Comment je vois le Monde
17-20 octobre 1961
: Les "Nuits de cristal" oubliées
Chems
Eddine Chitour
Le Pr
Chems Eddine Chitour
Samedi 20 octobre
2012
«La République
reconnaît avec lucidité ces faits à
propos de la sanglante répression de la
manifestation d'Algériens à Paris le 17
octobre 1961. Cinquante et un ans après
cette tragédie, je rends hommage à la
mémoire des victimes»
Communiqué de la présidence française le
17 octobre 2012
C'est par ce communiqué
laconique-présenté comme un geste
majeur- que l'Elysée croit pouvoir
solder sa dette pour les massacres de
masse prémédités des nuits de cristal un
certain 17 octobre 1961. Le chef de
l'Etat se différencie ainsi de ses
prédécesseurs, particulièrement Nicolas
Sarkozy, qui ont toujours refusé de
faire acte de repentance. L'année
dernière, pour les commémorations des
cinquante ans de cette tragédie, la
pression politique s'était intensifiée
sur l'Elysée, mais Nicolas Sarkozy
n'avait présenté aucune excuse.
Cette déclaration a suscité des
réactions diverses, notamment de la
Droite - à l'instar du représentant de
l'UMP- qui persiste et signe dans le
déni d'un crime d'Etat. Il y eut
cependant d'autres réactions plus
équilibrées, où le parallèle avec un
autre drame- celui de la déportation de
juifs -fut fait. Nous lisons: «Est-ce à
la République d'assumer la
responsabilité d'actes commis par ses
représentants et responsables de
l'époque, en premier lieu le préfet de
Police Papon, qui se montrèrent indignes
d'elle. (...) Il s'agit d'un crime
d'État, certes, mais commis par des
personnes bien précises. On cherche donc
aujourd'hui bel et bien à escamoter des
responsabilités réelles et incarnées en
les noyant dans les brumes du temps qui
a passé. Le 16 juillet de cette année,
le Président F. Hollande commémorait
officiellement la rafle du Vel'd'Hiv en
prononçant un discours officiel dans
lequel il établissait scandaleusement
une continuité entre la moitié de la
France occupée à l'époque par les nazis
avec la France qu'il représente
aujourd'hui. Ce matin même, à l'issue du
Conseil des ministres, la porte-parole,
Mme N.V-B, répondait à un journaliste
que la question du massacre du 17
octobre 1961 n'avait pas été abordée. Il
a fallu attendre la fin de soirée pour
que, sous la pression de la rue un
communiqué de quatre lignes sorte de
l'Élysée.(1)
Que
s'est-il passé ces nuits funestes
d'octobre1961?
Nous allons donner la parole à
l'écrivain Jean-Luc Einaudi qui fut l'un
des premiers avec Pierre Vidal-Nacquet a
donner une visibilité à cette tragédie
sur laquelle régna une omerta d'une
trentaine d'années. Omerta qui,
paradoxalement, fut aussi observée par
le pouvoir algérien. «Le 5 octobre
écrit-il, le préfet de police, Maurice
Papon, décide d'imposer un couvre-feu
sélectif qui ne s'applique qu'à une
partie de la population française: les
Français musulmans d'Algérie. Cette
décision discriminatoire, qui s'appuie
sur l'apparence physique des personnes,
est la réponse aux attentats commis par
le FLN quelques jours avant et qui ont
causé la mort de onze policiers. Face à
cette institutionnalisation du racisme,
le FLN appelle à un grand rassemblement
pacifique le 17 octobre. (..) Le jour
même, des dispositifs de sécurité sont
mis en place. Et là, lorsque les deux
camps se rencontrent, et je dis bien
rencontrent et pas s'affrontent, c'est
le massacre». (2)
Se basant sur une documentation et sur
les faits malgré l'impossibilité d'accès
à certaines archives toujours pas
déclassifiées, Jean-Luc Einaudi décrit
la cure de ces nuits de cristal en tout
point semblables à celles que vécurent
les juifs du IIIe Reich, il écrit: «Des
milliers de personnes sont raflées,
tabassées, violentées. Des centaines
sont tuées dont plusieurs dizaines par
noyade. Pour ma part, j'estime les noyés
à une soixantaine de personnes et je
pense qu'il y a eu en quelques jours
environ 400 personnes tuées. Les morts
et les violences policières s'étalent du
mardi 17 octobre jusqu'au dimanche qui
suit.» (2)
L'auteur poursuit en impliquant le
préfet Papon: «Les dispositifs de
sécurité ont été mis en place sous les
ordres de Maurice Papon. Lorsque les
rafles ont été commises, c'est lui qui a
décidé de réquisitionner des autobus
avec leurs chauffeurs pour pouvoir
ramasser plus de monde. C'est aussi lui
qui a permis de parquer les personnes
raflées dans le Palais des sports de la
porte de Versailles ainsi qu'au stade
Coubertin. Il faut bien noter que les
rafles étaient une pratique habituelle à
l'époque et, surtout, que tous les
policiers et gendarmes qui ont tapé et
tué l'ont fait avec la conviction de
l'impunité. Et cette impunité, c'est
leur préfet qui le leur a donnée.
Enormément d'actes de violences ont eu
lieu à l'intérieur même des cours des
commissariats, ce qui engage la
responsabilité du préfet.» (2)
Les
précédents en France des méthodes de la
police française
Enfin, l'auteur explique l'omerta: «De
plus, Maurice Papon a aussi participé à
l'entreprise de dissimulation de la
vérité. Dès le départ il y a eu un
véritable travail de mise en oeuvre de
mensonge d'Etat. Comme le nombre de
cadavres était important, il a bien
fallu trouver une explication. Le
ministre de l'Intérieur de l'époque,
Roger Frey et Maurice Papon ont donc
expliqué que ces morts étaient dues à
des règlements de compte, entre
Algériens. Evidemment, l'amnistie
décrétée en mars 1962 a facilité le
travail de mensonge puisqu'elle couvre
tous les faits de cette époque
concernant le maintien de l'ordre. Tout
ce qui cherchait à faire éclater la
vérité était interdit et saisi comme le
livre «Ratonnades à Paris» de Pierre
Vidal-Nacquet»(2).
Il ne faut pas croire que le 17 octobre
fut une singularité, une bavure. Ce fut
au contraire mûrement réfléchi, le
maitre d'oeuvre Maurice Papon un
tortionnaire qui avait déjà sévi en
Algérie à Constantine, de retour à Paris
promu par De Gaulle, il se retrouve en
pays de connaissance avec des éléments
de la préfecture de police qui sont
d'anciennes connaissances qui avaient
cassé du juif et qui ont des
dispositions particulières pour casser
de l'Arabe. Le préfet de police de
l'époque est Jean Baylot, qui a
réintégré de nombreux policiers révoqués
en 1945.
Maurice Rajsfus met en lumière et
dénonce, les crimes policiers, il décrit
un épisode encore méconnu, la répression
de manifestants nord-africains le 14
juillet 1953 à Paris, s'inscrivant
pleinement dans la politique coloniale
de l'Etat français. «Ce jour-là comme
tous les ans depuis 1936, le PCF et la
CGT organisent une manifestation à Paris
pour célébrer les idéaux de la
République et depuis 1945 ceux de la
Résistance. Près de 10.000 personnes y
participent et parmi elles 2 000
manifestant(e)s défilent derrière les
banderoles du Mouvement pour le triomphe
des libertés démocratiques (MTLD), le
principal mouvement nationaliste
algérien dirigé par Messali Hadj.(...)
Les militant(e)s nord-africains y
brandissent des drapeaux algériens et
scandent des slogans hostiles au
colonialisme et en faveur de la
libération de Messali Hadj et de
l'indépendance. Autant de symboles qui
vont entraîner une répression sanglante
de la police française à l'encontre des
Nord-Africains lors de l'arrivée du
cortège sur la place de la Nation. La
police ouvre le feu: bilan 7 morts (6
ouvriers algériens et un ouvrier
français, militant de la CGT) et une
centaine de blessés. Le gouvernement de
Joseph Laniel, président du Conseil,
couvre la répression et soutient les
policiers assassins.(3)
Maurice Rajsfus a écrit aussi avec
Jean-luc Einaudi un livre remarquable
qui tranche avec les mensonges de
beaucoup d'historiens..Il s'intitule:
Les silences de la police 16 juillet
1942-17 octobre 1961 On lit: «La
direction «scientifique «de la
préfecture de police de Paris a osé
publier une histoire de cette noble
Institution omettant deux dates récentes
le 16 juillet 1942 et le 17 octobre
1961. Si vous voulez savoir ce s'est
passé à Paris en 1942 et en 1961, Si
vous voulez savoir comment les
fonctionnaires de la préfecture de
police de Paris ont méthodiquement et
massivement raflé les juifs pour les
livrer aux nazis. Si vous voulez
apprendre comment, de 1958 à 1962,
Maurice Papon a importé les méthodes de
la Guerre d'Algérie à Paris, ne manquez
surtout pas le dernier chapitre de ce
petit livre, qui expose comment de
nombreux centres de torture ont alors
été ouverts en pleine ville. Et comment
la Seine a continûment charrié des
cadavres, de 58 à 62, sous la
responsabilité du même Maurice Papon.»
JL Einaudi raconte aussi bien comment
depuis des mois et des mois à Paris, non
seulement, et dans d'autres villes, des
Algériens étaient tués; l'apogée sera le
17 octobre, sans oublier le 8 février
1962 avec la répression et les morts de
Charonne. Pendant très longtemps, même
les enfants d'immigrés n'ont pas connu
cet épisode. Dans le livre écrit par la
Préfecture de police, il n'y a
évidemment pas un mot sur le 17octobre
1961, mais par contre on parle de
tragédie nationale à propos des morts de
Charonne, tout en parlant d'actes
d'individus incontrôlés, de dérapages,
et en ne mettant jamais en accusation la
police comme corps répressif(4).
L'amnésie
algérienne
On peut se demander pourquoi avoir
décidé de cette marche connaissant les
risques pour des personnes sans défense?
Une première explication nous est donnée
par Omar Boudaoud qui a dirigé pendant
cinq ans la Fédération de France: «Le
couvre-feu touchait particulièrement les
militants nationalistes algériens car,
selon Omar Boudaoud, «le travail du FLN
s'effectuait généralement le soir: les
réunions de militants se tenaient dans
les cafés ou dans d'autres endroits, la
collecte des cotisations s'effectuait
après la sortie du travail et le repas
du soir, de même que la diffusion de la
«littérature» FLN». Devant les
difficultés que le couvre-feu
entraînerait pour l'organisation
nationaliste, le Comité fédéral
expliquait que «l'application de ce
couvre-feu deviendra un handicap
insurmontable et paralysera toute
activité. Essayez donc d'organiser
quelque chose pour riposter. Nous nous
attendions certes à une vague de
répression; mais nous étions tellement
sûrs du caractère pacifique de la
manifestation, que la sauvagerie et
l'atrocité de la répression qui s'en
suivit nous prit au dépourvu.»(5)
On l'aura compris, ces morts ont été le
«prix à payer» pour la Révolution mais
aussi le prix des luttes intestines au
sein du FLN. Pourtant, après
l'indépendance, du côté algérien ce fut
aussi la chape de plomb. Les morts sans
sépulture de la Seine nous interpellent.
Leur combat pour une Algérie libre n'a
pas eu la reconnaissance du pays dont
les dirigeants ont minimisé longtemps
leur rôle dans l'accélération du
mouvement pour l'indépendance. Ainsi,
parce que la Fédération de France
«faisait partie des vaincus», explique
au Monde l'historien Jean-Luc Einaudi,
il était hors de question, pour les
nouveaux maîtres d'Alger, de laisser
paraître un ouvrage qui «lui aurait fait
de la pub».(6) L'hommage viendra plus
tard, au début des années 1990, quand
Ali Haroun, l'un des anciens
responsables de la Fédération de France,
sera revenu en grâce. Depuis 1991,
rappelle Jean-Luc Einaudi, la journée du
17 octobre fait l'objet d'une
commémoration nationale en Algérie.(7)
Que dire en définitive? Les massacres du
17 octobre n'ont pas provoqué en France
de grandes réactions de protestation.
Ils ont été très largement dissimulés
par le mensonge de l'État et recouverts
par l'indifférence dominante. Autrefois,
Pierre Vidal-Naquet avait appelé le 17
octobre 1961 «ce jour qui n'ébranla pas
Paris». Pourquoi l'oubli? Maurice Papon,
préfet de police en 1961, a été ministre
jusqu'en 1981 et que Roger Frey,
ministre de l'Intérieur en 1961, a
présidé le Conseil constitutionnel
jusqu'en 1983. François Mitterrand, qui
en 1961 était dans l'opposition, une
fois devenu président de la République,
ne tenait pas à ce qu'on revienne sur
les années de la Guerre d'Algérie,
compte tenu des graves responsabilités
qui furent les siennes en tant que
ministre de l'Intérieur d'abord, puis
comme ministre de la Justice. Il y avait
là une convergence d'intérêts pour
entretenir l'ignorance et l'oubli.
Hervé Gattegno, rédacteur en chef au
«Point» parle de reconnaissance sans
repentance ajoute que: «Pour la première
fois, c'est la France qui admet
l'existence d'une «répression sanglante»
contre ces manifestants innocents,
pacifiques. François Hollande l'avait
déjà fait, l'an dernier, mais il n'était
que candidat, pas encore élu.(...) C'est
bien la police parisienne qui s'est
déshonorée dans le massacre de 1961 et
pas seulement le préfet Maurice Papon.
C'est donc bien un crime qui engageait
l'État. Et un crime contre des Français
puisque, ne l'oublions pas, l'Algérie
était française à ce moment-là. La
repentance, c'est pourtant la seule voie
possible pour la paix véritable, celle
qui ne passe pas par la guerre et donc
l'écrasement de l'adversaire. Cette
reconnaissance reste très en-deçà de ce
qu'il reste à faire mais disons qu'après
la reconnaissance du Vel d'Hiv, c'était
bien le moins qu'il pouvait faire pour
donner un semblant d'équité mémorielle
entre les différentes communautés de
victimes et éviter le deux poids, deux
mesures.
Cependant, à cette cadence de la
reconnaissance légitime et lucide il
faut au moins un siècle pour venir à
bout de la reconnaissance d'une faute
imprescriptible. Souvenons-nous il a
fallu 45 ans pour que les événements
d'Algérie soient reconnus enfin comme
une guerre. Avec de justes mots, Pierre
Bourdieu rend à sa façon, justice aux
martyrs, nous l'écoutons: «J'ai maintes
fois souhaité que la honte d'avoir été
le témoin impuissant d'une violence
d'État haineuse et organisée, puisse se
transformer en honte collective. Je
voudrais aujourd'hui que le souvenir des
crimes monstrueux du 17 octobre 1961,
sorte de concentré de toutes les
horreurs de la Guerre d'Algérie, soit
inscrit sur une stèle en un haut lieu de
toutes les villes de France, à titre de
mise en garde solennelle contre toute
rechute dans la barbarie raciste.» (8)
L'immense écrivain Kateb Yacine
s'adressant au peuple français seul juge
en définitive, écrivit ce poème tout en
douceur et fermeté en appelant à la
conscience du peuple français :
«Peuple français,
Tu as tout vu
Oui, tout vu de tes propres yeux
Tu as vu notre sang couler.
Tu as vu ta police assommer les
manifestants.
Et les jeter dans la Seine.
La Seine rougissante
N'a pas cessé les jours suivants
De vomir à la face
Du peuple de la commune
Ces corps martyrisés
Qui rappelaient aux Parisiens
Leurs propres révolutions
Leur propre résistance
Peuple français, tu as tout vu
Oui tout vu de tes propres yeux,
Et maintenant vas-tu parler?
Et maintenant vas-tu te taire?» (9)
Comme Kateb Yacine nous attendons des
regrets francs massifs sans
circonvolution littéraire. Le peuple
algérien n'a pas la mentalité pour faire
de ses malheurs une pompe à finance ad
vitam aeternam . Il veut seulement que
la faute soit assumée.
1.http://www.legrandsoir.info/ah-le-lache.html
2.L'Etat continue de cacher des preuves:
Entretien avec Jean-Luc Einaudi. Le
Nouvel Observateur 17 octobre 2002.
3.M.Rajsfus:1953, un 14 juillet
sanglant. Ed Agnès Alternative
libertaire n° 118 30 05 2003
4.
http://nopasaran.samizdat.net/article.php3?id_article=341
5Omar Boudaoud: Du PPA au MTLD, mémoire
d'un combattant. p.187, Ed.Casbah 2007
6.Chems Eddine Chitour
http://www.legrandsoir.info/17-octobre-1961-50-ans-d-amnesie
francaise-et-d-omerta-algerienne.html
7.
http://www.ldh-toulon.net/spip.php?article4664
Catherine Simon, Le Monde des Livres, 13
octobre 2011
8.Pierre Bourdieu: Le 17 octobre 1961,
un crime d'État à Paris, Edits La
Dispute, mai 2001.
9.Chérif Boudelal
http://www.jijel-echo.com/Le-17-octobre-1961-Le-massacre-des.html
Publié le 21 octobre
2012 avec l'aimable autorisation de
l'auteur
Le sommaire du Pr Chems Eddine Chitour
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