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L'EXPRESSIONDZ.COM
PEUPLE JUIF ET RELIGION JUIVE
Et si les taliban étaient aussi
des Juifs ?
Chems Eddine Chitour
Jeudi 21 octobre 2010
«L’ennui dans ce monde, c’est que les idiots
sont sûrs d’eux et les gens sensés pleins de doutes.» (Bertrand
Russell)
De quoi «les Juifs» sont-ils le nom?
S’agit-il d’un peuple, d’une nation, d’une communauté, d’une
secte, d’une nationalité, d’une religion, d’une race, d’une
culture, d’une ethnie, d’un amalgame de tout cela sous forme de
caste, ou encore d’autre chose? «Si peuple juif il y a, il
n’existe pas d’autre peuple du même type que lui», notait
Raymond Aron dans ses Mémoires.(1) «Une école, un peuple, une
religion ou encore autre chose», s’interrogeait Jean-Michel
Salanskis (2)
Pour l’histoire, la Stèle de Mérenptah (découverte en 1896) est
le seul indice de l’indication des Israélites en Egypte. Cette
stèle de granit gris, qui mesure 3,18 mètres de haut sur 1,61
mètre de large et 31 centimètres d’épaisseur, fut érigée par
Aménophis III. Mérenptah, treizième fils et successeur de Ramsès
II, en utilisa le verso pour faire inscrire, à la date du
troisième jour du troisième mois de chémou (l’été) de l’an 5 de
Mérenptah, un hymne à sa personne et commémorer sa campagne
militaire victorieuse de l’an 5 (vers -1210) en Libye et au pays
de Canaan. La stèle est particulièrement connue pour contenir,
dans la strophe finale, la première mention supposée d’Israël
(ou plutôt, des Israélites) hors contexte biblique, c’est
également la seule mention d’Israël connue dans les textes
égyptiens. La mention d’Israël se trouve à la 27e ligne
(l’avant-dernière), dans une liste des peuples de Canaan vaincus
par Mérenptah. Il ne s’agit donc pas de la mention d’un Etat ni
d’une ville, mais plutôt d’un peuple cananéen qu’on identifie
généralement aux proto-Israélites. On le voit, le récit biblique
de la traversée de la mer Rouge ne tient pas la route.
Remise en cause
L’autre secousse dans le consensus pour le peuple élu est venue
de la part de scientifiques qui ont fait la part du réel et
celle du récit imaginaire du récit, du mythe fondateur. En
effet, l’archéologie utilisant les plus récentes méthodes de
datation au carbone 14, associées à la spectrométrie, ont permis
la publication d’un ouvrage de référence: «La Bible dévoilée,
qui est un ouvrage de synthèse de l’archéologue Israël Finkelstein et de l’historien et archéologue Neil Asher
Silberman. Il en a résulté une remise en question de
l’historicité d’une grande part des récits bibliques, notamment
sur l’origine des anciens Israélites, l’exode et la conquête de
Canaan, ainsi que sur les royaumes unifiés de David et Salomon.
(...) Les auteurs reprochent aux premiers archéologues, à partir
de 1900, tels William F. Albright, de n’avoir recherché en
chaque découverte qu’une illustration du texte biblique, et
d’avoir pris les récits historiques de la Bible à la lettre: on
a appelé cette façon de faire l’archéologie biblique.(1)
Pour Tom Segev, historien et politologue et une des plumes les
plus libres d’Israël, qui rapporte une étude du professeur Sand:
«La Déclaration d’indépendance d’Israël dit que le peuple juif
est né sur la terre d’Israël et a été exilé de son pays natal.
Chaque écolier israélien apprend que cela s’est passé pendant la
période de domination romaine, en 70 après J-C...La nation est
restée fidèle à sa terre, à laquelle elle a commencé à revenir
après deux millénaires d’exil. Faux, dit l’historien Shlomo
Sand, dans l’un des livres les plus fascinants et stimulants
publiés ici depuis longtemps. Il n’y a jamais eu de peuple juif,
seulement une religion juive, et l’exil non plus n’a jamais eu
lieu - il n’y a donc pas eu de retour. Sand rejettera la plupart
des histoires de la formation de l’identité nationale dans la
Bible, y compris l’exode d’Égypte et, de façon plus
satisfaisante, les horreurs de la conquête sous Josué. Tout cela
est de la fiction et un mythe qui a servi d’excuse à la création
de l’État d’Israël, affirme-t-il.»(5)
«Selon Sand, les Romains n’ont généralement pas exilé des
nations entières, et la plupart des Juifs ont été autorisés à
rester dans le pays. Le nombre de ces exilés a été tout au plus
de quelques dizaines de milliers. Lorsque le pays a été conquis
par les Arabes, beaucoup de Juifs se sont convertis à l’Islam et
ont été assimilés parmi les conquérants. Il s’ensuit que les
ancêtres des Arabes palestiniens étaient des Juifs. Sand n’a pas
inventé cette thèse, 30 ans avant la Déclaration d’indépendance,
celle-ci a été endossée par David Ben Gourion, Yitzhak Ben-Zvi
et d’autres». Selon Sand, le besoin des Sionistes de s’inventer
une ethnicité partagé et une continuité historique a produit une
longue série d’inventions et de fictions, ainsi que le recours à
des thèses racistes. Certaines ont été concoctées dans l’esprit
de ceux qui ont conçu le mouvement sioniste, tandis que d’autres
ont été présentées comme les conclusions d’études génétiques
menées en Israël.(5)
Dans une interview donnée au quotidien, L’Économiste, Schlomo
Sand déclare aussi: «Il était plus logique de créer un Etat juif
en Europe. Les Palestiniens n’étaient pas coupables de ce que
les Européens ont fait. Si quelqu’un avait dû payer le prix de
la tragédie, ça aurait dû être les Européens, et évidemment les
Allemands.» L’écrivain dénonce l’idéologie sur laquelle se fonde
l’Etat d’Israël. La notion de peuple juif a été inventée, selon
lui. Dans son ouvrage, Sand remet en cause la légitimité
historique de la «nation juive israélienne», mais invite les
peuples arabes à reconnaître l’Etat d’Israël, comme condition
sine qua non pour avancer...«Tout le monde croit que le peuple
juif a été inventé il y a 20.000 ans. En réalité, des
communautés religieuses juives existent depuis des milliers
d’années. Mais le peuple juif a été inventé depuis 150 ans à
peine. Et je pense que l’expression «peuple juif» n’est pas
juste.
Le mot peuple contient une connotation de propriété sur une
terre. Or, je ne crois pas qu’il y a 500 ans, les Juifs de
Londres et ceux de Marrakech avaient des pratiques, des normes
culturelles communes. Ils avaient en commun une foi et des
rituels religieux. Mais si les seules affinités entre des
groupes humains sont de nature religieuse, j’appelle cela une
communauté ou une secte religieuse et non un peuple».(6) A la
question: «D’où viennent les Juifs?» Schlomo Sand répond: «Tout
le monde pense que l’exil du peuple juif est l’élément fondateur
de l’histoire du judaïsme, de la diaspora. Au cours de mes
recherches, j’ai découvert que c’est dans le patrimoine
spirituel chrétien que le mythe du déracinement et de
l’expulsion a été entretenu, avant d’infiltrer plus tard la
tradition juive. En réalité, les Juifs ne sont pas tous issus du
grand exil de l’an 70, mais proviennent au contraire d’origines
plus diverses. Vous savez, la majorité des Israéliens croient
que, génétiquement, ils sont de la même origine. C’est une
victoire de Hitler, qui a insufflé la croyance que tous les
Juifs sont de la même race. Mais c’est faux. Ils n’ont pas tous
la même origine, ni la même souche. Ce sont des Berbères, des
Arabes, des Gaulois, etc. Je pense que ceux qui ont voulu
façonner une nation juive israélienne ont commencé par réfléchir
sur le passé, en l’instrumentalisant pour faire émerger une
dimension de continuité. Dans le cas du sionisme, il fallait
s’investir lourdement pour acquérir une terre qui appartenait à
un autre peuple. Il fallait une histoire forte, une légitimité
historique. En tant que citoyen israélien, je trouve absurde que
quelqu’un qui était sur une terre il y a deux mille ans puisse
prétendre avoir des droits historiques sur cette même terre. Ou
alors il faudrait faire sortir tous les Blancs des Etats-Unis,
faire rentrer les Arabes en Espagne... D’un point de vue
politique cependant, ce livre n’est pas très radical. Je
n’essaie pas de détruire l’Etat d’Israël. J’affirme que la
légitimité idéologique et historique sur laquelle se fonde
aujourd’hui l’existence d’Israël est fausse. J’essaie d’être un
historien, mais je suis aussi un citoyen qui pense
politiquement. D’un point de vue historique, je dis: non, il n’y
a pas de droit historique des Juifs sur la terre de Palestine,
qu’ils soient de Jérusalem ou d’ailleurs. Mais je dis aussi,
d’un point de vue plus politique: vous ne pouvez réparer une
tragédie en créant une autre tragédie. Nier l’existence
d’Israël, cela veut dire préparer une nouvelle tragédie pour les
Juifs israéliens. Il y a des processus historiques que l’on ne
peut pas changer. Je m’oppose à toute l’occupation des
territoires palestiniens. Je suis d’accord pour bâtir un Etat
palestinien vraiment indépendant à côté d’Israël. Mais
parallèlement, je voudrais faire de l’Etat d’Israël une vraie
démocratie pour tous ses citoyens, sans distinction ni de
religion, ni d’origine, ni de sexe.(6)
Considérer l’Etat d’Israël comme un Etat juif serait
catastrophique. Ce serait comme réduire la France à un Etat
catholique. Mais il faut savoir que la reconnaissance de l’Etat
d’Israël est une condition sine qua non pour avancer dans la
région. A la question: «Que pensez-vous de la décision de l’ONU
de créer l’Etat d’Israël en 1947?». Il répond: «Il était plus
logique de créer un Etat juif en Europe. Les Palestiniens
n’étaient pas coupables de ce que les Européens ont fait. Si
quelqu’un avait dû payer le prix de la tragédie, ça aurait dû
être les Européens, et évidemment les Allemands. Mais pas les
Palestiniens. Par ailleurs, le partage n’était pas équitable.
Les Arabes étaient 1,3 million et les Juifs 630.000, or, la
terre a été divisée moitié-moitié. Aujourd’hui, les Palestiniens
ont moins de 22% du territoire. L’idée d’un Etat binational est,
à mon avis, idiote parce que retirer Israël des territoires
occupés peut se faire par force, mais pour créer un Etat
binational, il faut le consensus de deux sociétés. Ce n’est pas
possible aujourd’hui. Ni l’une ni l’autre ne serait d’accord. A
l’avenir, j’espère que les Arabes et les Israéliens pourront
vivre ensemble, en symbiose. Mais pour le moment, je voudrais
que l’Arabe israélien devienne un plein citoyen. Et j’espère
qu’il y aura un président à moitié juif et à moitié arabe en
Israël. Il faut qu’Israël accepte le principe d’Etat
palestinien, qu’il arrache toutes les colonies, qu’il donne des
bonnes terres aux Palestiniens dans les frontières de 1967.
Jérusalem doit devenir la capitale des deux peuples. Il faut
reconnaître le tort fait aux Palestiniens et indemniser les
réfugiés et leurs enfants. Cependant, je mets en doute le droit
de retour des réfugiés palestiniens, car la plupart des maisons
ont été détruites, et il est impossible économiquement qu’un
petit territoire puisse accueillir 6 millions de personnes en
même temps. Il faudrait quand même accepter une partie des
réfugiés, surtout ceux vivant au Liban.»(6)
A la recherche des origines
Depuis sa création, Israël n’a de cesse d’être à la recherche de
ses origines. Après, les Askenazes, les Séfarades d’Afrique du
Nord et les Falachas, voilà qu’Israël s’intéresse aux taliban!
«Les taliban, écrit Marie-France Calle, sont peut-être
juifs...Du moins d’origine juive. C’est - en raccourci - ce que
tente de vérifier le gouvernement d’Israël. Le ministère
israélien des Affaires étrangères a décidé de financer des
recherches visant à établir pour de bon si oui ou non, les
Pachtouns (ethnie dont sont issus les taliban) descendent bien
de l’une des dix tribus perdues d’Israël. Et c’est en Inde que
s’effectueront ces recherches. Pour une raison évidente: elles
sont impossibles à mener en Afghanistan et au Pakistan. On le
sait depuis longtemps, les Pachtouns - ou Pathans - qui peuplent
essentiellement le sud et le sud-est de l’Afghanistan et l’ouest
et le nord-ouest du Pakistan seraient des descendants de l’une
des tribus perdues d’Israël. Similitudes dans les rites, les
vêtements, les traditions familiales, culinaires... tout porte à
croire que les Pachtouns ont des ancêtres juifs. Une aubaine
pour les scientifiques qui tentent d’établir la véracité de
l’origine israélite des Pachtouns. Ils peuvent travailler
tranquillement au nord de l’Inde, à Lucknow, la capitale de l’Uttar
Pradesh».(7)
Le ministère israélien des Affaires étrangères a néanmoins
décidé de financer les recherches d’une généticienne indienne,
Shahnaz Ali, pour tirer l’affaire au clair, rapporte le Times of
India.. Elle est accueillie à l’Institut Technion de Haifa, où
elle devrait mener à bien ses travaux. Qu’espère Israël avec une
telle démarche? (7) Les «Pathans» sont des montagnards formant
une tribu afghane à cheval sur trois pays: l’Afghanistan du Sud
et de l’Est, le Pakistan du Nord et le Kashmir occidental
indien. Les Pathans ont gardé des coutumes ancestrales
particulières. Ils portent la barbe et laissent pousser des
papillottes. Ils circoncisent leurs fils à 8 jours (et non à 12
ans comme les autres tribus musulmanes). Les femmes observent
des règles particulières de pureté calquées sur celles de la
Torah, avec immersions dans la rivière. Leur système légal
coutumier, appelé «Pashtounwali», est inspiré de la Torah qui
est respectée et appelée «Tawrat al Sharif», al Sharif étant
Moïse. Les Anglais qui les ont administrés pendant des décennies
les appelaient «les Juifs»! La langue pashtoune serait truffée
de mots en hébreu, ne serait-ce que Kaboul (comme une pierre
brute) ou le lieu-dit «Tora Bora» (il créa la Torah). Il est à
prévoir si cette filiation venait à être prouvée, que les
taliban apostases de la religion musulmane, qui feraient leur «Alya»
vers Israël, continueraient leur étude dans des madrasas
judaïques....
Depuis quelque temps, les dirigeants israéliens multiplient les
pressions et déclarations visant à faire d’Israël la patrie du
peuple juif. Ce vocable d’Etat du peuple juif- lourd de
signification et de danger pour les Palestiniens- commence à
faire son chemin dans l’imaginaire occidental qui n’a pas de
réticence à l’admettre au nom de la dette éternelle à la fois
pécuniaire et morale. Les groupes sionistes dont l’idéologie est
raciste prennent comme bouclier le Judaïsme et, afin de
«protéger» l’Etat d’Israël et de masquer ses violations du Droit
international, traitent d’antisémites tous ceux qui ne sont pas
d’accord avec la politique de cet Etat dont les gouvernants
pratiquent manifestement l’apartheid envers la population
palestinienne. Shlomo Sand s’étonne pourtant qu’aujourd’hui, les
mythes fondateurs juifs continuent à être considérés comme
absolument véridiques tandis que les autres mythes fondateurs
ont été déconstruits les uns après les autres et sont désormais
classés au rang de constructions intellectuelles.
1.Raymond Aron: Mémoires (chapitre XIX).
2.Jean-Michel Salanskis: Extermination, loi, Israël. analyse du
fait juif, Paris: Les Belles Lettres, 2003.
3.La stèle de Mérenptah:http://www.eternalegypt.org
4.Israël Finkelstein, Neil Asher Silberman La Bible dévoilée
Wikipédia, l’encyclopédie libre.
5.Tom Segev: Le «peuple juif»: une invention, traduit par Fausto
Giudice Alterinfo.net le 10 mars. Haaretz Article original
publié le 1er Mars 2008
6.Nadia Belkhayat Interview de Schlomo Sand: Shlomo Sand: «Il
était plus logique de créer un Etat juif en Europe»
http://www.leconomiste.com/article.html?a=94532
7.Marie-France Calle: Et si les taliban étaient juifs? Le
Figaro13 janvier 2010
Pr Chems Eddine Chitour,
Ecole nationale polytechnique
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Publié le 21 octobre 2010 avec l'aimable autorisation de l'Expression
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