialiste des questions
d'eau.(1)
«Pour Mark Zeitoun, spécialiste des
questions de gouvernance
environnementale, ´´si l'on définit
apartheid' comme une discrimination
réalisée sur la base de la race, alors
on peut parler d'apartheid de l'eau´´.
´´Il faut savoir, par exemple, que les
450.000 colons israéliens en Cisjordanie
utilisent plus d'eau que 2,3 millions de
Palestiniens´´, écrit le rapport de
M.Glavany. Le rapport Glavany évoque
ainsi un fonctionnement ´´sur le mode du
consensus, ce qui donne de facto un
pouvoir de veto à Israël´´. (...) Dans
le détail, le rapport évoque la
destruction ´´systématique´´ par l'armée
israélienne des puits construits
´´spontanément´´ par les Palestiniens.
(..)Face à l'absence de ressources, les
Palestiniens doivent acheter de l'eau
municipale qui ´´est bon marché mais
limitée´´, explique l'expert sur les
questions d'eau. Les habitants se
tournent vers l'approvisionnement
privé». (1)
«Selon la Banque mondiale, les
Palestiniens vivant en Cisjordanie
dépensent 8% de leur revenu en eau. Pour
l'eau non municipale, ´´il n'existe pas
de contrôle: [l'eau] peut être
contaminée, avec les conséquences que
l'on connaît: douleurs abdominales,
diarrhées´´. De son côté, Stéphanie
Oudot décrit cette image: ´´Des piscines
et des jardins arrosés du côté des
colons, tandis qu'à côté, les
Palestiniens se rendent au puits avec un
seau´´. Le partage des eaux, poursuit
Flora Genoux, en Cisjordanie est
déterminé par les accords d'Oslo II de
1995. L'accord ne tient en outre pas
compte des besoins en eau d'une
population qui a doublé depuis 1995,
selon les estimations de la Banque
mondiale. ´´A Ghaza c'est encore pire;
la qualité de l'eau y est
épouvantable´´, témoigne Gidon
Bromberg.(...) Dans une région
surpeuplée, où les habitants pompent de
l'eau rare, c'est donc de l'eau salée
qui sort de terre. ´´Les Ghazaouis ne
peuvent plus boire de l'eau du
robinet,´´ témoigne Stéphanie Oudot, qui
alerte sur une ´´situation humanitaire
d'urgence´´. Selon la Banque mondiale, à
Gaza ´´seule 5% à 10% de l'aquifère
correspond aux standards de
qualité´´.(1)
Dans son rapport, M.Glavany, souligne
que ´´la priorité est donnée aux colons
en cas de sécheresse, en infraction au
droit international´´, que ´´les puits'
forés spontanément par les Palestiniens
en Cisjordanie sont systématiquement
détruits par l'armée israélienne´´ et
qu'´´à Ghaza, les réserves d'eau ont été
prises pour cible en 2008-2009 par les
bombardements´´.´´Nous sommes étonnés et
indignés par ce rapport de M.Glavany qui
a introduit une terminologie extrême
dans le document, au dernier moment,
sans en informer ses collègues´´,
s'insurge le porte-parole du ministère
israélien des Affaires étrangères Ygal
Palmor, qui dénonce dans Haaretz un
rapport ´´rempli d'un verbe emprunt de
propagande vicieuse, bien éloignée de
l'esprit critique professionnel´´. (2)
Les guerres
de l'eau depuis la fondation du sionisme
Dès le départ, le
sionisme a fait de l'accaparement de
l'eau l'objectif principal des guerres
avec les Arabes et on s'aperçoit que
toutes les guerres se sont soldées par
un fait accompli qui aboutit à la
situation actuelle. L'étude suivante
pose les termes de la problématique. «Le
Proche-Orient, lit-on, est une zone
géographique qui connaît ce que les
experts appellent, une situation dite de
«stress hydrique», c'est-à-dire un
déséquilibre structurel entre son
capital en eau limité et sa
consommation, en très forte croissance
compte tenu de son rythme démographique
et de son développement économique. La
question de l'eau a pris un caractère
géopolitique évident dans les relations
entre Israël et les Palestiniens de
Cisjordanie et de Ghaza, où les tensions
prennent leur origine dans une disparité
flagrante de consommation entre ces deux
communautés qui partagent les mêmes
sources d'approvisionnement en eau.
(...) On peut se demander alors quelle
place occupe l'eau, dans la culture et
dans la religion de l'Etat d'Israël.
Comment l'Etat hébreu pourrait-il
accepter de partager de manière plus
équitable cette ressource si rare et
risquer de se mettre en péril? (...)
Dans ce contexte alarmant, Israël
exploite la majeure partie des
ressources en eau laissant les
Palestiniens se contenter de la portion
congrue.» (3)
L'étude décrit ensuite les étapes clés
de ce hold-up. Il faut remonter lit-on,
au début du XXe siècle pour saisir la
complexité et la sensibilité du problème
des frontières et celui de l'eau, au
moment où commence la colonisation
juive, lancée par Théodore Herzl, le
théoricien du sionisme. (...) En1917,
par la Déclaration Balfour, la
Grande-Bretagne promet la «création d'un
foyer national juif en Palestine».
(...)Ce retour à la terre s'est
immédiatement heurté à un obstacle
majeur: le manque d'eau. La Palestine
est une terre aride où la seule réserve
d'eau douce importante est le lac de
Tibériade qui fait frontière avec la
Syrie et la Transjordanie. En 1919, le
président de l'Organisation mondiale
sioniste, adresse une lettre au Premier
ministre Lloyd George, lui demandant
d'étendre la frontière nord de la
Palestine de manière à englober toutes
les sources d'eau tenant ainsi compte
au-delà des considérations historiques
ou religieuses, des considérations
hydrauliques». (3)
«C'est dans ce contexte, poursuit
l'étude, qu'un hydrologue américain,
Elwood Mead, sera invité par les
sionistes à venir en Palestine, c'est
chose faite en 1923 et en 1927. (...) Il
donnera ensuite, des indications pour
irriguer le Néguev, aride, en prélevant
l'eau du Jourdain. Ses travaux inspirent
le Plan Hayes du nom d'un ingénieur
américain qui préconise «l'irrigation
des terres de la vallée du Jourdain, la
dérivation des eaux du Jourdain et du
Yarmouk pour la création d'énergie
hydraulique, le détournement des eaux du
nord de la Palestine vers le désert du
Néguev au sud et l'utilisation de l'eau
du Litani au sud du Liban». Ceci
confirme l'importance que revêt l'eau
dans la construction et la viabilité de
l'Etat d'Israël sur le plan humain,
économique et sécuritaire. En 1953,
Israël va mettre en pratique notamment
les directives du plan Hayes et
commencer à détourner les eaux du
Jourdain. Il entreprend la construction
du «National Water Carrier», colonne
vertébrale à partir du nord du lac de
Tibériade qui lui permet de détourner
vers elle la majeure partie de
l'eau».(3)
Que font les Arabes? Comme d'habitude
ils se plaignent! «La Syrie et la
Jordanie, lit-on dans le rapport, se
plaignent et les Nations unies
critiquent ces actions israéliennes. Le
président Eisenhower décide d'envoyer en
«médiateur» ou plutôt en conciliateur,
Eric Johnston pour proposer un plan de
répartition des ressources hydrauliques.
Après plusieurs négociations, en 1955 il
fait une proposition favorable aux
Israéliens. Israël va donc poursuivre
ses projets. En 1964. Israël a fini de
réaliser à partir du lac de Tibériade,
l'interconnexion des eaux sur l'ensemble
du territoire jusqu'au désert du Néguev,
mis en valeur par l'irrigation,
réussissant ainsi à réaliser l'idéal
sioniste qui consiste à «faire fleurir
le désert». Les Arabes ripostent à
plusieurs reprises, mais sans succès. En
1967. La «Guerre des Six-Jours» est
d'une certaine manière une guerre pour
l'eau puisque les territoires désormais
dits «occupés» par Israël lui permettent
de contrôler la totalité des ressources,
c'est-à-dire: le Golan, véritable
château d'eau; plus une partie du cours
du Yarmouk; ainsi que les trois grandes
nappes aquifères de Cisjordanie, ce qui
lui permet donc le contrôle de tout le
cours du Jourdain. Cette guerre lui
permet d'achever la mise en oeuvre de
ses plans hydrauliques et son emprise
sur toute la Cisjordanie, Ghaza et les
hauteurs du Golan».(3)
«Cette Guerre des Six-Jours sera suivie
d'une politique de colonisation,
c'est-à-dire d'implantations de juifs
dans ces territoires conquis par la
force. En 1978 elle occupe le Sud-Liban
pour achever en quelque sorte cet
approvisionnement - avec notamment
l'usage et le détournement d'une partie
du fleuve Litani par un système de
pompage - Sud-Liban qu'elle ne libérera
qu'en 2000, suite à une résistance
acharnée du Hezbollah installé dans
cette région. Israël contrôle tout le
système de l'eau des territoires occupés
de Palestine. Il organise un partage
inégal et délibéré des ressources en
eau: Israël détourne 75% des ressources
en eau des territoires occupés, ne
laissant que 25% aux Palestiniens. La
consommation moyenne en eau par habitant
d'un Israélien est 5 fois plus
importante que celle d'un Palestinien.
Outre le rationnement en eau, les
Palestiniens sont victimes de
destruction de puits, de canalisations
d'eau et d'assainissement, par l'armée
israélienne».(3)
Pour couronner le tout, l'étude nous
apprend que «la 26e mission de
protection du peuple palestinien, en
juillet 2002 a relevé: La destruction
des puits dans la bande de Ghaza et dans
la région de Rafah, du système
d'assainissement et des canalisations en
eau, la destruction des citernes sur les
toits, mitraillés par l'armée (à
Ramallah, Jénine et Rafah), les vertes
collines des colonies juives dans la
vallée du Jourdain et leur arrosage
incessant parfois inutile, à côté des
espaces caillouteux et secs occupés par
les Palestiniens. Aujourd'hui, les 2/3
des besoins d'Israël sont assurés par
les ressources provenant de l'extérieur
des frontières de 1948: 75% de l'eau des
Territoires occupés est consommé par
Israël et ses colonies. Le rapport de
population entre Israël et les
Territoires est de 2 à 1 et celui de la
consommation d'eau de 11 à 1!» Tout est
dit.(3)
L'apartheid
structurel mis en place
On peut
s'interroger si les termes du rapport du
député français ne sont pas trop forts.
Dans les faits il n'en est rien. Un
apartheid - développement séparé- C'est
ainsi, écrit Leila Farkash que l'évêque
sud-africain Desmond Tutu, prix Nobel de
la paix, décrivait-il sa visite en Terre
sainte. On a souvent établi un parallèle
entre l'apartheid sud-africain et la
situation israélo-palestinienne, mais
sans toujours clairement l'expliciter.
Les deux conflits sont historiquement
issus du colonialisme. Les colons blancs
de l'Afrique du Sud, tout comme les
pionniers du sionisme, se sont installés
dans un pays où vivait déjà un autre
peuple. Comme en Afrique du Sud, les
colonisateurs de la Palestine vont
expulser la population indigène arabe de
sa terre, soit les deux tiers des
Palestiniens vivant sur le territoire
qui deviendra Israël en 1948, s'emparer
de leurs terres et de leurs biens et
faire longtemps subir à ceux qui restent
dans ce qui est désormais défini comme
un «Etat juif» une législation
ségrégationniste. (...) En Palestine, le
projet sioniste cherche à nier
l'existence d'une population indigène
non juive vivant sur ce territoire.
Evoquant «un peuple sans terre pour une
terre sans peuple».(4)
Pour nous rendre compte des multiples
facettes au quotidien de - ce
développement séparé- dans les 500
barrages érigés par Israël pour
contrôler les Palestiniens et les
maintenir dans un stress permanent,
l'ambiance qui règne dans ces postes de
contrôle a été vécue et décrite,
admirablement, par le philosophe Régis
Debray.
Il écrit: «Nous étions en voiture sur un
chemin de terre, en plein midi, à la
queue leu leu, escortés d'ânes, de
carrioles et de gamins, lorsque des
soldats ont arrêté la circulation. Nous
sommes restés là à rôtir au soleil,
assoiffés, poussiéreux, une petite
demi-heure. Mes voisins résignés, sans
souci apparent, et moi, intrigué, me
demandant pourquoi cette halte. Un
accident, sans doute. Jusqu'à voir
majestueusement, à cent mètres de
distance, sur une belle route asphaltée
dite de contournement, un 4x4 véhiculant
une radieuse famille de colons, toutes
vitres ouvertes, enfants riant aux
éclats, maman bronzée, épanouie, papa au
volant, cheveux dans le vent. Le chemin
des gueux jouxtait la route des
seigneurs. Tout devait s'arrêter jusqu'à
leur passage, sécurité oblige. Après
cette vision quasi surréelle d'un
bonheur familial et triomphant, d'un
geste de la main, les troufions du
check-point nous firent signe d'avancer,
mais désirant sans doute s'amuser, ils
pointaient du doigt l'une ou l'autre des
voitures en convoi pour faire sortir les
passagers du véhicule et les faire
poireauter en pleine chaleur, for the
fun of it. C'est sans doute grisant, ce
pouvoir de se faire obéir au doigt et à
l'oeil. Quand je suis passé à mon tour
devant eux, le chauffeur palestinien m'a
mis en garde dans un mauvais anglais:
«Ne les regarde pas en face. Baisse la
tête. Ce sont nos maîtres.»»(5)
Le professeur Haïdar Eid va plus loin,
il pense que l'apartheid s'applique à la
situation à Ghaza. Il en dégage des
comparaisons révélatrices avec le combat
contre l'apartheid en Afrique du Sud et
soutient que le mouvement national
palestinien en a ignoré les
enseignements, à ses propres dépens.
Actuellement, tant en Israël que dans
les Territoires palestiniens occupés
(TPO), il existe deux systèmes de
routes, deux systèmes de logements, deux
systèmes d'enseignement, et des systèmes
judiciaires et administratifs différents
selon que l'on est juif ou non juif.
(..) A ces lois, correspondent des lois
israéliennes, «la loi du Retour», les
lois «temporaires» de 2003 sur
l'Interdiction des mariages mixtes, les
lois sur l'Enregistrement de la
population, sur la Citoyenneté et
l'Entrée en Israël, sur la Nationalité
israélienne, et les lois sur la Terre et
la Propriété. Comme en Afrique du Sud.
Le type d'apartheid d'Israël se mêle à
un colonialisme de peuplement»..(6)
Il semble que la vérité commence à
émerger pour rendre justice au peuple
palestinien harassé par un siècle
d'injustice et qui aspire à vivre en
paix, dans la dignité sur moins de 20%
de la Palestine originelle. A quand un
«Printemps palestinien»?
1. F. Genoux
Israël-Palestine: Rapport explosif sur
la question de l'eau Le Monde.fr
20.01.12
2. Des députés français dénoncent «un
nouvel apartheid» dans la gestion de
l'eau en Israël Le Monde 17.01.2012
3. La symbolique de
l'eau:http://www.irenees.net/fr/fiches/analyse/fiche-analyse-531.html
4.
http://www.monde-diplomatique.fr/2003/
11/Farsakh/10683
5. Régis Debray: A un ami israélien,
avec une réponse d'Elie Barnavi,
Flammarion 2010
6. Haïdar Eid: Les multiples visages de
l'apartheid israélien à Ghaza. Traduit
de l'anglais par JPP:
http://www.info-palestine.net/
article.php3?id_article=9239
Professeur
Chems Eddine Chitour
Ecole Polytechnique enp-edu.dz
Publié le 24 janvier
2012 avec l'aimable autorisation de
l'auteur
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