|
L'EXPRESSIONDZ.COM
LA BURKA EN OCCIDENT
Le choc inexorable des
civilisations
Pr Chems Eddine Chitour
Photo L'Expression
Lundi 22 juin 2009
«Le temps fait oublier les douleurs, éteint les vengeances,
apaise la colère et étouffe la haine; alors le passé est comme
s’il n’eût jamais existé.»
Ibn Sînâ Depuis quelques semaines, un nouveau
débat s’impose dans les médias: l’interdiction pour cause de
contagion de la burka en France. En réalité, une enquête du
journal Rue 89 montre qu’il n’en est rien A Paris, Rue 89 n’a
pas trouvé de boutiques vendant le voile dissimulant corps et
visage qu’un groupe de députés veut interdire. Rue 89 s’est posé
la simple question de savoir où l’on peut se procurer le
controversé vêtement. (...). Nous voilà donc partis à la
recherche de cette longue tunique couvrant intégralement le
corps, et dissimulant le visage derrière un fin grillage. «Des
burkas? Je n’en ai jamais vu, jamais. Personne n’en vend ici.»
«Non, si aucun magasin ne l’a ici, je ne pense pas que vous
le trouverez ailleurs. La burka, ce n’est pas une obligation
islamique, et ce n’est pas non plus une tradition arabe.»(1)
Qu’est-ce que au juste la burka et qu’en est-il de son «implantation»
en Occident? Le port du voile pour les femmes existe depuis
l’Antiquité, par exemple chez les juifs dans la Bible et chez
les Arabes bien avant l’avènement de l’Islam. La burka est à
l’origine le vêtement traditionnel des tribus pachtounes en
Afghanistan. Ce long voile, bleu ou marron, couvre complètement
la tête et le corps, un grillage dissimulant les yeux. Cette
tenue est devenue aux yeux du monde le symbole du régime des
taliban en Afghanistan.
La tradition juive a longtemps considéré qu’une femme devait se
couvrir les cheveux en signe de modestie devant les hommes. Mais
c’est le christianisme qui en fera une obligation théologique et
un préalable dans la relation entre l’homme et la femme. C’est
saint Paul qui, le premier, a imposé le voile aux femmes...Tout
homme qui prie ou qui prophétise, la tête couverte, déshonore
son chef. Toute femme, au contraire, qui prie ou qui prophétise,
la tête non voilée, déshonore son chef: c’est comme si elle
était rasée. Car si une femme n’est pas voilée, qu’elle se coupe
aussi les cheveux! Or, s’il est honteux pour une femme d’avoir
les cheveux coupés ou d’être rasée, qu’elle se voile 1re Epitre
de Paul aux Corinthiens - chapitre 11
Une diversion?
L’Islam, qui va naître dix siècles plus tard et qui reconnaît le
judaïsme et le christianisme, fait référence au voile. Au verset
59 du Coran, il est dit: «O prophète, dis à tes épouses, à
tes filles et aux femmes des croyants de ramener sur elles de
grandes étoffes, elles en seront plus reconnues et éviteront
d’être offensées.» L’auteur signale que nulle part il n’est
fait mention de hidjab recouvrant le visage ou les cheveux, et
cet ordre n’a concerné que les riches citadines et qu’il demeura
inconnu dans les campagnes en raison des travaux difficiles
confiés aux femmes. Il est remarqué que c’est la Révolution
iranienne de 1979 qui a entraîné la généralisation du voile,
supplanté le haïek traditionnel au Maghreb.(2)
Cinq ans après la promulgation de la loi sur l’interdiction des
signes religieux dans les écoles, un groupe de députés souhaite
créer une commission d’enquête sur le port de la burqa en
France. On sait que le port du voile subit les assauts réguliers
des puritains de la laïcité à l’ombre des lois de la République
C’est donc au tour de la burka et du niqab d’être sur la
sellette, réussissant le tour de force de fédérer 58 députés de
tous bords dans un texte préconisant la création d’une
commission de 30 membres, afin de «définir des propositions
pour lutter contre ces méthodes qui constituent une atteinte aux
libertés individuelles sur le territoire national».
Il y a tout juste un an, le Conseil d’Etat s’était opposé à
l’octroi de la nationalité française à une mère de famille
marocaine portant la burqa. Le juge administratif avait
considéré que cette femme avait adopté «au nom d’une pratique
radicale de sa religion un comportement en société incompatible
avec les valeurs essentielles de la communauté française et
notamment avec le principe d’égalité des sexes»..«Si le
foulard islamique constituait un signe distinctif d’appartenance
à une religion, nous sommes là au stade extrême de cette
pratique. Vêtue de la burqa ou du niqab, elle est en situation
de réclusion, d’exclusion et d’humiliation insupportable. Son
existence même est niée».
Le nombre de femmes concernées par cette pratique, liée au
salafisme, un courant rigoriste de l’Islam, est inconnu en
France.
L’initiative parlementaire intervient après que Nicolas Sarkozy
eut salué la position de Barack Obama, qui, lors de son discours
au monde musulman, le 4 juin, s’est déclaré partisan de la
liberté pour les musulmanes vivant dans les pays occidentaux de
porter le voile. Ce contexte rend d’autant plus nécessaires les
actions pour «revivifier la laïcité», estime M.Gerin, qui
défend un «islam des Lumières». «Quand la laïcité est
menacée, la société française l’est dans son unité, dans sa
capacité à offrir un destin commun», écrivent de consert les
députés de droite et de gauche.(3)
Le porte-parole du gouvernement, Luc Chatel, juge envisageable
une loi interdisant le port du voile musulman intégral en
France, burka ou niqab, s’il s’avérait qu’il est «subi».
Le ministre de l’Immigration, Eric Besson, s’est en revanche
prononcé contre toute législation en la matière, qui créerait
selon lui des tensions inutiles. «Il faut lutter contre le
développement de la burka, cela ne fait pas l’ombre d’un doute,
mais il faut le faire par l’éducation, par la pédagogie, par le
dialogue.
La loi serait inefficace et ça créerait des tensions qui n’ont
pas lieu d’être en ce moment», a-t-il ajouté. Un autre
membre du gouvernement, la secrétaire d’Etat à la Politique de
la ville, Fadéla Amara, s’est prononcée à plusieurs reprises
pour l’interdiction des différentes formes de voile musulman
couvrant le corps et le visage.
La burka bannie en Europe?
Aux Pays-Bas, une loi au printemps 2007 a interdit le port du
voile intégral dans les écoles et les transports publics. En
Suède et en Italie, la burka est interdite dans les lieux
publics, en théorie. Plusieurs communes de Belgique, Anvers par
exemple, l’ont bannie. Au Luxembourg, voilà ce que disent les
règlements de police: Hors le temps de carnaval, il est interdit
à toute personne de paraître masquée dans les rues...Dans les
autres lieux publics, la burka est autorisée. Mais il est
prohibé de se rendre à un entretien d’embauche ou à un examen
vêtu de cette manière. Contrairement à la France, c’est moins
l’atteinte à la laïcité qui est avancée que des raisons de
sécurité. Deux semaines après les attentats de Londres en 2005,
un terroriste avait tenté de fuir caché sous une burqa.(4)
Le port de la burqa dans les lieux publics est interdit, du
moins théoriquement en Belgique. Quiconque enfreint ce règlement
à Bruxelles-Ouest «sera puni d’une amende administrative de
150 euros». Dans les autres zones de police, les règlements
généraux maintiennent en vigueur des articles stipulant par
exemple que «hors le temps du carnaval, nul ne peut se
montrer masqué ou travesti dans les rues» ou «sans
autorisation de l’autorité compétente». Ce qui laisse
théoriquement la possibilité de verbaliser pour le port du niqab
ou de la burka.
La législation antiterroriste italienne, qui date des années
1970, interdit le port de vêtements couvrant le visage. On
recense une tentative de port de la burka à l’école aux
Pays-Bas. La tenue a été refusée en avançant comme explication
que l’éducation scolaire nécessite une communication parfois non
verbale (par les expressions du visage) impossible à travers une
burqa. Le gouvernement néerlandais a annoncé le 17 novembre 2006
l’adoption prochaine d’une loi prohibant dans les lieux publics
la burka et des autres formes de voile islamique cachant le
visage «compte tenu des problèmes touchant à l’ordre public,
à la sécurité et à la protection des personnes».
Malgré son autorisation actuelle, le débat est très animé sur ce
sujet en Grande-Bretagne, De nombreuses écoles ont choisi
d’interdire le voile intégral à leurs élèves, comme ils en ont
le droit depuis mars 2007. Cependant, le port du hijab n’est pas
soumis à restriction. A l’autre bout du curseur de l’unanimisme
anti-burka, on trouve la Norvège. Pour le ministère norvégien
des Affaires étrangères, la burka fait partie de l’identité de
la Norvège. Ce ministère a mis en ligne (en 2007) un clip
promotionnel pour donner aux spectateurs un aperçu de la
Norvège, un échantillon de ce que le pays a à offrir. On y voit
une photo d’une femme en burka!!
Le recteur de la Grande Mosquée de Paris, Dalil Boubakeur,
s’étonne de voir ressurgir le débat alors que «le problème
vestimentaire semblait réglé». «Cette résurgence montre
qu’il y a une intolérance à l’égard des femmes vêtues comme ça
mais celles-ci s’habillent de cette façon pour exprimer un libre
choix oppositionnel face à la réprobation, pour exprimer leur
hyper-identité musulmane», a-t-il estimé. Il insiste
néanmoins sur le fait que «la communauté musulmane doit vivre
avec son temps et s’adapter à l’espace public où elle vit».
«Les musulmanes de France n’ont pas à porter la burka.» «L’islam
de France doit être un islam ouvert, libéral, convivial, qui
permette aux gens de vivre les uns avec les autres», a-t-il
déclaré, également sur France Info. «En France, il n’y a pas
de nécessité de s’affubler d’une couverture des pieds à la tête
ou de se cacher derrière une burka grillagée», a encore dit
Dalil Boubakeur, déplorant un comportement «lié à un excès,
une radicalisation». «La burka et le niqab ne sont pas
des vêtements dont l’Islam fait obligation à ses croyantes de
porter...d’autant plus que, les musulmans de France étant
majoritairement issus du Maghreb ou de l’Afrique, ce type
d’accoutrement serait là-bas du plus exotique!»
Si l’autorité musulmane organique en France est d’accord, il
n’est pas étonnant que les recours éventuels sont déboutés.
Ainsi, l’avis de la Haute autorité de lutte contre les
discriminations (La Halde) par son arrêt de septembre 2008
contre l’interdiction à une Marocaine de suivre une formation en
burka, ouvre la voie à l’interdiction pure et simple de la burka
dans les lieux publics. Pour rappel et malgré les controverses,
la Cour européenne des droits de l’homme, elle, a jugé (dans un
arrêt rendu le 4 décembre 2008) que la loi française sur les
signes religieux dans les écoles publiques n’est pas contraire à
la liberté religieuse et au droit à l’instruction.
Qu’en est-il aux Etats-Unis?
Le 5 février dernier, par un décret exécutif, Obama a institué
le «Bureau des partenariats religieux» à la
Maison-Blanche où siègera une femme en hidjab. Dalia Mogahed,
analyste et directrice générale du Centre Gallup des Études
musulmanes, a été nommé à ce poste de conseillère d’Obama. Le
journal algérien El-Watan écrit: «De fait, elle est la
première musulmane américaine d’origine arabe à entrer tous les
matins à la Maison-Blanche avec son voile islamique...» «C’est
aussi une belle leçon de tolérance et de la reconnaissance du
mérite que vient de donner Obama à la France, notamment où le
port du voile a été interdit, y compris dans les écoles.»
Dans son discours prononcé à l’université du Caire, M.Obama a
pris la défense du voile islamique à trois reprises, critiquant
le fait qu’un pays occidental ´´dicte les vêtements´´ qu’une
musulmane ´´doit porter´´. Il a déclaré: ´´Il est important pour
les pays occidentaux d’éviter de gêner les citoyens musulmans de
pratiquer leur religion comme ils le souhaitent, et par exemple
en dictant les vêtements qu’une femme doit porter´´, ajoutant:
´´on ne doit pas dissimuler l’hostilité envers une religion
devant le faux semblant du libéralisme´´. Il a encore souligné
que ´´le gouvernement américain s’est porté en justice pour
protéger le droit des ´´femmes et des filles à porter le voile´´
et ´´punir ceux qui voudrait leur dénier´´. Que faut-il retenir?
Que nous voile, en réalité, la burka? Est-ce un morceau de tissu
qui peut provoquer un clash des civilisations? Il est sûr que
l’Occident veut un islam invisible sans aspérité et attend des
intellectuels «islamisants» qu’ils écrivent et militent
pour ce qu’ils veuillent bien entendre; les pays européens dont
certains se disent laïcs quand il s’agit de s’opposer à l’Islam,
qui sont chrétiens entre eux, sont à la limite libres de faire
ce que bon leur semble; il est important cependant qu’ils ne
s’autoproclament pas les chantres des droits de l’Homme. Quels
droits de l’Homme sont défendus quand on interdit à une enfant
d’aller à l’Ecole en foulard? Quand on interdit à une femme en «burka»
que l’on veut civiliser selon le voeu d’Eric Besson, de suivre
une formation? Certes, dans le paysage social une burka dérange
culturellement et on peut comprendre l’émotion réelle ou feinte
des biens pensants des «intégristes d’une laïcité à géométrie
variable».
Les Musulmans d’Europe n’ont pas vocation à faire souche en
Occident, ils ont le choix de se fondre dans le décor en
abjurant leur essence originelle aussi bien culturelle que
cultuelle: soit se contenter d’un islam d’Europe que d’aucuns
appellent Islam des Lumières (Malek Chebel) ou Islam Gallican
(Jacques Berque). Le statut des musulmans en Europe qui, encore
une fois, ne sont absorbés par le corps social européen qu’à
petites doses est analogue à celui des Dhimmis durant la
civilisation islamique avec la tolérance en moins pour les «gens
du Livre». Nul doute qu’inexorablement une réaction de rejet
est en train de prendre forme et peut, à Dieu ne plaise,
déboucher sur de «nouvelles nuits de cristal» pour les
musulmans en ce début du XXIe siècle qui pourront subir les
mêmes persécutions que les juifs du XXe siècle
1.Dominique Albertini «Une burqa? Non,
je ne sais pas où trouver ça» Rue 89 18/06/2009|
2.Mohamed Kacimi. La Confession d’Abraham, Éditions L’Arbalète
2001.
3.Stéphanie Le Bars. Des députés ouvrent le débat sur le port de
la burqa. Le Monde 18.06.09
4.http://www.boursorama.com/forum/message.phtml?file=387599582Burqa
Pr Chems Eddine CHITOUR,
Ecole nationale polytechnique
Droits de reproduction et de diffusion
réservés © L'Expression
Publié le 22 juin 2009 avec l'aimable autorisation de l'Expression
|